Dans l'autre ensemble dynamique (qui devrait ne plus trop l'être) de ce site, j'étudie des séquences historiques, spécialement les guerres mondiales, pour montrer en quoi le découpage actuel rend assez mal compte de la séquence, qui ne se limite pas aux années 1914-1918 et 1939-1945 mais, pour les conflits mêmes, commencent plutôt en 1912 et 1937 pour s'achever plutôt en 1920 et 1948, et pour l'ensemble des événements qui induisent et poursuivent ces deux moments critiques, commence plutôt vers 1870 pour s'achever, et bien... Difficile à dire, si l'on considère la séquence « guerre froide » comme la continuation de la séquence, on peut en situer la fin entre 1975 et 1990, probablement vers 1983-1985, s'il s'agit d'une autre séquence, la fin de la séquence se situe entre 1955 et 1965 avec une bascule notable entre 1959 et 1962, moment où une très large part des nations colonisées retrouvent leur autonomie et se constituent en États-nations ou en fédérations. À cela s'ajoute le fait que la première partie de la séquence, qui se déroule pour l'essentiel entre 1870 et 1930, n'est pas strictement mondiale, l'essentiel des conflits se déroule en Europe, moindrement en Asie extrême-orientale, très marginalement dans les autres continents (les Amériques, l'Océanie et l'Afrique vont certes fournir des troupes qui seront décisives pour la victoire d'une des parties lors de la première guerre mondiale mais ne seront pas ou, pour l'Afrique, que faiblement touchées par des combats sur leur sol). Il y a bien un conflit dans le conflit, celui qui se déroule dans l'Empire ottoman finissant, mais même là il y a finalement peu de combats en dehors de ce qui en forme le cœur, l'Asie mineure et les territoires européens de cet empire.
Globalement, la première période la plus perturbée, qui va en gros de 1885 à 1925, est beaucoup plus une double guerre civile, celle d'un empire européen qui a déjà vu quelques tentatives de restauration depuis l'Empire carolingien, avec tantôt comme leader une coalition « française », tantôt une coalition « germanique », celle en cours, qui a démarré peu après la dernière coalition « française » du Premier Empire, a sa source dans la tentative de réunification de l'Allemagne, lentement mise en place dès les années 1830 et réalisée en 1871, et celle d'un Empire ottoman finissant, lui-même héritier de l'Empire romain d'orient, miné de l'intérieur par des mouvements séparatistes et de l'extérieur par les menées des autres empires coloniaux. On peut même dire que tout cela remonte à bien plus longtemps, sans aller jusqu'à la préhistoire, ni à la protohistoire, on peut en tout cas voir une certaine continuité dans ce mouvement d'unification euro-asiatique, avec dans la partie orientale un cœur assez stable, l'Asie mineure, qu s'articule sur la cité de Constantinople, dans celle occidentale un cœur mobile, qui est au départ dans le Latium puis se déplacera peu à peu à la fin de l'Empire romain vers le nord-ouest pour se recentrer définitivement après le bref empire carolingien vers, disons, la Bourgogne, avec donc ses deux pôles d'attraction, « germanique » à l'est du Rhin, « français » à l'ouest, tenant compte qu'en réalité ces deux pôles ont une même source civilisationnelle, mixte des apports germaniques et latins, celle orientale étant d'un point de vue linguistique plus nettement germanique, celle occidentale plus nettement latine. Fondamentalement, on peut dire que la partie plus germanique a une conception de la civilisation plutôt « ethnique », celle plus latine, plutôt « politique », même s'il n'y a pas en réalité de si grande différence entre les deux parties, c'est plus une question idéologique que factuelle.
Bien évidemment les choses ne sont pas aussi simples que ça, l'ensemble germano-latin forme donc une même civilisation, et resta en interaction tout au long de cette période qui va de la fin du VI° siècle à nos jours, avec tantôt la domination intellectuelle, commerciale ou politique d'une partie, tantôt de l'autre, à quoi s'ajoute l'intégration par les deux parties de faits culturels forts (religion, philosophie, droit, sciences, littérature...) provenant de l'Empire d'orient. En outre, il y a de longue date une composante occidentale, centrée sur l'Angleterre et plutôt « ethnique », et une composante orientale centrée sur l'Autriche et plutôt « politique », là encore sans qu'on puisse dire que cette idéologie s'appuie sur les faits – c'est ça une idéologie, elle s'affranchit des faits effectifs pour construire un monde idéal, jamais vu et jamais vérifié. Cette présentation rapide et un peu sommaire pour tenter, si faire se peut, de vous permettre comprendre en quoi « cette Histoire que l'on se raconte » du titre de cet article a une certaine importance et des conséquences sur notre actualité. J'ai une sentence différemment formulée et qu'on peut résumer ainsi : les complots ça n'existe pas et pourtant, il existe des complots.
Partant de cet objet, « les deux guerres mondiales », j'ai fait émerger deux ensembles assez identifiables, et dans l'un deux sous-ensembles eux aussi identifiables. Dans l'autre ensemble on trouve une division similaire, et dans chaque sous-ensemble d'autres parties, et ainsi de suite. Enfin, on trouve aussi des ensembles similaires même si très divers au-delà vers l'est, le nord, le sud et l'ouest. On peut même aisément comprendre comment ces divers ensemble se sont constitués comme entités autonomes : au cours des temps et sans remonter au-delà de l'époque où l'on est à-peu-près certain de l'existence prédominante d’Homo sapiens en tant que représentant des diverses lignées humaines, soit environ 50000 ans1 (même s'il reste encore une présence assez forte d'autres lignées, principalement Homo neanderthalensis, jusqu'à il y a environ 30.000 ans), les humains se sont, au gré des variations du niveau des mers et des avancée technologiques, notamment pour la navigation, répandus sur une large partie du globe, mais au gré d'autres variations des ensembles ont eu un développement culturel puis civilisationnel séparés. Ont peut estimer que vers 20000 ans en arrière la majeure partie de ces ensembles s'est stabilisée, ce qui n'empêche bien sûr pas des interactions. Globalement, la pérennisation de ces ensembles a lieu durant la période où les humains commencent à se sédentariser et à pratiquer l'agriculture et l'élevage. On peut aussi dire que le mouvement inverse, de fédération successive de ces ensembles humains, est contemporaine de l'époque où ces ensembles s'« historicisent », où une partie de leurs membres, par la mémorisation ou par la notation écrite, conservent la chronique de ce que chacune de ces civilisations considère comme digne d'être conservé des événements passés. Or, par nécessité cette conservation est très parcellaire et tributaire de l'Histoire propre au groupe des conservateurs. Pour exemple, mon groupe germano-latin.
Les « Germano-Latins ».
De nombreux indices montrent qu'à une époque relativement récente, il y a environ 6000 ans, il y eut des circulations de personnes, de biens, de techniques et d'éléments culturels dans une aire assez large, qui a favorisé une certaine uniformisation culturelle. Les chercheurs les plus sérieux sont quelque peu revenus sur la notion de langues « indo-européennes » et son corollaire, le supposé « peuple indo-européen », des concepts développés au XIX° siècle principalement pour des raisons idéologiques et sur la base d'indices très limités. Il est d'ailleurs à noter que selon les écoles, le nom varie, les écoles germaniques parlaient plutôt d'indo-germanique ou d'indo-aryen, celles latines d'indo-européen, reste qu'il y a une certaine évidence, la présence de quatre ou cinq ensembles culturels qui forment une sorte de fédération assez informelle s'étendant sur une vaste zone au cœur du continent eurasiatique et qui, sur une période d'environ 2500 ans, vont constituer plusieurs foyers culturels et civilisationnels allant du nord-ouest de l'Inde à l'Europe occidentale, pour connaître une seconde expansion vers le sud-est et le nord-ouest de cette zone au cours du millénaire suivant. S'il n'y a pas proprement un « peuple indo-européen », du moins il existe donc quelques foyers qui ont une certaine proximité culturelle et linguistique, dont ont ne peut dire d'aucun qu'il serait « le groupe originel », on peut juste dire que ceux de ces foyers qui furent les plus centraux ont assez logiquement une proximité avec toutes leurs voisins périphériques mais que la logique de constitution de ces ensembles est contraire à celle supposée au XIX° siècle et reprise depuis, d'une diffusion de leur langue vers leur périphérie. On peut bien plutôt supposer un phénomène similaire à ceux qu'on a pu observer à époque historique, l'élaboration d'une lingua franca, d'un sabir, d'un créole ou d'un pidgin, bref, d'une langue qui tire ses traits de plusieurs langues, va adopter une syntaxe et une grammaire simplifiées qui s'appuient essentiellement sur celle des langues les plus dominantes et un vocabulaire qui provient de plusieurs langues n'ayant pas spécialement au départ d'unité antérieure.
On a pu aussi voir, en Europe, un phénomène intéressant : il y a environ 3000 ans existait une grande diversité linguistique avec d'assez grandes zones non-indo-européennes au sud-ouest, au nord-ouest et dans l'actuelle Europe centrale, et pour les autres zones on ne peut guère dire ce qu'il en était sinon que les principaux groupes de langues dites indo-européennes avaient sensiblement un substrat assez différent qui laisse supposer une forte influence d'autres langues ; durant le millénaire suivant, on peut voir trois ensembles se constituer, l'un qu'on dira germanique, le second latin, et le troisième, grec, tenant compte que ces trois ensembles sont aussi des créoles ou des sabirs. Le latin dont on conserve la forme est en fait assez similaire au français dans sa constitution, avec deux substrats principaux, l'étrusque, relativement unifié, et les langues italiques, assez hétérogènes, plus l'apport d'autres langues pour son vocabulaire, dont le grec et les divers dialectes « gaulois », puis très vite après cet optimum d'une langue des élites, des nouvelles langues naissent, dont le principal substrat est certes le latin mais non celui des élites, ce qu'on nomme le bas-latin, beaucoup moins sophistiqué que la langue des élites et en outre, qui se créolise assez vite au tournant des débuts de notre ère, du fait que les armées, qui permettent d'assurer le pouvoir de l'Empire, se composent de plus en plus de citoyens de fraîche date voire de mercenaires non latinisés au départ, ce qui induit un parler ordinaire très mêlé pour son vocabulaire et d'une syntaxe simplifiée. Contrairement à ce qu'on présente souvent dans le récit de l'Histoire de cet empire, et comme le savent les linguistes, la créolisation du latin est très antérieure à la fin de l'Empire et même, elle est pratiquement contemporaine de ses débuts, on peut retracer un parcours assez semblable à celui qu'on a constaté durant l'apogée de l'empire colonial français, entre en gros 1875 et 1955, avec une mince élite économique, politique et intellectuelle parlant un français d'un haut niveau, une frange plus large mais assez restreinte de colons ou de colonisés parlant un français populaire mêlé de vocabulaire ou d'expressions des langues locales, une frange un peu plus large pratiquant un français très pauvre pour sa syntaxe et son vocabulaire, enfin une majorité de locaux qui n'ont aucun rapport au français. Et comme pour l'Empire romain, finalement la langue du colonisé, sous trois aspects, la langue des élites, la langue ordinaire de l'ex-colon et une version locale assez ou très créolisée, s'est diffusée après la colonisation, pour la raison simple que c'est le vecteur immédiatement disponible pour maintenir ou renforcer l'insertion des nouveaux États dans la mondialisation économique, politique, culturelle en cours.
Bien entendu, il en est allé de même pour les deux autres ensembles, même si autrement : le grec qui se diffusa le plus était la koinè, une version simplifiée et modifiée de la langue d'échange entre les divers dialectes grecs et non la langue des élites de la fédération attique dite « grec ancien », une langue du commerce en tous les sens (économique, culturel et politique) ; autant qu'on puisse le savoir l'ensemble germanique n'a jamais été linguistiquement unifié et a plutôt fonctionné sur le modèle de ce qui se passa en France du nord ou plus tard, en Angleterre, avec des groupes restreints qui prennent le pouvoir, l'usage d'une langue de l'élite qui est rarement celle de ces groupes (latin pour la France du nord, français pour l'Angleterre), une langue du peuple qui reste en gros celle préexistante, et l'élaboration progressive d'un nouveau créole ou pidgin ou sabir qui sera le proto-français, le proto-anglais. Il est à remarquer que l'anglais d'aujourd'hui se compose encore de deux langues, cette des élites où les latinismes sont nombreux, celle du peuple beaucoup plus proche des autres langues germaniques, le cas notable étant, à l'époque où j'apprenais cette langue, il y a donc environ 45 ans, la persistance d'une affichette dans les transports publics pour interdire de cracher, la version élite, « please, do not expectorate », qui est franco-latine et polie, et celle du peuple, « It is forbidden to split », qui est germanique et impérative.
Cette Histoire que l'on se raconte a beaucoup de conséquences. Elle est notamment la source principale des divers complots dont on découvre régulièrement l'existence. Ne pas croire aux complots n'induit pas qu'on croit qu'il n'en existe pas, il ne se passe pas d'année sans que l'on en découvre un. Mais une fois qu'on a compris comment l'Histoire, et je ne parle pas de l'Histoire des historiens mais du type de récit historique que l'on peut dire idéologique pour le présent et téléologique pour le passé, donc millénariste pour l'avenir, se construit et perdure, l'existence des complots s'explique aisément, en même temps que le constat de leur inexistence. S'il n'y a pas de paradoxe, c'est en ce sens que le grand problème pour les complots est la présence nécessaire en leur sein de « taupes », de « traîtres », «d'« agents doubles», de « sous-marins », bref, d'éléments qui vont agir, au sein de ces complots, contre leur réalisation ou en faveur de la réalisation d'autres complots. Sans dire que ces complots sont de nul effet, ce qu'on peut estimer est que la grande majorité de leurs actions effectives ne vont pas nécessairement dans leur sens, que même en ce cas ça ne signifie pas qu'à moyen ou long terme elles favorisent d'autres groupes, que censément ils veulent réduire ou même détruire, voire d'autres complots censément adverses, et même que la grande majorité de leurs victimes sont des victimes non innocentes, sauf sur leur fin où face à leur échec prévisible les complotistes se mettent à multiplier les actions visant à déstabiliser leurs supposés adversaires. On voit assez bien le processus en ce moment avec la phase finale de cette longue séquence de, disons, l'« l'islamisme radical », commencée principalement dans la deuxième moitié de la décennie 1970 même si ses prémisses ont eu lieu dès la fin du XIX° siècle, spécialement au cours des cinq ou six décennies précédentes, mais dans une optique plus « islamisme politico-social », ces idées au départ progressistes développées surtout autour de trois centres, le sous-continent indien, l'Iran et l'Égypte, dont notamment les Frères musulmans sont une illustration.
Construction d'un complot : l'islamisme radical.
On peut dire que l'islamisme radical est la conséquence de l'échec de l'islamisme politique. C'est en même temps l'effet collatéral de la fin de la Guerre froide, de ce moment où, après quatre présidences somme toute assez sages, celles de Lyndon Johnson, Richard Nixon, Gerald Ford et Jimmy Carter, les États-Unis repartent, sous Ronald Reagan d'abord puis sou George Bush senior, dans leur délire de Destin Manifeste et de Peuple Élu. Je sais, les présidents Johnson et Nixon sont parvenus, malgré la réussite évidente de leurs politiques intérieure et extérieure, à figurer comme des « présidents mauvais » parce qu'ils ont mis du temps à résoudre les crises provoquées par leurs prédécesseurs, Kennedy et Eisenhower, deux va-t-en-guerre de première, et parce que Nixon a fait l'erreur d'être pris la main dans le pot de confiture (car à y réfléchir, la seule particularité de “l'affaire du Watergate” est moins tant l'affaire que sa rapide mise sur la place publique, espionner ses adversaires politiques n'a pas été une singularité propre à son mandat...), résultat, toutes les avancées qui ont eu lieu sous leurs mandats, notamment les droits sociaux, l'aide médicale d'État, l'apaisement des relations internationales, etc., hop ! Oublié ou presque... Les deux suivants ont pour eux acquis une réputation d'imbéciles et de pleutres, ce qu ne laisse pas apparaître le récit de leurs actions lors de leurs mandats, au point même que Carter a fini par obtenir assez tard un prix Nobel de la paix mérité pour son œuvre durant son mandat et par après.
Il ne s'agit pas ici de réécrire l'Histoire mais de faire apparaître plus nettement des faits qui furent ignorés à l'époque et qui permettent d'avoir une autre analyse de ce qui a pu se passer durant les années 1975 à 1985 en gros, et qui permirent l'émergence d'un islamisme radical violent, dont le rôle prépondérant d'une mouvance de type fascisant, c'est-à-dire la réunion d'idéologues venant pour l'essentiel de la gauche radicale, moindrement de la droite radicale, qui trouvent des appuis parmi des groupes politiques divers qui ont en commun le désir d'un contrôle social fort, et parmi des élites économiques dont le principal projet est de préserver leurs positions par tous les moyens, spécialement le contrôle social. Je dis de ce type d'alliance qu'il est fascisant, non parce que ce sont des “fascistes” au sens propre, c'est-à-dire le type d'alliances de ce genre qui se développa dans les années 1920 et 1930, mais parce que les mouvements fascistes représentent, avec peut-être le stalinisme, une forme assez pure du phénomène en ce sens qu'on ne peut pas déterminer chez eux une réelle idéologie politique et qu'ils ont développé, sinon peut-être le stalinisme (c'est à discuter), une pseudo-idéologie uniquement formelle puisque tous ces mouvements ont pris le pouvoir en prétendant agir pour le peuple et, une fois en place, se sont systématiquement appuyés sur les groupes sociaux les plus anti-démocratiques et conservateurs ou réactionnaires de leur temps, pour in fine agir contre leurs peuples, donc contre eux-mêmes.
J'explore cela par ailleurs, donc je n'en parlerai ici que comme d'un fait d'évidence : le “fascisme” n'est ni une idéologie, ni une séquence historique, mais un modèle de processus socio-politique. Le terme conventionnel pour ce processus est “totalitarisme”, ce qui me pose problème : tout processus socio-politique est fondamentalement totalitaire, vise à faire qu'une société soit « un seul corps et un seul esprit », la singularité du processus de type fasciste est de tenter de réaliser cela effectivement et non pas symboliquement. Dans un processus tendanciellement symbolique, le concept de nation est un modèle, il ne s'agit pas de considérer proprement les personnes ayant réellement les mêmes ascendants, de ce fait ces processus procèdent par intégration, est considérée comme appartenant à la nation toute personne qui se reconnaît en elle ; quand le processus est tendanciellement effectif on vise à séparer les “vrais nationaux” et les “faux nationaux” pour éliminer les faux, soit en les excluant, soit en les massacrant. C'est ce que je désigne ici fascisme, ce principe qui prend des formes diverses mais qui consiste du moins en ceci : « séparer le bon grain de l'ivraie ». Dans le cas du fascisme historique le critère principal était ethno-racial mais il peut être autre, par exemple le critère principal du stalinisme est social, dans le cas du supposé « ultra-libéralisme » il est politique, bien que la question ethnique ne soit pas absente, dans le cas de l'islamisme radical il est politico-religieux. Peu importe le critère, importe juste de comprendre qu'il s'agit de séparer le même du même en postulant que le même est un différent, ce qui ne laisse de poser problème...
Donc, le complot « islamisme radical ». Il n'est qu'un élément d'un complot plus vaste, un complot infiniment reconduit, « la lutte du Bien contre le Mal ». Dans son aspect le plus récent il a pris le nom de “guerre contre le terrorisme”, un projet très intéressant car il est inatteignable en ce sens que si l'on veut agir contre le terrorisme, quel qu'il soit, on peut le faire de bien des manières sauf celle-là. Comme dit, le seul trait certain qui signale un fascisme est de vouloir séparer le même du même or, et les exemples récents l'ont assez bien montré, un terroriste est presque toujours un même : la quasi-totalité de ceux qui ont agi en France et en Belgique depuis 2015 sont des Français et des Belges, les rares personnes impliquées qui ne l'étaient pas (ou dont on pense qu'elles ne l'étaient pas) ne furent pas proprement des acteurs, ils n'ont pas directement participé aux actions de terrain ni même à leur mise en place effective. Une fois cela compris, on voit que la guerre contre le terrorisme est une entreprise impossible, et on comprend, ou du moins on le devrait, que si guerre il y a, elle a une autre cible, un autre but. Pour le dire simplement, il s'agit d'une guerre contre soi-même.
Il n'est pas très intéressant de coller des étiquettes sur les faits, il me semble de plus d'intérêt de voir comment les choses s'enchaînent. Le concept général de « lutte du Bien contre le Mal » ne décrit pas le processus réel tout en pointant une réalité en ce sens qu'on peut le paraphraser « lutte du Même contre le Même ». Il y a cette vieille blague soviétique : qu'est-ce que le capitalisme ? L'exploitation de l'Homme par l'Homme. Qu'est-ce que le communisme ? C'est le contraire. Tout est dit je crois. Laissons donc les étiquettes de côté et intéressons-nous aux enchaînements des faits.
Je ne vais pas aller plus loin que le siècle qui vient de s'écouler. Un siècle fort curieux. L'année 1917 marque le début d'une conversion qui va nous occuper pendant 70 ans, à quelque chose près. C'est l'année où le pouvoir mondial se déplace : pendant un siècle il n'y eut qu'un seul centre du monde, l'Europe centrale et occidentale, avec la constitution, vers le milieu de ce siècle, de deux puissances majeures, la France et le Royaume-Uni. On a du mal à s'en souvenir, disons, on le sait mais sans vraiment le comprendre, en 1870 le monde entier, excepté les Amériques et la Russie et, ici et là, quelques parties limitées, est dans l'un de ces empires ou sous son contrôle, et en Europe, dans l'un des deux camps. Sauf l'Italie, mais c'est un acteur secondaire, les Empires centraux mais ils sont en pleine crise, et censément l'Empire ottoman mais il est en pleine décomposition. 1970 est l'année du début de la fin, la première crise depuis 1816 opposant directement deux acteurs majeurs, la France et le tout nouvel Empire allemand reconstitué cette année-là par la Prusse. La France et le Royaume-Uni sont encore sur leur erre, donc poursuivent la constitution de leurs empires, finalisés vers 1885. Vingt ans plus tard, entre 1913 et 1917, a lieu une crise comme jamais vu depuis les guerres napoléoniennes, toutes les nations européennes entrent dans un conflit général dont le motif réel est de savoir qui est le chef, les deux principaux candidats étant la France et l'Allemagne. Le résultat est inattendu : en 1917 le « front de l'est » disparaît, la Russie se retire du conflit général pour s'occuper de ses propres problèmes, ce qui un court moment fait espérer à l'Allemagne une victoire éclatante. Malheureusement, ses adversaires vont peu après recevoir un appui massif et décisif, celui de tous les pays des Amériques et d'Océanie, et perdre de fait l'appui de l'Empire ottoman, lui aussi empêtré dans ses propres problèmes. Les Empires centraux ont quant à eux un problème définitif, leur centralité : sans appui à l'est, au nord, au sud ou à l'ouest, ils sont très faibles.
La suite est simple : l'Europe sort de cette guerre lessivée et, contre son gré, deux nouvelles puissances vont se constituer, les USA et l'URSS. Ça ne se fera pas d'un coup d'un seul, la nouvelle hégémonie mettra environ vingt ans à s'établir. Et cette fois, il y aura donc deux centres du monde. Bon mais, d'une fois l'autre les choses se déroulent de manière assez similaire, lors de la période France-Royaume-Uni, le moment de finalisation de leur imperium, de 1850 à 1885 en gros, est celui où les germes de la séquence à venir sont semés ; lors de la période USA-URSS, le moment de finalisation, entre 1948 et 1978 (etc.). Que dire ? C'est ainsi, personne ne souhaite subir une domination, les apparences sont souvent trompeuses, dans les deux camps les “alliés” n'ont pas vraiment envie de se soumettre à la puissance à laquelle ils se rattachent nominalement, d'autant qu'ils savent que ce n'est qu'un jeu de masques, que les supposés ennemis sont en réalité des alliés qui n'ont qu'un but immédiat, se partager le monde, reportant toujours une possible confrontation directe parce que la situation n'est jamais mûre, leurs alliés nominaux peu fiables, bref, malgré les apparences ça ne va pas si bien pour les puissances...
Parlant d'un jeu, il faut avoir la conscience que, contrairement à la fable courante, pendant la période 1917-1947 il n'y a pas d'opposition entre les USA et l'URSS, sans la première, la seconde aurait échoué dans l'établissement de son pouvoir, une cause non négligeable de la crise de 1929 aux États-Unis est liée au fait qu'ils ont soutenu la modernisation de l'URSS à fonds perdus entre 1921 et 1928, durant la NEP, la « nouvelle politique économique ». Par la suite, on peut lire les palinodies des deux puissances de 1932 à 1941 comme un projet commun pour définitivement affaiblir l'Europe, notamment en appuyant l'effort industriel et l'effort de guerre de l'Allemagne, en vue de provoquer un nouveau conflit européen général. Je ne dis pas que ces deux puissances ont proprement souhaité l'horreur nazie, juste qu'ils ont beaucoup aidé le régime à se consolider entre 1932 et 1939, ce qui leur a beaucoup coûté, notamment en vies humaines, entre 1941 et 1945 – quand on joue avec le feu, on risque fort de s'y brûler. Quoi qu'il en soit, par le fait l'hégémonie de ces deux puissances est réalisée en 1948. La suite apparaît largement une consolidation de ce nouvel ordre mondial.
La phase « islamisme radical » apparaît largement la mise en place d'une nouvelle séquence, liée à la fin prévisible de l'un des blocs. Pour diverses raisons, dont certaines restent à élucider, le bloc soviétique a, d'une certaine manière, commencé de quitter le jeu en cours, peut-être vers 1955, plus probablement entre 1960 et 1965. Bien que ce ne soit pas strictement cela, on peut se représenter la séquence longue en cours, qui commence alentour de 1450-1500, comme la lutte entre les Croyants et les Libertins. Au début de la séquence les Croyants figurent “le Bien”, ergo les Libertins sont “le Mal”. Le début de la séquence est arbitraire, le processus « la lutte du Bien contre le Mal » est permanent, il n'y a donc pas de solution de continuité, par contre il y a des moments de « conversion » qui sont liés à une modification profonde des modes de communication, ce qui concerne beaucoup de choses, surtout les voies, les moyens, les méthodes, les principes. On peut dire qu'à un instant donné les partisans du Bien veulent cacher quelque chose, que les partisans du Mal veulent révéler. On peut nommer la chose la Connaissance, en version longue, Connaissance du Bien et du Mal. Ce que veulent dissimuler les uns, et montrer les autres, est ce que dit explicitement ce récit symbolique sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal : connaître le Bien et le Mal ce n'est pas connaître deux choses mais en connaître une seule.
Dans la séquence en cours, on peut dire que les partisans du Mal ont gagné le jeu alentour de 1960, sinon que ça ne se passe pas aussi simplement, savoir qui a gagné ne suffit pas, de toute manière dans le jeu de la vie ce sont toujours les partisans du Mal qui gagnent mais le jeu, disons, se joue en un certain nombre de manches et il ne se termine vraiment qu'après la dernière manche. D'une certaine manière, les joueurs savent d'avance qui va gagner mais ne savent pas vraiment dans quel camp ils sont. La Connaissance étant conjointement connaissance du bien et du mal, comment séparer l'un de l'autre ? D'évidence c'est impossible. On peut dire que, d'une certaine manière, on peut discerner les choses mais non les séparer, et que ce discernement ne permet pas de déterminer ce qui est de l'ordre du bien et ce qui est de l'ordre du mal. Pour exemple, ce n'est pas le fait d'avoir mangé du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal qui fait qu'Ève et Adam sont mortels, par contre c'est ce qui les rend conscients du fait. La question est donc de savoir ce qui est le Mal dans cela : savoir qu'on est mortel ou l'ignorer ? Les partisans du Bien tendent à considérer que le mal est de le savoir, ceux du Mal que le mal est de l'ignorer. Un apparent paradoxe est que les partisans du Bien veulent maintenir les gens dans l'ignorance, donc dans le mal, ceux du Mal les faire accéder au savoir, donc les faire accéder au bien. Il y a pourtant une logique là-dedans : manger le fruit c'est connaître à la fois le bien et le mal, donc du point de vue des partisans d'un des camps, si on y accède par le côté opposé à celui qu'ils défendent c'est découvrir en dernier l'autre côté, ergo si on veut les amener au mal on les y conduit par le bien, et inversement. Tout ça est à la fois très symbolique et très réel, ça parle d'une spécificité humaine, la capacité d'atteindre à la connaissance, qu'on peut aussi nommer conscience. Je prends l'exemple de la mortalité car il est significatif : je pense que personne ne souhaite vraiment se savoir mortel or avoir conscience de soi et de sa vie c'est aussi être conscient de sa finitude, donc de la mort à venir.
Il y a tout de même un paradoxe dans cette histoire. Les partisans du Bien comme du Mal, ou du moins ceux d'entre eux qui dirigent, qui « montrent le chemin », savent comme moi ou comme les auteurs de la Genèse, ou comme toute personne consciente, qu'on ne sépare pas le bien et le mal, que l'un ne va pas sans l'autre, d'où, pourquoi prendre un parti ? Et bien, parce qu'ils ne le savent pas vraiment. Ou parce qu'ils ont un autre but.
Les espèces.
NOTE INCIDENTE. Dans la suite, j'utiliserai souvent des concepts, un vocabulaire et des textes venant de la Bible. Sauf mention, je me baserai sur la traduction française la plus admise, celle de Louis Segond, plus précisément celle dite Bible Segond 21, qui en est la version révisée la plus récente. Ma raison d'utiliser ces éléments est pragmatique, si j'ai des connaissances parfois étendues d'autres contextes, j'ai vécu pour l'essentiel de ma vie (53 ans sur 58) et continument depuis mes six ans, dans un contexte culturel « judéo-chrétien », donc j'ai une certaine aisance avec ces éléments, qui en valent d'autres, et qui sont de toute manière assez répandus. FIN DE LA NOTE
l'Humanité n'est pas un ensemble uni, elle se compose d'espèces. Leur nombre est infini (ou fini mais grand, on peut postuler qu'il y a autant d'espèces que d'individus) mais on peut cependant les regrouper en grands groupes. La question du nombre d'espèces est de longue date l'objet de bien des discussions, pour moi ça importe peu, on peut se limiter à une division en trois à sept espèces, considérant que cinq est un nombre suffisant pour décrire finement le processus général, considérant aussi que quel que soit le nombre (y compris zéro ou un, qui sont aussi envisageables) il y en a toujours une de plus, l'espèce humaine. Dans d'autres textes je fais des descriptions se basant sur trois espèces, c'est commode pour les récits d'orientation abstraite, pour un récit plus réalistes cinq ou sept sont préférables. Parlant de ça, l'espèce humaine est une abstraction, son extension dépend de la représentation du monde de chacun, pour un partisan du Front national par exemple, elle se limite en gros aux “vrais Français” voire moins, auxquels certains ajoutent les animaux de compagnie, du moins ceux des “vrais Français” ; pour un « écologiste profond » elle inclut toutes les espèces vivantes, animales ou autres, mais certains courants excluent une partie des humains stricto sensu au motif qu'ils sont “dénaturés”, donc non vivants, donc non humains. Les humanistes “intensifs” tendent à considérer que tous les humains forment l'Humanité mais ont parfois des critères qui en excluent certains humains considérés imparfaits, ceux “extensifs” incluent tous les humains et une partie des autres espèces, animales ou autres, ainsi qu'une partie de l'espace où ils agissent. Ici j'envisagerai l'Humanité comme un ensemble double, d'une part les individus généalogiquement liés, les humains stricto sensu, de l'autre les individus “non humains” capables de comprendre et parfois d'utiliser les langages humains de la manière dont les humains les comprennent et utilisent, et m'attacherai aux seuls humains capables de comprendre et utiliser ces langages, car ce sont les seuls qui participent au jeu que jouent les humains de manière active.
Les langages humains jouent un rôle important dans cette histoire, c'est par eux que l'on construit des représentations du monde et des sociétés, et c'est par eux qu'on fabrique les modèles de société qui permettent de déterminer une espèce. Donc, les espèces. Il y en a trois qu'on peut dire centrales, disons, “le peuple”, “les élites” et “les exclus”, et deux périphériques, “les bons” et “les méchants”. Les espèces centrales ne sont pas très nettement séparées, disons que chacune est un cas particulier des deux autres. Le mieux que l'on puisse dire est qu'en général “le peuple” en forme l'essentiel, qu'en cas de crise “les exclus” et “les élites” peuvent monter en proportion, et que le but général de l'espèce “les élites“ est de contribuer à faire des membres des deux autres groupes des élites. les autres espèces, “les bons” et “les méchants”, sont comme les fruits de l'arbre de la connaissance, les deux faces d'une même médaille. Ils se composent de deux sous-espèces, raison pourquoi on peut aussi utiliser une description à sept espèces mais fonctionnellement c'est non nécessaire, il s'agit surtout d'une question interne, en gros, savoir qui dirige dans chaque espèce, lesdits dirigeants étant considérés “d'une autre espèce”, précisément d'une espèce supérieure. Pour un observateur extérieur ça ne joue pas tellement, la manière de déterminer qui est supérieur et qui ne l'est pas étant aléatoire et soumise à révision, fait que la supériorité supposée d'un individu est toujours incertaine et précaire.
À la base, tous les humains savent que le bien et le mal ne sont pas séparables, car tous ont atteint à la conscience, ont comme on dit symboliquement « goûté le fruit de l'arbre de la connaissance » qui, pour mémoire, est la connaissance du bien et du mal. Les élites sont ceux de l'espèce qui prennent ça en compte. Vous connaissez la parabole du bon grain et de l'ivraie ? Je veux dire, la connaître vraiment, connaître le texte même. Elle se trouve dans les Évangiles, dans Matthieu, 13, 24-30. Voici :
[Jésus] leur proposa une autre parabole, et il dit : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l'ivraie parmi le blé, et s'en alla. Lorsque l'herbe eut poussé et donné du fruit, l'ivraie parut aussi. Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : Seigneur, n'as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ? Il leur répondit : C'est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent : Veux-tu que nous allions l'arracher ? Non, dit-il, de peur qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. Laissez croître ensemble l'un et l'autre jusqu'à la moisson, et, à l'époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d'abord l'ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier.
Ah la la ! Faire l'exégèse de ce texte me semble tellement inutile ! Bon ben c'est très simple : tant que “l'époque de la moisson” n'est pas advenue, on ne peut à coup sûr faire la différence entre le bon grain et l'ivraie, et le pourrait-on qu'on ne peut assurer qu'en arrachant l'une, on n'arrache pas l'autre parce que leurs racines sont trop liées. Il y a une autre raison, un membre de l'élite ne désespère jamais de convertir l'ivraie en bon grain, une parabole est une parabole, la réalité est autre, les humains ne sont pas des plantes et il y a souvent moyen de faire qu'une personne apparemment “perdue” ne le soit pas. Sans compter les cas ou une personne apparemment “sauvée” ne l'est pas. Bref, il est prudent de ne pas se précipiter, ce n'est qu'à la moisson qu'on peut avoir une idée à-peu-près juste de ce qui est bon grain et de ce qui est ivraie.
L'élite... La véritable élite n'est pas cet objet brillant qu'on nous montre comme tel, on peut aussi parler des élus, lesquels n'ont pas exactement la même perception de ce qu'est l'élection que ce qu'en dit souvent le discours public. Déjà, ils ont conscience que ce que dit la Bible à leur propos est assez vrai, ça tombe sur n'importe qui. Il existe un modèle de comportement qui, en théorie, favorise l'élection. En pratique c'est aléatoire. L'élu est la personne qui a la conscience intime qu'on ne peut séparer le Bien du Mal mais qui agira le plus souvent en faveur du Bien même en donnant l'apparence d'agir en faveur du Mal. Ce qui est assez logique : dès lors qu'on ne peut les séparer, agir pour l'un c'est en même temps agir pour l'autre. Il y a cependant une méthode pour avoir une action dans le monde qui va tendanciellement favoriser le Bien, qu'on peut décrire comme “être vrai”. Un élu sait une chose concernant la vérité, elle ne vaut que pour soi. Il n'existe pas de Vérité Universelle valable partout et pour tous, la vérité est contingente et valable pour soi seul. Cela dit, tous ceux qui en ont conscience, et bien, partagent la même vérité. C'est logique, là aussi, dès lors que je sais que la seule vérité qui m'est accessible est la mienne, nécessairement toute autre personne qui sait cela sait la même chose que moi, donc partage ma vérité, ou bien je partage la sienne, disons, elle et moi avons en commun une vérité commune à tous les élus, qu'on peut résumer en, « à chacun sa vérité ». C'est d'ailleurs une bonne façon de reconnaître un élu : dès lors qu'on s'accorde sur cette vérité et que cet accord est la clé pour qu'on s'harmonise sur le reste, qui est hors vérité, c'est un signe.
Exemple pratique, il y a peu j'ai écrit ceci à une correspondante, animatrice et productrice de radio :
Bonjour,
Et mes excuses pour mon précédent message, j'ai tendance (comme tout un chacun) à me prendre pour le Centre du Monde et à croire que les Messages qui me parviennent à travers l'Éther sont destinés à Moi Seul. Puis, après un temps plus ou moins long, je reviens à la réalité, je supprime les majuscules inutiles, je me dis, imbécile ! Tu crois vraiment que *** *** ne parle qu'à toi ? Et je réévalue mes opinions : peu importe que tu aies conscience que le supposé clivage gauche-droite est une vue de l'esprit, importe que pas mal de gens autour de toi le croient. Du fait, peu importe qu'on m'annonce la disparition de ce qui n'est pas, importe qu'on l'annonce à ceux qui y croient. Mes excuses de nouveau.
Amicalement.
Olivier Hammam.
Sa réponse fut simple, directe et plaisante :
Mais oui ! vous êtes le centre du monde, le vôtre en tout cas, et ça, ce n'est pas une vue de l'esprit...
Bien à vous
***
Très beau, très pur. J'adore l'ironie, il n'y a rien de plus vrai avec l'humour et la poésie.
Mon message illustre un autre trait des élus, qu'on peut nommer humilité. Ça ne consiste pas en se croire ou se montrer supérieur ou inférieur aux autres mais précisément à se placer à sa propre hauteur. Ont peut dire Vérité pour Bien et Erreur pour Mal. De même que le Bien et le Mal ne sont pas séparables, la Vérité et l'Erreur sont deux aspects d'une même chose. Pour continuer sur un discours bondieusard, on peut postuler que pour l'essentiel nous vivons dans l'Erreur. Ça découle directement du fait que la seule Vérité est personnelle, donc tout le reste est a priori Erreur. Erreur pour soi. Mais possiblement Vérité pour d'autres. Comme tout le monde, j'ai tendance à vouloir ou au moins à espérer que ma Vérité est partagée, donc en quelque manière universelle, donc je m'énerve facilement quand on assène ce qui me paraît une Vérité d'évidence, par exemple qu'on m'annonce la disparition de ce qui n'est pas. Où l'on voit le paradoxe : si quelque chose disparaît, c'est qu'avant cela elle était. Si le supposé clivage gauche-droite est une vue de l'esprit, c'est quelque chose, une chose que l'on peut donc décrire comme “une vue de l'esprit”. Il se trouve que pour beaucoup de gens, cette vue de l'esprit leur sert pour s'harmoniser avec leurs semblables.
L'humilité consiste à « se remettre à sa place », on peut parler de l'incorporation d'un précepte social intangible, que chacun reste à sa place, que chaque membre de la société occupe pleinement la place qui lui est assignée. On appelle aussi ça “se réaliser”. L'idée est simple, encore une fois – je suis un grand amateur d'idées simples, pour autant qu'elles ne soient pas simplistes –, ce qui n'induit pas que sa réalisation le soit : une bonne part des tropismes que je décris dans cette page et dans d'autres, et qui ont en commun de mettre un écart important entre la représentation que l'on a de la réalité et cette réalité même sont communs à tous. Je suis un être humain ordinaire, comme vous j'ai tendance à croire en un premier temps que le monde que je me représente est assez exact, il faut un certain effort et parfois un effort certain pour se dégager de cette tendance et interroger cette représentation immédiate et non réfléchie. Se remettre à sa place est donc ce processus, ça consiste à tenter, et parfois réussir, à voir le monde d'un autre point de vue que le sien propre. L'effet est donc de se remettre à sa propre hauteur, car quand on reste sur un point de vue solipsiste on a tendance à se placer plus haut ou plus bas que cette hauteur. Comme je le dis par ailleurs, « sa propre hauteur » est celle même de tous ses semblables, d'où l'intérêt de tenter d'adopter d'autres points de vue : on voit alors le monde à la bonne hauteur mais sous un autre angle. Une sorte de triangulation intellectuelle.
C'est un long labeur. Pour exemple deux « études » que je fis, pour la première en 2003 semble-t-il, sur « la loi de Moore », pour la seconde, une longue série, en 2004, sur « Milgram, la série ». Il y a beaucoup de scories là-dedans mais peu importe, ce qui compte est de chercher, chercher beaucoup, chercher encore, même si sur le coup, la première fois que je me lance dans l'étude d'un sujet, je raconte beaucoup de choses inexactes ou même fausses, du moins je fais ce travail de me documenter largement, de recueillir de nombreux points de vue. Par après, plus ou moins vite, ce travail documentaire fait son œuvre et, disons, me « réajuste », me permet d'avoir une appréciation plus mesurée, au double sens de moins grandiloquente (mon travers...) et de plus précise/ En gros, je n'ai pas un avis très différent sur le concept peu pertinent de “loi de Moore”, et autant de doutes sur la valeur d'exemplarité de l'expérience de Milgram telle que présentée le plus souvent (pour préciser, Stanley Milgram lui-même était beaucoup plus nuancé sur le sujet), par contre ce travail m'a permis d'élargir mon point de vue sur ces questions, et du fait, je suis désormais moins dogmatique à leur propos. Il existe un proverbe à la fois pertinent et idiot, « des goûts et des couleurs on ne discute pas ». Pertinent, parce que si l'on se limite à discuter de ça, on ne discute que de la surface des choses, idiot parce que la seule manière d'accéder au monde est la surface des choses.
Il m'arrive parfois de faire un numéro de cirque avec les esprits simples, « deviner leur pensée ». Je ne sais pas si vous avez déjà vu cette série, Mentalist, elle donne un bon aperçu des méthodes somme toute rudimentaires permettant, disons, de deviner les pensées d'un tiers, et de lui dire ce qu'il a fait récemment. Le principe général est de lui faire dire lui-même ce qu'on est censé deviner sans même qu'il s'en rende compte. Soit précisé, cette série est très intéressante pour permettre de comprendre comment un escroc parvient à ses fins mais tout autant pour apprendre comment devenir un escroc. Remarque incidente, comme beaucoup de séries elle perd de sa pertinence dans la durée, mon constat est que très souvent une série ne résiste pas au ronron plus de deux saisons, pour autant qu'elle ne ronronne pas dès le premier épisode. Il y a pas mal de raisons à ça mais peu importe, Mentalist est dans ce cas, dès la fin de la saison 2, plus encore à partir de la saison 3, elle devient une série très ordinaire où le secondaire devient principal. Je parle de ça rapport aux goûts et aux couleurs : la surface des choses est pleine d'enseignements pour qui sait la lire mais apporte peu d'informations si on se contente d'un seul point de vue. Le numéro de cirque dont je parle tire parti du fait que les gens ont des comportements assez stéréotypés, en réalité on ne devine aucune pensée, c'est impossible, on se contente de faire des conjectures sur les processus cognitifs probables d'une personne à partir de son apparence et son comportement, on lance quelques perches pour vérifier, et voilà, on « devine ses pensées », ou pour le dire plus justement, on devine un schéma cognitif prévisible.
Qu'est-ce que penser ?
Penser, ça n'existe pas. Personne ne pense. Cela dit par une personne presque incapable de ne pas penser. C'est une histoire de relation aux autres, à ses semblables : plus on est capable d'empathie, plus on « pense ». On peut dire que même seul j'entretiens des conversations, le plus souvent c'est une sorte de monologue intérieur mais il m'arrive assez régulièrement de (me) parler tout seul, de dialoguer avec moi-même ou de dialoguer avec un interlocuteur fictif et muet dont j'invente les répliques. On ne peut pas exactement dire que je le fais parler, c'est plutôt un schéma, je dis quelque chose et j'imagine sans la formuler clairement une réponse, qui me permet de relancer mon discours, de l'affiner. C'est quelque chose d'assez similaire à ce que fait un auteur, spécialement un auteur de sketch, et c'est plus ou moins ce que je fais au sens propre : “sketch” signifie en français “esquisse”, un sketch entièrement écrit n'est pas vraiment un sketch, c'est un récit, un monologue, un conte ou une pièce à un seul personnage, parfois deux ou trois (dans les années 1960 et 1970 il y a eu de nombreux duos ou trios comiques, il y en a encore mais moins)le vrai sketch, mais il y a des comiques qui en faisaient, quelques rares qui en font encore, est donc une esquisse, un canevas à partir duquel on improvise. C'est une chose que je pratique de longue date, dans mes années d'école et d'université, quand je faisais un exposé oral je ne rédigeais jamais, j'avais juste un canevas avec les titres des parties et sous-parties plus quelques notes pour des éléments à mentionner nécessairement et des données factuelles. J'improvisais. Bien sûr, avant ça je me rodais un peu, je répétais pour me mettre le texte en bouche et préparer des chevilles, si pour quelque raison j'étais en panne d'inspiration. C'est la méthode générale pour faire de l'improvisation, on conçoit un canevas, on a quelques idées pour passer d'un élément au suivant, on prépare quelques envolées plus travaillées et si on a une défaillance il y a tout un tas de formules toutes faites qui permettent d'y pallier avant le retrouver le chemin de, disons, l'inspiration. Cette description s'applique bien sûr à tout ce qui est de l'ordre du discours, ce qui inclut presque tous les arts, probablement tous, pour prendre un domaine que je connais bien comme auditeur, c'est ce que font les musiciens improvisateurs, ils vont partir sur un schéma connu, une structure de blues en huit ou douze mesures, un standard, une grille d'accords, à un instant donné un ou deux d'entre eux vont tenir la ligne directrice pendant que les autres feront des développements inédits et si à un moment ils sont en manque d'inspiration ou veulent embrayer sur une nouvelle série d'improvisations, ou terminer cette improvisation, ils vont « exposer le thème ».
Penser, ça ressemble à ça, si du moins on pense, disons, par soi-même. D'évidence, penser par soi-même ça n'a pas de sens, si je pense c'est avec les mots du langage dont je dispose, et sauf rares cas je n'en suis pas l'auteur, ergo je pense avec les mots des autres, les mots de tout le monde. Penser par soi-même consiste à organiser ces mots selon un schéma non prévisible pour tenter d'exprimer quelque chose d'inédit. Ça ne marche pas toujours et même, ça ne marche que très rarement. D'un sens je peux dire de moi que j'ai produit quelques rares choses inédites mais quand il m'arrive de me relire, force m'est de constater que malgré la grande abondance de mes écrits je me répète beaucoup. Ou du fait de cette abondance. Disons, je passe beaucoup de temps à affiner mes concepts, à les préciser, mais ce sont toujours les quatre ou cinq mêmes. Une part de mes écrits est de l'ordre de la critique ou de l'analyse, il n'y a pas beaucoup d'invention là-dedans mais souvent assez de pertinence, sans vouloir me hausser du col je pense être un assez bon observateur de la société. Une autre part est de l'ordre de la fiction et je dois dire qu'à mon grand regret ça ne vaut pas grand chose, il y a quelques textes intéressants mais rien de très brillant, c'est ainsi. Dans mon jeune temps, en gros entre huit et vingt-sept ans, principalement entre douze et dix-huit, j'ai écrit pas mal de poésie et le dans tas il y eut quelques perles parmi beaucoup de scories. Ça m'a quitté, à mon avis parce que je n'ai plus cette sorte de naïveté qui fait les bons poètes. Comme je ne suis pas du genre à persister dans l'erreur j'ai laissé tomber la poésie. Je crains bien que si je dois rester dans la mémoire de mes semblables ça sera pour mes rares concepts un peu originaux et, comment dire ? Ça ne me plaît qu'à moitié. Si même je reste dans la mémoire de mes semblables ça risque fort d'être au titre de philosophe ou pire, de penseur, et en plus de philosophe ou penseur de deuxième ou troisième rang. Avec de la chance j'aurai mon Platon qui transformera mes concepts et les dénaturera mais qui sculptera ma statue et me fera plus grand que je ne suis. Non que ce soit un sort enviable mais du moins, dans la paire Socrate-Platon, le clown blanc c'est Platon, l'auguste Socrate, et par le fait on se souvient toujours mieux de l'auguste.
Élucidation des espèces.
Dans les faits, dans la réalité observable, tous les humains sont égaux. Ce n'est pas un but ni un espoir, c'est : tous les semblables sont des semblables. Dans la réalité sociale il en va autrement, comme esquissé il y a une nécessité fonctionnelle à répartir les membres de la société dans des catégories plus ou moins spécialisées organisées hiérarchiquement. Une société est organisée comme un individu. Il y en a de tous types qui miment presque tous les types d'individus, sinon peut-être les virus, et encore, c'est à vérifier. Clairement, les modèles d'individus sont en nombre limité, du fait les modèles de société aussi. Il serait probablement intéressant de se pencher sur tous les cas mais je laisse ça à d'autres, je ne suis pas un penseur, bien plutôt un auteur d'intervention, je m'intéresse beaucoup plus au présent et au futur qu'au passé, même si tous les types de sociétés sont actuels, mon sujet sur ce site est plutôt l'avenir à court terme, du fait je vais parler du modèle de société le plus récent, imaginé et développé il y a quelques millénaires mais qui n'a commencé à se réaliser pleinement qu'au cours des cinq derniers siècles, le modèle humain.
C'est simple, une société de type “humain” est constituée comme un humain, avec une tête, un tronc, deux bras et deux jambes. Mes espèces correspondent, pour “les bons” à la tête, pour “les méchants” aux bras, pour “le peuple” au tronc, ”les exclus” et “les élites” figurant chacun une jambe. Cette organisation induit ceci : la tête dirige, les bras protègent, le tronc fait fonctionner l'organisme, les jambes le font avancer. Les méchants de mon histoire sont, au départ, méchants vers l'extérieur, pour mémoire il y a autant de mal que de bien en ce monde, raison pourquoi il faut se garder de l'extérieur. Une société est un phénix, elle connaît des cycles de vie avec une phase ascendante, un optimum puis une sénescence, enfin elle meurt en se consumant et peu après, renaît de ses cendres. Tout ça est certes symbolique mais en même temps effectif. Pour en finir provisoirement avec les images, le moment de la sénescence est celui où une société atteint les limites du monde. Et maintenant, du concret.
La question est donc celle de la communication et “les limites du monde” correspondent, à un instant donné, à l'extension maximale que peut atteindre une société sans qu'il y ait rupture de communication. Le groupe qui figure la tête constitue aussi le système nerveux. Pour que la société puisse fonctionner comme un seul individu il ne doit pas y avoir de solution de continuité entre ses diverses parties. Dans les faits il y en a mais selon le système de communication et l'organisation concrète de la société on peut tolérer une rupture plus ou moins longue entre deux « neurones ». La coordination entre les membres de la société repose sur ce qu'on peut appeler la confiance, il y a une sorte de contrat entre tous les membres selon lequel chacun s'engage à accomplir sa part de travail social selon ce qui lui sera requis et pour une durée minimale et maximale définie. les espèces périphériques posent cependant un problème : la tête parce qu'elle est la seule à réellement savoir comment les choses sont effectivement organisées et réalisées, les bras parce qu'ils détiennent la force, les jambes parce qu'elles sont improductives. Le corps aussi peut poser problème mais à un moindre degré, car ses membres peuvent tenter d'échapper au travail social, ou l'exécuter mal, ou demander une rémunération excessive. Dans la situation initiale il n'y a pas trop de problèmes, d'abord parce que « la confiance règne », dit autrement, comme le contrat social est tout neuf chacun le connaît et le comprend, ensuite parce que les fonctions ne sont pas attachées à des personnes, il y a une forte mobilité sociale et une spécialisation limitée, enfin parce qu'il y a des organes de régulation, le corps contrôle la tête et les bras, lesquels contrôlent les jambes qui contrôlent le corps. nominalement, les élites sont la part de la société chargée de la fonction “recherche et développement”, les exclus sont ceux qui s'occupent des arts, beaux-arts, arts appliqués et arts libéraux, les méchants sont ceux qui composent les forces de l'ordre, police et armée, enfin les bons sont l'exécutif en tant que gouvernement et qu'administration. Les organes de contrôle sont le législatif et le judiciaire. Cette description est contemporaine mais vaut comme modèle pour des organisations anciennes, spécialement pour celles qui formèrent des empires. On peut affiner mais du moins il y a deux grandes classes de sociétés larges, celles qui grandissent en intention, qui se développent sur elles-mêmes, et celle qui le font en extension, en conquérant leurs voisins. Je vais surtout m'intéresser aux secondes parce que d'une part je les connais de l'intérieur, de l'autre c'est actuellement le modèle implicite de la société qui m'intéresse le plus, la mienne, et la votre d'ailleurs, puisque cette société est l'humanité entière, cela de manière formelle depuis 1945 et la création de l'ONU.
Qu'elle soit en intention ou en extension, une société se trouve régulièrement confrontée au même problème, elle atteint ses limites. La conséquence est différente selon son modèle mais pour celui qui m'occupe ça signifie que son mode de progression, qui est formellement de type prédateur (elle “mange ses voisins”), va se faire désormais contre elle-même, elle devient autophage. En un premier temps le problème n'apparaît pas car durant son expansion elle a accumulé des ressources, puis vient le moment où elle les épuise. C'est le début de ce qu'on peut appeler la pénurie. Au début de cette phase, elle se constitue un ennemi extérieur, les territoires les plus récemment conquis, mais ça n'a qu'un temps et assez vite ces territoires sont épuisés, ou se renforcent, prennent leur autonomie et ne sont plus exploitables. Dans la période suivante elle s'invente un ennemi intérieur, disons, identifiable, les membres de la société qui ne sont pas les héritiers des premiers contractants. En fait, ils ne sont pas si identifiables que ça mais ça n'a pas trop d'importance à court terme. À moyen et long terme ça en a parce que de plus en plus de membres de la société deviennent des ennemis. À la fin, et bien, c'est la guerre de tous contre tous, ce qui ne dure pas très longtemps. La société meurt, puis elle renaît et repart pour un tour.
Encore une fois tout cela est largement symbolique mais en même temps effectif, je veux dire, dans la réalité réelle une large part des membres de la société ne meurt pas durant la phase autophage, ce qui se passe est plutôt la sécession de parts de plus en plus nombreuses de territoires. Bien sûr ça ne se passe pas sans heurts et ça fait malgré tout pas mal de morts mais moins que ne le dit ma description formelle du processus. Le problème central est celui déjà indiqué, dans la dernière phase le groupe censé diriger n'agit plus que pour lui-même et organise la pénurie mais comme son pouvoir repose sur l'organisation de la communication en faisant cela il détruit l'instrument de sa domination. Un problème nouveau est apparu il y a environ cinq siècles, cette fois-là, et bien, les limites du monde de la société la plus expansionniste du moment furent les réelles limites du monde. Depuis, on a tenté plusieurs fois de régler le problème autrement qu'auparavant mais ça n'a pas été évident. À quelque chose près, il y eut, entre 1460 environ et aujourd'hui, une crise importante par siècle, à quelque chose près. On peut situer les moments de conversion, en gros, en 1550, 1650, 1740, 1820, 1920, aujourd'hui. À quelque chose près, le germe de la conversion est semé vers le milieu de chaque phase entre deux conversions et comme dit, c'est une histoire de changement radical des modes de communication, l'idée générale est que vers le milieu de la phase il y a un nombre suffisant de membres des trois groupes sans pouvoir (tronc et jambes) maîtrisant le système de communication actuel pour commencer à mettre en place le suivant.
Le monde de la télécommunication.
Je ne vais pas préciser ça ici, je le fais d'en d'autres pages, celle-ci s'intéresse aux processus, non aux détails, en tous les cas l'Histoire qui nous concerne commence alentour de 1860. Durant un quart de siècle environ, les principaux éléments qui permettront la création d'un système mondial de télécommunication sont mis en place : du côté méthodes, la télégraphie et la téléphonie, l'enregistrement de sons et d'images en mouvement, du côté moyens les réseaux de production d'électricité, les câbles de communication intercontinentaux et quelques autres bricoles, à quoi s'ajoute la nette amélioration des voies et véhicules de transport sans quoi l'installation et le maintien des réseaux de communications n'auraient pas été trop envisageables. La finalisation de cette phase a lieu avec l'invention de la TSF, d'abord comme télégraphie sans fil puis comme téléphonie sans fil (en fait,la radio, mais on utilise souvent un nom existant pour des méthodes nouvelles) et le cinématographe, et pour les transports, bien sûr, l'aviation. La radio à proprement parler, c'est en 1920. La conversion de cette époque-là ne fut pas sans heurts, c'est le moins qu'on puisse dire, même si par ailleurs je discute de la qualification de première guerre mondiale et les dates de début et de fin, reste que la Grande Guerre dite de 1914-1918 a eu son contingent de tués, à quoi s'ajoutent les millions de morts de la pandémie de grippe qui suivit. Toujours est-il, en 1920 tout point du monde peut communiquer avec tout autre point en quelques secondes en théorie, en quelques minutes pour l'essentiel et au pire en quelques heures, et tout point est atteignable en quelques jours, sinon l'Océanie qui reste encore un peu isolée, sauf depuis l'Asie la plus orientale.
Le problème évoqué, le fait que vers 1500 les ultimes limites du monde sont atteintes, crée une situation inédite, cette fois-là : après 1920 il n'y eut pas de période d'expansion, ni vraiment de changement dans les groupes de pouvoir, sinon en Russie et, plus ou moins, en Chine. De ce fait, il y eut immédiatement la mise en place d'une organisation de la pénurie. On peut dire que, d'une certaine manière, la véritable conversion fut retardée pour n'avoir lieu que dans le lustre 1945-1950 mais là aussi d'une manière inédite puisque de nouveau le groupe au pouvoir parvint pour l'essentiel à se maintenir. Ce qui n'a bien sûr pas empêché la mise en place des structures du prochain système de communication.
L'univers de la télécommunication.
Ai-je besoin de détailler les éléments de la phase en cours ? En tous les cas, le dernier élément est mis en place en 1962, avec le premier satellite de télécommunication. J'appelle ça « univers de la télécommunication » en ce sens qu'à partir de cette date tout ce qui permit la création d'un système d'information et de communication indestructible et toujours disponible est présent. Le système de télécommunication universel est finalisé vers 1990, et totalement fonctionnel vers 2005. Reste un dernier problème à régler : le rendre vraiment disponible, donc faire cesser l'organisation de la pénurie.
Voici le contexte : tel que réalisé, le réseau universel de télécommunication est de fait un réseau. Pour un pays comme la France, même dans le village de mes parents et ses environ 1.300 habitants, à où je suis et où j'ai cinq voisins à portée de Wifi, dans la journée j'ai selon les heures trois ou quatre réseaux disponibles, dont le mien (en fait j'en ai plus car chacun des points de connexion compte, selon le fournisseur d'accès, un à trois réseaux). La logique voudrait précisément que je n'aie pas besoin de fournisseur d'accès, qui est très loin de chez moi, et que je communique sur le réseau en point à point; d'une maille du réseau à l'autre. On a donc une architecture étrange qui fait que le système est organisé en toile d'araignée alors que la structure est en réseau. Et il y a bien d'autres choses étranges, par exemple le fait qu'on veuille installer un peu partout des réseaux en fibre optique alors qu'en utilisant le réseau électrique existant on obtient un débit à peine inférieur, ou qu'en installant des relais Wifi qui profiteraient du réseau d'antennes-relais de la téléphonie on obtiendrait là aussi des débits à peine inférieurs. La raison de tout ça est simple, et c'est toujours la même : le contrôle de la communication. Étant démocrate, je dis que celui qui doit contrôler la communication est le citoyen, et non le patron du FAI. Ou le patron France-Télécom/Orange, ou le ministre des télécommunications, ou son administration. Étant libéral, je dis que la liberté est le premier droit du citoyen, et non la sécurité qui, de toute manière n'est pas un droit du citoyen mais un devoir du dirigeant, le droit est celui de la sûreté, qui est presque inverse de la sécurité, même si les deux mots ont la même racine. La sûreté n'est pas la sécurité, une affaire de police, il s'agit de la sûreté des droits, qui est une affaire de liberté et d'égalité, car « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », et non pas égaux en droit. Regrettable que des malotrus se soient emparés du mot « libéralisme » pour en faire un synonyme de « capitalisme », le vrai libéral n'aime pas les chefs, ceux qui se croient “à la tête” de quoi que ce soit.
Le projet à venir est donc le suivant : puisque nous disposons de la capacité de restaurer un fonctionnement de la société en réseau, pourquoi se priver de le faire ?