L'une plus idiotes sentences est ce fameux « Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis » ou autre formulation approchante : s'il y a une population qui change assez aisément d'avis, c'est bien celle des imbéciles – je le sais car j'en suis. Selon moi, presque tout le monde change d'avis, plus ou moins et plus ou moins souvent mais tout le monde, ou presque. Il est une population dont je doute de la capacité réelle à changer d'avis, mais qui par circonstance peut être amenée à devoir sembler le faire, celle des salauds. Mais comme je suis un imbécile je peux changer d'avis là-dessus aussi. En tant que moi une rare chose sur laquelle je ne risque guère de changer d'avis est celle du titre de cette page, les imbéciles aussi changent d'avis. À preuve, comme un imbécile, il y a quelques heurs j'écrivis que pour les jours, semaines ou mois à venir j'allais cesser de nourrir ce site avec des nouveaux textes, et là je viens de changer d'avis...
Typologie des humains.
Très honnêtement, je ne me rappelle plus pourquoi j'ai créé cette page, je comptais parler de quelque chose, c'est sûr, mais en toute sincérité je ne crois pas que c'était ce dont je m'apprête à discuter maintenant, une vieille idée de mon cru, la séparation des humains en grandes classes taillées à la serpe ou même à la hache. J'ai une base qui, comme souvent dans les pages de ce site, est ternaire, les “cons”, les “moyens”, les “salauds”. Mais j'ai une conception plus découpée des choses en sept ensembles, deux intermédiaires, entre les moyens et les autres groupes, deux extrêmes audes cons et des salauds. On peut dire que les trois groupes centraux sont des variétés de moyens, ceux intermédiaires étant des moyens qui agissent ou qui se voient comme des cons ou des salauds, les deux extrêmes étant des cons ou des salauds “par nature”, les deux groupes restant étant des cons et salauds “par culture”. Je le développe par ailleurs, ce qui forme le socle de mes typologies sociales est ce que je nomme humanisation : considérant que les humains sont, au départ, des êtres informes, les fameuses “ardoises vierges” qu'imaginent certains éducateurs, même si désormais et pour des raisons de politesse mal comprise on n'oserait plus trop user de l'expression du moins dans l'espace public1, et pour passer de cet être de très faible autonomie à un humain accompli il faut un long temps et de nombreuses étapes.
Je discute de tout ça dans plusieurs textes, pour les détails je vous y renvoie, ici je vais considérer que vous êtes déjà au courant de mes hypothèses en ces questions. L'idée est donc qu'entre la naissance et... un certain moment, l'individu passe d'un état d'autonomie nulle à un état d'autonomie complète. Que ce soit à un bout ou à l'autre ça n'est bien sûr pas aussi tranché mais du point de vue des sociétés humaines ça l'est, en ce sens qu'un nouveau-né a une autonomie sociale vraiment nulle et qu'un humain convenablement socialisé est sensé être en capacité de s'adapter en un temps limité (quelques heures à quelques années) à n'importe quel contexte. Ce monde étant imparfait la supposée polyvalence totale n'est jamais atteinte mais on peut s'en approcher assez, j'ai quelques exemples en tête. Au départ, les individus n'ont pas tous le même “potentiel d'humanisation”, je veux dire, certains individus ont des déficiences physiques, mentales ou psychiques telles qu'ils ne parviendront jamais à une socialisation telle qu'ils intègreraient les types de comportements qui entrent dans la norme sociale définissant un humain accompli. Le but premier de la société est du moins de faire au mieux de ses moyens, par l'éducation, quand nécessaire avec l'aide de prothèses, et par l'aménagement de l'espace social, pour que le plus d'individus possibles aient l'opportunité d'une vie sociale aussi accomplie que possible et proches des standards.
D'une part, l'hypothèse de base des sociétés humaines est qu'on ne peut savoir à l'avance quels seront les individus qui auront une contribution gratifiante pour leur société, de l'autre la tendance des humains comme espèce est de permettre au plus grand nombre des membres de l'espèce de vivre une vie la plus gratifiante possible. C'est même plus large, les humains ont une propension élevée à tenter d'humaniser ou au moins de socialiser le plus possible d'êtres ou d'objets mais c'est un autre sujet, ici je discuterai seulement du cas des humains en tant qu'espèce. Toujours est-il, que ce soit réussi ou non (manque de moyens, erreurs de méthodes), du moins la tendance est d'humaniser autant que souhaitable, de socialiser autant que possible et, dans tous les cas, d'offrir le plus de confort de vie possible à tous les humains et, autant qu'ils le peuvent, le plus de temps de vie possible. Mais ça ne réussit pas toujours, et les “ratages” peuvent avoir des conséquences néfastes, voire désastreuses, pour une société humaine. Avec ce grand problème que les ratages les plus graves sont généralement les moins visibles.
L'idéal humain est simple, le fameux mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain, et la réalisation de cet idéal est très variée, il n'y a pas vraiment d'humain type, cela d'autant moins que les humains, comme dit, ont une capacité non négligeable à permettre, par l'éducation, l'aménagement formel et réel de l'espace social et l'usage de prothèses, de pallier aux insuffisances innées ou acquises des individus. Considérant une société nouvelle et, disons, humaniste, elle tendra donc, selon ses moyens bien sûr, à faire que le plus possible de ses membres se rapprochent de cet idéal et si possible l'atteignent. Le très grand problème est qu'on ne peut jamais être certain que ce soit le cas. Au départ le plus grand risque est du côté des “salauds”, avec le temps les “cons” aussi deviennent un risque, non en eux-mêmes mais par le fait qu'il peut y avoir un “taux de saloperie” tel que les salauds organisent à l'intérieur de la société une société autonome visant leurs propres intérêts sans tenir compte de ceux de la société globale. Dans ces circonstances, les cons deviennent souvent des auxiliaires des salauds, agissant pour les intérêts de ceux-ci et contre leurs propres intérêts.
En un sens, tout ce que je peux dire sur ce sujet est de l'ordre de l'évidence, ce qui me désole un peu est que beaucoup de mes semblables le savent, le disent et, pour ceux qui ne sont pas parmi les salauds “moyens” et “culturels”, le regrettent, mais quand on passe à ce qu'il faut faire pour que ça cesse, ça devient délicat. Le cas courant, c'est « Je suis bien d'accord avec toi mais... », le “mais” se déclinant diversement, mais “les autres”, mais “les circonstances”, mais “le contexte”, mais “la nature humaine”, mais... Disons, “on” trouve tout ça anormal et condamnable, “on” voudrait que ça cesse mais “on” ne peut pas non par incapacité propre mais par contraintes extérieures. Ce que je nomme les “moyens” sont, on peut dire, les vrais héritiers du contrat social original, celui qui dit précisément que le seul héritage transmissible inaliénable est ce contrat, tout le reste doit être soumis à la société pour déterminer si tel bien mobilier ou immobilier est transmissible et dans quelles conditions. Ils ne sont ni meilleurs ni pires que tout autre humain, ils sont moyens et à ce titre justement “comme tout le monde” mais, par circonstance, ont appris et compris les rares règles élémentaires de ce contrat social informel mais intangible, les acceptent et les appliquent. En théorie tout membre de la société qu'on dira moyen, c'est-à-dire la plus grande partie d'entre eux, apprend ces règles élémentaires et en théorie toujours, en devient membre à part entière quand il montre qu'il les connaît et s'engage à les respecter. Mais de la théorie à la pratique il y a souvent de la distance, là commencent les problèmes...
La prolifération des salauds et des cons.
Qu'est-ce qu'un salaud ? Une personne qui a un esprit malsain dans un corps malsain. Qu'est-ce qu'un con ? Je dirais bien comme la blague soviétique sur l'opposition entre capitalisme et communisme : qu'est-ce que le capitalisme ? L'exploitation de l'Homme par l'Homme ; qu'est-ce que le communisme ? C'est le contraire. Un con, c'est donc le contraire d'un salaud, une personne qui a un corps malsain dans un esprit malsain. Pour le dire autrement, un salaud comme un con est un raté, un raté de l'humanisation. Mais pas de la même manière : le salaud a très bien compris le principe du contrat social, très bien vu quel est son but, mais très bien compris aussi que l'on peut s'arranger pour ne pas respecter ses règles, prendre indûment pour soi une part des biens sociaux et les faire sortir de ce processus d'évaluation lors de la transmission de ces biens à ses héritiers, que ce soit ses descendants ou ceux parmi son groupe dont il veut favoriser les entreprises. À l'inverse, le con a du mal à comprendre le principe du contrat social, de ce fait il ne comprend pas trop le but de la socialisation et s'il ne comprend pas la nécessité de préserver le mécanisme de restitution des biens sociaux à la collectivité, ne comprenant pas très bien les règles il ne discerne pas les procédés permettant de soustraire “légalement” une partie de ces biens pour les transmettre à ses héritiers. Où ils convergent, c'est dans leur volonté de ne pas suivre les règles élémentaires ; où ils divergent, c'est dans leur capacité à faire échapper ces infractions à la sanction sociale.
Même si ça n'est pas ainsi dans les faits, on peut dire que le salaud est antisocial par excès d'intelligence, le con par insuffisance dans ce domaine. En réalité, c'est plutôt une question d'éducation que proprement d'intelligence, disons que le salaud apprend la maîtrise de ce qui permet de contourner les lois, ce que le con n'apprend pas : la maîtrise de la parole. À la base, c'est donc un risque que la société sait courir, parce que c'est une chose très ancienne, à-peu-près aussi ancienne que l'apparition de la forme de communication propre aux humains, le langage articulé. Désolé, je ne vais pas vous proposer une description très précise de ce qu'est le langage articulé, il m'a fallu plus de trois ans d'études assidues pour comprendre intimement comment il fonctionne, je me contenterai de dire ici ce qui fait sa spécificité : il permet de communiquer à un tiers sa manière propre de comprendre le monde, et de faire persister dans la société cette manière, de la diffuser. Autant que je sache, seuls certaines espèces d'oiseaux ont une capacité similaire, qu'on peut décrire comme la constitution d'une culture transmissible indirectement à des tiers et qui se conserve par le biais d'une éducation, d'un apprentissage conscient. J'ai un doute à propos d'une autre espèce de mammifères, les rats, qui sont peut-être eux aussi des êtres de culture. Et bien sûr, comme cette capacité se transmet de pair à pair il est aussi possible de faire entrer dans les cultures humaines des individus d'autres espèces, notamment certains primates, avec cette limite qu'ils n'ont pas eux-mêmes la capacité de le faire à leur tour.
On peut le tourner comme on veut, les prétentions de certains à dire que d'autres espèces ont aussi une culture est inexacte, il existe en effet des procédés propres à un groupe qui vont se transmettre de génération en génération avec cette limite que si, par circonstance, aucun membre dominant du groupe n'adopte ces procédés à une génération, ils se perdent car ils sont diffusés par imitation et non par éducation, et que seuls les dominants sont imités. Pour les humains, et les quelques espèces “culturelles” même si d'une manière différente, il n'en va pas de même, les humains sont certes des primates et comme tels, ils tendront à prendre pour modèles de comportement ceux des dominants de leur groupe, mais pour ce qui constitue leur culture ils n'auront pas les mêmes préventions. Non que ça soit dans leur nature, comme dit déjà le processus d'humanisation est long et précaire, les humains les moins bien socialisés par défaut d'intelligence ont plutôt tendance à privilégier l'imitation, à calquer leurs comportements et faire leurs choix à partir de ce qu'ils voient chez les dominants de leur groupe – et aussi à avoir une conception restreinte de ce qu'est leur groupe. Parlant du fait que, disons, “l'esprit” d'un individu persiste bien après sa mort, je ne fais pas ici une déclaration de croyance, celle en l'indépendance du corps et de l'âme, et sur la survie de l'âme après la mort du corps, il s'agit d'un simple constat : Gilgamesh (ou du moins la personne qui servit de modèle pour ce personnage), Socrate, Sappho, Bouddha, Jésus (même remarque pour ces deux-là que pour Gilgamesh), Virgile, Boadicée, Augustin, Éloïse, Rabelais, Olympe de Gouges, Abraham Lincoln, Colette, Céline, tous sont morts et selon moi, corps et âme, mais leur esprit est toujours là. Certes pas tel qu'il fut de leur vivant mais du moins, tel qu'ils ont pu et parfois voulu le transmettre par leurs écrits ou par leur exemple. On pourrait peut-être mieux dire en parlant de leur “personnalité”, non tant leur esprit que l'image que, par eux-mêmes ou par l'impression qu'ils firent sur leurs contemporains, que ce soit en positif ou en négatif, ils ont laissée.
C'est précisément cela qui fait que l'humanisation est un processus incertain : quelle que soit l'époque, ce processus est assez constant, on procède par l'exemplarité, celle du corps qui induit l'imitation, et celle de l'esprit qui induit la compréhension. Or si l'imitation est facile à vérifier, la compréhension l'est moins, on peut toujours prétendre avoir appris un comportement, si l'on est invité à le reproduire, soit l'on réussit, soit non, et c'est immédiat, on peut prétendre avoir appris un concept, il n'existe nulle manière de le vérifier sinon à terme plus ou moins long, et parfois trop tard. Je me rappelle d'un cas intéressant de ce point de vue, dans le village où s'installèrent mes parents il y a presque quarante ans on avait trois médecins dont l'un était un héritier, la troisième ou quatrième génération, je ne me rappelle plus – médecins de père en fils. Vu son âge à l'époque, il devait faire partie d'une des toutes dernières générations de médecins à l'ancienne, avec une formation de base qui était presque uniquement du bachotage, les formations plus empiriques concernant surtout certains spécialistes ou les étudiants pauvres qui complétaient leurs bourses en faisant de l'internat. Les fils de notables pouvaient s'en dispenser. Du fait, avec une bonne mémoire un étudiant en médecine pouvait passer les examens et les concours brillamment sans avoir à démontrer qu'il avait compris ce qu'il avait appris. Ce dernier de la lignée locale (son fils a choisi une autre voie, ou alors un autre lieu d'exercice) était un débile mental, je ne le dis pas sans savoir, j'ai passé une bonne partie de mon enfance à en fréquenter (parents éducateurs qui étaient souvent en logement de fonction dans l'établissement), du type que la nosographie désigne “débile léger”, un incompétent total qui maîtrisait le vocabulaire mais était presque incapable de poser un diagnostic.
Dans ma typologie, le médecin en question était une sorte de con, à mi-chemin du con par nature et du con par culture, une question de contexte : fondamentalement il n'était pas d'une telle déficience intellectuelle qu'il n'ait pu faire un humain moyen acceptable, pas très futé mais sans plus ; ayant eu l'opportunité de suivre des études de médecine, et par ce seul fait, il devint plus nettement le con qu'il était à la limite d'être et cette fois un con par culture, une personne n'ayant pas les capacités intellectuelles nécessaires pour accomplir utilement son métier, qui est éminemment social – il n'est pas problématique pour une société que ses plombiers ou ses tourneurs-fraiseurs n'aient pas un QI mirobolant, même si l'intelligence est toujours un plus en toute profession, il est problématique que dans un métier intellectuel à fort impact social ont ait des capacités intellectuelles limitées. Il était un con par culture mais un salaud fonctionnel ou par culture, en ce sens que, soit par connerie réelle, soit parce que salaud par héritage, il n'a pas décidé de ne pas remplir une fonction qu'il ne pouvait clairement pas accomplir correctement.
Les humains étant fondamentalement moyens, les membres d'un groupes ont une certaine facilité à basculer à un ou deux groupes de distance, un con moyen aller vers la connerie culturelle ou naturelle, aller à la moyenne ou basculer vers la saloperie moyenne. Disons, au bout du processus d'humanisation qui, selon les individus et les contextes, peut aller de quelques années à quelques lustres, la position sociale des individus est fixée mais c'est une base, ils peuvent par la suite et si le contexte le favorise, changer de position. Même si le processus diffère un peu ça ressemble à ce qui peut se passer dans une société comme celle française il n'y a pas si longtemps encore où, sans dire que c'était facile ni courant, des gens comme Pierre Bérégovoy, fils de paysans reconvertis dans le petit commerce, avec en plus un père d'immigration à sa naissance, ou comme Pierre Bourdieu, fils d'un petit paysan béarnais devenu petit fonctionnaire rural et d'une mère fille de petits fermiers, bref, des “petites gens”, ont connu une ascension sociale importante, moitié par leur volonté, moitié grâce aux circonstances. Pour ma typologie ça ne peut pas aller si loin, il ne s'agit pas tant d'une question de position sociale, cas par exemple de mon médecin qui, dès le départ, a une position sociale intéressante, laquelle n'augure rien de sa position humaine – j'en ai connu, des héritiers qui l'étaient à bon droit, qui n'étaient pas des usurpateurs, quelle que fut leur position sociale. Et puisque j'emploie le terme, on peut dire que les salauds sont des usurpateurs, les cons des déclassés, les uns “au-dessus de leur condition”, les autres bien sûr “en-dessous de leur condition”.
Dans la pratique, tous les humains sont moyens, y compris les cons et salauds par nature. La différence est, au départ, fonctionnelle, pour qu'une société puisse s'organiser elle doit attribuer des tâches différentes à ses membres, le “con” est celui qui travaille, le corps et les jambes, le “salaud” est celui qui réfléchit (presque au sens littéral, celui qui permet à la société de se voir, de se refléter comme en un miroir), la tête et l'esprit, le moyen est celui qui coordonne, à la fois la colonne vertébrale et les bras. En théorie tous les membres de la société sont mobiles et peuvent occuper n'importe quelle fonction ; de fait ça n'est pas absolu, un con ou un salaud naturel ne deviendra jamais, ou ne devrait jamais devenir son symétrique culturel ou naturel, un con ou un salaud culturel deviendra rarement son symétrique culturel, plus rarement encore son symétrique naturel. Seuls les membres des trois groupes moyens sont, sauf circonstance très exceptionnelle, réellement susceptibles de se déplacer, par choix ou par circonstance, vers n'importe quel autre groupe, tenant compte que dans tous les cas les moyens sans épithète restent toujours des moyens. Dans, disons, des circonstances normales les moyens n'ont pas de raisons particulières de changer de position, être moyen, être au centre, c'est confortable. Il y aura presque toujours un moment dans leur parcours de vie où ils le feront, c'est une sorte d'initiation, être au centre est certes le meilleur endroit pour observer la société mais il est intéressant et formateur de varier les points de vue, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'ils tendront à devenir à la fois plus mobiles et plus stables, “vers le bas”, les cons, comme “agitateurs”, et “vers le haut”, les salauds, comme “perturbateurs”.
Les circonstances exceptionnelles, c'est la prolifération à l'excès des salauds et des cons.
De la confrérie à la classe, de la classe à la caste.
Il faut partir d'un point qui explique largement pourquoi une société humaine est condamnée d'avance à, disons, dériver : dans une société quelle qu'elle soit où les individus sont fortement sexués, ce qui fait la société ce sont les femelles. Dès lors que les types “mâle” et “femelle” tendent à être stables dans le temps – ce qui n'est pas si courant qu'on croit chez les êtres vivants, la reproduction sexuée, c'est-à-dire qui s'effectue par le biais d'un échange ou d'une mise en commun de patrimoine génétique entre au moins deux individus pour en constituer un ou plusieurs nouveaux, la sexuation stricto sensu n'est pas majoritaire, et chez beaucoup d'espèces, animales ou autres, les individus sont hermaphrodites, ou varient dans le temps ou selon les circonstances, devenant tantôt “femelles”, tantôt “mâles” selon leur âge, ou selon un cycle, ou parce qu'il y a déficit de l'un ou l'autre groupe, enfin il y a ces cas encore assez courants où le sexe est assez indéterminé, tels individus ont toutes les caractéristiques des mâles ou femelles de l'espèce et “fécondent” ou “sont fécondés” par des individus “de leur genre”. Cependant, pour des espèces aussi complexes que les vertébrés terrestres la sexuation est presque obligée2 et les individus ne varient pas en genre et, pour ceux mâles, en nombre, dans le temps. Clairement, parmi les vertébrés terrestres des lignées “reptile”, “dinosaure” et “mammifère”, on connaît des espèces qui peuvent se passer de mâles pour se perpétuer, on n'en connaît pas qui peuvent se passer de femelles. Disons, la parthénogenèse, “l'immaculée conception”, n'est pas un cas connu chez des mâles, sinon chez quelques mâles humains mais uniquement dans les mythes et légendes – à remarquer que dans ces mythes et légendes on parle aussi de cas de parthénogenèse impossibles, du genre une vierge dont l'enfant est mâle, ce que la génétique ne permet pas.
Partant de là, beaucoup de mâles d'espèces au moins grégaires, parfois sociales de vertébrés terrestres, spécialement de mammifères, développent des stratégies censées garantir que les jeunes de leur groupe sont de leur descendance. Ça n'est pas toujours très efficace mais du moins, ils le font, entre autre en éliminant (par meurtre ou par ostracisme) les autres mâles avant qu'ils arrivent à la puberté, ou en les conditionnant pour qu'ils apprennent qu'ils n'ont pas le droit de s'accoupler avec des femelles du groupe. Comme dit en note, je ne suis pas du genre à tenir pour vrai ce que je ne connais pas être assurément tel (c'est mon côté cartésien) mais du moins, on peut supposer avec vraisemblance que la lignée de primates dont dérivent les humains avait ce genre de comportement, disons, le “contrôle des naissances par les mâles dominants du groupe”. En tous les cas, de longue date c'est la pratique chez les groupes humains et plus encore dans leurs sociétés. Il y eut un long processus erratique pour tenter de corriger ce comportement, disons, naturel (en fait, plutôt culturel mais ça importe peu, c'est un comportement acquis mais tellement intégré qu'il en devient presque inné). La première phase fut de réduire ou d'annuler le taux de mâles dominants dans un groupe, avec comme fin ultime aucun mâle dominant ou un seul, mais sous contrôle du reste du groupe, une sorte de “dominant dominé”. La phase suivante est bien sûr de faire qu'il n'y ait plus de dominant du tout, ce qui n'est pas le plus simple.
Une société humaine qui se constitue est, originellement, une confrérie, une assemblée de pairs mais seulement mâles, des “frères”, et ce n'est qu'à date récente (au tournant des XIX° et XX° siècles) que l'on commença d'admettre officiellement, “légalement”, des femelles parmi les membres de certaines confréries ; quant à les admettre dans la vaste confrérie qu'est une société large, l'article de Wikipédia « Droit de vote des femmes » donne la chronologie de la chose, où l'on voit que jusqu'en 1895 ce fut aléatoire et partiel, avec cette double limite que ça ne concerna que des femmes “libres” (célibataires ou veuves) est qu'elles ne disposaient que du droit de vote, les premières à pouvoir être éligibles, ce n'est qu'en 1895, et l'extension de ce droit à de plus en plus de pays ne devient significative que pendant ou après la première guerre mondiale, tenant compte que bien des pays, et non des moindres, n'ont établi un suffrage universel sans restrictions que bien plus tard – en fait, ça n'est pas encore universel, malgré son nom, et en cette année 2017 bien des États ont toujours un droit de vote et d'éligibilité censitaire, où les femmes sont rarement éligibles. Le fait qu'une part prépondérante des membres de fait d'une société ne soient pas membres de droit – outre les femmes, tous les jeunes hommes n'ayant pas atteint un certain âge et, cet âge atteint, n'ayant pas réussi un rite d'initiation qui les fait entrer dans le groupe des frères – à des conséquences antisociales à long terme, après un temps plus ou moins long se constituent des groupes hiérarchiques, des “classes”, et le passage de l'une à l'autre devient toujours plus malaisée, jusqu'à leur consolidation en castes, en groupes fermés dans lesquels l'appartenance est héréditaire et la position dans le groupe largement héréditaire, la caste se constituant sur le modèle de la société de classe.
Des conséquences antisociales en ce sens que ce qui permet à une société de conserver sa cohésion est précisément la mobilité, formellement chaque membre doit sa situation à ses compétences et, pour les activités ne requérant que des compétences élémentaires, cette situation est en temps limité et le plus souvent révocable. Or, quand la situation devient héréditaire et non révocable, de plus en plus de membres de la société se trouvent accomplir une fonction qui n'est pas de leur compétence ou qui leurs donne le droit “légal” de faire ce qu'évoqué précédemment, transmettre à leurs héritiers un bien social qui à la fin de leur fonction aurait du revenir à la société. C'est là qu'intervient le processus conduisant nécessairement à la destruction de la société, la coalition des salauds et des cons.
La coalition des salauds et des cons.
Un con est un con et comme tel, n'a pas la claire conscience de son intérêt propre. Un salaud est un salaud et comme tel, a une claire conscience de son intérêt propre mais une faible conscience de l'intérêt des autres membres de la société, y compris les membres de son propre groupe. En tant que “Maîtres de la Parole”, les salauds conçoivent et mettent en place des méthodes d'éducation des membres de la société telles qu'elles contribuent à “naturaliser” une hiérarchie sociale qui leur est favorable, à quoi s'ajoutent des conditionnements qui permettent à la fois d'augmenter la proportion de cons moyens et surtout, culturels, et de convertir certains membres en cet être paradoxal, un “con salaud”, un con culturel qui adhère au modèle social en cours et qui agit en faveur des salauds pour perpétuer la hiérarchie en vigueur, qui agissent contre leurs propres intérêts en croyant les préserver. Dans cette configuration, les salauds deviennent ce que je nomme par ailleurs des illusionnistes ou des escrocs, des gens qui créent des illusions destinées à masquer la réelle structure social et, secondairement, qui leurs permettent de fixer l'attention des gogos ou pigeons vers un point où il ne se passe rien de vraiment tangible pour qu'ils ne tournent pas leur attention vers des points où se passent des choses réelles, qui se résument à, faire les poches des pigeons.
En son temps, quelqu'un comme Guy Debord a bien compris et en partie assez bien expliqué la chose, spécialement dans La Société du spectacle. En partie seulement car il part d'une prémisse fausse dans la première des 221 “thèses”3 de l'ouvrage,
♦1♦ Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.
La prémisse fausse est « [les] sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production », car “le spectacle” est une constante qui traverse toute société, un de ces “éternels retours” perçus par Nietzsche. Ça n'enlève rien à l'intérêt de l'ouvrage, ça enlève cependant beaucoup à sa portée : lisant ce spectacle comme lié à un contexte et à des “conditions de production” spécifiques, il a “démodé” le texte, l'a rendu lié à cette situation où il l'écrivit. D'une certaine manière il est le continuateur d'auteurs tels que Julien Benda avec La Trahison des clercs, qui lia son analyse à un contexte, l'entre-deux-guerres et l'apparition de cette forme particulière de spectacle que fut la bien trop longue séquence “fasciste” (le livre est publié au centre même de la période de construction de cette séquence, en 1927), et met l'accent sur ce qui diffère des cas antérieurs. En outre Benda ou Debord commettent cette erreur courante de prendre pour vrai ce qu'ils dénoncent comme faux, Benda dénonce la trahison mais est partisan des “clercs”, comme si l'on pouvait les séparer de leur trahison, Debord critique le spectacle mais croit en lui – d'ailleurs les situationnistes firent du “contre-spectacle”, donc du spectacle censément au service d'une autre cause mais contribuant au spectacle. Passons. Les thèses 4, « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images », et 9, « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux », m'intéressent notamment.
Ce que décrit Debord dans la thèse 4, est proprement la forme de communication spécifique aux humains, ils “médiatisent” leurs rapports sociaux par des “images”, créent des séries de représentations partielles du monde avec différents systèmes de signes, parole (orale puis écrite), beaux-arts, “mode”, gastronomie, etc. Le spectacle n'est alors qu'une forme particulière d'un phénomène général, dans laquelle la représentation est volontairement faussée, inexacte, décorrélée de la réalité censément représentée. La thèse 9 explique ce qu'est fondamentalement le spectacle, le monde “réellement renversé” où « le vrai est un moment du faux », ergo, dans le monde non renversé le faux est un moment du vrai. Ce qui est exact. Comme le postula Alfred Korzybski, « « une carte n'est pas le territoire », or tout discours, quel que soit le système de signes, est une forme de carte. Dans la communication humaine “normale” on a les deux cas, celui où la carte n'est pas le territoire, une tentative documentaire partielle de représentation d'un segment de réalité, et celui où la carte est le territoire, qu'on appelle fiction, ou conte, ou mythe, ou poésie. La communication “anormale” est donc celle où l'on présente le cas “fiction” comme étant du “document”, une fiction donnée comme représentation documentaire du réel, comme “réalité”.
Ce qui pose la question de la réalité et de la fiction. Dans mon contemporain, dans cette année 2017, on ne sait plus trop quoi est quoi. J'ai entendu hier 9 novembre 2017, par hasard et contre mon gré, une brève séquence de l'émission La Dispute sur France Culture, où une des participantes (dont quelques participants) parlait d'« exofiction », autant dire une fiction fictive. Pourquoi cette curieuse construction ? Parce que l'“autofiction” (que mon correcteur orthographique accepte, contrairement à l'exofiction). Soit précisé, cette participante semblait ne pas trop apprécier l'“exofiction”, disons, elle apprécie peut-être la fiction, à condition qu'elle ne soit pas fictive. Bien sûr, une fiction non fictive, c'est l'évidence même... Et oui, c'est l'évidence, celle de 2017 en France et en bien d'autres pays dits développés, on ne peut plus trop déterminer ce qui est fiction et ce qui est document, et par le fait la fiction est somme toute plus confortable en tant que document. Ou le contraire, ou bien... Oh ! Tout cela est compliqué... Ou très simple peut-être.
Partant de l'hypothèse vraisemblable qu'un salaud a comme principale visée, dans son activité sociale (et probablement celle non sociale, “privée”), son intérêt propre, considérant que le “salaud fonctionnel” est celui qui contrôle et diffuse l'information, constatant que dans un grand nombre d'États actuels, probablement tous, les positions de pouvoir sont acquises, que les personnes occupant de telles positions sont inamovibles et qu'elles sont transmise dans leur majorité à des membres de leur propre groupe, considérant, pour la France (mais les remarques qui suivent valent pour nombre d'autres États qui ont des principes similaires ou qui ont adopté ceux-ci) que le mode de sélection des membres de ce groupe en charge de la chose publique ne repose sur aucune logique sociale telle que définie à la fin de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (formulation de 1791), « Tous les citoyens, étant égaux [aux] yeux [de la loi], sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », constatant que les trois premiers articles et le début du quatrième de cette déclaration, qui ont valeur constitutionnelle, et que voici, ne sont plus réellement appliqués ou applicables,
Article premier - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.
Article 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
Article 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits.
considérant que la fin de l'article 4, « Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi », ne peut être respectée dès lors que ce qui précède ne l'est pas, la question est alors, doit-on admettre l'état de fait qui se dissimule sous le masque de l'état de droit ou doit-on rétablir l'État de droit ? C'est une question.
Constitution de la coalition.
Je parle de salauds et de cons non parce que je considère effectivement que les personnes concernées sont réellement des salauds et des cons (bien que, pour les salauds, ça ne soit pas si rare même si ce n'est pas majoritaire) mais parce que la société globale et, chacune à sa manière (certaines très crûment, beaucoup assez ou très subtilement), les pseudo-sociétés intermédiaires (les fédérations et confédérations) et de base (les États et les territoires formant des entités formellement ou réellement autonomes), sont organisées et régulées de telle manière que les principes contenus dans leur “contrat social”, les constitutions ou les textes à valeur constitutionnelle, sont souvent inappliqués ou inapplicables et que les lois applicables préservent ou renforcent l'organisation de ces entités politiques. De ce fait, par volonté ou par contrainte les personnes en position fonctionnelle de cons ou de salauds sont amenées à se comporter en cons ou en salauds non plus fonctionnels mais réels. Ceci ne concerne pas les seules personnes en charge de la chose publique en position de décision (législatif), de réalisation (l'exécutif) et de contrôle et sanction (le judiciaire), toute la société est amenée à se conformer à des pratiques qui confortent cette organisation, même quand elles n'en n'ont pas le désir – ce qui est le cas général. Le problème étant que dans leur majorité les citoyens d'une entité politique n'ont pas vraiment conscience de leur capacité à refuser de cautionner objectivement ce qu'ils refusent subjectivement. Avec cette conséquence paradoxale que beaucoup refusent objectivement ce qui contribue subjectivement à permettre la réalisation des principes du contrat social.
Avant de poursuivre, un peu d'explication de texte sur les articles cités. Cela parce que, malheureusement, les mots et les expressions s'usent, et que ce que dit en 1791 n'avait pas toujours le sens que l'on peut en lire en 2017. C'est un phénomène normal mais dont les salauds se servent quand nécessaire (de leur point de vue) pour gauchir le sens de mots, des expressions, des phrases, des textes.
- Dans la Déclaration, “association politique” n'a pas le sens qu'on peut spontanément lui attribuer en 2017, et que renforce le début de l'article 4 de la Constitution de 1958, « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage », de parti politique, mais signifie tout simplement “association des citoyens”, des membres de la polis, de la cité, dit autrement, “association politique” signifie en 1791 “entité politique constituée par l'ensemble de ses citoyens”, secondairement par un territoire.
- Dans l'article premier, “distinctions” a son sens premier de, nous dit le TLF, « Action de distinguer, de déterminer, dans un être ou une chose, ce qui les rend différents », et non pas en son acception telle qu'employée dans le préambule à la Constitution de 1946(qui a aussi valeur constitutionnelle), « sans distinction de race, de religion ni de croyance », ni donc de classe.
- Il m'est arrivé aussi de moquer la formulation “droits naturels” de l'article 2, mais non la liste qui suit, je considère que ces droits, si plutôt culturels, sont inaliénables en effet, mais il faut préciser ceci,
- “propriété”, comme le dit encore le TLF, signifie « droit légal qu'a une personne à disposer d'un bien qui lui revient en propre ». À son décès, d'évidence ce droit cesse, d'où la nécessité dite précédemment de déterminer si tout ou partie de cette propriété peut revenir à ses héritiers. La société ne les spoliera pas mais leur demandera de lui en rendre, dans la forme qu'ils souhaitent, l'équivalent du trop perçu,
- “sureté” ne signifie pas, comme l'affirment souvent nos actuels dirigeants, “sécurité” au sens de “sécurité publique assurée par les forces de police ou de défense” mais la sûreté personnelle telle qu'exposée dans l'article 5, « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas », la sûreté personnelle contre l'arbitraire, soit de la loi, soit des autorités.
J'apprécie particulièrement le dernier droit, la résistance à l'oppression, et l'article 4 sur la liberté, que l'on paraphrase souvent aujourd'hui par « la liberté des uns finit ou commence celle des autres » alors que la paraphrase ancienne est plutôt « la liberté des uns finit ou finit celle des autres », ce qu'exprime la fin de l'article, « l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits~». La liberté, ça n'est pas de ne rien faire qu'on ne voudrait qu'un autre vous fasse, que ne rien faire qu'on ne voudrait qu'un autre ne puisse faire. En ce sens, ce qu'on appelle aujourd'hui “évasion fiscale” est une atteinte à la liberté puisque l'on fait ce qu'une majorité des citoyens de son pays ne peut faire, ça n'est pas un simple un délit fiscal, c'est un crime économique, un abus de biens sociaux au détriment de tous.
Le con, c'est celui qui exécute sans jamais s'interroger sur la validité de ses actes. Celui qui respecte les lois et les règlements même quand ils ne se justifient pas. De ce point de vue, sauf les salauds nous sommes tous ordinairement des cons, la division se faisant non par ce que nous faisons mais sur la manière dont nous le faisons. À titre personnel, je respecte le plus souvent les lois et les règlements et si je ne le fais pas c'est sans dissimuler la chose parce quand je ne les respecte pas c'est avec la conviction, qui se vérifie le plus souvent, qu'ils ne sont pas respectables, qu'ils contrevient au contrat social. Il m'est arrivé par exemple de refuser trois ou quatre fois, durant mon service militaire, ne refuser d'exécuter un ordre qui me paraissait indigne, et chaque fois la hiérarchie m'a donné raison sauf dans un cas. Les autres fois, le gars qui m'avait donné l'ordre était un con, du fait il croyait que sa position hiérarchique l'autorisait à ordonner n'importe quoi, ce qui bien sûr n'est pas le cas. La fois où j'ai eu un problème, ce n'était pas réellement un ordre, mais une décision à respecter, et en outre une “récompense”. L'histoire est intéressante, elle illustre parfaitement ce qu'est la perversité au sens freudien, c'est-à-dire la capacité à agir contre les autres sans risquer la sanction de la loi.
Dans le bataillon où j'étais, un autre appelé, un “bon” soldat, obéissant et méritant, avait sollicité de passer “première classe”, une distinction honorifique censée récompense ce type de soldats de base. Notre chef de bataillon lui expliqua que, à trois mois de la fin de son service ça ne serait pas possible, les démarches, les délais... Presque un mois plus tard, dans un contexte informel, discutant de tout et de rien et notamment de ce gars, j'avais dit à notre chef, un appelé lui aussi mais officier, et qui donnait toutes les apparences d'être un brave type, pas très formaliste, que j'étais entré dans l'armée deuxième classe et que je comptais en sortir deuxième classe. Une semaine après j'étais promu première classe. Un art consommé de la perversité : punir en “récompensant”. J'ai refusé d'arborer ce colifichet, ce gri-gri, et mon “gentil” chef m'a, comme on dit dans ce milieu, “collé un motif”, fait mettre au arrêts pour huit jours. Le cadre de l'armée est instructif de ce point de vue, on y apprend à consentir. Je me suis moi-même surpris à devenir con, insensiblement, cela pendant une permission longue (deux semaines) vers le milieu de mon service où je me suis constaté conditionné, “militaire”, ce qui m'a permis de corriger la chose, de laisser ça à la surface, de ne plus l'intérioriser, ce qui n'est pas si simple. Ça m'a aussi permis de constater de la manière la plus nue le problème des “cons salauds” en interaction avec des cons par nature ou par culture.
Les cons salauds sont des cons qui ont un petit bout de pouvoir et comme ils ne savent pas trop bien s'en servir, ils ont tendance à vouloir en abuser – ce dont je parlais brièvement à propos des ordres refusés qui ne m'ont pas posé problème, parce que le con, même en position de salaud, a ce problème de ne pas très bien maîtriser la parole, de ce fait si on en a une maîtrise honorable soi-même, avec un peu de rhétorique et une attitude humble on parvient presque toujours à dominer la situation. Le problème des cons non salauds est justement leur manque de maîtrise de la parole, donc quand ils doivent se confronter avec des cons salauds ils auront le double désavantage de la position subalterne et de la difficulté à “justifier” (expliquer avec un minimum de rhétorique) leur comportement, en ce cas celui qui obtiendra la décision favorable est celui le plus haut dans la hiérarchie. Pour dresser le décor, dans l'armée un appelé pouvait voir prolonger son temps de service de la moitié du temps qu'il avait passé aux arrêts. J'ai connu un appelé qui, en juin 1981, avait passé plus de deux ans de service, une sorte d'Achille incapable de rattraper la tortue, il passait presque tout son temps de “rab” aux arrêts, ce qui prolongeait sans fin ce “rab”. En juin 1981 il n'avait “plus que” deux mois de prolongation, il a fait je ne sais plus quoi (refusé un ordre et par dessus insulté ou frappé devant témoins son supérieur), pris deux mois d'arrêts, et allez donc ! Encore un peu de “rab”... Chance pour lui, l'amnistie présidentielle est arrivée au milieu de son “rab” courant, et comme il entrait dans les critères il a enfin pu sortir de ce cercle vicieux. Ça c'est le cas du con récalcitrant, je vous laisse imaginer ce que peut faire un con docile en cas d'ordres indignes ou non réglementaires.
Ceci fait se poser la question de la responsabilité des individus. Je pense notamment au cas de Mohammed Merah, le “terroriste” de 2012, dont je discute plus précisément dans une autre page. J'entendais ce matin un psychologue, ancien collaborateur de la CIA et comme l'on dit “spécialiste” du terrorisme, qui avait à-peu-près la même analyse que moi : s'il fut responsable de ses actes en tant qu'auteur de ses crimes, il ne le fut en revanche pas du processus qui l'amena là, c'est un contexte, l'interaction entre un individu qui avait, on peut le supposer, un profil de con récalcitrant, “violent”, une famille dysfonctionnelle et l'impéritie des services sociaux, par manque de moyens ou de compétences ou des deux, qui a conduit à cette configuration, la réalisation “terroriste” et meurtrière de son tropisme à la violence ayant, si l'on peut dire, bénéficié du contexte social général. Même un violent ne tue pas si aisément de sang froid, il lui faut pour ça une “légitimité”, un motif qui puisse lui donner le sentiment d'agir “pour le bien” en commettant le mal. Ici, la défense de la Vraie Religion et la “vengeance” au nom des ses “frères en religion” victimes, et bien, objectivement victimes de leur propre violence, fantasmatiquement victimes des militaires français et de “l'Occident” pour Merah. Le mal pour le bien...
La question cruciale est la réelle responsabilité d'un ensemble d'acteurs sociaux. Sans même remonter aux causes anciennes, on peut du moins retracer une large part des choix politiques, au milieu des années 1970, de plusieurs groupes de dirigeants fédérés autour de la métropole de leur “empire”, les États-Unis, qui chacun pour ses propres motifs et avec ses propres méthodes et moyens, ont convergé dans le soutien direct ou indirect à des groupes islamistes radicaux. Leurs motifs communs étaient la préservation de leurs positions de pouvoir ou leur préservation tout court mais au bout du compte c'est le même, tous considérant que le pouvoir préserve, et tous visant avant tout la fin (se préserver) et jugeant pour cela que les moyens la justifient, quels qu'ils soient. C'est précisément cette apparente convergence qui les a conduits à agir apparemment de concert et de conserve pour un même but apparent. Ce qui n'est pas le cas, et qui induisit la suite.
Pour exemple, les États-Unis avaient deux buts assez différents et en partie contradictoires, d'une part reprendre la main dans certains États du Golfe persique, en tout premier l'Iran, de l'autre continuer leur lutte avec l'URSS en suscitant une nouvelle opposition, mouvement qui s'accentua après 1978 et la prise de pouvoir du parti léniniste local en Afghanistan. On a un peu oublié la chose mais sans le soutien actif des USA, jamais le pouvoir théocratique ne se serait installé en Iran, outre cette stratégie globale de soutien à certains groupes islamistes le problème était, d'une part une prise de distance progressive du Shah avec son protecteur étasunien, de l'autre une structuration de l'opposition, disons, démocratique, d'où cette “bonne” idée de favoriser le retour de Khomeini en Iran pour orienter l'opposition vers quelque chose de plus conservateur et de moins “communiste”. Plus ou moins réussi...
Autre acteur important, Israël. Là aussi on ne s'en souvient plus trop mais dans les débuts, après que l'État se soit à-peu-près stabilisé, vers 1950, fut un soutien parfois explicite de mouvements arabes, disons, démocratiques, de manière à stabiliser leur position en favorisant des organisations idéologiquement proches de celle des fondateurs de l'État. Par la suite, pour diverses raisons dont le changement des équilibres sociologiques et politiques durant la phase de décolonisation des années 1950-1960, qui virent l'arrivée de beaucoup de Juifs bien plus conservateurs, venus principalement de pays arabes et contre leur gré (les fondateurs étaient surtout des Européens libéraux ou socialistes, avec un background culturel très différent et venus là plus par choix que par nécessité, nonobstant le fait que la seconde guerre mondiale accéléra le mouvement). Toujours est-il, dans les années 1970 les autorités israéliennes changèrent de stratégie et soutinrent, ouvertement ou non, des mouvements dans la mouvance des Frères Musulmans, qui à l'époque apparaissaient plutôt piétistes, plus axés sur la société civile et le prosélytisme que par le pouvoir. Il y eut en cela une certaine convergence avec des États “arabes”, en premier l'Égypte et le Maroc, qui tout en réprimant les mouvements islamistes plus nettement politiques soutenaient ceux plus sociaux, en gros, occupez-vous des âmes, nous nous occuperons des corps... À l'autre bout du Moyen-Orient, en Arabie Séoudite et dans les États proches, le but principal était l'hégémonie religieuse et politique sur l'ensemble du monde sunnite, d'où la diffusion à l'aide de financements massifs d'une idéologie religieuse censée favoriser ce projet, le salafiste qui, apparaissait aussi à l'époque plutôt piétiste, la dynastie des Séoud ayant conclu un compromis au tournant des XVIII° et XIX° siècles avec cette école, le même partage, toi les âmes, moi les corps.
Le tournant, celui qui conduira à la situation actuelle, est la décision de Jimmy Carter, le 3 juillet 1979, de fournir une aide directe officielle aux mouvements islamistes luttant contre le gouvernement communiste en Afghanistan. La décennie suivante, cette politique, qui s'accompagna en outre d'aides illégales à des mouvements ou États censément ennemis (cas de l'“Irangate” notamment) dans le but cette fois de trouver des financements pour d'autres opérations illégales (soutien officieux ou dissimulé aux diverses “contras” dans une Amérique Latine en voie de démocratisation), permit de favoriser les mouvements islamistes plus nettement politiques et surtout, violents, et leur coordination à un niveau international. Et nous voilà en 1989, le début de la fin pour l'Empire soviétique et la fin du début pour le mouvement islamiste “djihadiste” puis ultérieurement “terroriste”.
J'ai un adage, les cons sont des salauds en puissance, les salauds des cons qui s'ignorent. Dans l'ensemble, les salauds sont généralement des gens assez intelligents et parmi les cons moyens et culturels beaucoup ne manquent pas d'intelligence. Leur problème commun est de ne pas avoir une claire conscience des conséquences possibles à moyen et long terme de leurs décisions à court ou moyen terme, les cons par une capacité restreinte à défendre leurs intérêts propres, les salauds parce qu'ils ne voient que leurs intérêts propres, disons : les cons agissent contre la société en croyant agir pour eux-mêmes, les salauds agissent contre eux-mêmes en croyant agir contre la société. De fait, à court ou moyen terme les cons semblent agir pour eux-mêmes et les salauds contre la société, mais vient toujours un moment où la réalité reprend ses droits, puisqu'en agissant contre leurs intérêts les cons agissent contre la stabilité sociale, en agissant contre la stabilité sociale les salauds agissent contre leurs intérêts, lesquels sont in fine, contribuer à la stabilité sociale, laquelle est seule en capacité de préserver leurs intérêts à long terme. La véritable coalition des salauds et des cons arrive quand il apparaît à tous qu'ils n'ont plus les moyens de préserver leurs intérêts vitaux, quand le coût du maintien d'une structure politique fondamentalement antisociale dépasse significativement le niveau des ressources disponibles.
Philosophie politique des moyens.
Un moyen, même un peu salaud (opportuniste) ou un peu con (conformiste), ce qu'est toujours en partie un moyen (opportuniste ou conformiste selon son tempérament ou selon le contexte), a une philosophie de base assez sommaire : tous les moyens sont bons, et la connerie comme la saloperie sont des maux nécessaires, ce sont des “fins” qui “justifient” les “moyens”. Comme l'a dit assez joliment un sage il y a quelques millénaires,
Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux :
un temps pour naître, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté ;
un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir ;
un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser ;
un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres ; un temps pour embrasser, et un temps pour s’éloigner des embrassements ;
un temps pour chercher, et un temps pour perdre ; un temps pour garder, et un temps pour jeter ;
un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler ;
un temps pour aimer, et un temps pour haïr ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix.
Il a dit aussi une autre chose de bon sens,
Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
S’il est une chose dont on dise : Vois ceci, c’est nouveau ! cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.
On ne se souvient pas de ce qui est ancien ; et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard.
Les paroles de ce sage sont un bon outil pour déterminer l'orientation d'un humain, plutôt moyen, plutôt salaud, plutôt con. Pour un moyen il s'agit d'un constat, pour un salaud ou un con il s'agit d'une opinion. Moi, si quelqu'un me dit, la vie est ce bref moment pour un individu entre sa naissance et sa mort, où alternent des temps de travail et des temps de repos, des temps pour agir et des temps pour réfléchir, des temps difficiles et des temps faciles, des temps pour défaire et des temps pour faire, je me pense, celui-là a compris la vie, je pense aussi, quelle que soit sa vie il doit en goûter tous les moments. Un adepte du carpe diem, c'est sûr. “Carpe diem” signifie “cueille le jour” et vient d'un vers du poète latin Horace, « Carpe diem, quam minimum credula postero », sa traduction littérale est « Cueille le jour, et crois-en le moins possible sur l'avenir ». Un bon conseil car, comment savoir ce qu'il en sera de l'avenir ? Il ne conseille pas d'éviter de faire des projets, mais nous rappelle simplement qu'on doit envisager le cas probable où ces projets ne se réaliseront pas ou du moins, pas comme on le prévoit, soit dans la forme, soit dans les conséquences. Pour moi c'est plutôt, disons, optimiste, toujours tenir compte que l'avenir est imprévisible et riche en surprises et en inattendu. C'est je pense ce qui sépare le plus les moyens des cons et des salauds, les cons auraient tendance à croire que la vie à court ou moyen terme est prévisible, à long terme imprévisible, les salauds croyant qu'elle est imprévisible à court terme, planifiable à moyen terme et prévisible à long terme. Pour un moyen, tout cela est vrai et faux à la fois, sur un plan la vie est assez prévisible à court terme, moyennement prédictible et modérément prévisible à moyen terme, à la fois très et très peu prévisible à long terme. Ça dépend de ce que l'on considère.
Comme le dit notre sage, « On ne se souvient pas de ce qui est ancien ; et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard ». Comme je le dis moins poétiquement, on apprend rarement de ses échecs, et presque jamais des échecs des autres. On n'apprend pas plus des réussites, d'ailleurs. J'ai entendu hier 10 novembre sur France Culture, dans l'émission Les Chemins de la philosophie je crois, une personne qui disait à sa manière une chose dont je discute dans ces pages, qui est bien sue des psychosociologues et des comportementalistes, et des personnes raisonnables, une part assez importantes de nos actions n'aboutit pas au résultat escompté. C'est comme ça, la vie est imprévisible donc ce qu'on prévoit n'est qu'hypothèse rarement confirmée. Le problème est que beaucoup d'humain n'en ont pas conscience et tendent à croire que ce qu'ils ont éliminé de leur expérience n'a jamais été. Oublier ses échecs, qui soit dit cependant sont le plus souvent partiels (on prévoit une certaine séquence d'actions, généralement la séquence réelle est différente mais au bout de la séquence le résultat n'est pas très éloigné de ce que l'on escomptait), est nécessaire, oublier qu'on a oublié est problématique. Pour soi et pour les autres membres de la société.
J'en discute beaucoup dans ces pages, l'Histoire, celle communément admise par telle société, tel groupe social, est toujours, au mieux inexacte, souvent fausse. Demandez par exemple à tous les candidats à la dernière élection présidentielle française de vous faire un récit rapide ou long de la séquence dite “Révolution française”, qui débute en 1789, et vous aurez autant de récits différents que de candidats, notamment ce fait très simple, le moment où la séquence se termine : certains diront 1793, d'autres 1795, d'autres 1798 ou 1799, d'autres dateront ça plus tôt (juste après “la fuite de Varennes”), ou plus tard (à la fin du Premier Empire), ou même qu'elle ne s'est jamais terminée, soit qu'ils la considèrent comme nulle et non advenue, soit qu'ils considèrent qu'elle est toujours en cours. Ou mieux, demandez-leur un récit circonstancié et aussi précis que possible de la séquence de la présidentielle 2017 entre octobre 2016 et la quinzaine qui suit le second tour. Je pense ne pas avoir à vous dire qu'il n'y aura aucun récit qui se recoupe, et qu'en outre aucun d'eux ne correspondra à votre propre récit sur la séquence. Et pour peu que vous ayez vous-même fait un récit de cette séquence, disons, trois à six semaines après le second tour, je vous invite à en faire un le jour où vous lirez ce texte, si du moins ça n'est pas dans trop de temps, disons, si ça n'est pas après 2021 (si du moins la prochaine présidentielle française se sera déroulée à la date prévue actuellement – l'avenir est imprédictible...), puis à comparer les deux récits, à coup sûr ils seront différents, et parfois ils le seront significativement. Là-dessus, si par chance vous avez produit vers le même moment un récit prospectif, les événements tels qu'ils devraient se produire dans les six mois suivant l'élection, cela idéalement avant le premier tour des législatives, comparez le avec la réalité. Aucune chance que vos hypothèses de cette époque se soient réalisées tel que vous l'aviez prévu.
En fait, le mieux serait quelque chose de cette sorte : juste après un événement important pour vous, d'ordre privé ou comme pour l'alinéa précédent un événement public, en faire pour soi le récit et faire des hypothèses à plus ou moins long terme ; après ce terme, faire un nouveau récit de l'événement, faire un récit de la période entre les deux moments, et dire ce qu'on se souvient avoir pronostiqué lors du premier récit. M'est avis que vous aurez d'assez grandes surprises quant à la discordance entre vos deux récits événementiels, l'écart entre vos hypothèses sur l'avenir et votre récit sur la période passée, et surtout, vous aurez la surprise de constater l'écart entre vos hypothèse de l'époque et le souvenir que vous en avez quelques mois plus tard. Le propos de notre sage n'est pas une opinion mais un constat, on ne se souvient pas de ce qui est ancien. Dès lors on ne peut pas vraiment apprendre de sa propre expérience mais on peut sans grand risque que ce qui vaut pour soi ce jour vaudra pour toute personne dans l'avenir, y compris soi-même, ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard, car l'avenir de ce jour est le passé de qui vivra dans six mois, et l'avenir d'il y a mois est le passé de ce jour. Si on n'a pas appris de ses erreurs passées, comment croire qu'on apprendra de celles du jour ou de l'avenir ?
Le moyen, contrairement au con ou au salaud, n'a pas d'opinion sur ce fait, par contre il en tient compte. Pour le passé, il tient compte de ses réussites en sachant qu'elles ne seront jamais répétables, qu'au mieux il pourra tenter de les réitérer en espérant s'en approcher (ce qui arrive tout de même assez souvent). Pour l'avenir, et bien, ça dépend du contexte. Disons que sa prédictibilité sera d'autant plus haute à court et moyen terme (mais sans garantie, jamais) que la proportion de cons et de salauds culturels sera basse, et que les salauds naturels (qui ne diffèrent pas vraiment des cons naturels, question de contexte) seront détectés, si possible “corrigés” et autant que possible surveillés.
De la nécessité des cons et des salauds.
Désolé (ou non) de le dire mais une société de moyens avec une faible proportion de cons et de salauds naturels serait extrêmement monotone. Je me disais désolé parce que de mon point de vue une société plutôt statique serait d'un faible agrément. Ceux qui font bouger une société, ce sont les cons et les salauds, des gens actifs, entreprenants, imaginatifs. Si l'on souhaite une société dynamique (ce qui n'est pas nécessaire mais, pour les humains, en général plutôt agréable) il faut accepter un taux minimal de cons et salauds moyens, un taux assez élevé de cons culturels, et une petite frange de salauds culturels. Comme déjà suggéré, les moyens ne sont pas fixes, ils varient un peu ou beaucoup entre connerie et saloperie, généralement, mais pas systématiquement, un peu vers la connerie mais souvent et longuement, beaucoup vers la saloperie mais rarement et brièvement. La connerie c'est le train-train, le retour des choses, la répétition, bref, le confort de la prévisibilité ; la saloperie c'est la rupture, la nouveauté, l'invention, bref, l'inconfort de l'imprévisibilité. Je le dis dans nombre de mes textes, un moyen, un humain ordinaire, accompli, ne croit pas en cette vieille lune, “le corps” et “l'esprit”, mais tient compte du fait que selon les circonstances un individu sera “plutôt corps” ou “plutôt esprit”.
J'en parle ailleurs, un être vivant est un objet particulier qui a une capacité limitée mais réelle de contrevenir à la deuxième loi de la thermodynamique qui postule, dit l'article de Wikipédia, que « l'énergie d'un système passe nécessairement et spontanément de formes concentrées et potentielles à des formes diffuses et cinétiques [et donc que] l'entropie d'un système isolé augmente, ou reste constante ». Or, localement et provisoirement, un être vivant est capable de réduire son niveau d'entropie. Plus il le réduit, plus il gagne en autonomie. Mais ça coûte cher, d'autant un individu réduit son niveau d'entropie d'autant, disons, il s'use, il se consomme et se consume, son métabolisme accélère, ce qui se traduit par la transformation de matière en énergie, or cette matière est tirée de son corps même et cette énergie tend à augmenter sa température interne, ce qui a des effets destructeurs sur des molécules nécessaires à son métabolisme. La deuxième loi de la thermodynamique, à un niveau local, celui des êtres vivants, est toujours exacte, donc cette réduction de l'entropie n'est qu'une apparence, en réalité il s'agit de quelque chose de similaire à ce qu'on fait au billard, on “vise” une molécule, qui réagit en choquant une autre molécule qui (...). Au bout du compte, après une série souvent longue de transferts d'énergie dirigés, l'ensemble que constitue l'individu, ou seulement une partie, bouge selon une trajectoire qui semble contradictoire avec, disons, le mouvement général de l'univers. Bien évidemment, plus ce mouvement est contradictoire, plus le coût est élevé.
Considérant la planète Terre, son “mouvement général” est principalement l'attraction, donc un objet tend à se diriger vers le centre de la planète. Par chance, la Terre est un objet solide (même si plutôt liquide en surface, aux 7/10°) donc on ne s'enfonce guère quand on est un humain. Après il y a les déplacements en surface, il faut vaincre sa propre inertie et celle de l'environnement (on ne s'en rend pas compte parce que c'est notre contexte mais il faut lutter contre celle de l'air et plus encore pour l'eau). Les êtres vivants font cette chose assez curieuse évoquée plus haut, ils “se poussent de l'intérieur” sans exploser. Comme cette capacité est native on ne s'en rend pas compte mais c'est anormal, dans le cadre de cet univers où les objets se déplacent par poussée extérieure ou si c'est par eux-mêmes, ça vient d'une modification progressive (fonte, usure) ou brutale (explosion, implosion). Un être vivant se déplace sans perte de masse significative et sans le secours d'une source d'énergie externe (un choc initial par exemple). Cela dit, il y a perte. L'énergie nécessaire à cette propulsion provient de la dégradation de molécules au cours de laquelle il y a dispersion d'énergie qui par tout un ingénieux système est dirigée de manière à faire ce que dit, une série de carambolages qui déplaceront l'individu à-peu-près comme prévu. Il y a beaucoup de recyclages mais à un moment il faudra évacuer des molécules ou atomes inexploitables et en récupérer d'autres, des “déchets” et des “nutriments”.
J'abrège : une société est une sorte d'organisme et comme telle consomme des nutriments et produit des déchets. Le but de tout organisme est de réduire ces deux postes, de parvenir à utiliser au maximum ses nutriments et de réduire au minimum sa production de déchets. Il en va de même pour une société. Le problème propre aux sociétés humaines est le niveau de conscience de ses unités élémentaires, les humains. Une fourmi, une abeille, un loup, un bonobo ne se posent pas trop de questions là-dessus – certes les bonobos ou les loups plus que les fourmi ou les abeilles mais dans l'ensemble ils se conforment aux lois sociales, et notamment aux comportements qui favorisent l'optimisation des ressources et rejets. Pour les humains il en va autrement, leur très grand potentiel d'autonomie et leur très faible niveau d'innéité produit ce paradoxe que pour agir proprement en humains ils sont très dépendants de leurs semblables mais sont en même temps très indépendants, assez libres de leurs choix. De cette contradiction naissent les cons et les salauds.
Les Esprits et les Corps.
Un salaud est un pur esprit, un con un pur corps. Manière de dire, même le pire des salauds a un corps et mange, respire, pisse et chie comme le pire des cons, et même le pire des cons a un esprit et se meut de lui-même, pense et croit. C'est une tendance. Il y a pire en fait, un nombre non négligeable de salauds ne brille pas par l'esprit et une part importante des cons est pourvue d'un esprit potentiellement brillant mais sous-exploité. Pour les cons il en va autrement mais, en théorie, autant un con salaud est facile à obtenir, autant un salaud con devrait être une impossibilité. Là c'est l'action de groupe qui joue : du fait que la structure sociale dépend du maintien des membres du groupe à leur position, on y intègre les salauds cons qui ne sont pas excessivement cons mais dans des positions subalternes ou à des postes honorifiques au sein même du groupe, des rôles d'exécution ou de représentation. Dans un pays comme la France on peut très bien avoir une large majorité des responsables nommés de l'exécutif (président, ministres...) d'une assez profonde connerie sans que ça pose problème, ça peut être des fonctions de commandement, mais ça peut aussi être des fonctions d'exécution ou de représentation, tout ce qu'on leur demande est de savoir bien jouer leur rôle et de savoir apprendre leurs textes et les prononcer avec sincérité et conviction – enfin, je veux dire avec le ton et la gestuelle de la sincérité et de la conviction. En fait, il peut même être préférable d'avoir un con dans certaines positions, importe avant tout dans ces cas qu'un vrai salaud soit toujours près de lui – dans d'autres textes je nommais ce genre de personnes des “marionnettistes”, on ne les voit pas mais ils ont le vrai pouvoir. Enfin, le pouvoir sur leurs “marionnettes” bien sûr.
Dire qu'on ne voit pas les marionnettistes c'est un peu sommaire, en fait tout ça est à vue, c'est pour ça que je ne crois pas aux complots, bien sûr “on” nous dissimule des trucs mais “on” ne dissimule pas dissimuler et souvent “on” raconte, à l'occasion, les méthodes les plus efficaces du moment pour “tirer les ficelles” – du moins celles en perte de vitesse parce que trop visibles désormais. Les “hommes de l'ombre” ne sont pas dans l'ombre, ni d'ailleurs dans la lumière, ça dépend de leur personnalité, c'est plutôt une question de position dans la structure du groupe, des positions hautes mais inamovibles, à l'occasion une position plus en vue et plus instable s'il y a nécessité d'exercer un contrôle plus direct, mais pas trop longtemps – le pouvoir use. Enfin, les “positions de pouvoir” les plus visibles, non pas le pouvoir en soi, ce qui s'use est le “pouvoir” même, la manière de l'exercer réellement, la structure de pouvoir. Raison pourquoi, dit à-peu-près un personnage de fiction probablement calqué sur des personnages réels, son créateur étant lui-même membre du groupe dont il montre les procédés dans son roman, il faut que tout change pour que tout reste pareil.
Je l'ai dit à plusieurs reprises, notamment dans la page où je fis l'hypothèse de laisser ce site un peu de côté quelques temps – hypothèse invalidée désormais –, je n'aime pas écrire, du moins des textes adressés à n'importe qui, à un public anonyme. Sauf à produire des sommes considérables, des textes de plusieurs centaines, plusieurs milliers de pages, on ne peut que donner une image très réduite de la réalité, la simplifier – réalité réelle ou fictive. J'en parlais ailleurs, certains ont un talent consommé pour produire un récit très large en peu de mots, une page, un paragraphe, parfois une seule phrase. Je pense par exemple à Félix Fénéon qui en une phrase ou deux fait un conte. Voir ses Nouvelles en trois lignes?, de simples dépêches d'agence ou des entrefilets le plus souvent. Le récit ne réside pas dans le texte bien sûr mais dans tout ce qui relie ce texte à l'état de la société au moment où il le cite ou le rédige. Je n'ai pas ce talent, et n'ai pas la patience d'écrire des textes de très grande ampleur, désolé. Tout ça pour dire que je compte un peu abréger ici et passer à autre chose. C'est tellement plus facile de parler en vis-à-vis, l'interaction directe il n'y a que ça de vrai, là c'est comme de se parler tout seul. Passons...
Le processus décrit ici est très visible mais on ne peut pas, en temps normal, faire grand chose contre. Les gens ont en majorité tendance à préférer la connerie au moyennage, et à préférer faire confiance aux salauds qu'aux moyens. C'est plus simple. Moi c'est pareil. Les salauds sont confortables, ils sont actifs, inventifs, volontaires, ils savent ce qu'ils font et ou ils vont – dans l'espace et dans le temps. Bien sûr, il y a beaucoup d'esbroufe dans tout ça mais peu importe, ils savent attirer les talents et les utiliser. Mais, ils croient vraiment que ce qu'ils contribuent à réaliser c'est leur œuvre. Du fait, ils signent des contrats avec leurs “employés” qui spécifient que le résultat final sera leur propriété. Et comme ils estiment que ça leur appartient en propre ils contribuent à faire gauchir les lois pour que cette “propriété privée” reste dans les mains de qui ils décident devoir être leurs héritiers. De génération en génération ça se consolide, avec ce problème que la saloperie, la vraie, n'est pas héréditaire, en revanche. Raison pourquoi ils doivent disposer de salauds cons tendance salauds (des gens entreprenants mais qui manquent de jugement), de salauds cons tendance cons (des gens de peu de jugement mais brillants et volubiles – si du moins on leur met les mots dans la bouche), et de cons salauds (des gens maniables qui aiment commander et obéir et qui ne contestent jamais les ordres). Là-dessus, ils organisent la société de telle manière que les cons culturels en viennent à considérer “naturelle” la structure sociale en cours, aussi aberrante et artificielle soit-elle.
Retour en 2017.
La situation actuelle a ses origines vers 1975 et ses racines – et bien, très loin, mais du moins vers 1920 avec une mise en place en gros entre 1860 et 1910. J'en parle ailleurs, dès lors que les groupes de pouvoir ont eu la claire conscience que d'ici peu la longue et lente mise en place du système de conditionnement social de type État-nation, qui se déroula sur sept à huit siècles en Europe et dans ses principales colonies de peuplement, il y eut une période d'effervescence intellectuelle, politique, sociale, scientifique, artistique, technique, etc. Le truc habituel quand le roi commence à paraître tel qu'il est, nu.
Les salauds sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire incapables de lâcher le manche. Ils savent, en un sens, que ces choses arrivent inévitablement, même s'ils n'y croient pas vraiment, disons, à chaque nouvelle étape ils semblent considérer que cette fois est la bonne, que c'est pour les Siècles des Siècles ou au moins pour un millénaire et sont immanquablement surpris que, finalement, ça ait duré moins longtemps que possible. Comme ils ne veulent pas lâcher, ils créent du trouble, si possible “aux frontières”, sinon, et bien, intestins, si besoin ils susciteront des guerres civiles, dans tous les cas ils vont s'arranger pour que le cœur de leur groupe ait des positions de repli à partir desquelles ils comptent reprendre le manche, et le plus vite possible. Leur problème fondamental est que pour cela ils doivent s'appuyer sur des comparses, dont certains doivent être “initiés”, intégrés à leur groupe. De ce fait, croyant reconstruire leur système de conditionnement, tenant compte qu'ils doivent intégrer dans leur structure les méthodes nouvelles de conditionnement, et bien il construisent autre chose. Le temps passant ils reprennent leurs positions antérieures (enfin, le groupe le fait, les individus sont transitoires), pour les Siècles des Siècles, et quelques décennies ou quelques siècles (jamais plus de deux ou trois) plus tard tout recommence. L'exemple que j'aime bien est celui de, disons, le judaïsme. Un système politique extrêmement, comme on dit assez justement aujourd'hui, résiliant. Je ne date pas ses débuts mais du moins il est stable depuis environ 3000 ans, en forte expansion depuis environ 2500 ans.
D'un sens les traqueurs de Juifs n'ont pas tort en parlant de judéo-franc-maçonnerie, non qu'il y ait un lien organique entre les deux ensembles, même s'il peut parfois, localement, y en avoir, c'est juste que le système de diffusion est le même, on s'organise en, disons, secte, obédience ou parti, les impétrants suivent une initiation par étapes, on peut arrêter à chaque étape mais ça signifie qu'on ne pourra alors pas accéder à certaines connaissances ni occuper certaines positions dans la structure, dans la “société”. C'est une question de choix. Dans ma propre, que dire, église, loge, cellule ? Enfin, dans ce groupe de base informel et mouvant dans lequel je me reconnais, qui n'a pas de nom ni d'idéologie, mon “mouvement” comme on dit de nos jours en France, je n'ai jamais cherché à progresser très haut en interne, j'ai préféré suivre ma propre voie, c'est plus long et plus aléatoire en général, mais ça m'allait. Il y en a d'autres, que je ne connais pas et avec lesquels je n'ai aucun moyen de reconnaissance qui nous identifierait “de la même obédience”, qui préfèrent la voie facile. Ouais, la voie facile, on dira ça... Plutôt la voie rapide, qui est presque une garantie de réussite dans l'initiation mais qui induit par nécessité des responsabilités, eh ! En ce monde on n'a rien pour rien, si on choisit la voie difficile, et bien on ne devra presque rien sinon à soi et à ceux qu'on a croisé en chemin, dans l'autre cas, puisqu'on devra tout à la société, et bien on devra rendre beaucoup et à beaucoup de monde. C'est bien aussi mais ça n'est pas mon truc, moi je suis plutôt du genre salaud que du genre con, même si j'ai ma part de connerie, qui n'est pas mince. Tout pour ma pomme.
Donc, le judaïsme, ou le christianisme, ou l'islamisme, ou le communisme, ou le libéralisme, ou le communautarisme, ou le j'm'enfoutisme, le nom importe peu, compte le seul processus. Il existe de nombreux humains qui se prétendent Juifs, ou chrétiens, ou communistes, ou... et qui ne le sont pas vraiment. Je doute pour les j'm'enfoutistes, doit y en avoir de faux mais bon, comme ça n'est pas une secte reconnue, c'est probablement rare. Mais ça importe peu, ce qui compte n'est ni la croyance, ni la sincérité, ni l'adhésion, mais le processus. Comme l'a dit un gars, le moyen est le message : si même un groupe de, disons, de salauds ou de cons crée un “fausse secte”, même s'il invente un rite compliqué et des messages “ésotériques” censés n'être compréhensibles que par les “élus du premier cercle” ou un truc du genre, même si ses intentions sont “mauvaises” (je ne sais pas trop ce que ça veut dire mais ça n'importe pas non plus), ce n'est pas très grave parce que ce qui importe est la structure. Lénine, qui était probablement un faussaire, une sorte d'escroc, a tout de même donné un nom acceptable pour cette structure, le « centralisme démocratique », sinon que sa réalisation donne à croire que les lénino-staliniens n'étaient pas très démocrates. Le principe est simple : en périphérie il y a la démocratie, au centre il n'y a rien, et surtout il n'y a personne. Toute personne qui prétend être au centre, soit n'y est pas, soit est une usurpatrice. C'est le seul vrai secret de l'histoire et c'est un secret très mal gardé, en fait tout le monde le sait, le “centre du pouvoir” est le lieu de l'impuissance ou de l'usurpation. J'étudie ça dans divers textes, c'est une structuration très ancienne, une société humaine est une sorte de corps, avec sa tête, ses membres, son corps, ses organes. La plus mauvaise place est la tête, elle n'a pas l'autonomie des membres et n'a pas la sécurité du corps, c'est un élément toujours en péril, parce que toujours dangereux, le siège de la saloperie. Dans des temps plus anciens, on réglait souvent le problème assez sommairement, la tête, qui est un mal nécessaire, recevait tous les honneurs durant le temps plus ou moins long de son “règne” et à la fin, on la coupait, ou plus précisément on coupait la tête de la tête, bref, la meilleure place mais sur siège éjectable et sans parachute.
Par après les humains ont tendu à être moins radicaux et trouvaient des méthodes un peu ou beaucoup moins radicales, l'ostracisme, le tirage au sort ou l'élection avec un mandat de courte durée (quelques mois, deux ou trois ans) et généralement unique. Le truc nouveau avec le judaïsme, le vrai, et ses successeurs, c'est cette invention du centre vide. Plus de tête. Enfin si, une tête, mais une tête informe et en bois ou en pierre ou en terre cuite. C'est la raison même de l'interdit de la représentation de la divinité, elle ne doit pas avoir forme humaine. Le mieux c'est un truc du genre clairière ou oasis ou île ou maison sans aucun élément qui puisse “représenter” et où “la divinité se manifeste” uniquement si une fraction significative des membres de la société se réunit aléatoirement. Non que les Juifs aient strictement inventé le principe, ils ont surtout inventé sa transposition pour un groupe humain beaucoup plus large. Il y eut d'autres essais avant ou ailleurs mais ça achoppait sur le point de la divinité, s'il y en a plusieurs ou si elle est visible, ou s'il n'y en a pas du tout, ça marche beaucoup moins bien. Il n'en faut qu'une, et qu'elle soit invisible. Dès lors qu'un groupe, même le plus mal intentionné, invente un “Saint des Saints” où nul ne peut entrer sinon la divinité, ça suffit. Certes, si les fondateurs de la société sont plutôt des moyens c'est mieux mais bon, “à la fin des temps”, soit après quelques décennies ou quelques siècles, tout ça se résout, les Méchants sont punis et les Bons sont récompensés, et bien sûr les premiers sont les derniers et réciproquement. La révolution, l'inversion des choses ou plutôt, leur rétablissement. Des fois (souvent...) ça ne se passe pas trop bien, et c'est dommage, ça dépend du contexte en fait, certaines révolutions sont presque invisibles, elles aussi, d'autres sont sanglantes, parfois certaines ratent et là c'est plutôt pénible.
Donc, alentour de 1920. Le gros problème à l'époque fut la considérable évolution des moyens de communication et de déplacement, en peu de décennies on était passé d'un contexte où la communication entre les diverses parties du monde prenait des semaines, voire des mois, à une situation où tous les points du monde étaient joignables en quelques heures. Ce n'était pas parfait mais c'était possible. Et pour les transports, on était passé de quelques semaines ou mois à quelques jours ou semaines. En trois ou quatre générations le monde s'était réduit d'un facteur sept ou huit et par symétrie les sociétés les plus larges avaient grandi du même facteur, ce qui remit considérablement en cause le modèle social actuel vers 1900 (qui est formellement toujours celui de notre temps), celui des États-nations. Il fallut environ trois générations pour que les choses se stabilisent, et devinez quoi ? Et oui, nouvelle remise en cause de tout ça. On peut même dater le moment de bascule (mais c'est aussi le cas pour la précédente étape, 1921 et l'invention de la radio), 1962 et le premier satellite artificiel de télécommunication. Communication plus fiable, et cette fois, virtuellement tout point du monde accessible. Couplé à l'invention de l'avion à réaction qui réduisit au même moment le monde de nouveau d'un facteur sept ou huit, le tout préparé par un processus commencé de coordination mondiale commencé mais mal réalisé vers 1920 (la SDN), formellement réalisé en 1945 (l'ONU) mais qui démarre vraiment plutôt vers 1965, vers la fin de la vague principale de décolonisation. C'est aussi le moment où les pouvoirs se durcissent et tentent sans grand succès de maintenir à la fiction du “système États-nations”, avec cette contradiction que les empires soviétique et étasunien se consolident, donc transcendent les États-nations.
Nous voilà dans le contexte où il doit ne plus y avoir qu'un empire, qu'une seule société. Quelle société ? “Soviétique” ou “libérale” ? Dans une première phase la tendance est le soviétisme mais en 1973 une profonde modification du libéralisme lu fait reprendre la main avec l'invention formelle puis réelle de la “globalisation”. Oui enfin, réelle, c'est le spectacle bien sûr, on voit ce qui n'est pas pour ne pas voir ce qui est, mais peu importe encore une fois, je décris juste un processus. La globalisation est la globalisation, donc doit atteindre le monde entier, d'où la mise ne place du contrefeu “islamiste” pour tenter de (et parvenir à) affaiblir les positions pro-soviétiques du “tiers monde”.
De l'islamisme comme auxiliaire à l'islamisme comme adversaire.
Dans le contexte de 1975, le Moyen-Orient est une région cruciale à bien des points de vue mais surtout pour ses réserves gazières et pétrolières et sa position stratégique entre deux masses continentales, l'Eurasie et l'Afrique. Cela dit, la zone qui va des Balkans au Golfe persique et qui englobe l'Asie mineure, la Mésopotamie, la Géorgie, l'Arménie, la Perse, le Liban, l'Égypte, est de très longue date une région cruciale. Parfois ça s'étend, parfois ça se réduit, mais il faut y être. Le vrai cœur de la chose est bien sûr la Mésopotamie et ses deux ailes, l'Empire perse et l'Empire égyptien, “le berceau de la civilisation”. Certes l'idiot de service, l'idiot utile du centre de cette période, Samuel Huntington, avec son fameux Le Choc des civilisations, invente des “civilisations” qui n'ont rien de consistant. Voici sa représentation de la chose :
Dans les périodes de ce genre, on ne peut jamais savoir qui est qui parmi les personnalités secondaires, qui servent la machine à partir d'une position subalterne. Selon moi on a ici affaire probablement à un con salaud mais ça pourrait aussi être un salaud con ou moyen, ou à-peu-près aussi probablement un moyen. Le nerf de la guerre est la communication, dans la stratégie globale de l'heure il faut en effet définir les acteurs, et leur poser une belle étiquette bien nette avec si possible un seul mot, au plus deux. Au moment même où Huntington nous présentait sa “théorie” elle était déjà invalide, et en outre raciste : cette division de l'Afrique n'a rien à voir avec ses prétendues civilisations qui sont selon lui articulées sur la religion mais sur la race supposée, les “blancs” d'un côté, les “noirs” de l'autre, et la petite tâche éthiopienne, certes des “noirs” mais des chrétiens de longue date alors, différents n'est-ce pas ? Pas cherché à savoir ce que l'Afrique non-blanche et non-éthiopienne est censée être, animiste je suppose, alors que ces pays se partagent entre deux gros blocs musulmans et chrétiens, des pays mixtes, et un résidu de pays poly-religieux avec minorités animistes. Quant à la supposée unité civilisationnelle de l'Afrique noire, les Africains de l'ouest seraient assez surpris je crois d'être “de la même civilisation” que ceux de l'est et du centre, eux-mêmes s'interrogeant quant à leur proximité avec ceux du sud.
Dès cette époque la supposée “civilisation musulmane” et encore plus celle “orthodoxe” sont très curieuses puisque plus de la moitié de l'ex-URSS, qui là ne fait qu'un bloc, est à dominante musulmane, catholique, chamanique, bouddhiste, et que l'unité civilisationnelle des chiites et des sunnites, parmi les sunnites ceux anciennement ottomans, d'orientation assez laïque avec une majorité de républiques, ceux hors de cet empire, plutôt confessionnels avec une majorité de royaumes. Comment dire ? Dès même la publication de l'ouvrage au titre messianique, eschatologique et millénariste de Francis Fukuyama La Fin de l'histoire et le Dernier Homme, en 1992, comme déjà dit l'Histoire se signalait et l'Empire universel se fragmentait avant même de s'être vraiment constitué... Mais qu'importe la réalité ? Quand on organise une propagande suffisante la fiction devient réalité. Et voilà, en moins de dix ans le “eux” communiste (de mon côté du rideau de fer) et le “nous” non communiste, où la grande majorité des pays à dominante musulmane figurait, devient un “nous” chrétien (ou du moins supposé tel) et un “eux” non chrétien puis très vite seulement musulman (ou du moins supposé tel). L'intéressant dans cette simplification huntingtonnienne est que le “nous” chrétien est fragmenté à la serpe (“orthodoxes” contre “non orthodoxes”) et inexact puisque la partie la plus occidentale (Europe centrale) est majoritairement catholique, la grosse moitié orientale très minoritairement chrétienne. Finalement, leur seul vrai point commun est leur encore proche appartenance à l'Empire soviétique.
C'est simple, encore simple, toujours simple : la plus récente séance du spectacle. Il fallait se constituer un nouvel ennemi fédérateur à tout prix et celui-ci convenait très bien puisque déjà constitué grâce à la politique de soutien des islamistes pendant près de vingt ans. Mais il y eut rapidement un problème, la concurrence. La double concurrence même, cela grâce à (ou à cause de) la politique va-t-en-guerre des USA après le 11 septembre 2001, qui contribua à déstabiliser encore plus une zone instable et à créer deux groupes concurrentiels, les “djihadistes”, ultérieurement “terroristes”, déterritorialisés et ceux territorialisés – y compris dans une large zone de l'Afrique “non musulmane” de Huntington. L'autre concurrence est entre les “anti-terroristes” et là ça part dans tous les sens car chacun a son propre agenda, les uns tendent de limiter les pertes dans leurs alliances, les autres de reconstituer un pôle de satellites, certains se servent de cette “union sacrée” très disparate pour régler leurs problèmes internes sous ce couvert de la lutte contre le terrorisme, sans compter les apprentis sorciers qui ont financé pendant des lustres leur propres ennemis et qui doivent résoudre ce délicat problème de continuer à financer d'une main ce qu'on réprime (mollement...) de l'autre. Et qui répriment durement des groupes qui n'ont ou n'avaient pas grand chose de terroristes mais qui gênent...
Limites de la saloperie.
Je suppose qu'elles sont évidentes, j'en parlais brièvement auparavant : tout pour moi. La raison pour laquelle un “complot de salauds” (si ça peut exister) ne peut qu'échouer est le fait qu'un salaud agit surtout pour son propre intérêt, secondairement pour celui de son groupe, tertiairement pour la “saloperie”. On peut supposer que nombre de salauds ont assez conscience que leur réel intérêt à long terme serait d'inverser cela, d'agir d'abord pour la saloperie, puis pour son groupe puis pour lui, et même je suppose que dans un contexte qui commence à être nettement défavorable à la saloperie, il voudrait le faire, mais c'est trop tard. Et c'est structurellement impossible que les choses en aillent autrement.
Le but général de, disons, un complot de salauds est donc de capter autant de ressources sociales que possible. Techniquement ça nécessite des procédés d'escroc, de corrupteur et de maître-chanteur, contourner les lois, graisser la patte à ceux qui les font, les exécutent ou les sanctionnent, faire pression sur eux ou sur des personnes en charge de leur exécution à un niveau inférieur. Et bien sûr, ce qui facilite les choses, faire partie de ces groupes, pour agir directement sur cette chaîne de réalisation des intérêts de la société. Je l'ai un peu mentionné, si je parle essentiellement de la structure générale d'une société tout cela vaut dans chaque structure de niveau inférieur qui a une organisation similaire, outre leur nom, les sociétés industrielles, commerciales ou financières sont proprement des sociétés, mais tout autant telle administration, telle association, telle collectivité territoriale, qui ont leurs propres lois, leurs propres responsables, leurs propres contrôleurs. Disons, si ce qu'on nomme ordinairement société a un système de règles qui prévaut sur le système de toute société de rang inférieur mais celle-ci peut avoir des règles qui lui sont propres pour autant qu'elles ne dérogent pas à la règle commune. Quel que soit le niveau considéré, quelle que soit la structure, la captation même peut être qualifiée d'abus de biens sociaux, les méthodes directes ou indirectes pour y parvenir sont des crimes ou délits.
Que la société considérée compte un membre ou en compte des centaines de millions, on peut qualifier la personne qui, disons, contrôle la circulation et la destination des biens de comptable ou de trésorier. Ça n'est pas nécessairement un comptable ou trésorier en titre mais par nécessité elle se trouve au point où ces mouvements sont recensés. La personne en question peut être une personne physique ou morale mais bien sûr moins de personnes physiques en savent, mieux c'est, pour le profit comme la sécurité. Pour qu'un abus de biens soit intraçable il faut au moins trois acteurs, trois “complices”, le comptable, le destinataire et le receleur. Le troisième n'est pas nécessairement un complice au sens strict mais d'une certaine manière il doit être un participant actif, y compris quand passif, en ce sens qu'à tout point où un bien circule ou stationne la personne en charge de son transport ou de sa garde doit connaître et recenser sa provenance et sa destination. Bien sûr cela peut être à son insu, si je recèle par exemple des plats préparés étiquetés “lasagnes au bœuf français” dont la viande est en réalité du cheval roumain, je serai en aval du point où la tromperie fut réalisée et probablement je n'en serai pas informé. Ce qui nous amène au point précis qui permet les abus : la confiance. C'est d'ailleurs l'autre nom de ces abus mais en amont ou en aval – en amont et en aval — du point ou s'exerce l'abus de bien, des abus de confiance, l'escroc ou abuseur donnera à son créditeur ou à son débiteur toutes les garanties certifiant que le bien reçu ou donné aura l'emploi, l'usage et la destination convenus.
La confiance n'étant pas aveugle avec des personnes dont on ne sait rien d'autre que leur appartenance parfois circonstancielle au réseau de circulation des biens, toute société de pairs anonymes met nécessairement en place des procédures de certification et de contrôle, les deux points où un abus peut être commis en première instance. Ensuite, et bien on peut en commettre en tout point intermédiaire et au point final. Le but général d'une société est, disons, d'augmenter le taux de confiance entre pairs, de pouvoir agir autant que possible avec des pairs anonymes comme s'ils étaient des pairs amis, des pairs de connaissance. Ou de réduire le taux de méfiance. Que tous les humains soient pairs, qu'ils soient tous sœurs et frères, enfants et parents, les uns des autres et réciproquement.
Allons bon ! Je retombe dans un de mes travers. Des fois – souvent – je suis un peu trop con, ou salaud, si ça fait une différence, et je “simplifie”, d'évidence la société n'a pas d'autre but que le but de chacun et de tous et comme nous avons, tous et chacun, de multiples buts, la société est de même. Disons que, parmi ses buts divers dont beaucoup sont très imprévisibles ou imprédictibles il y en a certains, peu nombreux, qui sont constants et, en quelque manière, universels, parce que ce sont les buts de tous et de chacun. Universels en SARL, l'univers de chez nous, la surface de la planète Terre et une frange un peu au-dessus, un peu en-dessous (quelques kilomètres), et le minimum nécessaire pour assurer le confort essentiel de tous et de chacun.
Donc, la confiance. Le cœur de la société est la communication, son socle la confiance, son moyen l'éducation ou l'enseignement, son arme la loi, son bras armé, le citoyen. L'humain. Oui, si j'accepte de vivre en société, je suis le gardien de mon prochain, de ma sœur, de mon frère. Et elle ou lui est mon gardien. La confiance requiert la vigilance, la vigilance réciproque, si mon prochain faillit, s'il défaille, et si je suis auprès de lui, je dois autant qu'il m'est possible le secourir. L'important est de ne pas séparer les choses, le secours est aide et limitation : si, en défaillant, il fait courir à lui-même c'est de mon assistance dont il a besoin, si ce faisant il met, involontairement ou volontairement, son prochain en risque, je dois autant qu'il m'est possible l'arrêter ou le détourner en veillant autant que possible, d'abord à me préserver, ensuite à le préserver.