Dans la cabine d’en face, le camarade Tillotson, ramassé sur son phonoscript, y déversait encore des secrets. Il leva un moment la tête. Même éclair hostile des lunettes. Winston se demanda si le camarade Tillotson faisait en ce moment le même travail que lui. C’était parfaitement plausible. Un travail si délicat n’aurait pu être confié à une seule personne. D’autre part, le confier à un comité eût été admettre ouvertement qu’il s’agissait d’une falsification. Il y avait très probablement, en cet instant, une douzaine d’individus qui rivalisaient dans la fabrication de versions sur ce qu’avait réellement dit Big Brother. Quelque cerveau directeur du Parti intérieur sélectionnerait ensuite une version ou une autre, la ferait rééditer et mettrait en mouvement le complexe processus de contre-corrections et d’antéréférences qu’entraînerait ce choix. Le mensonge choisi passerait ensuite aux archives et deviendrait vérité permanente. …
Winston regarda une fois encore son rival de la cabine d’en face. Quelque chose lui disait que certainement Tillotson était occupé à la même besogne que lui. Il n’y avait aucun moyen de savoir qu’elle rédaction serait finalement adoptée, mais il avait la conviction profonde que ce serait la sienne. Le camarade Ogilvy, inexistant une heure plus tôt, était maintenant une réalité. Une étrange idée frappa Winston. On pouvait créer des morts, mais il était impossible de créer des vivants. Le camarade Ogilvy, qui n’avait jamais existé dans le présent, existait maintenant dans le passé, et quand la falsification serait oubliée, son existence aurait autant d’authenticité, autant d’évidence que celle de Charlemagne ou de Jules César.
(Extrait de 1984 de George Orwell, 1949. Traduction Amélie Audiberti, 1983)
J'ai repris cette citation (coquilles et erreurs de transcription comprises) des Chemins de la Philosophie, sur le site de France Culture. Orwell, pour d'assez mauvaises raisons, est redevenu à la mode. Étrange qu'une chose ordinairement dite il y a un quart de siècle ait presque totalement disparu des commentaires, le fait que ses deux principaux romans, 1984 et La Ferme des animaux parlent autant de sa propre société que des sociétés totalitaires de son époque. S'il s'appuie sur des cas récents, actuels, il décrit avant tout un processus. On peut nommer cela, et je le nomme ainsi, « organiser la rareté ». Une chose qui se fait via le langage ou plus largement, la communication. On peut construire une “réalité sociale” sans rapport certain à la réalité observable, que les membres de la société ressentent comme la “vraie” réalité et où, contre le sens, contre leurs sens, il y a “de la rareté”. Prenez par exemple la France de 2017 : c'est une société d'abondance. Même une personne qui comme moi dispose de moins de 1.000 € par mois, donc moins que le “seuil de pauvreté” de 2014, fixé à 1.008 €, est “dans l'abondance”. Or, j'entends beaucoup de discours décrivant ce pays comme dans la pénurie, dans le manque. C'est plus large, on manque de tout, de liberté, de sécurité, de passé, de présent, d'avenir, d'espace, de solidarité, de produits de qualité, d'amour, de pétrole, de... Bref, de tout. Sauf d'insécurité, de charbon, de pessimisme, de plastique, d'angoisse et de chaleur atmosphérique.
Il n'est pas aisé de déterminer ce qui est réel ou non et parmi ce qui est réel, ce qui est vrai ou vraisemblable ou inexact ou fallacieux ou faux, parmi cela ce qui est volontairement ou non présenté de la manière dont ce l'est, enfin si la valeur attribuée à ce que présenté est donnée par l'émetteur ou le récepteur. Avant d'aborder quelques Grandes Questions Existentielles sur les Fins Premières et Dernières, ou même des trucs moins coton mais un peu larges néanmoins, genre les événements historiques des quatre ou cinq derniers siècles, du dernier siècle et demi surtout, une affaire triviale dont l'intérêt fut sa condensation : elle concentrait tous les pont-aux-ânes et toutes les anxiétés du moment et, du début à la fin de sa médiatisation principale, qui fut intense en France et déborda à l'international, se déroula en à peine plus d'une semaine. Elle fut vite “simplifiée”, c'est-à-dire pourvue d'une étiquette qui permettait de faire l'économie des détails, ce qui en la circonstance posa très vite problème puisque précisément les détails ne cessèrent de varier pour faire que l'objet initial n'avait plus rien à voir avec celui final.
Le nom de cet événement fut « l'affaire du RER D » or, deux jours après les débuts de sa médiatisation il était clair que si affaire il y eut elle ne se reliait en rien à la ligne D du RER pour la raison simple que les supposés faits supposés s'être déroulés dans une rame de cette ligne étaient pure invention, et que même le faible lien possible avec le RER, la supposée présence dans une des gares de cette ligne de la seule personne réelle de cette “affaire”, était aussi une invention. À l'époque de ladite “affaire” j'en avais traité sous divers angles, et avais recueilli beaucoup de documents de presse la concernant. Si ça peut vous intéresser, l'ensemble est disponible à partir d'une page simplement intitulée « RER D » mais je vous invite à ne pas vous y précipiter, tout cela est anecdotique même si intéressant comme document. Donc, une “affaire” qui condense en un supposé événement craintes et préjugés les plus prégnants du moment, juillet 2004. Au cas où cela ne vous serait pas apparu jusque-là, ce que je n'oserai croire, par nécessité un supposé événement qui semble démontrer les lieux communs les plus diffusés de l'époque où il est supposé s'être réalisé ne peut pas être. Ça ne signifie pas qu'aucun événement réel servant de base au récit médiatique n'ait eu lieu, simplement cet événement n'a qu'un rapport faible, souvent presque nul, avec l'événement tel que figuré dans ledit récit. La cause de cela est assez élémentaire : un médiateur est un humain comme les autres et de ce fait, n'a pas de capacités plus élevées que quiconque à “discerner le vrai du faux” et la même tendance que vous et moi à évaluer les informations au filtre de ses idéologies, à les “interpréter” comme on dit. L'idéologie implicite dominante d'un médiateur est que la représentation générale du monde et de la société construite par les médias correspond assez à la réalité, ce qui a deux conséquences principales :
- Toute supposée information qui semble confirmer cette représentation est immédiatement reçue comme vraie et relayée sans faire les vérifications nécessaires pour la valider ;
- Toute information, avérée ou supposée, qui semble s'inscrire dans une série d'événements reliée aux présupposés les plus communs concourant à la constitution de la représentation du monde et de la société actuellement dominante dans les médias est immédiatement analysée, commentée ou racontée selon le schéma habituel pour cette série d'événements.
Pur une bonne illustration du second point, une autre analyse à chaud que j'avais produite en avril 2002, « Madame Irma vous parle de la presse », concernant une “affaire” où l'événement initial est la percussion d'une tour milanaise (ou turinoise) par un avion. Là aussi je vous invite à ne pas y aller voir tout de suite, c'est juste l'indication qu'il existe un document pouvant valider ce que dit ici, disons, c'est un “effet de réel” : ce que je vous dit est très vraisemblable car il existe au moins un document indépendant de mes propos actuels permettant de constater que ces propos ne sont pas pure spéculation. Vous pouvez le vérifier avant même de lire mes propos ici mais savez-vous ? Il n'est pas bon de douter de ce qu'on ne connaît pas encore. Le texte en question comporte trois parties, la dernière est une discussion générale du même ordre que celle-ci, les deux premières sont celles qui permettent d'illustrer mon propos : dans la première je fais des pronostics sur ce que je trouverai dans les quotidiens français à propos de cet événement, dont je prévois d'une part qu'ils traiteront avec force détails d'un événement dont ils ne savent à-peu-près rien de détaillé, précis et vérifié, de l'autre qu'ils ne pourront pas s'empêcher de relier cet événement avec les attentats new-yorkais du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center, et bien sûr le “terrorisme islamiste” (à cette époque l'étiquette spécifique était “Al Qaida” puisque l'étiquette “État Islamique” n'était pas même imaginable – en 2002 le modèle implicite “terrorisme islamiste” était plutôt celui de “la pieuvre” que celui de “la guerre des civilisations”, encore marginal), que je ne mentionnais pas dans ma prédiction mais qui était nécessaire dès lors que le lien serait fait avec l'événement « les attentats du 11 septembre » ; dans la seconde je me livre à une étude aussi précise que possible du contenu de ces journaux qui, bien évidemment, ont largement validé mes prédictions, je dirai même, très au-delà de mes espérances (si du moins c'est de l'ordre de l'espoir...).
Une autre construction médiatique intéressante illustre mes deux hypothèses, « l'affaire Papy Voise ». C'est la résultante d'une construction préalable, débutée l'été 2001, interrompue par l'invasion soudaine (mais très brève, moins de 48h chaque fois) de la réalité les 11 et 21 septembre, suspendue environ trois mois, reprise de janvier à mai 2002 avec donc, ce point d'orgue, le 19 avril 2002, “l'affaire Papy Voise”, dont le nom de code était « l'insécurité ». Il serait intéressant de faire l'étude de cette construction, autant que je m'en souvienne plus du tiers des supposés événements à l'appui de cette construction se révélèrent faux ou inverses à ce que présenté (le supposé agressé étant le réel agresseur ou la supposée agression n'ayant pas eu lieu, les supposés agresseurs ayant juste le tort d'avoir “le profil”, jeunes, de banlieue et en majorité “d'origine”), et autant que je m'en souvienne le nombre d'événements supposés valider le thème « l'insécurité » fut remarquablement restreint, le simple ressassement des mêmes événements, y compris ceux non réels après que ça se révéla, donnant un “effet de masse”. Disons, l'émergence récurrente ou l'effacement du thème “l'insécurité” est indépendant de l'augmentation ou de la réduction des “faits d'insécurité” et très lié à la saison (l'été est favorable au retour des thèmes récurrents) ou à la politique (principales élections, difficultés du gouvernement à réaliser sa politique...). Cette “affaire Papy Voise” est une construction à tous points de vue, il n'est pas avéré qu'il y eut agression, il est avéré que le nom “Papy Voise” est une création d'un des reporters, il est avéré que « le gentil papy aimé de tout le voisinage » fut une invention complète, au contraire le voisinage le détestait et au moins deux pétitions réclamèrent son expulsion et la destruction de son taudis, il n'est pas avéré que ses possibles agresseurs aient été jeunes et “de banlieue”, il est avéré que la seule mise en examen, pour cause de jeunitude, balieuitude et originitude, résulta en un non lieu, bref, il est avéré que “l'affaire Papy Voise” est l'aboutissement d'une construction qui eut autant de validité que cette construction même, c'est-à-dire aucune.
Ces deux exemples me semblent intéressants pour comprendre comment et pourquoi se construit une fausse représentation. L'incident turinois (ou milanais) d'avril 2002 est un des éléments de la construction en cours d'élaboration “la Guerre contre le Terrorisme”. Aujourd'hui ce, disons, « concept » semble évident, même si de plus en plus contesté non en tant que fait mais pour les moyens employés afin de supposément mener cette guerre, en avril 2002 et au moins jusqu'au début de l'année 2004, et bien, c'était loin de faire consensus. De ce fait il fallait construire le concept, le “réaliser”, ce qui se fait très banalement en créant des séries artificielles, nourries d'événements contradictoires, faux ou inassimilables, qui par leur ressassement et leur “mise en perspective” finissent par “donner du sens” au concept en cours d'élaboration. Peu importe que l'incident en question ne soit pas un attentat ou du moins pas un “attentat terroriste” de la série « attentats islamistes », l'événement même disparaîtra assez vite comme fait mais persistera comme discours, comme élément de ce discours plus large “le terrorisme islamiste”. La supposée “guerre contre le terrorisme” n'a jamais eu lieu et pourtant elle existe, comme “fait médiatique”, comme construction ayant donné corps à un concept en se nourrissant de n'importe quel événement, réel ou non, classé avec plus ou moins de pertinence parmi ceux censés valider le concept. Considérant l'un des événements-clés de cette construction, la « deuxième guerre du Golfe », censé être une des preuves de la “guerre contre le terrorisme” ne fut qu'une très classique guerre entre États dont le résultat le plus tangible ne fut pas de réduire mais d'augmenter le risque terroriste un peu partout dans le monde, spécialement en Irak et en Syrie.
Pourquoi faire de telles constructions ? D'abord parce que c'est nécessaire, ensuite parce que c'est nécessaire. La première nécessité est intrinsèque à la “médiatisation”, les médias, par leur nature même, simplifient le réel, en donnent nécessairement une représentation très limitée et assez inexacte. Ce n'est pas problématique en soi, ça le devient si on perd cela de vue. La médiatisation est une forme de cartographie, une “cartographie sémantique”, le but n'est pas de donner une image réaliste de la réalité, aucune carte n'a cette visée, mais d'en donner une opérative. Il ne s'agira donc pas, pour une médiatisation efficace, disons, non trompeuse, de donner une image aussi exacte que possible de la réalité mais une image adaptée aux besoins. Pour illustration, cette exemple repris de la page « Le cas du titre “Le mot chien peut-il mordre ?”… », ces deux cartes :
Elle représentent le même territoire. Celle de gauche est destinée aux promeneurs à pied qui, comme l'on dit, souhaitent sortir des sentiers battus, se promener dans des petits chemins, des sentes, voire même hors de tout chemin tracé, celle de droite au contraire ne propose que les principales voies carrossables. Le conducteur d'une automobile n'a pas l'usage de celle de gauche, qui lui donne trop d'informations et ne lui permet pas de repérer facilement les voies qui l'intéressent ; celle de droite n'est d'aucune utilité pour le promeneur qui souhaite parcourir la forêt de Rambouillet et ne lui donne pas assez d'informations. Pour les médias, et pour tout moyen de communication il en va de même. Les deux cartes sont “un même moyen” mais “deux fins différentes”. Je répète souvent ce précepte, aucun moyen ne justifie aucune fin et tous les moyens sont bons. Cela exprime précisément ce qu'illustrent ces deux cartes. L'idée imbécile selon laquelle « la fin justifie les moyens » ne tient pas compte du fait que, justement, certains moyens ne sont pas adaptés à certaines fins. On peut certes écraser un moustique avec un marteau-pilon, à la condition qu'il veuille bien se placer dessous et qu'il n'y ait que lui sous ledit marteau-pilon, et avec ce problème qu'on dépensera une énergie considérable pour un résultat aléatoire et minime. La guerre contre le terrorisme c'est la chasse au moustique avec fusil pour éléphants à bord d'un tracteur : on est gros, on est lent, on vous entend venir de loin, avec de la chance on touche sa cible mais en faisant un très gros trou et pas mal de “dégâts collatéraux” très prévisibles autour, le tout en mobilisant beaucoup de ressources matérielles, énergétiques et humaines.
Il peut paraître paradoxal, une fois montré qu'aucun moyen ne justifie aucune fin, d'affirmer que tous les moyens sont bons, c'est pourtant la logique même : ne pouvant par avance déterminer les fins, on doit disposer d'autant de moyens que possible. La question est alors celle du discernement : avant d'agir, il faut évaluer la situation et les buts, et de là déterminer quels sont les moyens les plus adaptés. Dans le cas du terrorisme, il faut partir du point de vue que “la cible” c'est n'importe qui, un humain parmi les humains. Il se peut qu'on dispose réellement de moyens “globaux” pour repérer un terroriste, mais par nécessité là où il est se trouvent aussi beaucoup de “non terroristes”, ergo se servir d'un outil conçu pour avoir une action large et non spécifique causera énormément plus de dégâts que nécessaire et touchera des “non terroristes” dans leurs biens ou dans leur chair. En outre, la “recherche de cible” sera nécessairement longue, coûteuse et aléatoire, et repèrera en majorité les cibles les moins prudentes ou les moins dangereuses. La logique veut donc que, si menace terroriste il y a, la lutte ne s'exerce pas principalement au niveau global mais à celui de plus fine granularité, au niveau de chaque membre de la société. Pour cela il y a des prérequis, en premier de regarder sa société à son niveau, et non au niveau global.
Finalement, « l'affaire du RER D » ne m'est plus nécessaire, je vous conseille tout de même de jeter un œil au dossier indiqué, à l'occasion, pour voir comment une construction médiatique peut se mettre en place à partir d'un non fait pour mobiliser en peu de temps le ban et l'arrière-ban des médiateurs, des politiques et des “commentateurs” multi-cartes qui ont des opinions sur tout, sur n'importe quoi, sur rien et sur le reste. Juste une mention, j'ai été fasciné, mais non surpris, que quatre ou cinq jours après la mise en évidence qu'il y avait jamais eu la moindre « affaire du RER D » autre que dans le bruit médiatique, des commentateurs publiaient encore des papiers sur les leçons à en tirer, sans compter ceux qui, après avoir réagi un peu vite, nous expliquaient que si cette affaire n'était pas réelle elle en disait beaucoup sur l'état de la société (alors que pour moi elle en disait certes beaucoup, mais seulement sur la sphère médiatico-politique et son rapport à la réalité).
Une brève incidente sur la citation d'Orwell. L'ensemble est intéressant mais surtout la fin : « Le camarade Ogilvy, inexistant une heure plus tôt, était maintenant une réalité. Une étrange idée frappa Winston. On pouvait créer des morts, mais il était impossible de créer des vivants. Le camarade Ogilvy, qui n’avait jamais existé dans le présent, existait maintenant dans le passé, et quand la falsification serait oubliée, son existence aurait autant d’authenticité, autant d’évidence que celle de Charlemagne ou de Jules César ». Je prends parfois un exemple de falsification peut-être involontaire, celui d'une étude établissant une corrélation forte entre niveau des cotisations sociales et taux de chômage. Il s'est avéré, après des vérifications qui ont invalidé ses résultats, que les erreurs de données calculées étaient causées par un "bug" du logiciel utilisé pour faire ces calculs. Il se trouve que, par imbécillité ou par malhonnêteté, des personnes continuent d'utiliser cette étude en tant qu'argument “scientifique” pour “démontrer” que le meilleur moyen de réduire le taux le chômage est de faire baisser ce qu'ils nomment faussement “les charges”. Cette corrélation n'exista dans aucun présent mais existe désormais dans le passé. 1984 ne parle pas d'ailleurs ou d'hier mais d'ici et maintenant, de n'importe quel ici et de n'importe quel maintenant. La novlangue est la langue universelle...
Donc, regarder la société à son niveau. Au niveau global la représentation de la société est nécessairement celle d'un “nous” et d'un “eux” qui parfois devient un “vous”, sinon que ce “nous” et ce “eux” est variable et changeant. À son propre niveau il n'y a que des “toi”, des “moi”, des “elle” et des “lui”, des êtres singuliers et non des êtres collectifs. Au-delà de ce niveau élémentaire la question est celle de la granularité. Au tout premier niveau il peut y avoir des “nous” mais, peut-on dire, des “nous” individuels, un ensemble de personnes qui ne sont pas coalisés de manière aléatoire mais le sont de manière circonstancielle, je veux dire : un individu appartient à des ensembles divers et de proximité, une famille, le cercle d'amis, les connaissances proches, celles plus distantes, le groupe de travail... Il n'y a aucun aléa dans la constitution de ces ensembles par contre ils sont circonstanciels par le fait que les relations qu'on entretient avec chaque membre et dépend du contexte et de ses évolutions, donc des circonstances. Dans le cadre d'une famille par exemple, sans même considérer les cas des dissensions, par le fait ses membres s'éloignent les uns des autres, parfois à de grandes distances, et se voient pour certains de loin en loin. Si l'on conserve le contact avec ceux qu'on a bien connus et longtemps, leurs enfants, leurs petit-enfants sont des personnes lointaines et pour certains des inconnus. Les amis, c'est encore plus net, j'ai récemment repris contact avec deux amis que je n'avais plus revus depuis une trentaine d'années, pour la raison simple que depuis j'ai vécu à au minimum 600 kilomètres d'eux. Eux et moi nous sommes retrouvés aussi amis qu'il y a trente ans, mais ne reprenant pas contact et bien, cette amitié serait restée une chose perdue... De même pour les autres cas, je change de ville, de travail, je perds le contact avec mes connaissances, avec mes collègues. Des “nous” non aléatoires mais circonstanciels. Sauf pour la famille, où les liens sont d'un autre ordre, les membres de ces anciens “nous” ou les anciens membres de ces “nous” sont, à l'occasion d'une retrouvaille, des “toi” qui possiblement deviendront membres du même “nous” ou d'un autre (un ancien collègue devenant un ami, par exemple).
Au premier niveau le “nous” est un collectif mais un collectif proche, selon les situations la commune, le village ou la ville, le canton, le quartier, le pâté de maison, l'immeuble, l'étage... Ça dépend de la densité de population et de la structure urbaine ou rurale. Dès le niveau suivant le “nous” est anonyme et indénombrable. Il s'agit donc de déterminer quelle est la granularité souhaitable à chaque niveau. Par exemple, une information de niveau zéro (individuel), traitée à un niveau global mais représentée avec les moyens d'une information globale, ou l'inverse, génère ce qu'on appelle une dissonance ou discordance cognitive. Le second cas, une information de niveau global représentée avec les moyens d'une information de niveau zéro, est typiquement le cas de la “guerre contre le terrorisme”. On peut appeler ça une “extrapolation”, c'est-à-dire, nous indique l'article de Wikipédia, « l'utilisation d'une règle empirique en dehors du domaine où elle a été validée », l'application d'une analyse avec les outils d'une granularité d'autre niveau, en ce cas. Les crimes, quelles que soient leurs motivations, sont une permanence dans les sociétés. Certains sont des “globaux” (crimes d'État, luttes armées, organisations criminelles...), d'autres “locaux” (assassinats, braquages, attentats...). Avoir une lecture “globale” d'un crime “local” est donc une erreur d'analyse, qui conduit nécessairement à une erreur dans les moyens et méthodes de lutte. Bien sûr il en va de même dans l'autre sens, Bachar el Assad n'est pas “le boucher de Damas”, ce qui le qualifie comme un “criminel de droit commun”, mais, soit le dirigeant d'un État qui tente, peut-être (assurément...) avec de mauvaises méthodes de ramener l'ordre, soit le chef d'une organisation criminelle et en ce cas auteur de crimes de guerre ou contre l'humanité, ce qui justifierait une intervention directe, quels que soient les risques, à l'instar de ce qui se fit entre 1942 et 1945 contre les Puissances de l'Axe ou, pour un exemple plus proche et plus similaire, ce qui se fit en Irak en 2003 contre Saddam Hussein.