Normalement, je limite l'usage des majuscules au nécessaire, or intituler un texte « Les Prophètes » ne me semble pas tel, c'est donc l'autre usage que j'en ai parfois, l'ironie, ici une petite pique aux personnes qui abusent des Majuscules pour marquer que Ceci Est Très Important !!! Les prophéties ça n'a rien de bien important, ça me semble l'ordinaire des choses, une chose que je fais sans y penser, comme ça, de chic. Ayant décidé de réunir sur un même hébergement plusieurs sites auparavant épars, deux assez anciens (composés entre 2000 et 2007 pour l'essentiel) et qui continuent de vivre leur vie par ailleurs, un assez récent (créé en février ou mars 2017) et un tout neuf à cette date (le 21 juin 2017), créé je ne sais plus, le 5 juin environ, je me suis pris à faire une chose rare pour moi, me relire, relire mes vieux textes. Certes ça m'arrive, mais surtout quand je les rédige, pour les corriger, rectifier les petites erreurs de forme (orthographe, syntaxe, formulations) et souvent pour les réduire, j'écris en général au fil du clavier, d'où des redondances, des chevilles inutiles (parmi d'autres, « comme dit », « en un sens » ou « en fait » sont des formules qui ont tendance à naître d'abondance sous mes touches, et à disparaître à la relecture) et parfois des longs passages d'intérêt faible ou nul. Une fois ce travail fait, si je ne reviens pas sur un texte pour le compléter (lisant les textes les plus anciens vous constaterez qu'il y en a très peu d'achevés, c'est ma manière, je fais confiance à mes lecteurs pour compléter par eux-mêmes ces textes, je pars du principe que ce sont des aides à la réflexion et non des Vérités Définitives, ergo ils sont en majorité intrinsèquement inachevés, le travail principal étant à la charge de qui les lit : réfléchir par soi-même.
Donc, pour une rare fois je me prends à relire ces écrits anciens, et ma foi je fus surpris de la pertinence de plusieurs d'entre eux, dont ceux rédigés autour du supposé « traité constitutionnel européen » de 2003-2005 et du référendum français de mai 2005. Entre autres j'y fais plusieurs fois ce pronostic : quel que soit le choix des divers États ce traité ou un traité très similaire sera adopté au plus tard en 2007, qu reprendra surtout les parties II et III du texte de 2005, et cette fois on ne demandera plus aux peuples de donner directement leur avis. Le Traité de Lisbonne a été adopté par les chefs d'État et de gouvernements en décembre 2007, sauf pour les États où un référendum est requis il fut ratifié par les assemblées et parlements, et il reprend essentiellement les parties II et III, moindrement quelques éléments des parties I (proprement la partie constitutionnelle) et IV (les annexes). Les tenants du “oui” ou du “non” au référendum nous expliquaient alors, les uns sur un mode négatif et menaçant, les autres sur un mode positif et plein d'espoir, qu'un “non” de la France, ça serait l'enterrement en grandes pompes de ce traité. Ces gens-là semblent ne pas savoir lire le passé, qui est pourtant le lieu à partir duquel on peut faire des annonces concernant le futur.
Au cours de ma vie j'ai vu plusieurs traités et conventions, plusieurs évolutions profondes de cet ensemble qui quand je suis né était la toute neuve CEE, la « communauté économique européenne », une institution surtout intergouvernementale, pensée au départ comme la prolongation, le renforcement et l'élargissement de la CECA, la « communauté européenne du charbon et de l'acier », pour devenir finalement autre chose ; sans disparaître, elle devient secondaire en 1993 et s'intègre à l'ensemble « communautés européennes » sous le nom de CE, de « Communauté européenne » (ce qui est curieux, la « Communauté européenne » élément des « communautés européennes »...) avec la CECA et Euratom (comme son nom l'indique), dans le cadre de la toute nouvelle UE, l'Union européenne, pour finalement disparaître en tant qu'entité autonome en 2007. Chaque changement de statut passa, au départ sans vraiment de consultation populaire, après 1990 supposément avec mais bon, que le peuple approuve ou non ça ne changea pas grand chose. Idem pour toutes les évolutions, jusqu'au années 1980 on ne consultait pas trop les peuples, sinon parfois lors des adhésions des nouveaux États-membres, après 1990 on tendit à plus les consulter mais donc, sans que ça ait beaucoup d'incidence, le cas le plus significatif fut le traité dit de Maastricht où l'on fit voter certains États plusieurs fois, jusqu'à ce qu'ils consentent de guerre lasse. Bref, pour le traité de 2004 il n'y avait pas besoin d'être Grand Clerc ou éminent thaumaturge pour savoir que, comme les fois précédentes, dans les trois à quatre ans après que le texte aura été proposé, il serait adopté avec quelques modifications cosmétiques, exception faite des parties qui auraient risqué de renforcer la fonction politique de l'UE, souhaitées le plus souvent par les peuples, beaucoup moins appréciées par les gouvernants et institutionnels.
Voilà pour moi ce qu'est un prophète : une personne qui a tendance à prédire que demain a de grandes chances de ressembler à hier et à aujourd'hui. Sans vouloir accabler mes supposés semblables (de fait mes semblables, sinon qu'ils ne font rien pour me ressembler, dans leur grande majorité), ils ont pour beaucoup un gros défaut, ils adhèrent à des idéologies. Ce qui est le meilleur moyen de ne pas pouvoir anticiper sur le devenir de leur société.
Régularités et accidents.
Ce sont les deux outils de base du prophète. Ce sont aussi ceux de l'idéologue, mais il s'en servent à l'inverse, pour le prophète l'accident est rarement significatif, la régularité l'est très souvent, et donc assez logiquement l'idéologue minore le rôle des régularités et majore celui des accidents. Ce qui est idiot : il y a beaucoup plus de chances que ce qui s'est réalisé souvent se réalise de nouveau, que de voir se reproduire demain ce qui s'est rarement réalisé dans le passé. Pour reprendre le cas du traité de 2004, le constat que pas un seul traité, pas une seule convention, pas une seule directive proposés par la CEE ou l'UE n'ont été refusés dans le passé fait augurer qu'il en sera de même pour celui-là, avec donc un délai prévisible en cas d'accident mineur, par exemple le refus de l'un des États-membres d'adopter le texte en l'état. Pour les directives le délai peut être long, parfois plusieurs lustres, pour les conventions ça peut aller jusqu'à sept ou huit ans, pour les traités ça ne prend jamais plus de quatre ans, une fois le texte validé et proposé aux États-membres, donc mon hypothèse de l'époque, confirmée par les faits, est une adoption au plus tard en 2007.
Adoptons le point de vue des idéologues. À la base, ils ont une représentation fausse de la réalité, entre autres ils voient des continuités là où il n'y en a pas et, logiquement, des discontinuités là où il n'y en a pas. Prenons de nouveau le cas du TCE, du « traité constitutionnel européen » (qui soit dit en passant n'avait rien de constitutionnel mais ça importe peu), la raison pourquoi tant les tenants idéologique du “non” que du “oui” ont estimé, contre l'évidence, qu'un refus français aurait une forte incidence sur son devenir, repose sur plusieurs dogmes indémontrés, la Place de la France dans le Monde, et spécialement sa place supposée éminente dans l'UE, la Place des Pays Fondateurs dans l'UE, dont les Pays-Bas, qui très prévisiblement allaient voter contre (l'écart entre partisans et opposants était bien trop important, un rapport de 4 contre 6, pour pouvoir imaginer un revirement de dernière minute) peu après, place supposée prépondérante, l'hypothèse non vérifiée que ces deux refus allaient entraîner la fin du processus de ratification, enfin et pour le redire, la croyance courante que les accidents sont plus significatifs que les régularités et en effet le refus de la France et des Pays-Bas de ratifier un traité de l'UE est un accident, et en outre un accident rare (le premier pour ces deux États). Dans les faits, la France n'a pas de place prééminente dans l'UE et, depuis les élargissements effectifs ou imminents vers le sud et l'est, ne figure même plus démographiquement comme une composante de poids, plusieurs des nouveaux États ayant une population proche de la sienne et du moins égale ou supérieure à 40 millions d'habitants ; quoi qu'ils en croient, les six États fondateurs n'ont plus de rôle prépondérant depuis au moins 1995, année où le nombre de membres atteint les 15 États, et moins encore après 2004 où ils sont désormais 25 effectivement, 27 nominalement avec une entrée planifiée de deux autres en 2007. De jure tous les États sont égaux, de facto, en 2005 il n'y a plus qu'un seul État prépondérant, l'Allemagne, qui à tous points de vue (démographie, poids économique, centralité géographique, solidité des institutions) est le seul de tous les États-membres sans le consentement de qui une décision communautaire restera lettre morte mais cette situation est inimaginable, pour la raison simple qu'un texte n'est proposé que quand on sait que l'Allemagne consent.
Les idéologies, un frein pour les évolutions prévisibles.
Il faut le comprendre, je n'ai pas d'opinion particulière sur la validité des idéologies, il y en a certaines qui me semblent plutôt acceptables si du moins on en considère la lettre, pour exemple, bien que totalement athée et agnostique, j'ai tendance à considérer que bien des idéologies religieuses, d'une part font une analyse consistante de la société, de l'autre proposent souvent un projet de société assez valide. Le problème n'est pas proprement les idéologies mais les idéologues, ou plus précisément les épigones, ceux qui passent leur temps à interpréter ces idéologies. Exemple, deux propositions simples et directes de l'idéologie chrétienne, « Aimez-vous les uns les autres » et « Aime ton prochain comme toi-même »''. Pour moi, pas besoin de faire d'exégèse, il n'y a rien à interpréter, rien à ajouter, si par avance j'aime mon prochain, mon semblable, et si je l'aime comme moi-même, donc comme un semblable, comme un autre qui est un même, c'est bel et bien la méthode la plus simple pour vivre le plus agréablement possible en société. Je ne fais pas d'interprétation mais de la paraphrase, je dis autrement la même chose, je ne cherche pas ce qui est derrière mais ce qui est devant, aimez-vous les uns les autres et aime ton prochain comme toi-même. Bien qu'athée et agnostique, je fais ce que beaucoup de supposés chrétiens ne font pas, dans l'ordinaire des jours j'applique autant que possible ces deux préceptes, j'aime mon prochain, et je l'aime comme moi-même. Par exemple, j'ai en moi des pulsions dont je ne suis pas fier, de ce fait je les garde en moi et ne les active pas en société. Si un semblable me montre que lui aussi a ce genre de pulsions parce que, contrairement à moi, il les active en société, puisque je l'aime comme moi-même je tenterai de le dissuader de le faire, ou de le persuader de ne pas le faire. S'il ignore mes conseils j'en serai désolé pour lui, si par contre il tente de tourner ces pulsions contre moi, je le dissuaderai par le fait, en lui mettant mon poing dans la gueule par exemple, parce que si moi-même j'agissais comme lui, j'espère bien que mon semblable me remettrait sèchement à ma place, serait-ce violemment.
« Aimer son prochain comme soi-même » c'est aussi simple que ça : mon amour de moi a ses limites, de fait il y a beaucoup de choses que j'apprécie modérément chez moi, comme dit j'évite autant que possible d'agir dans la société selon les pulsions qui me déplaisent et je requiers de mes semblables qu'ils en fassent autant. N'étant pas violent par culture (par nature je le serais plutôt, ce qui est normal pour un prédateur), ma proposition précédente selon quoi je foutrais mon poing dans la gueule d'un semblable qui, ne se respectant pas, ne me respecterait pas, est extrêmement rare, puis de toute manière ça ne serait probablement pas mon poing dans sa gueule, plutôt une technique de judo ou une simple mise à distance, ma manière préférée de régler les conflits est d'appeler des tiers pour qu'ensemble on maîtrise l'impulsif jusqu'à ce qu'il revienne à meilleure raison. Il y a une variante de ces préceptes chrétiens, c'est l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, modifiée en 1791, « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ». Il y a bien sûr un passage gênant dans cet article, la notion de “droits naturels”, par nécessité un droit « déterminé par la loi » est culturel, il n'existe que dans le cadre de la société. Hors de la société il n'y a pas de semblables, pas de « membres de la société », pour le dire mieux, le seul droit naturel est celui du plus fort, qui est précisément exclu de la société, laquelle postule que ses membres sont des égaux.
L'expropriation / appropriation des ressources de la société par des personnes privées