En parcourant les pages de ce site vous constaterez que je mets souvent en doute les mots et les discours. Pourtant je leurs fais grande confiance. Mon problème avec les mots et les discours ce n'est pas eux mais ceux qui en usent, pour les produire ou les consommer. On prête à je ne sais plus qui, Thomas Quincey je crois (pas certain du prénom), une formule du genre « Un bouvier qui usera de l'opium fera des rêves de bouvier ». Allez, je vais chercher la “vraie référence” mais ça ne changera rien. Pas trouvé. Au fait, c'est Thomas de Quincey mais ça ne change pas grand chose non plus. De toute manière, sauf dans les cas où l'on cite un auteur parce que son propos est original et intéressant dans sa forme comme dans son fond ça n'a pas d'autre valeur de se réclamer d'un auteur et d'une opinion à lui attribuée que de “valider” ses propres propos en leur donnant la garantie d'une référence célèbre. La sentence ici produite, « Un bouvier qui usera de l'opium fera des rêves de bouvier », est mon propos propre, serait-elle même assez fidèle à la sentence dont j'ai vaguement mémoire, sans même savoir si l'auteur supposé en est l'auteur effectif. Je n'ai pas d'opinion sur les bouviers mais du moins j'ai une opinion sur les capacités de tous ordres des humains, dont leurs capacités oniriques : on ne rêve que de ce qu'on est capable de rêver. Si même je rêve de quelque chose “inconnue”, mon rêve la construira à partir de ce que je connais. Tout ça pour dire qu'un con ou un salaud écrira ou lira quoi que ce soit au filtre de sa personnalité, et de ce fait un con lira ou écrira connement, un salaud salopement. C'est ainsi.

J'ai mon idée de ce que peut être un con ou un salaud mais du moins, dans mon contexte c'est une personne “dans la consommation”, qui veut “consommer” ou “faire consommer”. Consommer quoi ? Et bien, n'importe quoi. Dans la “consommation” ce n'est pas l'objet qui compte mais l'action. Il y a quarante ans de ça les “consommateurs”, qu'ils soient côté vente ou côté achats, “consommaient” d'autres biens ou services que ceux actuels puisque depuis ils les ont “consommés“. La “consommation” c'est la destruction de biens et de services, ergo après “consommation” le bien ou service est hors d'usage. Si l'on considère le type d'objets “consommés” et leur usage, guère de différence entre il y a quarante ans et maintenant, si l'on considère leur apparence ça a parfois évolué. Un peu. Je dirai que la plus grande différence est dans la quantité : pour réaliser à-peu-près la même “consommation” il faut en 2018 un peu ou beaucoup plus de biens ou de services. Généralement beaucoup. Le dogme actuel est que depuis 1978 on a constaté un important “gain de productivité”. Ah d'accord, donc pour réaliser la même “consommation” aujourd'hui on “dépense” moins ? Euh et bien euh et bien euh... Euh non, voilà, non, pas vraiment mais bon tu vois c'est parce que patin et couffin et tric et trac et perlimpinpin, ça explique tu vois. Non, je ne vois pas, on “gagne en productivité” mais pour la même “production” ça coûte plus ? Moi je veux bien pour les patins et les couffins, et pour les trics et tracs, et pour le perlimpinpin, mais bon ça ne m'explique pas pourquoi quand on fait “moins” on dépense “plus”.

N'étant ni un con ni un salaud j'ai beaucoup de mal à admettre que, m'affirmant qu'au cours des dernières décennies, les sociétés très industrialisées sont censées avoir “gagné en efficacité” ce qui, en langage perlimpinpesque, signifie “faire mieux avec autant ou moins”, et que ça coûte plus à tous points de vue, en temps, en argent, en énergie, en production de “déchets”, en tout. Pour dire les choses simplement, comment expliquer que des sociétés dont on m'affirme qu'elles ont connu une “croissance” de X% l'an (entre 3% et 7% selon les années), une majorité a connu une “décroissance” du même ordre sans que la “croissance” du reste de la population soit significativement au-dessus de la “croissance” moyenne. Du fait je réfléchis à tout ça, je m'informe, je croise mes informations et au bout du compte je me dis que tout ça est connerie et fumisterie, enfumage. Par exemple, me raconter qu'il peut exister quelque chose comme une “voiture écologique intelligente” est un oxymore : une voiture ne peut pas être “écologique” au sens où on me le présente, c'est-à-dire moins “consommatrice” et moins “polluante”, et à coup sûr ne peut être intelligente. Faut être un salaud pour le dire et un con pour le croire.

Faites comme moi, réfléchissez là-dessus, si vous n'êtes pas trop con ou salaud. J'ai grande confiance dans mes semblables, et il faut être à un niveau de connerie ou de saloperie très élevé pour ne pas pouvoir ou vouloir réfléchir là-dessus, mais malgré tout, il y a un niveau de connerie ou de saloperie qui empêche cette opération donc, seriez-vous con ou salaud, je vous souhaite ne ne pas l'être au point de ne pas pouvoir réfléchir à ce problème simple, comment un objet nécessairement non écologique et non intelligent est supposément écologique et intelligent. Si vous trouvez une réponse, et une réponse un peu plus sophistiquée que “les cons” ou “les salauds”, ou “la conspiration des cons et des salauds” ou “le système” ou “les élites” ou “les bouches inutiles” ou “eux”, probable que vous n'êtes ni con ni salaud ou que c'est plus une situation qu'un état, que vous l'êtes par habitude plus que par nature.

Amicalement.