Un de mes propos, souvent répété, est...
Mmm... Comment expliquer simplement une chose simple ? Ce n'est pas simple...
Un de mes propos concerne la langue, elle devient problématique dès qu'on veut interpréter, ce qui consiste en, chercher un sens derrière le sens.
Un de mes propos concerne la recherche, quand on cherche on trouve. Il n'y a pas à chercher un sens derrière le sens de cette affirmation simple : quand on cherche on trouve.
Un de mes propos concerne les humains, ils ont une tendance forte à interpréter. De ce fait, les propos qui précèdent sont d'un intérêt modéré puisque très probablement une majorité de mes lectrices et lecteurs, les lisant, vont les interpréter pour y chercher un sens derrière le sens et comme quand on cherche on trouve, vont en trouver un. Je peux toujours postuler que la proposition « Un de mes propos concerne la langue, elle devient problématique dès qu'on veut interpréter, ce qui consiste en, chercher un sens derrière le sens » n'a pas d'autre sens que celui immédiat, la tendance des humains à interpréter leur fera interpréter ce propos et y chercher un sens derrière le sens, et ils en trouveront un. Lequel, je ne sais pas. Je sais juste que quand on cherche on trouve. Comme il n'y a pas de sens derrière le sens, par nécessité ce que ma lectrice, mon lecteur trouvera est quelque chose que je n'y ai pas mis, pour moi mon propos a un seul sens, celui immédiat, « Un de mes propos concerne la langue, elle devient problématique dès qu'on veut interpréter, ce qui consiste en, chercher un sens derrière le sens », de même il n'y a pas pour moi de sens autre à la proposition suivante, « Un de mes propos concerne la recherche, quand on cherche on trouve. Il n'y a pas à chercher un sens derrière le sens de cette affirmation simple : quand on cherche on trouve », que le sens immédiat, celui donné par les mots qui forme cette proposition, « Un de mes propos concerne la recherche, quand on cherche on trouve. Il n'y a pas à chercher un sens derrière le sens de cette affirmation simple : quand on cherche on trouve ». Mais la tendance habituelle de la majorité des humains étant de se livrer à l'interprétation, immanquablement la plupart de mes lectrices et lecteurs vont chercher un sens derrière le sens de « Un de mes propos concerne la recherche, quand on cherche on trouve. Il n'y a pas à chercher un sens derrière le sens de cette affirmation simple : quand on cherche on trouve », et vous savez quoi ? Quand on cherche, on trouve. Donc ils trouveront un sens derrière le sens. Un sens que je n'y ai pas placé, donc un sens dont j'ignore tout mais, pour le redire, je sais juste que quand on cherche on trouve ce qui fait que je sais qu'ils en trouveront un. Tout cela fait de moi un être malheureux.
Il faut s'entendre, pas intrinsèquement malheureux, étant d'un naturel heureux, sauf rares circonstances je ne suis pas malheureux pour moi même, donc pas réellement, intrinsèquement malheureux. Je suis malheureux par empathie, en ce cas malheureux pour celles et ceux de mes lecteurs et lectrices qui interprètent, disons, je ne suis pas réellement malheureux mais du moins j'ai un sentiment de tristesse en sachant combien sont malheureux les interprètes. Ça n'enlève rien à mon état habituel de bonheur, c'est plutôt quelque chose comme le sentiment partagé du malheur des autres, je ne le ressens pas vraiment mais du moins je le comprends et ça m'attriste, d'autant que je n'y peux pas grand chose. J'essaie, mais ça n'est pas évident et c'est rarement réussi puisque mes propos sont généralement interprétés.
Donc, les positions sociales. J'ai entendu quelqu'un dire quelque chose de très juste, les meilleures analyses d'une époque sont celles des écrivains : si l'on veut avoir une idée de l'état de la France de la fin du XIX° siècle et du début du XX°, on se reportera plutôt vers Zola et Proust que vers les sociologues, philosophes et politistes du temps. Non que leur lecture soit inutile mais pour avoir une vue partielle des choses, pour une vue large, rien de mieux qu'un écrivain, même médiocre, genre Céline.
Les positions sociales (conte).
Je vis dans une société d'incrédules croyants, tout l'inverse de moi qui suis un incroyant crédule. Mes supposés semblables, parmi lesquels il y a tout de même de mes semblables mais point tant que ça, croient à bien des choses incroyables mais y accordent peu de crédit, pour moi et mes véritables semblables nous croyons à bien peu de choses mais accordons du crédit même à ce que nous ne croyons pas. Par exemple, je considère que pour l'essentiel la Bible est un tissu de contes à dormir debout, un tissu d'invraisemblances, pourtant je vis un vie de bon chrétien, alors que la très grande majorité des gens que je connais et qui se disent chrétiens, donc pour qui la Bible est un livre sacré, n'en respectent guère les préceptes.
Partons d'un principe simple, tous les humains sont des semblables. Une chose à laquelle je ne peux croire : je connais bien des humains et n'en ai jamais vu deux semblables. Certes beaucoup ne diffèrent guère, notamment mais pas seulement, loin de là, les vrais jumeaux, mais de toute manière ils différent tous pour l'évidente raison qu'à un instant donné deux humains ne peuvent occuper la même place dans l'univers. Sans aller aussi loin dans la réflexion, d'évidence il n'y a pas deux humains semblables. Mais si je ne crois pas à cette sentence, tous les humains sont des semblables, je lui donne du crédit. Et je dois dire que comme les chrétiens, les croyants en cette sentence ne lui prêtent guère de crédit, pour ce que je peux constater, nombre de mes supposés semblables passent un temps fini mais important à évaluer les différences entre semblables, ce qui est idiot : si tous les humains sont des semblables, ils ne peuvent être des différents.
D'évidence il y a là une aporie, les humains ne peuvent donc être à la fois des semblables et des différents, et pourtant ils le sont. La question est alors, de quelle manière résoudre cette aporie ? Comme dit, selon deux options, mettre en avant les similarités, ou mettre en premier les différences. Ce qui se fait par le biais de la langue. Par exemple, au lieu de parler de différences, parler de diversité : les humains sont semblables mais divers, ils sont même encore plus semblables si on voit, si on dit les choses ainsi, car chacun est par lui-même divers. Je partage une caractéristique avec tous les humains, mon humanité, j'en partage une avec la moitié environ de l'humanité, je suis un être humain de sexe masculin, j'en partage une avec environ la moitié de l'humanité actuelle, mais celle-là est destinée à se périmer, je suis né au XX° siècle, j'en partage une avec environ 275 millions d'humains, je suis francophone, j'en partage une avec les citoyens de 58 États, mon pays est membre de plein droit de l'Organisation internationale de la francophonie, je partage avec plus de 500 millions d'humains l'appartenance à l'Union européenne, etc., etc., etc. Bref, comme tout humain je suis divers, et c'est cette diversité qui fait notre similarité. Si on en reste aux différences on perd la compréhension intime de notre semblance.
La position sociale c'est quelque chose d'intellectuel mais aussi de tout-à-fait physique, et c'est en outre plusieurs choses. L'une est celle dont je viens de parler, quelle position on a relativement aux autres, à ses semblables, si on les voit avant tout autres ou avant tout semblables. Selon le cas, symboliquement on se situe à la même hauteur que quiconque ou à une autre hauteur, au-dessus de tels, en-dessous de tels. Il faut comprendre que cette manière de se positionner dans la société n'est pas intuitive, “naturelle”, c'est le fruit d'un long apprentissage, en tout premier celui de ses éducateurs, en général de ses parents mais quand ceux-ci sont défaillants ça peut être le fait d'autres personnes. Quel que soit le cas, cette “position sociale” symbolique est le donc fruit de leur éducation, dans mon cas par exemple mes parents m'ont très vite appris, ainsi qu'à mon frère et ma sœur, que cette position est fonctionnelle, très vite ils nous ont traités en égaux, tenant compte que pour des raisons diverses mais légitimes certains sont fonctionnellement au-dessus. Ça se fait sans le dire, juste par le comportement : dans toute situation où cette différence de position ne joue pas de rôle, ils nous traitaient en égaux et savaient reconnaître, disons, notre supériorité dans tel domaine, telle circonstance, réservant leur supériorité fonctionnelle aux seuls cas où elle était obligée.
Et bien, les éducateurs ne sont pas tous de ce genre, j'ai connu plus d'un enfant dont les parents se tenaient toujours dans une position de supériorité, ou au contraire se tenaient toujours dans une position d'égaux, voire d'inférieurs, ou qui étaient dans l'une ou l'autre position de manière imprévisible ou inadéquate. Comme nous vivons en société, le plus souvent ce genre de choses peut au moins en partie être corrigé, mais ça peut aussi être aggravé, pour prendre un exemple simple, si un enfant est dans une famille où les enfants sont systématiquement mis en infériorité, qu'ils vont dans une école où le même type de rapports entre enseignants et élèves a lieu, et ont des activités de loisir où il y a le même schéma dans l'organisation des groupes, il subit en permanence un conditionnement social où « chacun est à sa place et doit y rester ». Avec de la chance, il aura plus tard un comportement équivalent mais ça peut aller vers quelque chose de plus désastreux, par exemple il peut définitivement « rester à sa place », celle initiale, donc rester toute sa vie “comme un enfant”, dit autrement, en position d'infériorité ; à l'inverse, une fois en situation d'avoir une position de supériorité, toute personne qui ne lui semble pas être en position d'égal ou de supérieur sera dont en position d'inférieur, un cas courant étant, dans un cadre intime, de considérer son conjoint comme un inférieur donc un enfant. Et bien sûr, cela a des répercussions plus larges, c'est la base des différences sociales, ethniques, raciales, tout “différent” qui n'est pas un égal ou un supérieur est un inférieur, au mieux un enfant, au pire un non-humain. Cela dit, ce cas n'est pas le pire.
Les autres cas possibles, le parent toujours égal, celui toujours inférieur, et celui dans une position imprévisible ou inadéquate, ont comme conséquence de ne pas préparer l'enfant à un comportement social admissible. Bien sûr il est regrettable qu'une personne considère les positions sociales non comme une fonction mais comme un fait intangible, cependant si ça crée des dysfonctionnements du moins ça permet, même si ce n'est pas de manière optimale, d'agir de manière adaptée du fait que la société est fonctionnellement organisée ainsi. D'un sens, l'enfant “toujours égal” n'est pas tellement plus loin du modèle comportemental souhaitable en ce sens que nous sommes symboliquement des semblables donc des égaux, selon ses capacités d'adaptation il peut avoir un comportement socialement admissible, on le jugera n'avoir pas le sens des distances sociales adaptées mais on tolèrera cet écart, cela d'autant plus que son utilité sociale sera élevée, par exemple si dans une entreprise le comptable se montre un peu trop familier avec ses supérieurs mais est très compétent dans son domaine on tolèrera ce comportement, si en revanche le balayeur fait de même, il sera assez vite “remis à sa place” et s'il ne s'y tient pas, sera licencié. Le parent imprévisible est pathogène, il ne donne pas à ses enfants le moyen de déterminer quels sont les comportements sociaux admissibles et parmi ceux-ci, ceux adaptés à telle ou telle situation. Un auteur a donné à la fois un nom et une bonne description pour cela, le nom est en anglais double bind qui peut se traduire littéralement pas “double lien” mais les traducteurs de l'article où il est explicité, « Vers une théorie de la schizophrénie », ont préféré traduire par « double contrainte », ce qui me paraît justifié, traduire c'est adapter, il se peut que dans la langue de l'auteur, Gregory Bateson1, double bind intègre ce sens, mais en français ça ne le rend pas. Je vous conseille la lecture de l'article, complété douze ans plus tard par « La double contrainte, 1969 ».
La double contrainte a donc été définie au départ pour rendre compte d'une certaine forme de schizophrénie, qu'on peut nommer « schizophrénie sociale acquise », même si ce genre de rapports est portable à d'autres situations où des sujets sont soumis à ce que Bateson nomme incidemment, à la fin de sa description du phénomène, des injonctions contradictoires, une série de conditionnements basée sur l'enchaînement de trois injonctions, une injonction négative primaire, une injonction secondaire « qui contredit la première à un niveau plus abstrait », enfin une injonction négative tertiaire « qui interdit à la victime d'échapper à la situation ». Comme il le signale, et comme c'est le cas pour tous les conditionnements, « il convient de noter qu'il n'est plus nécessaire que ces éléments se trouvent réunis au complet lorsque la “victime” a appris à percevoir son univers sous la forme de la double contrainte », ici, comme il s'agit d'un conditionnement circulaire n'importe laquelle des trois injonctions instaurera pour la “victime” une réponse stéréotypée de la forme “double contrainte”. Le modèle de la double contrainte décrit la forme, disons, paroxystique d'un type de conditionnement social somme toute courant, et dans leur étude les auteurs rendent compte de situations autres (dont les relations hiérarchiques et les relations de travail en général) où l'on use des injonctions contradictoires. On peut dire qu'il s'agit d'une forme paradoxale de contrôle social en ce sens qu'il s'agit, au lieu d'optimiser ce contrôle, de le dégrader tout en le renforçant.
Le parent toujours inférieur n'est que l'image inversée du parent toujours supérieur et de ce fait, a un effet inverse, je veux dire : le parent toujours supérieur induit l'enfant à se figer dans un rôle social acceptable, celui toujours inférieur à se figer dans un rôle social inacceptable ou dans un rôle antisocial. La description du contexte initial est « l'enfant-roi » en contexte familial, « l'élève au centre du système éducatif » en contexte d'enseignement. Or, dans le processus de socialisation, au départ l'enfant, l'élève est par nécessité en position subalterne, ce n'est qu'à l'issue d'un processus assez long qu'il doit trouver par lui-même et en utilisant d'une manière créative tout ce qu'on lui a appris, ce qu'on lui a enseigné, le moyen de construire son autonomie. L'idée qui dicte cette attitude, ”mettre l'enfant au centre”, part de deux prémisses fausses, l'enfant est « naturellement autonome », et le but général de l'éducation est de faire de chaque individu une sorte de « centre du monde ». Or, l'autonomie est un fait de culture et la socialisation vise à rendre conscient l'individu qu'il n'est pas le centre du monde. Bref, tout l'inverse.
Du centre du monde à l'autonomie, un long chemin semé d'embûches.
Je le décris dans d'autres pages, entre sa conception et, mmm... Un certain moment... Donc, pendant “un certain temps” (généralement, dans les trois à quatre ans mais ça peut prendre un peu moins ou beaucoup plus de temps) un individu de l'espèce humaine est une sorte de centre du monde qui « crée l'univers », c'est le cas de tous les êtres vivants d'ailleurs, la différence étant plutôt le moment où il cesse d'être un centre du monde, plus l'individu est soumis aux conditionnements de l'espèce, plus tôt il cesse d'être un centre du monde mais en contrepartie, moins il sera capable d'autonomie. Dans la situation actuelle, les virus sont “le degré zéro de l'autonomie”, il est immédiatement “non-centre du monde” mais n'a aucune autonomie, il est entièrement conditionné au contexte ; à l'opposé, les humains sont ceux qui ont la plus haute capacité d'autonomie donc le plus faible conditionnement initial. Le but premier des autres membres de l'espèce est de faire acquérir à un nouvel humain le niveau élémentaire de conditionnement qui le rendra acceptable pour les autres humains. Durant cette phase il ne s'agit nullement de lui faire acquérir une réelle autonomie, il s'agit avant tout de lui faire acquérir la conscience de ce qu'il n'est pas le centre du monde, si en outre il acquiert dès ce moment un bon niveau d'autonomie c'est bien mais ça n'est pas nécessaire. On peut décrire cette phase comme celle de la spéciation, en théorie il doit figurer un humain acceptable, qui sait marcher en position bipède, qui a la capacité de parler, qui contrôle ses organes excréteurs, qui sait discerner le comestible du non comestible et peut se nourrir par lui-même, qui sait reconnaître ses semblables et parmi ceux-ci ceux de confiance et les autres, plus quelques autres capacités moins importantes.
Ceci est théorique, dans les faits il peut y avoir une bien moindre exigence, disons, ce que décrit concerne les êtres humains moyens, globalement conformes aux canons de l'espèce. Il se trouve que les humains sont très tolérants et tiennent compte des capacités réelles de chaque individu, ils peuvent abaisser leur seuil d'exigence très bas, en fait un individu qui se révèlerait physiquement et physiologiquement incapable d'atteindre ces critères sera tout de même considéré acceptable pour autant donc que ce soient des déficiences réelles auxquelles on ne peut remédier. Les humains sont patients, je connais plusieurs cas où des parents, des éducateurs ont pu passer un temps extrêmement long pour aider des individus à surmonter en partie ou en totalité certaines déficiences et dans tous les cas, bien des individus assez ou très éloignés des standards sont tout de même jugés acceptables.
Pour en revenir au cas le plus courant, l'étape suivante est, disons, la socialisation. Les humains forment une espèce sociale, ce qui implique l'acquisition de comportements qui leurs permettent d'accomplir des fonctions sociales. Leur manque d'autonomie initial a une double conséquence, d'une part leur socialisation n'est pas innée, de l'autre ils sont en théorie aptes à remplir n'importe quelle fonction sociale. En pratique ça n'est pas évident. Déjà, il y a la question de la première phase : outre les déficiences natives on peut très bien rater l'humanisation d'un humain, par erreur ou volontairement. Et ma foi, rattraper une humanisation ratée ça n'est pas toujours simple, parfois même ça se révèle impossible. Il y a une question de moment, les spécialistes et même les non spécialistes en discutent de longue date, il y a pour tout individu un moment décisif au-delà duquel une humanisation ratée est irrémédiable. Autant que je sache, ça n'est pas fixe, contrairement aux théories anciennes, mais du moins les études sur la question convergent pour dire que, suivant les individus et suivant les contextes ça va en général de quatre à sept ans avec un pic entre la moitié de la sixième et de la septième année, donc entre cinq ans et demi et six ans et demi. Il y eut une triste expérience à grande échelle, celle des « orphelins roumains », qui n'était pas conçue comme une expérience mais qui le fut par le fait, sous Ceaucescu la Roumanie conduisit une politique de gestion des populations telle qu'un grand nombre d'enfants furent soustraits à leur parents, censés être des éducateurs déficients, à un très jeune âge, et plongés dans un contexte où ils recevaient insuffisamment de sollicitations humanisantes, et par le fait on a pu constater que passé les six ans leurs déficiences étaient assez peu remédiables.
Heureusement, le cas général est autre, ce qui ne signifie pas que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, notamment c'est durant cette période, en gros, entre quatre ans et quinze ans, à deux ans près par défaut et quatre ou cinq par excès, pour le dire autrement, entre deux et vingt ans avec une période standard plutôt située entre quatre et quinze ans, que ce dont je parlais précédemment, l'incidence du comportement des parents sur l'éducation des enfants, a lieu. Ma description en était sommaire, la majeure partie des humains en devenir sont soumis à des influences diverses donc le tropisme parental n'a pas toujours un effet primordial et définitif. Je n'ai pas l'intention de faire l'Histoire de l'humanité des origines à nos jours dans cette page, disons que ça n'est pas d'hier que les humains se sont aperçus du caractère crucial de l'humanisation et de la socialisation et du fait que les éducateurs ne sont pas tous également compétents, du fait il y a longtemps que les sociétés s'ingénient à « répartir la charge », à faire qu'un individu ne soit pas éduqué par ses seuls parents ni par leur seul groupe d'appartenance, leur “famille”, leur “clan”, leur “tribu”, leur “secte”, disons, leur groupe idéologique. Cela posé, ça n'est pas évident de parvenir à cela. Outre qu'il existe toujours des groupes fermés qui s'ingénient en retour à faire leur possible pour soustraire leurs enfants à, disons, « l'influence du milieu extérieur », d'une part, dans les institutions même censées permettre cette répartition de charge se constituent des sous-groupes qui œuvrent en faveur d'un groupe idéologique particulier, de l'autre, le temps passant ces institutions développent leur propre idéologie, laquelle, le temps passant, finit par agir contre la société.
La question est moins celle des idéologies que celle de l'unicité idéologique. L'idée est que la socialisation en passe nécessairement par une “idéologisation” des individus ou, pour le dire autrement, par un conditionnement qui fera qu'à un moment l'individu agira dans le cadre de la société selon des schémas de comportement « naturalisés », tellement intégrés qu'ils agissent selon ces schémas de manière automatique, sans avoir besoin du signal qui les a conditionnés au départ. Pour prendre un exemple simple, il n'y a rien de naturel pour un piéton à traverser la rue sur les passages piétons, pour un automobiliste à s'arrêter à un croisement quand un feu tricolore est au rouge. Dans ces cas, le signal est présent mais du moins, largement inaperçu, le piéton n'a pas besoin de réfléchir pour traverser la chaussée là où sont les marquages ni l'automobiliste à consulter sa mémoire pour savoir quelle couleur oblige à l'arrêt, si même émerge en leur esprit quelque chose de conscient c'est plutôt une pulsion, celle qui les induit à souhaiter s'affranchir de la règle. Remarquez bien que leur conditionnement est, disons, le plus souvent consenti, et en rapport direct avec un sentiment relatif au niveau local de contrôle social : plus ils ressentent ce niveau bas, plus ils tendront à s'affranchir de leur conditionnement. Pour exemple, la ville de Montpellier la nuit dans les années 1983 à 1992, époque où j'y ai vécu : passé une certaine heure (vers 22h en été, vers 20h30 en hiver) les automobilistes ne respectaient plus l'arrêt au rouge, ils se contentaient de ralentir, d'estimer si des voitures arrivaient ou non sur les voies à traverser et s'ils estimaient que non, accéléraient. Remarquez qu'ils le faisaient quelle que soit la couleur en cours : puisque presque tous les automobilistes faisaient comme eux, le vert n'était pas plus le signal du libre passage que le rouge celui de l'arrêt.
Imaginons maintenant une société où chaque groupe éduque ses enfants selon les préceptes de sa seule idéologie, et où la régulation sociale se fait en tenant compte des dogmes propres à chaque groupe. Dans cette société, figure un groupe libertarien avec pour dogme, « il n'y a pas de limites à la liberté individuelle ». Il se dote de véhicules blindés, lourds, puissants et rapides, et intègre dans ses règles que les feux de signalisation sont des limites à la liberté individuelle. Et bien, ils passent les croisements sans tenir compte ni des feux tricolores, ni des passages piétons. Et s'ils pulvérisent un véhicule léger ou s'ils écrasent un piéton, ils auront le droit pour eux puisqu'ils respectent leurs propres règles. C'était plus ou moins la situation dans le cadre de l'Ancien Régime finissant : chaque groupe social avait ses propres règles et ses tribunaux, et si un individu faisait un acte allant, disons, contre la règle commune, s'il en avait les moyens il réclamait que ce soit la justice de son groupe qui s'applique. Bien évidemment, moins un groupe pesait socialement, plus les règles de sa justice allaient dans le sens de la règle commune, ce qui faisait que la justice était d'autant plus rigoureuse que le groupe était moins puissant. C'est ce genre de phénomènes qui conduisent aux révolutions ou aux dictatures : quand certains groupes s'écartent trop de la règle commune, s'ils sont plutôt en haut de la hiérarchie sociale ça conduit aux révolutions, quand ils sont plutôt en bas, aux dictatures. Avant de revenir au sujet de cette partie, je parle par ailleurs des « conversions », des moments où une société change de modèle général de régulation, par le fait la première phase est de l'ordre de la révolution, ou de la sécession, l'ordre ancien est mis à bas ; suit une phase intermédiaire, dite anomique, où s'élabore la nouvelle organisation ; en un troisième temps a le plus souvent lieu une dictature, pour la raison simple que beaucoup de groupes ne sont pas satisfaits de l'ordre qui s'installe, soit qu'ils souhaitent un retour à l'ordre ancien, soit qu'ils trouvent que l'actuel ne va pas assez loin dans les changements, du fait un groupe actif va prendre le pouvoir en s'appuyant sur les groupes qui ont le plus intérêt à ce que le nouvel équilibre perdure et se stabilise.
Donc, le chemin vers l'autonomie. On peut se représenter la société comme une pyramide. Au sommet est le siège du pouvoir. Juste en-dessous, disons, un temple. Juste en-dessous de ce temple, des administrateurs et des diplomates. Le niveau suivant, un établissement mixte où se trouvent des scribes et des magistrats. En-dessous, disons, les forces de l'ordre et les unités d'intervention (militaires, policiers, pompiers, secouristes). Au dernier niveau, des ateliers et échoppes, des bureaux de change, des banques, bref, des artisans, des commerçants et des financiers. Autour le peuple, qui intègre parmi lui des établissements qui sont des délégations de chaque institution dans la pyramide. La position sociale de chaque membre de la société s'interprète de deux manières (et oui, moi aussi je fais de l'interprétation, c'est ainsi ), d'une part chaque membre de la société y occupe une fonction, un rôle qui détermine sa position dans la hiérarchie sociale, de l'autre, de par sa position réelle et sa position auto-représentée (selon sa lecture idéologique) dans l'espace social, chaque individu a une interprétation différente de la société. Mon histoire de pyramide est bien sûr une métaphore, bien que dans certaines sociétés ça ait été une réalité, certaines sociétés précolombiennes ou, plus anciennement, les premiers États au Moyen-Orient et en Égypte, avaient proprement ce type d'organisation spatiale, reste que les membres de la société ont effectivement une conception de ce genre quant à la société, “en haut” le pouvoir, puis en-dessous et par ordre décroissant d'importance les autres institutions, “en bas” le peuple et “en périphérie” deux ou trois groupes, les « étrangers », étrangers lointains, étrangers proches et, dans certaines périodes, “étrangers de l'intérieur”.
Selon la place qu'on occupe dans la société, à la fois celle fonctionnelle et celle réelle, et selon la structure de cette société, on ne la verra pas de la même manière. À quoi va s'ajouter l'idéologie à laquelle on se rattache et, disons, sa personnalité propre. Quand on entend des responsables du Front national ou de la France insoumise, ma foi, ils sont le plus souvent assez raisonnables et savent très bien expliquer leur projet et leur position propre dans le cadre de leur mouvement politique. Quand on entend les militants de base et plus encore les partisans non encartés, le discours est beaucoup plus incohérent, le projet assez flou. Enfin, quand on voit certains comportements des responsables et élus et les discours censés les expliquer, c'est moins évident d'y voir une cohérence. De même, les discours des membres les plus audibles des partis dits de gouvernement deviennent, le temps passant, de pus en plus étranges et de moins en moins raisonnables. Et leurs partisans sont inquiétants parfois, inquiets souvent. C'est que, selon leur position sociale, ils voient chacun une société assez différente, et pour beaucoup d'entre eux, une société qui ne ressemble pas trop à celle qu'on peut constater de ses yeux quand on la parcourt.
Ratages de l'autonomie.
Mis à part le fait que de toute manière le chemin vers l'autonomie est un voyage sans fin, il y a tout de même des échecs, des vrais, mais de plusieurs sortes. Déjà, il y a ceux dus à des causes « réelles et sérieuses » : on peut faire tous les efforts du monde, il n'y a aucun moyen de permettre à, disons, un autiste ou un trisomique d'atteindre à une autonomie du type standard. Et de toute manière ce n'est pas souhaitable. Ce qui fait la spécificité des humains est ce qu'on peut nommer la conscience réflexive qui se déploie sous deux formes, conscience de soi et conscience des autres, considérant que les deux sont inséparables, bien des personnes l'on dit de bien des manières, celui qui a fait la proposition la plus dense me semble Arthur Rimbaud et son fameux « Je est un autre », une proposition réversible bien sûr, si “je” est un “autre”, alors “autre” est un “je”. Cette spécificité est liée à la conformation de leur système nerveux central et à leur bipédie. Plus largement, c'est lié à leur organisation générale. Par le fait, tout le reste est secondaire, un individu peut avoir une organisation générale très différente de celle standard sans que ça ait une incidence forte sur, disons, sa capacité d'humanisation, elle peut être plus compliquée à réaliser mais non insurmontable, pour exemple quelqu'un comme Helen Keller, qui avait des déficiences sensorielles lourdes et dont le parcours est exemplaire d'humanité au sens où j'en parle ici et au sens commun. Factuellement, la seule chose qui empêche un humain d'aller vers ce type d'humanité qu'est la conscience réflexive est un problème au niveau du système nerveux central. Je parle des autistes et des trisomiques parce qu'ils illustrent les deux types de problèmes possibles, ceux portant sur la conscience de soi, qui résultent en ce que l'on peut décrire comme capacité réduite d'intellection, « manque d'intelligence », et ceux portant sur la conscience des autres ou capacité réduite d'interaction, « manque d'empathie ». Tout ça est simplificateur mais suffisant pour expliquer la chose.
Ce dont je parlais précédemment, le parent toujours supérieur, égal ou inférieur, et celui imprévisible ou inadéquat, sont des causes de dysfonctionnements du même ordre, il n'y a pas de réelle atteinte du système nerveux central le plus souvent (bien que certains mauvais traitements, y compris par le moyen de certains produits ou par des interventions directes sur le cerveau, puissent en produire) mais une perturbation du processus d'humanisation ou de socialisation qui induit des incapacités comportementales du même ordre que pour un autiste ou un trisomique, ou autres cas similaires. N'accablons pas trop les parents, ni même les éducateurs professionnels, rares sont ceux qui créent délibérément de tels troubles, le plus souvent il s'agit d'un enchaînement de déficiences, d'un « héritage culturel », l'un des parents, ou les deux, ou tout le groupe familial, ou le groupe idéologique, ont eux-mêmes subi un conditionnement social déficient et le reconduisent. Où ça devient un vrai problème, c'est quand ça se passe à un niveau social, quand c'est l'organisation même de la société qui contribue à générer une perturbation de l'humanisation ou/et de la socialisation. Je pensais développer sur les ratages et leurs conséquences mais ça ne me semble plus si utile.
La société antisociale.
Désolé, lectrice, lecteur, j'écris beaucoup en ce moment, du fait je ne sais pas toujours exactement ce que contient un texte particulier, et je trouve fastidieux de me relire, donc si je fais quelques redites ici, je m'en excuse d'avance. En général je sais à-peu-près ce que dit dans un discours particulier mais pas toujours. Ce qui va suivre reprend des choses plus longuement développées par ailleurs, si vous me trouvez trop elliptique, je vous invite à parcourir les autres pages pour plus de détails.
Je l'ai évoqué ici, ce qui structure et réalise une société est la communication. Une société en général et spécialement une société humaine est constituée comme un corps, avec une tête, un tronc, deux membres antérieurs/supérieurs et deux membres postérieurs/inférieurs. On peut dire qu'une société de type État-nation ou fédération simule assez bien un corps humain. Je le dis souvent, il ne faut jamais prendre une comparaison de manière littérale, une société n'est pas un corps, elle procède de manière consciente pour simuler la chose mais ses membres ne sont pas des cellules ou des organes, ce sont des individus autonomes et libres, si par exemple une société particulière telle, pour prendre un exemple récent, la Tchécoslovaquie, décide pour quelque raison de se diviser mais librement et délibérément, le résultat ne sera pas, comme dans un autre cas récent et à-peu-près contemporain, celui de la Yougoslavie, une « désorganisation » où la division ne fut ni libre ni délibérée : après séparation, on n'eut pas un corps coupé en deux mais la constitution de deux corps sociaux complets. Et bien sûr, il en va de même dans l'autre sens : quand l'Allemagne se réunifia, toujours vers la même époque, on n'eut pas affaire à une entité siamoise, l'ensemble se réorganisa pour ne former qu'un seul corps. Ça ne signifie pas que ça se passa tranquillement mais du moins ça ne donna pas lieu, comme en Yougoslavie pour le premier cas, à une guerre civile.
Donc, la société comme un corps. J'incluais dans mon propos les fédérations mais on a plutôt affaire là à des sociétés de sociétés. Peu importe au fond, malgré tout les fédérations ont tendance à moins subir ce que je vais décrire mais elles n'en sont cependant pas à l'abri, disons qu'elles ont des capacités de résistance et de résilience plus importantes. La cause principale de dysfonction d'une société est, disons, son idéologisation. Le processus est à chaque fois le même, l'organisation qui est, au départ, formelle, devient en quelque sorte réelle. La tête, les bras, tout ça donc n'a qu'une vertu symbolique, il s'agit de « faire avancer la société comme un seul corps » mais bien sûr les individus, les groupes, les sociétés locales restent mobiles et autonomes dans ce cadre, tel qui agit dans le “bras” un jour sera dans la “tête” le lendemain, dans la “jambe” le jour d'après. Le temps passant, la société s'étend dans l'espace et en nombre de membres, ce qui réduit progressivement cette mobilité. Très vite certains commencent à travailler à une amélioration de la communication, à chercher des moyens de restaurer de la mobilité, sur des plans pratiques, conceptuels et méthodologiques, mais presque aussi vite d'autres vont mettre en place des moyens pour ne surtout pas permettre de restaurer la mobilité, tout simplement parce que la situation telle qu'elle est leur est favorable, individuellement ou comme groupes. Les moyens de maintenir la situation telle qu'elle est ? Très simple : rendre les gens idiots ou fous. Bien sûr, il ne s'agit pas, du moins dans les débuts, de réelle idiotie ni de réelle folie – à la fin non plus d'ailleurs, par contre, sur la fin il s'agit en outre de les rendre dangereux.
J'en parle par ailleurs, le principe général pour maintenir la structure rigidifiée consiste à créer des illusions. Pour y parvenir, les groupes périphériques vont se coaliser afin de créer une représentation de la société qui ne corresponde pas à sa forme réelle. Dans ce que l'on peut nommer la phase ascendante, celle où la société continue de progresser, l'illusion principale consiste à faire croire que la mobilité sociale est aussi importante que dans les tout débuts ; en un second temps, qu'on peut nommer le palier, il s'agit de convaincre les membres de la société que les positions acquises sont légitimes, « naturelles », que le groupe “la tête” l'est par droit de naissance, et de même pour les autres ; durant cette deuxième phase il y a encore un niveau élevé de mobilité sociale mais entre certains groupes seulement, surtout entre le tronc et les jambes, moindrement entre le tronc et les bras et entre la tête et les bras, pratiquement plus entre la tête et les autres groupes. Dans la dernière phase, ou phase descendante, la circulation entre groupes se fait pour l'essentiel toujours dans le même sens, et presque toujours sur le mode du “déclassement”. C'est aussi le moment où la société prend une autre forme, celle de la pyramide, le déclassement consiste en le passage d'une certaine classe ou caste à une classe ou caste d'un étage inférieur ou, une fois arrivé en bas, dans un groupe de plus en plus éloigné de la pyramide. Comme dit, la société réelle n'est généralement pas organisée physiquement ainsi, bien que dans des pays comme la France ça n'en soit pas si loin, au sens où la position sociale est d'autant plus élevée qu'on est proche du « centre du pouvoir », ici le triangle délimité par le Palais du Luxembourg au sud, La Défense à l'ouest et le Sacré-Cœur à l'est.
Le corps social fonctionne comme les autres, ce sont les jambes qui le font avancer, les bras qui agissent, le tronc qui le fait fonctionner, la tête qui le dirige et représente (cerveau et face). Une autre description est, disons, par classes ou castes, les jambes ce sont les arts et les sciences, les bras, à la fois la force (armée, police) et l'habileté (diplomatie, administration centrale), la tête, et bien les “pouvoirs”, l'exécutif, le législatif et le judiciaire plus le “quatrième pouvoir”, disons, l'opinion, le corps ce sont les “classes laborieuses”, ouvriers, paysans, artisans, etc. En phase ascendante il n'y a pas vraiment de gradation et en un sens, la fonction la moins enviable est celle de la tête, elle reçoit peu, donne beaucoup et elle est très exposée. Du fait de la faible spécialisation initiale, les fonctions périphériques sont remplies par roulement, chaque membre de la société donne à tour de rôle du temps pour les exécuter. C'est quelque chose de connu, on le voit toujours après une « conversion », une révolution, un changement de régime, les fonctions de direction sont exécutées par des personnes élues ou tirées au sort pour une période déterminée et assez courte, la police et l'armée sont une service obligatoire que chaque membre de la société est astreint à réaliser, la “conscription” et le cas échéant la “mobilisation”, les arts et les sciences sont de l'ordre du loisir, des tâches que l'on exécute durant le temps qu'on ne doit pas à la société ni à ses propres affaires. Même si ça commence plus tôt, c'est surtout lors du palier que les groupes se consolident vraiment. C'est aussi le moment où la pyramide se construit. Par le fait, d'une phase l'autre la hiérarchie évolue, dans celle initiale c'est la partie médiane, le corps et les bras, qui sont prééminents, les autres en découlent, lors du palier ce sont la tête et les bras, lors de la phase descendante ce sont la tête et les jambes, sauf qu'entre le début et la fin il y a, que dire ? Un changement de pied ? Par le fait, la jambe principale n'est plus la même, au début les arts dominent, à la fin ce sont les sciences. Pour le redire, tout ça est avant tout symbolique, dans les faits chaque partie reste aussi importante du début à la fin, la vraie question, le motif ce cette classification pyramidale est la question de la répartition des ressources : plus haut est un groupe dans la hiérarchie, plus il en reçoit.
Il est une chose à considérer, le vrai moteur de la société, ce qui la meut, ce sont bien évidemment les jambes, ce sont les arts et les sciences. Il en est une autre qui importe, du début à la fin d'un cycle il y a une opposition permanente entre la tête et les jambes. J'en parle ailleurs, il s'agit, pour le dire en des termes actuels, d'une opposition entre démocrates et aristocrates. On peut décrire ça comme une sorte de jeu du chat et de la souris sinon qu'il y a d'autres acteurs, certains semblent opposés mais en réalité convergent, d'autres semblent très semblables mais sont en fait très différents. J'en parle par ailleurs comme les chats, les chiens, les souris et les rats, à quoi s'ajoute un acteur passif qui est à la fois arbitre et banquier, disons, le maître du jeu. Les chats sont la tête, les chiens sont les bras et tantôt aboient, tantôt mordent, les souris et les rats sont les jambes, de loin ils se ressemblent, mais les souris sont des proies, les rats des prédateurs... Bien sûr, comme tous les acteurs sont des humains, l'acteur supposé passif se compose lui aussi de chats, de chiens, de souris et de rats, donc il intervient parfois dans le jeu.
Le moteur de la société, ce sont les souris et les rats. Par le fait, ils se ressemblent, un scientifique ça ne diffère pas tant que ça d'un artiste. Je disais que la tête et les jambes s'opposent, en même temps elles sont complémentaires. Les créateurs d'illusions sont les artistes et les scientifiques, ce qui implique que le maintien des structures dépend d'eux. Dans un autre texte où je parle du jeu du chat et de la souris, je dis qu'à la fin du jeu, les souris gagnent toujours – les souris ou les rats, si du moins ça diffère. La raison est justement que ce sont les mainteneurs de la structure, les créateurs d'illusions. Les chats et les chiens savent qu'il est dangereux pour eux de faire appel aux chats et aux souris pour préserver leur situation éminente mais ils croient toujours connaître des méthodes pour avoir un contrôle définitif sur les artistes et les scientifiques. Ce qu'ils perdent de vue, le temps passant, est que leurs instruments de contrôle sont conçus par les souris et les rats, donc le contrôle réel n'est pas entre leurs mains. L'idée générale est que, passé un moment critique durant la phase descendante, les outils de contrôle aux mains des dirigeants sont peu à peu inactivés ou remplacés par des leurres. On en a eu quelques exemples les dernières décennies, pendant les diverses phases de désarmement nucléaire.
Comme on le sait, ou comme on devrait le savoir, un nombre important de missiles censément nucléaires sont des leurres, je ne sais pas en quelle proportion exacte mais ça doit être de l'ordre de un missile pour cinq à sept leurres, voire plus. Mais lors de certaines opérations de désarmement, les personnes chargées de la tâche ont eu la surprise de constater que dans certains « silos », toutes les têtes étaient non actives, qu'aucune ne contenait de charge nucléaire pouvant atteindre la masse critique. Certes, dans le tas il y avait des cas connus par les autorités, je veux dire, lors de la “course aux armements” des années 1950 et 1960, c'était aussi un jeu destiné à la fois à son propre peuple et ses alliés, et à ses adversaires potentiels, donner l'impression qu'on disposait d'un arsenal vraiment énorme, ce qui était dissuasif pour l'adversaire, et justifiait le niveau de dépenses pour son propre peuple. Mais à mon avis, les autorités ont été elles aussi surprises de découvrir qu'il y avait bien plus de leurres encore que ce qu'elles croyaient en savoir. C'est le problème, quand on doit compter sur ses opposants pour fournir les moyens de se renforcer. Là-dessus, il y a l'autre aspect, les instruments de contrôle de l'information.
Le principal de l'illusion est généré par les moyens d'information, les médias. Le principe est vieux comme l'humanité, le contrôle des communications permet d'envoyer des signaux qui ne rendent pas compte de la situation réelle. Exemple, je suis le dirigeant de la France et je souhaite, pour des raisons qui me sont propres (en général, la raison ultime, quelle que soit celle immédiate, est d'augmenter son stock de ressources) de mobiliser l'armée pour lui faire faire des opérations de police, que ce soit à l'extérieur de la société (censément, il s'agit de « faire la guerre ») ou à l'intérieur (“plan vigipirate” par exemple). Or, la société n'aime pas ça, a priori. Il faut donc lui donner l'indice que cette mobilisation est vraiment nécessaire pour sa propre préservation. Et bien, c'est simple, on va inventer une « menace imminente et sérieuse » et faire relayer ce discours par les médias de manière répétée et dramatique.
Exemple concret, « la menace terroriste » : si on prend un peu le temps d'y réfléchir, les opérations de type “plan vigipirate” ne sont pas, ne sont jamais d'une efficacité redoutable pour réduire le risque d'un (supposé) attentat terroriste, du fait qu'un terroriste n'est jamais dissuadé d'agir par la présence de forces de police, on peut même dire que c'est un motif supplémentaire de commettre un attentat, voir par exemple les derniers en date en France, qui ont tous eu comme première cibles des forces de police. Le terroriste, quand il décide d'agir, est indifférent à son propre sort, et même il souhaite mourir en agissant, l'attentat-type, depuis une trentaine d'années, et ce que l'on nomme « attentat-suicide », un nom inexact d'ailleurs, pour lui (et cela d'autant plus quand il prétend agir au nom d'une religion), le terroriste ne se suicide pas, il se “sacrifie pour la cause”, sa mort n'est pas un but en soi, un suicide, mais un moyen. Peu importe, par le fait le risque de la mort sous les balles de policiers ou militaires n'est en rien un moyen de dissuasion pour un terroriste. La logique veut donc qu'on cherche d'autres manières que la mobilisation de troupes guerrières, ce qui coûte cher, pour réduire le risque terroriste. Par exemple, agir sur les causes. Il se trouve que l'action sur les causes, pourtant bien moins coûteuse, pose un problème pour les dirigeants : elle est complexe et invisible. Alors que l'action sur les effets est simple et visible. Inefficace certes, mais visible.
Je ne suis pas trop intéressé à savoir quelles sont les causes réelles qui peuvent amener des Français à s'en prendre violemment à d'autres Français au prétexte de défendre l'idéologie de personnes avec lesquelles ils n'ont rien en commun, même si j'ai mon idée là-dessus, ce que je sais en tout cas est que ça n'est pas en soignant les effets, donc les attentats, que l'on fera cesser la cause. C'est comme la médecine par exemple : si je sais que la cause des cancers du poumon est principalement la consommation de tabac, je peux opter pour un effort immense dans le soin, ou un effort minime dans la prévention. Dans un cas je contente tout le monde, les chercheurs de l'industrie pharmaceutique, les industriels de ce secteur, leurs employés, l'industrie du tabac et ses travailleurs, les producteurs de cette plante, les tabagistes, les consommateurs, les médecin oncologues, les chirurgiens, l'administration des impôts. Dans l'autre cas, je mécontente tous ces gens. Soit précisé, c'est la raison même pour laquelle au début d'un cycle les pires fonctions sont celles de dirigeants, on a toutes chances de mécontenter tout le monde et de ne même pas être payé pour cette charge. Pour le terrorisme c'est la même logique, selon moi la prévention du terrorisme n'est pas la chose la plus difficile à mettre en œuvre, si on me demandait mon avis j'aurais bien quelques petites idées pour y parvenir, il se trouve que toutes ces idées ont en commun de réduire beaucoup le nombre de personnes qui vivent du commerce de la répression du terrorisme, et aussi de ne pas mettre en valeur nos dirigeants puisqu'elles ont aussi en commun de réduire leur niveau de gesticulation, dénommé dans leur novlangue “action”. Pour moi, agir sur les effets c'est ne pas agir mais bon, je ne suis pas sûr que cet avis soit très consensuel...
Je ne suis pas certain que ça vaille le coup de disserter sur les illusions, la manière dont elles sont mises en place et réalisées me semble assez évident, on ne peut pas vraiment dire que nos responsables se dissimulent quand ils relancent, assez régulièrement, la machine à produire de la propagande, je suis plus intéressé par les conséquences de l'organisation sociale qui induit la « pathologisation » des membres de la société.
Mise en œuvre de l'antisociété.
Partant du principe que la hiérarchie sociale ne doit pas être modifiée, il faut trouver le moyen de réaliser l'impossible. Rien n'étant impossible, il y a donc la possibilité de faire cela, mais par nécessité ça se fera contre le mouvement même de la société qui, hum ! Par nature est mobile et doit en permanence voir cette hiérarchie modifiée. Une société n'a pas de nature propre, c'est un objet naturel puisqu'il existe, par contre tout ce qui se passe en son sein ne peut être qualifié de naturel, il s'agit d'une forme de contrat, ses membres vont décider de s'associer pour réaliser un projet commun, en gros, augmenter leur capacité d'agir dans le monde en réduisant les dépenses nécessaires à cette action ou en augmentant le niveau de ressources disponibles.
Le point important est de considérer que toute action en ce monde est traductible en termes de bilan énergétique, et pour cette classe d'objets désignable comme « êtres vivants », toute action qui leur est singulière est de l'ordre de la communication. Communiquer, c'est coûteux en énergie pour un résultat aléatoire, le but général de la communication étant de repérer et de capturer une source d'énergie. Un être vivant dispose d'une quantité finie de réserve d'énergie, c'est-à-dire de molécules et atomes lui permettant d'injecter de l'énergie dans l'ensemble de molécules qui le constituent comme être vivant. Le temps passant, cette réserve diminue, raison pourquoi il passe une part non négligeable de son existence à repérer et capturer des sources d'énergie, sans quoi, faute de réserve d'énergie il ne pourra plus se maintenir comme être vivant – il mourra.
On peut dire qu'il y a deux stratégies opposées en ce qui concerne sa préservation, en gros, la technique “virus” et la technique “bactérie” : la première peut être dite passive, et consiste à réduire autant que possible le niveau de dépenses, la seconde est donc active, et vise à augmenter les capacités de repérage et de capture de sources d'énergie. La longue persistance des lignées de virus et de bactérie et l'abondance d'individus des deux sortes montrent que les deux stratégies sont efficaces en termes de préservation, donc les deux ont des avantages, mais bien sûr les deux ont des inconvénients. Le principal avantage pour les virus est leur durée, du fait qu'ils dépensent très peu d'énergie (au point que la question s'est longtemps posée et se pose encore pour certains, de savoir si ce sont bien des êtres vivants) ils peuvent préserver leur structure pendant un temps extrêmement long sans apport extérieur d'énergie, celui des bactéries est la mobilité, si elles ne disposent pas de source d'énergie à portée, elles peuvent se déplacer pour en trouver une plus loin. L'inconvénient de la méthode virale est la dépendance au contexte, s'il se trouve dans un contexte qui le maintient en-dessous de, disons, son niveau d'activation, il n'a pas de moyen propre pour se déplacer vers un contexte plus favorable et doit donc patienter en espérant qu'à un moment quelque chose modifie le contexte en sa faveur. Je décris ça en des termes qui valent pour des individus un peu plus complexes qu'un virus, je ne peux pas vraiment leur attribuer une conscience, donc « patienter » et « espérer » ne sont pas à prendre au pied de la lettre. L'inconvénient de la méthode bactérienne est la dépense, bien sûr : si elle ne parvient pas à découvrir une source d'énergie avant d'avoir épuisé sa réserve, et bien, elle meurt, et ça arrive très vite. Bien sûr, au niveau de la biomasse et des espèces ça ne joue pas tellement, preuve en est donc la persistance des bactéries au cours des temps, par contre les individus sont beaucoup plus précaires que ceux des formes virus.
Je ne sais si c'est natif ou si c'est une évolution mais les bactéries, en tout cas certaines de leurs lignées, ont développé des techniques de préservation à long terme, elles peuvent, dans des circonstances défavorables, se modifier pour avoir un fonctionnement proche de celui d'un virus, avec une réduction importante de leur consommation d'énergie. En fait, les plus récentes hypothèses évolutionnistes tendent à considérer que les virus sont des évolutions de bactéries qui ont poussé cette capacité de ralentissement de leur métabolisme à l'extrême. Quoi qu'il en soit, on peut constater que l'évolution des formes de vie s'est faite en conservant, au-delà des métamorphoses et complexifications, ces deux stratégies, au niveau des lignées ou au niveau des espèces, certaines optent pour un mode de fonctionnement de type virus, d'autres de type bactérie, tenant compte du fait que selon les circonstances les individus « orientés virus » s'activent, ceux « orientés bactéries » peuvent pour certains d'entre eux restreindre leur activité à un niveau très bas. Bien évidemment, il en va de même pour les plus récentes évolutions, ce qui inclut les sociétés humaines, les unes sont plutôt virales, les autres plutôt bactériennes, et selon les circonstances les unes et les autres peuvent changer leur comportement.
Comme l'on dit, la fonction crée l'organe, le choix de mode de développement a des effets qui sont intrinsèques au modèle. Une société « virale » doit vivre sur elle-même, donc trouver ses ressources en elle et dans son territoire, et quand elle se disperse ça sera dans le même mode, mais encore plus épuré. Le cas le plus visible et le plus durable d'une société plutôt virale est celui de la Chine. Bien sûr ça n'est jamais aussi net, les humains sont des humains et donc, à la base, des prédateurs, en outre la Chine a connu au cours de sa longue existence des phases un peu plus “bactériennes”, sous l'influence de conquérants qui pendant un temps ont imposé leur propre mode mais, sur la durée, elle fut tendanciellement virale. De ce fait son organisation générale vise à tout optimiser, la gestion des ressources, celle des populations, celle du territoire. De longue date elle tend à faire de la méritocratie, comme dans son mode de développement elle doit avant tout compter sur ses propres ressources, elle va mettre en place des institutions faisant de la détection de talents. bien sûr, quel que que soit le modèle formel, reste que les sociétés humaines ne sont pas des organismes, elles sont toutes confrontées au même problème à long terme, la limite des ressources, ce qui les amène, soit à réduire la population, soit à chercher des ressources à l'extérieur. Dans le cas de la Chine, ça consista à gagner un peu de territoire en périphérie, mais ça ne peut jamais aller trop loin, à « réguler la population » selon les deux modes possibles, le contrôle des naissances et la guerre, dont la guerre civile, enfin, à envoyer des spores qui, dira-t-on, vont vivre sur l'habitant et s'ingénier capturer des ressources pour les envoyer vers la métropole. On appelle ça des comptoirs. Au cours de son histoire elle a parfois eu des ambitions expansionniste mais ça ne s'invente pas, quand on a une culture profondément non expansionniste, ça n'est pas évident de faire autrement, ces tentatives de changement de mode sont corrélées aux conquêtes qui mirent à la tête de la nation des élites conquérantes, justement, donc plutôt expansionnistes, mais sur la durée elles se sont sinisées et sur le court terme, et bien, même si les élites sont expansionnistes elles ne vont pas d'un coup de baguette magique transformer tout un peuple en autre chose que ce qu'il est profondément.
À l'autre bout du continent on a un bassin de civilisation tendanciellement bactérien, qu'on a désigné à partir du XIX° siècle comme « les Indo-européens »2. Le mode de développement bactérien, c'est simple : pendant un temps, la société grandit en gagnant un peu de territoire autour de son noyau, arrivée à une certaine dimension, selon les cas elle va “bourgeonner” et chaque bourgeon, arrivé à maturité, va se séparer de la société et partir chercher un emplacement où se développer à son tour ou, autre méthode, plutôt conditionnée par le manque de ressources disponibles au point nodal sont épuisées, va se diviser, chaque partie va aller dans une direction et chercher un autre point nodal riche en ressources. Bien sûr, la comme pour la Chine il s'agit d'un modèle abstrait qui dans les faits ne s'applique pas toujours aussi purement. En outre, le mode bactérien de développement a cet effet que, l'univers n'étant pas vide et déjà largement occupé par d'autres humains, dont d'ailleurs, au fil du temps, d'autres sociétés indo-européennes, quand un groupe part à la recherche d'un nouvel espace, et bien, il doit généralement faire avec des populations locales. Comme ce sont des gens entreprenants ils parviennent souvent, en mode bourgeonnement, à s'imposer en tant que leaders en remplaçant les élites locales ou en s'alliant avec elles mais dans tous les cas a lieu une acculturation réciproque, pour en rester à la métaphore organique, les “patrimoines génétiques” des deux groupes se mélangent, leurs cultures s'accommodent et il en résulte une nouvelle culture, qui a des points communs avec les deux premières mais qui est autre. Le nom qui me semble le mieux désigner ce phénomène est ce que le poète et penseur Édouard Glissant nomme « créolisation », qui ne concerne pas proprement l'invention de langues dites créoles, même si ça joue un rôle, mais bien plutôt ce phénomène culturel où de la mise en contact de plusieurs cultures en résulte une nouvelle, pour partie héritière des cultures sources mais qui est différente, autre.
À la base, les sociétés “bactériennes” sont, disons, « colonialistes », quand elles s'installent dans un nouveau site, leur but est de développer leur établissement au détriment des populations locales, s'il y en a (et en général il y en a). Rien à voir donc avec les comptoirs qui eux ont intérêt à préserver les populations et à restreindre leur occupation territoriale, et même ont intérêt à contribuer à leur développement. Au cours du temps, les sociétés, disons, expansionnistes3 ont développé un mode mixte, la colonie gardait un lien à la métropole qui, d'un sens, tendait à la viralité, le but étant bien sûr d'apporter des ressources à cette métropole, mais ça ne pouvait pas durer, tout au long de leur histoire, les sociétés indo-européennes ont vu systématiquement leurs colonies prendre leur indépendance dès qu'elles considéraient avoir les moyens de s'opposer victorieusement à toute tentative de maintien de leur mainmise par les métropoles – cela dit, dans certains cas ces colonies présumèrent de leurs forces, ou de leur capacité d'autonomie. C'est ainsi, comme dit le proverbe, qui ne risquent rien n'a rien, comme il ne le dit pas, qui risque quelque chose n'a pas toujours quelque chose en retour...
Ma description est largement phénoménale, elle décrit surtout les sociétés humaines vues de l'extérieur, car vue de l'intérieur toute société, disons, impérialiste, est organisée de la manière précédemment décrite, la tête, les bras, etc. Tel qu'on peut le comprendre c'est le modèle de base des sociétés humaines mais dans sa forme primordiale les fonctions sont comme décrites pour la situation initiale d'une société cyclique, non fixées, tout membre de la société peut accomplir toute fonction. Et surtout, les deux fonctions problématiques, de direction et de préservation, correspondent à la situation initiale, le “chef” a la place la moins enviable et la moins enviée, les “guerriers” sont tous les membres de la société, par roulement. Pour des raisons que je n'explorerai pas ici il y a dans presque toute société humaine, probablement dans toutes mais je ne le certifierai pas4, une séparation entre les hommes et les femmes qu'on peut décrire comme une orientation différente, les femmes sont « tournées vers l'intérieur », les hommes étant donc « tournés vers l'extérieur ». Description sommaire mais qui pointe le fait que les hommes se voient principalement dévolues les activités qui ont lieu en dehors de l'espace de la société, les femmes se limitant à celles réalisables en limite de cet espace et ne nécessitant pas l'usage d'outils dont la maîtrise nécessite un apprentissage long (pour le dire en gros, les armes et les instruments de capture de proies), dans l'espace social au contraire les femmes exécutent les tâches les plus complexes ou les plus astreignantes, les hommes exécutant celles requérant le moins d'habileté.
Tant qu'une société reste limitée en nombre de membres, l'organisation informelle peut être réalisée sans problème, dans un vieux textes j'avais estimé le nombre maximum de membres à moins de vingt, depuis j'ai réévalué mes critères, si une société instaure des procédures de régulation elle peut maintenir la structure initiale avec un nombre beaucoup plus important de membres, jusqu'à plusieurs centaines, mais ça reste tout de même limité. Le principe est quelque chose comme « discerner le vrai du faux », dans d'autres textes j'utilise cette phrase qui nomme une parabole, « séparer le bon grain de l'ivraie ». L'autre nom pour “ivraie” est “zizanie” et vise l'autre aspect de la question, « semer la zizanie ». Le problème inhérent à la société organisée est le risque qu'un de ses membres, en tout premier celui qui dirige, « sème la zizanie », sème la discorde. Comme dit, La fonction du chef est de coordonner les membres de la société, ce qui lui confère un grand pouvoir. Dans cette fonction, qui pour l'essentiel en passe par la parole, il peut présenter les choses d'une manière inexacte ou fausse, que ce soit volontaire ou non, et il peut, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fédérer un certain nombre de membres pour mener, disons, une opération guerrière ou une opération de police, soit, une action violente à l'encontre d'humains hors espace social ou en son sein. Que ce soit justifié ou non, ce genre de discours ou d'actions sèment inévitablement la discorde, d'où la nécessité de « discerner le vrai du faux », de déterminer si l'action était ou sera justifiée (pour les actions ça peut être préalable) ou si le discours est fondé.
La raison pour laquelle la répartition initiale des fonctions peut être préservée dans une société limitée à quelques centaines de membres est qu'on peut y instaurer une méthode simple mais efficace pour lever les incertitudes, l'assemblée : tous les membres de la société se réunissent et discutent des éléments de discorde qui peuvent apparaître, depuis les querelles familiales ou de voisinage jusqu'aux cas évoqués. Pour les discordes de base, le but est de tenter la conciliation, pour ceux qui regardent toute la société, il s'agit de déterminer si oui ou non le chef a eu ou a raison, si il a eu raison, si sa manière de traiter le problème a été adaptée, si enfin il a commis une erreur, s'il en est la source ou seulement le relais. Dans ce dernier cas, il importera alors de comprendre d'où vient l'erreur et de savoir si elle est volontaire ou non. L'ivraie c'est, disons, la source humaine du problème, le “responsable”, la zizanie pointant plutôt la conséquence, l'élément de discorde. La question cruciale est bien sûr de savoir si, parmi les membres de la société, certains tendent, par maladresse ou malveillance, à diffuser de fausses informations. Pour les autres membres de la société, la sanction préférentielle est de tenter de corriger le membre, de le “rééduquer”, et on en vient à plus rude (l'exclusion temporaire ou définitive, parfois la mise à mort) le moins souvent possible. Pour le chef c'est différent, de par sa position il est responsable dans tous les cas, la question sera alors double : est-il la source de la discorde et s'il ne l'est pas, a-t-il agi conformément à son mandat, notamment en vérifiant la véracité d'un propos porteur de discorde ? Disons que, pour tous les autres membres il y a présomption d'innocence et la charge de la preuve est à l'accusateur, pour le chef il y a présomption de culpabilité et la charge de la preuve lui incombe. En outre, et c'est dans le contrat, pour un chef il n'y a que deux sanctions, l'innocence ou la mort.
Passé un certain nombre de membres, l'assemblée de tous est inenvisageable. Passé un nombre peut-être égal, probablement supérieur, la mobilité sociale totale n'est plus possible, une certaine spécialisation est nécessaire. C'est le moment où peut se mettre en œuvre ce que je nomme en titre de cette partie « l'antisociété ».
L'antisociété.
Comme son nom l'indique, c'est le contraire de la société ou son inverse. La société veut de la mobilité, l'antisociété veut de l'immobilisme ; la société est l'association des égaux, l'antisociété est à la fois l'association des inégaux et la dissociation des égaux ; le but général de la société est d'augmenter ses capacités de communication, l'antisociété vise à réduire ces capacités et à augmenter, disons, l'incommunication, le niveau de bruit dans les canaux de communication ; le contrat de base de la société est l'optimisation de la répartition des ressources, selon deux axes, à chacun selon ses besoins et à chacun selon ses moyens, ou facultés ou capacités, le contrat (plus ou moins) secret de l'antisociété est tout pour moi, le reste pour les autres. Etc. L'antisociété est une conséquence prévisible de la réduction de la mobilité sociale.
INCIDENTE. Je me pose régulièrement la question de la validité de mes discours. Non pas de leur contenu, dans l'ensemble ça me convient, c'est très loin de la perfection et plus d'un auteur me convainc plus que moi-même pour des propos équivalents, de l'autre côté je me compare à tout ce que je peux lire et là, hormis la botte de mes auteurs favoris, je me vois très au-dessus de la qualité moyenne quant aux réflexions sur la société et le monde, comme je dis il y a beaucoup de mes semblables qui ne sont pas à leur propre hauteur et du coup il n'est pas très difficile d'avoir un discours acceptable même si médiocre, je le dis aussi, mon vrai talent c'est le discours oral, l'écrit est un pis-aller de mon point de vue.
La question que je me pose est simple : pourquoi écrire quand on a la conviction que ça a de très grandes chances de rester lettre morte ? Ça fait un moment que je mets des textes en ligne, pour moi certains textes assez anciens (rédigés entre 1998 et 2007 pour l'essentiel) se révèlent cruellement lucides, dix ou vingt ans plus tard, je ne suis pas trop amateur de prédictions mais les rares fois où j'en fis, elles n'ont pas été détrompées par la réalité, et comme le plus souvent elles étaient pessimistes, ça m'attriste...
L'autre motif de m'interroger est personnel : de mon point de vue, je n'ai rien à ajouter à ce texte, comme je le dis aussi, notamment en présentation de mon site le plus anciennement maintenu, « Site OMH », je ne prétends à rien de plus que d'offrir des éléments de réflexion, pour me citer,Mon but n'est pas de « dire ce qu'il faut penser » de ceci et cela, mais d'offrir à mes visiteurs des éléments de réflexion, de leur réflexion. Je ne crois pas avoir une si grande qualité d'investigation de la réalité que je puisse me prévaloir de donner des « indications de bonne manière de penser », par contre, je pense avoir une approche des sujets dont je traite qui peut donner des idées à qui me lira de considérer ces sujets sans les a priori habituels qui conduisent à ne pas réfléchir à un objet social et à y appliquer une grille de lecture fortement teintée d'idéologie partisane.Malheureusement, et une majorité de mes correspondants m'ont confirmé dans cette opinion, les gens ont tendance à ne pas vouloir réfléchir par eux-mêmes, quand ils tombent sur un texte inachevé, ils me sollicitent pour que je leur donne la suite et si possible la fin, pour le dire mieux, j'offre des textes ouverts et on me demande de les fermer. Pire encore, même avec des textes fermés et pratiques, notamment en informatique, j'ai pu constater que si ce n'est pas rédigé de manière très directive et segmentée, en répétant en outre deux ou trois fois les mêmes choses, mes lecteurs n'arrivent pas toujours à comprendre ce qui est écrit.
Conclusion, je ne suis pas trop persuadé de l'intérêt de poursuivre la rédaction de ce texte, qui comporte déjà tous les éléments nécessaires pour une réflexion propre. Par honnêteté, je vais un peu poursuivre, mais je serais vous, je me contenterais, comme il m'arrive de le faire quand je lis un texte qui me semble pertinent, de relire deux ou trois fois tout ce qui précède cette incidente, c'est la seule manière de réduire le niveau d'interprétation : une seule lecture induit nécessairement une interprétation idéologique, on ne peut pas comprendre un texte complexe immédiatement, de ce fait on pallie ses incompréhensions en les comblant par sa propre représentation du monde ; une deuxième lecture réduit le niveau d'incompréhension mais induit une interpolation inverse, on retient surtout ce qui semble aller contre son idéologie, et on décide qu'en effet ça va contre ; pour les plus lucides, une troisième lecture plus lente, avec des allers-retours, peut suffire, pour mon compte j'ai tendance à en rajouter une, pour mieux démarrer ma propre réflexion.
Autre conseil de gros lecteur : éviter la lecture linéaire. Ma méthode est la suivante, en cours de lecture, si un passage me semble trop évident je vais directement à l'alinéa suivant ou même à la partie suivante, et si par la suite il est fait référence à quelque chose censé figurer précédemment et que j'ai raté, et bien, je cherche rapidement le passage concerné. Dans l'ensemble, un texte contient 50% à 80% de remplissage, donc sauter des parties ne fait que rarement rater quelque chose estimé important par l'auteur.
Je renouvelle mon conseil, je serais vous, je me contenterais, comme il m'arrive de le faire quand je lis un texte qui me semble pertinent, de relire deux ou trois fois tout ce qui précède cette incidente.
FIN DE CETTE INCIDENTE.
Mouais, je me demande finalement si je dois poursuivre, il me faut déjà me relire un peu, j'ai comme qui dirait perdu le fil en rédigeant cette incidente.
Ah oui ! L'antisociété... Comme dit, tous les éléments permettant une réflexion propre sont déjà présents, du fait je laisse tomber ce texte, et vais en rédiger un autre sur les ratages de l'autonomie quand ils sont volontairement provoqués. Mais un peu plus tard. Ou alors, avec de la chance, j'en parlerai plutôt que d'en écrire, en vérité je suis nettement plus à l'aise à l'oral qu'à l'écrit, très nettement.