J'avais composé en mon esprit, et commencé à verbaliser, sous la forme de ce qu'on nomme aujourd'hui un standup, qui est simplement une saynète sur canevas, donc en interaction avec le public, le sujet de ce texte. Mais savez-vous ? Parler n'est pas écrire, et ce que j'imagine est toujours de la parole, de l'oralité. Je ne suis pas un écrivain. Certes je suis un auteur mais non un écrivain. Quelqu'un comme Guy de Maupassant était capable de composer en esprit un texte, et plusieurs de ses contemporains racontent sa capacité rare à se mettre à sa table d'écrivain après une journée au ministère où il travaillait, et à rédiger d'un trait et sans ratures un texte fini, un conte qui pouvait avoir une longueur non négligeable. Moi non, je ne peux pas faire une chose de ce genre, écrire pour moi est un pensum, une peine, un travail, non un loisir, ni même une œuvre. J'écris par nécessité mais sans goût et sans visée particulière, d'abord pour moi, pour mettre de l'ordre dans mes idées, ensuite pour quiconque mais sans croire ni prétendre que ce que j'écris ait quelque valeur sinon pour moi et seulement quand je rédige. Bien sûr, quand je me relis (de loin en loin) je ne trouve pas ça trop déplaisant mais je ne suis pas le meilleur juge en cela, le rédacteur de ces textes a une manière de penser qui me convient, et pour cause smile Par contre je ne vois qu'imperfection dans la forme.

Voilà qui je suis à titre personnel et dans cet aspect restreint de moi, “l'auteur”, mais dans le cadre de ce texte mon sujet est celui de la petite phrase introductive : je suis vous. Un auteur que j'aime bien a dit cette chose très juste, « Je est un autre ». Juste mais incomplète, car “tu” est “un autre”, “il” est “un autre”, “nous” est “un autre”, “vous” est “un autre”, “ils” est “un autre”, quelle que soit la manière de nommer un autre, singulier ou pluriel, sans le nommer, de le désigner par rapport à soi, pour cet autre la désignation est réciproque, “un autre” est “un autre”. Je suis un autre que le Je que vous êtes à vous même, le vous est pour vous un autre que le vous est pour moi, très clairement, si nous sommes ensemble, parlant en votre nom vous direz “je (ceci)”, “je (cela)” et de même de mon côté. Je suis vous d'une autre manière : nous sommes des semblables.

La similarité n'est pas l'exacte ressemblance, nous ne sommes probablement pas des clones l'un de l'autre, d'autant si vous êtes une femme, mais serait-ce le cas que ça ne changerait rien, il existe une et une seule personne qui est exactement moi, c'est moi. Les jumeaux monozygotes illustrent le fait, issus d'une même cellule initiale ils sont exactement les mêmes d'un point de vue génétique et pourtant différents, ils n'ont pas exactement le même nombre de cellules au même moment, n'ont pas exactement les mêmes synapses, etc. Nous sommes différents et pourtant semblables. Il y a la même indétermination en grec qu'en français, quand Odyssée dit au cyclope « mon nom est personne » il dit à la fois je ne suis rien et je suis quelqu'un. Vous et moi sommes des personnes. Vous et moi savons que nous ne sommes pas nulle chose ou nul être, vous et moi ne savons probablement rien l'un de l'autre. Ce qui nous relie est cette capacité, moi d'écrire ce texte et vous de le lire. Mais nous sommes interchangeables, vous pourriez écrire un tel texte et moi le lire.

Ce qui m'amène à l'autre proposition, je fais ce que vous faites. Si vous et moi communiquons par l'entremise de ce texte alors nous faisons la même chose, communiquer. Que ce soit direct (échange oral, clavardage...) ou indirect comme ici ne change rien, communiquer n'est pas une action à sens unique, il faut être au moins deux pour le faire.

Voilà qui je suis et ce que je fais.