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La démocratie, comment la définir au plus simple ? Pas évident, pour sûr. Il me semble que les deux premiers articles de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (modifiée en 1791), en donnent l'essence :
Article premier - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.
Il est bon, aussi, de mentionner ce passage du préambule de 1793 à ce texte, fait
afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l’objet de sa mission.
Aujourd'hui on parlerait plus justement d'humain que d'homme, et au pluriel. Passons. La version de la Déclaration retenue par la V° République est celle de 1791, pour le texte celle de 1789 sinon que cette année-là, suite à la promulgation de la nouvelle Constitution, formant son préambule elle acquiert valeur constitutionnelle. La version de 1793 est, disons, “idéaliste” et contingente (en rapport avec le raccourcissement récent de Louis XVI et les premières guerres de la Révolution, extérieures comme intérieures) et, dira-t-on, peu démocratique dans ses termes1
Le cœur de la démocratie me semble la première phrase, « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », la suivante indiquant le moyen de maintenir cela, qu'une inégalité soit attachée aux fonctions, non aux individus : un citoyen sera donc “distingué” par la société par ce qu'il fait, non ce qu'il est. Le passage cité du préambule précise la séparation entre droits et devoirs : les premiers concernent la personne physique, le citoyen, les seconds la personne morale, l'être social qui peut s'incarner dans un individu ou dans un groupe, qui n'a de droits que par délégation, celle que lui donne la société dans l'accomplissement de sa fonction sociale. L'article 2 énonce les droits “imprescriptibles” par paires en partie contradictoires : la propriété est à la fois la condition et la limite de la liberté, la sûreté requiert l'existence d'institutions qui la garantissent mais qui risquent, par des causes internes ou externes, de dériver vers ce qu'on nommait à l'époque le despotisme, rendant alors nécessaire la résistance à l'oppression.
Quel rapport, me direz-vous, entre la démocratie, les spectres et les nuages ? Et bien, en premier il faut considérer que tout ce qui a rapport à la société concerne la démocratie, que la société soit ou non démocratique, en second, ce spectre qui hante les nuages est dans mon actualité, en ce 5 janvier 2018 où j'ai commencé la rédaction de ce texte, Spectre est le nom d'une nouvelle “faille de sécurité informatique”, et les nuages, et bien, c'est ce que l'on nomme en bon français le cloud computing, la “programmation nuageuse”. Cette faille a semble-t-il un caractère inédit (en fait non, j'en reparlerai) car jusque-là ces “failles” concernaient le logiciel, cette fois elle concerne le matériel et pas n'importe lequel mais le cœur même de tout matériel informatique ou informatisé, le processeur.
La faille, un fait de nature – et de culture.
Plus le temps passe, plus la séparation que font certaines sociétés entre nature et culture, ou entre inné et acquis, devient de moins en moins fonctionnelle. On peut certes établir une opposition entre deux ensembles de comportements, disons, ceux sus et ceux appris, savoir si c'est de l'ordre de la nature ou de la culture, de l'inné ou de l'acquis, est indécidable. Si l'on prend l'espèce humaine par exemple, elle se révèle capable de langage articulé, cela en ses membres, ce dont sont incapables les autres espèces animales mais dont certaines machines sont capables. Ces faits laissent à penser sur l'inné et l'acquis : la capacité de langage est innée chez les animaux, acquise chez les machines ; la réalisation du langage articulé st toujours de l'ordre de l'acquis, preuve en est que certaines machines, qui ne possèdent aucun langage de manière innée peuvent en acquérir un, et même plusieurs, alors qu'un humain qui n'est pas soumis à une période cruciale (entre sa naissance et même un peu avant et ses six ou sept ans environ) à un environnement humain et à un “bain langagier” sera incapable de l'acquérir par après.
Les machines sont par définition des objets humains, raison pourquoi elles peuvent acquérir des fonctions ou des comportements humains. Sur un plan, une machine et plus largement, un “artéfact”, soit, pour reprendre une acception reprise dans l'article mis en lien du TLF, celle originale du mot anglais, « ce qui est réalisé par l'homme, produit artificiel », un “objet fait par art”, pensé par un esprit humain et fabriqué de main humaine, un objet ou un état (cf. l'acception biologique d’« altération d'une structure biologique sous l'effet de réactifs ») qui, pour exister, doit être conçu et réalisé volontairement par un humain, un artéfact donc, est “non naturel”. On parle parfois d'artéfacts pour des objets utilisés ou réalisés par d'autres espèces comme outils ou états, ce qui me semble abusif, sinon peut-être pour certaines espèces d'oiseaux2. Passons. Cependant, cette capacité de réaliser des artéfacts est “dans la nature des humains”, tout humain “humanisé”, c'est-à-dire ayant acquis les comportements propres aux humains dans le cadre des sociétés humaines et dans ce seul cadre, est capable de concevoir et réaliser des artéfacts, qui tantôt reproduisent des artéfacts existants, tantôt sont inédits, dans tous les cas sont des extensions des humains.
Les rêves des “transhumains” et des “post-humains” sont doublement idiots, d'abord parce qu'irréalisables dans la forme qu'ils envisagent, ensuite parce que c'est la pratique la plus habituelle des humains que de faire du transhumanisme et du post-humanisme, sinon que le but général n'est pas de “dépasser l'humain” mais d'aller vers toujours plus d'humanité. Non que le désir de “dépasser les limites” n'existe de longue date, ni que les rêveries trans- et post-humanistes ne soient elles aussi anciennes, avec ce petit problème que les processus du genre prôné par les post- et transhumanistes n'ont jamais débouché sur un plus d'humanité. Ce qui est somme toute logique puisque le but est précisément de “dépasser l'humanité”. On peut décrire la chose comme une division des membres de l'espèce en trois groupes, les “humains”, les “sous-humains” et les “sur-humains”. Formellement, c'est le modèle social commun dans les sociétés hiérarchisées, il y a ceux qui dirigent, ceux qui exécutent et ceux qui règnent, la différence entre les sociétés, disons, de pairs et celles de castes, étant que dans celles de pairs ces positions sont attachées aux fonctions, dans celles de castes, aux personnes : en France par exemple, toute fonction sociale est ouverte à tout citoyen, qui l'occupera par sélection au mérite dans les fonctions requérant des compétences particulières ou par choix stochastique dans les autres cas3 ; en Inde, appartenir à telle caste, aux États-Unis appartenir à telle “race”, réduit ou contingente cette possibilité de se voir choisi par son mérite ou par le hasard. Bien sûr c'est assez théorique, en France, et même dans les périodes plus nettement républicaines et démocratique qu'en ce 9 janvier 2017, il n'y a jamais eu d'égalité totale des chances, malgré tout ça reste envisageable. Le rêve transhumaniste est très nettement un rêve de partisans des sociétés de castes en ce sens que pour entrer dans le groupe des “sur-humains” il n'y a qu'un moyen, appartenir au groupe qui dirige, puisque pour, disons, “devenir éternel”, il n'y a qu'une méthode, disposer d'un stock de “pièces détachées” donc d'un stock d'humains, précisément de “sous-humains”, et des moyens sociaux d'en disposer, qu'on soit les maîtres ou qu'on dispose plus qu'a sa mesure de ce qui représente les ressources sociales.
Même si cette question de post- et trans-humanisme a un rapport à notre sujet, Passons aussi là-dessus pour revenir à lui plus directement. Un artéfact est non naturel car créé par un individu d'une certaine espèce qui apprit longuement auprès d'autres membres de son espèce les méthodes et moyens d'en réaliser. Mais comme dit, seuls les membres de quelques espèces se révèlent capables de cela, en tout premier les humains. En contraste, un humain ne vivant pas durant une période cruciale dans un environnement spécifique (au sens exact du terme, un environnement propre à une certaine espèce, la sienne) ne sera pas capable de réaliser de sa propre initiative des artéfacts du type propre aux humains, en tout premier il ne sera pas capable de concrétiser le plus important de tous ces artéfacts, le langage articulé. Du fait, peut-on tenir que cette capacité apparemment innée l'est vraiment ? Je veux dire : la capacité de réaliser des artéfacts est-elle un trait des individus, ou de l'espèce, ou d'un être qui n'est ni l'individu ni l'espèce mais qui se réalise par l'espèce et à travers ses individus, pour autant qu'ils participent de cet être ? Mmm.... Ça commence à ressembler fâcheusement à de la bondieuserie, ou de la maldieuserie, disons, de la dieuserie, bonne ou mauvaise. C'est un des grands problèmes pour les prophètes, je me le disais un peu plus tôt ce jour, et bien des fois auparavant, difficile pour eux d'échapper à la dieuserie...
Excursus : les prophètes.
Qu'est-ce qu'un prophète ? Une personne qui dit la vérité. Et savez-vous ? Rien de plus difficile à croire et à comprendre que la vérité. Bientôt 60 ans de vie et j'ai toujours bien du mal à la discerner. Je l'évoquais dans un ou deux autres textes sans m'y attarder, je suis une sorte de prophète, donc je parle en connaissance de cause : un prophète est un humain comme les autres, un humain des plus ordinaires, sauf en ceci, il a compris la littéralité, l'exactitude, la vérité, la seule vraie vérité de ce propos, à l'origine était le verbe. Dès lors que l'on a compris ceci, la réalité n'est ce qu'elle est que par le verbe, les choses deviennent plus simples. Ça ne signifie nullement que sans le verbe les choses ne seraient pas, sinon bien sûr celles qui ne peuvent être que par le verbe, les artéfacts, mais par la plus grande évidence la seule véritable façon de comprendre les choses, en premier celles qu'on ne connaît pas d'autre manière, est de les dire, de les nommer et de les décrire. Cette très ancienne opposition entre les nominalistes et les réalistes n'a de ce point de vue guère de sens, les deux positions, celle nominaliste qui pose, en gros, à la fois que les choses ne sont que quand on les nomme mais qu'il n'y a pas de lien réel entre le mot et la chose, et celle réaliste qui pose que les choses et les mots ont une réalité indépendante des êtres, et qu'il y a donc, par nécessité, un lien réel entre le mot et la chose, ne s'opposent pas mais se complètent, c'est simplement deux points de vue sur un même objet.
J'avais esquissé un texte sur les philosophes et les géomètres, et discuté de ces catégories dans deux ou trois autres. J'en dis que les philosophes sont des idéalistes, les géomètres des matérialistes. Or, cette opposition est artificielle, les philosophes sont des sortes de géomètres et les géomètres des sortes de philosophes. D'ailleurs, la sentence censée être au fronton de l'Académie platonicienne, « Nul n'entre ici s'il n'est géomètre », dont mon usage de ces termes dérive, montre que pour les philosophes antiques (autant qu'on sache, cette sentence fut énoncée au plus tard à la fin du III° ou au début du IV° siècle de notre ère) si les géomètres n'étaient pas tous philosophes, les philosophes étaient ou auraient du être tous géomètres. Les philosophes-géomètres étant tantôt nominalistes, tantôt réalistes, et ces dénominations étant trompeuses (les nominalistes ne s'intéressent guère aux noms, les réalistes s'intéressent fort peu au réel), je les ai séparés pour désigner ce qui intéresse proprement les nominalistes-géomètres, les faits, et les réalistes-philosophes, les idées. Le tout pour dire que je n'aime guère les philosophes et me méfie des géomètres. Pour moi, il y a une division plus fonctionnelle, les idéalistes, qui sont donc nommés philosophes, les matérialistes, dits chez moi géomètres, et les réalistes, qu'on peut nommer comme on veut, chez moi réalistes le plus souvent, mais on peut aussi dire des prophètes quand ils savent ce qui les fait réalistes, ou des rats, quand ils savent quel jeu ils jouent, ou tout autre nom, parce que le mot ou la chose importent peu, seul compte le réel.
Prophétiser n'est guère compliqué. Prenez un cas que je traite par ailleurs, dit communément “l'expérience de Milgram”, une manière de réduire cette expérience en l'isolant de son cadre conceptuel, que lui-même décrit comme « une expérience simple réalisée à l'université de Yale afin d'analyser avec précision l'acte d'obéissance »4. J'en parle, parce que j'ai beaucoup discuté de l'expérience en question, en partie pour elle-même, le plus souvent pour parler de ce qu'on dit d'elle. La part prophétique de mes discussions sur ce sujet, et bien, c'est précisément de tenter de discerner la part de réalité dans les discours sur cette expérience. Jusqu'à récemment, pour être précis, jusqu'à ces derniers jours, plus spécialement les trois derniers (donc, du 8 au 10 janvier 2018), j'avais pour l'essentiel une connaissance indirecte de l'expérience, même à partir de textes produits par Milgram, puisqu'il ne s'agissait que de comptes-rendus partiels rédigés et publiés avant qu'il eut le temps, pendant un an, de rédiger, avec l'aide de son épouse, Alexandra Menkin, dite Sasha, un texte qui aille au-delà d'un compte-rendu plus ou moins élaboré et de généralités plus ou moins étayées sur les leçons à tirer de l'expérience. Lisant le texte de Milgram, je peux constater que ma propre analyse des leçons à en tirer va dans le même sens que la sienne et diverge fortement de la leçon la plus communément retenue, celle décrite un peu à la serpe dans le résumé de son article « Milgram travesti », mais plus élaboré par la suite, par l'universitaire Charlotte Lacoste :
L’expérience de Milgram sert aujourd’hui de caution scientifique aux tenants de la mauvaiseté naturelle de l’espèce humaine : l’homme s’abstient de brutaliser son prochain tant que la société l’en empêche, mais dès qu’elle lève les interdits, le nazi en lui reprend le dessus et c’est le meurtre généralisé.
Disons que la leçon la plus courante est le supposé constat d'une propension des humains à faire le mal, l'autre leçon, parfois combinée à la première, étant la supposée propension de ces humains à consentir à tout, même au pire, à “obéir” ou à “se soumettre”. Il faut dire que le titre du livre, La Soumission à l'autorité, comme le résultat le plus mis en valeur, y induisent : la majeure partie des commentateurs se contentant de ce titre et d'analyses déjà produites5 qui ne relèvent que le résultat supposé princeps, ou ne tiennent pas compte des autres résultants même s'ils les mentionnent, on se retrouve avec une grande masse de commentaires très conformistes et très répétitifs sur ces deux supposées leçons.
Découvrant le livre de Milgram, je constate donc une certaine concordance entre mes analyses et les siennes, or j'ai produit celles-ci entre 2004 et 2007, une époque où j'avais assez peu d'éléments sur l'expérience et sur ce qu'en disait Milgram et en revanche beaucoup d'éléments sur les deux leçons habituelles. C'est ça, le travail d'un réaliste : ne pas rester à la surface des choses. Et c'est ça, le travail d'un prophète : voir ce que masquent les mots.
Fin de l'excursus.
L'inné et l'acquis sont dans un bateau...
...Et tous les deux tombent à l'eau. Ces deux notions n'ont de sens que si l'on accepte les notions de nature et de culture en tant que paire opposée. Or, tout ce qui est dans la nature est naturel, et les humains sont dans la nature, leurs sociétés aussi, bref, tout ce qui est entité vivante singulière ou collective participe de la nature. Ce propos n'induit pas qu'il n'existe une chose qu'on peut désigner “nature” et une chose qu'on peut nommer “culture” : quoi qu'elles soient, la culture ne s'oppose pas à la nature mais en découle. Ce que dit là ressort du lieu commun, et c'est bien le problème : pour vrai que soit un lieu commun, et beaucoup sont vrais, leur caractère d'évidence masque la réalité derrière la vérité, on voit le doigt mais on ne voit pas ce qu'il pointe. En la circonstance, chacun peut convenir qu'en effet, les humains sont des “êtres de nature” mais l'opposition entre nature et culture est tellement enracinée en soi qu'on n'en tire pas la conclusion qui s'impose : la culture est un moment de la nature, et non une chose séparée d'elle. Dès lors, les modifications que les humains produisent sur la nature ne s'opposent pas à elle mais y participent.
Cette nouvelle fable pseudo-scientifique de l'“anthropocène” est intéressante de ce point de vue : d'un sens elle rend compte d'un fait tangible et désormais indubitable, et en cela ressort de la science, depuis l'apparition des humains en tant que tels il y a quelques temps (en gros, 500 millénaires à trois ou quatre millions d'années) ils ont considérablement modifié leur environnement, et leur action marque la géologie de diverses manières (pour exemple et depuis un temps assez récent, celui des activités du nucléaire, les nouvelles couches géologiques tracent l'augmentation du taux moyen de radioactivité dont ils sont cause) ; en tant que lieu commun le terme perd en pertinence en ce sens que, pour ceux qui ne sont pas en état de considérer la notion en ce qu'elle dit réellement, il y a séparation entre le fait et sa compréhension. Le fait est que les humains sont les agents naturels d'un changement dans les équilibres écologiques au niveau de la biosphère comme à celui de chaque écosystème, du plus restreint au plus large (en un sens, on peut considérer la biosphère même comme le plus vaste des écosystèmes). La compréhension commune est plutôt que les humains agissent sur la nature, les écosystèmes, la biosphère, et non qu'ils agissent dans la biosphère, les écosystèmes, la nature. Dès lors, toute solution des problèmes immédiats pesant sur le futur de l'espèce, qui semble devoir être assez catastrophique si les humains continuent d'agir comme ils agissent ces derniers temps (spécialement au cours des derniers siècles mais déjà depuis quelques millénaires), partant de l'hypothèse qu'ils vont “corriger les écosystèmes” et jusqu'à la biosphère, ne peut fonctionner. L'hypothèse la plus vraisemblable est plutôt qu'ils changent de comportement plutôt que de tenter de corriger leur action en l'augmentant...
Le principal problème dans tout ça est cette fausse perception de l'évolution des sociétés, vue globalement comme une sorte de progrès continu et, paradoxalement, “naturel”, puisque précisément on considère en général que cette évolution est un gain en “niveau culturel”. Or, l'Histoire et même la préhistoire des humains est une longue suite d'erreurs, d'impasses, de régressions autant que de progressions. On peut décrire la chose ainsi : après une phase de régression, parfois longue, tel “écosystème humain” s'effondre pour la raison même que les membres humains de cet écosystème tendent à analyser cette régression comme une insuffisance de, dans leur contexte, “culture”, alors que la cause fondamentale est inverse, et tentent de corriger la chose par plus de “culture” ; après effondrement et bien, ça repart, un nouvel écosystème s'établit qui, au départ, permet une nouvelle progression, puis il y a un plateau, qui est l'indice qu'il faudrait changer de mode de “culture” mais qu'on va en général tenter de corriger par la même action en plus gros, ce qui induit la régression du système, et à la fin, l'effondrement. J'entends beaucoup de gens parler abusivement d'écosystème à propos de tout et de n'importe quoi, de l'économie de marché à la recherche en informatique en passant par les systèmes politiques, les crèches ou la circulation automobile à Paris, non que ce ne soit pas des écosystèmes mais parce que ces personnes utilisent le terme comme une métaphore, et, constatant des dysfonctionnements, ont beaucoup de mal à comprendre que, comme pour tout écosystème, le déséquilibre a toujours une cause interne.
Les sociétés humaines comme écosystèmes.
Comme écosystèmes ou parties d'écosystèmes. Factuellement, depuis environ deux siècles toute l'humanité participe d'une seule société, formellement le fait n'a été accepté que dans la première moitié du XX° siècle (la date de première tentative de formalisation est la création de la SDN mais le vrai début est plutôt le moment de la création de l'ONU), effectivement, et bien, on fait comme dans la plupart des cas précédents et on attend que la réalité nous signale la chose en provoquant l'effondrement de l'écosystème. Bien sûr, ce sont les agents même de cet écosystème qui vont provoquer cet effondrement, en premier les humains et leurs sociétés, autant que je sache la réalité n'attend rien, si elle a des organes de perception (ce dont je doute fort) elle voit passer le train du progrès et constate qu'il se dirige vers une voie sans issue, voilà tout.
Comme lecteur j'aime assez la rhétorique, comme auteur moins, ce qui ne m'empêche d'en user (voir l'alinéa précédent). Les sociétés humaines sont des écosystèmes ou participent d'un écosystème, voilà un fait incontournable. Ça commence par les individus : comme tous les organismes (c.-à-d., les être pluricellulaires organisés, composés d'organes), ils dépendent d'autres êtres pour leur survie, cela non en tant que nourriture mais en tant que symbiotes, tous les organismes dépendent de bactéries, soit pour digérer, soit pour respirer, soit pour ces deux fonctions vitales. Un humain compte autant de bactéries qu'il compte de cellules. Un organisme est une forme d'écosystème en soi, c'est même une super-écosystème, on peut presque dire qu'il forme une sorte de biosphère, un système globalement fermé et homéostatique. Bien sûr, contrairement à la biosphère globale il a une durée de vie brève – autant qu'on puisse le prévoir, sauf circonstance catastrophique vraiment très improbable, genre rencontre de la planète avec un corps suffisamment massif pour la pulvériser, la vie devrait s'y maintenir presque aussi longtemps que durera le soleil avant de tourner géante rouge, soit plus de cinq milliards d'années, ce qui n'induit pas que les humains dureront autant – et ne peut donc être strictement considéré former une biosphère mais, durant sa brève existence, y ressemble assez. Ces individus sont inscrits dans des écosystèmes locaux, eux-mêmes inscrits dans des systèmes plus larges, et ainsi de suite jusqu'à la biosphère.
Du point de vue des acteurs, le plus rudimentaire comme le plus complexe, un écosystème est globalement fermé ; d'un point de vue extérieur ça n'est pas le cas, le seul système vraiment fermé6 est la biosphère (pour mentionner la note, à long terme la biosphère aussi est guettée par l'entropie mais, sauf catastrophe, ça sera dans très, très longtemps, au-delà même de l'espérance de vie de l'espèce humaine7. Malgré la dernière note je considère la notion d'espèce humaine vraie même si sa réalité est indécidable, parce que je constate les humains, je me constate, je vous constate. Ce que je constate aussi, cette fois sur le plan de la réalité, non de la vérité, est l'inconsistance de l'opposition nature / culture : la vie ne s'oppose pas à la “non-vie” mais est un cas particulier de l'interaction énergie-matière, la nature est un cas particulier de la vie, la culture est un cas particulier de la nature. Je ne suis pas très intéressé par la question des origines, pour quoi que ce soit. Comme exposé, vouloir dater “les origines de l'humanité” me semble une œuvre vaine si du moins je la juge utile ; de même, savoir si la vie est apparue sur la Terre de manière locale ou par je ne sais quel “ensemencement stellaire” n'est pas d'une grande importance, une chose est certaine, il y a plus de 4,567 milliards d'années il n'y avait pas de vie sur la Terre parce que la Terre n'existait pas, une autre chose est certaine, la vie telle qu'elle existe actuellement a démarré il y a environ quatre milliards d'années (probable que ça ait commencé un peu plus tôt mais on n'en a pas – ou pas encore – de traces, certain que ça n'a pas commencé beaucoup plus tôt parce que les conditions ne s'y prêtaient pas – trop de chaleur et de radioactivité). Qu'elle soit d'origine terrestre ou extra-terrestre n'a pas d'importance pour la raison simple que son développement ultérieur est nécessairement terrestre, y compris s'il y eut de possibles apports extra-terrestres par après. Pour faire une comparaison, avant l'arrivée des premiers humains en Australie, il y a environ 50.000 ans, et bien, il n'y avait pas d'humains en Australie, donc tous les humains d'Australie sont “extra-Australiens” ; une fois sur place ce sont des Australiens parce que leur continuation et leur évolution est locale ; entre ces débuts et la fin du XVIII° siècle, le peuplement principal est autochtone et de ce fait, les apports exogènes doivent s'insérer dans l'écosystème humain local, en le modifiant certes mais marginalement ; à partir de 1788 et surtout après 1831 l'apport de nouvelles populations fait qu'en 1900 les populations originales sont minoritaires (environ 10% du total) et en 2017 elles sont même marginales (environ 2% du total) et l'écosystème humain est totalement différent, par contre tous ces humains sont Australiens. Et bien, qu'elle soit d'origine extra-terrestre ou non, qu'il y ait eu par après et pendant un temps des apports extra-terrestres importants, ça ne change rien au fait que le développement de cette vie est local.
Les humains sont des locaux et dépendent donc des conditions locales. Leurs actions ont un impact immédiat sur leur contexte, leur écosystème, et un impact différé sur l'ensemble de la biosphère. Leur survie immédiate comme individus et comme groupes étant dépendante de leurs écosystèmes, à long terme comme groupes et comme espèce, dépendante des équilibres généraux de la biosphère, par nécessité ces actions auront un impact sur les humains comme individus, comme groupes et comme espèce. Le principe de base de tout système homéostatique est très simple et très répétitif, il s'agit du circuit action-réaction-rétroaction : toute action est une dépense d'énergie ; toute dépense d'énergie provoque une réaction ; un système homéostatique étant globalement fermé, toute réaction induit une action en retour, directe ou indirecte, une “rétroaction”. Cela dit, cette description est la vérité d'un acteur, pour un observateur extérieur impartial il s'agit d'une série action-action-action et même, puisque la rétroaction peut être différée et indirecte, une série infinie d'actions certaines partant de tel élément et certaines s'appliquant à lui. Comme observateur je peux avoir une analyse différente de ce qui est élémentaire dans le contexte et, si même j'observe des situations qui ont les caractéristiques d'un système homéostatique, j'aurai une analyse autre que celle des acteurs sur les limites du système et sa segmentation interne. Si l'on considère une situation discutée par Gregory Bateson dans sont texte « La cybernétique du “soi” : une théorie de l'alcoolisme », qu'il mentionne comme « l'exemple d'un homme qui abat un arbre avec une cognée », et bien, si j'ignore ce que sont un homme, un arbre et une cognée, et si j'observe la seule séquence où les trois sont en interaction (entre le premier et le dernier coups de cognée), je constaterai en effet qu'il y a une série d'actions répétitives et assez similaires qui feront que ce que je peux, connaissant ces objets, citer comme l'impact du fer de la cognée contre l'arbre, se renouvelle plusieurs fois. Revenons au cas où j'ignore tout de ces objets : l'homme et la cognée sont-ils un ou deux éléments, ou plus (si l'homme est vêtu, je peux percevoir ses vêtements comme éléments séparés, la cognée se compose d'au moins deux éléments aisément différenciables, le manche et le fer. Et bien sûr, si j'ai des moyens d'observation plus fins je peux voir que l'humain est formé de plusieurs éléments internes qui sont en interaction homéostatique) ? L'arbre, la cognée et l'homme sont-ils un, deux, trois éléments ou plus, ou un sous-ensemble plus ou moins lié d'un système plus large ? Considérant (ce qui n'est pas si évident) que cette séquence n'est pas fortuite, j'en déduirai une cause initiale non fortuite, une volonté première, la question étant alors : cette volonté est-elle celle de l'ensemble homme-arbre-cognée, ou l'une seulement des parties de l'ensemble est-elle à l'initiative, ou la cause initiale est-elle extérieure ? In fine, quelle que soit mon analyse, je ne peux certifier qu'il s'agit d'un système ou de la sous-partie d'un système homéostatique, il me faudrait pour cela avoir des informations sur les contextes qui précèdent et suivent la séquence. Or plus j'aurai d'informations sur ces contextes, moins j'aurai de certitudes sur la possibilité de systèmes homéostatiques finis de moindre ampleur que la biosphère qui, même sur un temps assez long (disons, le temps de vie d'un observateur conscient, soit pour un humain quelque chose comme cinquante à soixante-dix ans) apparaîtra en effet un système assez stable et assez fermé avec des ajustements locaux mineurs plus ou moins stables et plus ou moins erratiques.
Les sociétés humaines : une définition.
Le vrai problème avec les mots c'est ce que relevé : il n'y a pas de lien nécessaire entre les mots et les choses et pourtant il y a un lien nécessaire entre les mots et les choses. Je ne l'avis pas proprement relevé, je constatais précédemment ceci :
Les deux positions, celle nominaliste qui pose, en gros, à la fois que les choses ne sont que quand on les nomme mais qu'il n'y a pas de lien réel entre le mot et la chose, et celle réaliste qui pose que les choses et les mots ont une réalité indépendante des êtres, et qu'il y a donc, par nécessité, un lien réel entre le mot et la chose, ne s'opposent pas mais se complètent, c'est simplement deux points de vue sur un même objet.
Implicitement, ça signifie que selon moi les deux écoles de pensée ont raison, donc qu'à la fois il y a et il n'y a pas de lien nécessaire entre les mots et les choses. Une autre façon de se situer par rapport aux mots et aux choses est celle de la question de l'opacité ou de la transparence des signes, dans notre cas des mots, du verbe, de la parole : est-ce que les mots “désignent les choses” en un sens spatial, sont des pointeurs qui se dirigent vers les choses, ou sont-ils opaques et non dirigés et ne signifient qu'eux-mêmes ? Là aussi, o peut dire que ces deux opinions sont vraies, à quoi j'ajoute qu'aucune n'est réelle. Un mot est une chose, tantôt un objet, tantôt une action, en tout cas un élément du réel. De ce point de vue, un mot ne peut désigner que lui-même, il est opaque et non dirigé. Le signe opaque correspond au propos de Marshall McLuhan, « le moyen est le message » :
Dans des cultures comme les nôtres, depuis longtemps habituées à [utiliser la] séparation et la division les choses comme un moyen de contrôle, il est quelquefois un peu choquant de se faire rappeler que, d'un point de vue effectif et pratique, le moyen est le message. C'est-à-dire, tout simplement, que les conséquences individuelles et sociales de tout médium – c'est-à-dire, de toute extension de nous-mêmes – proviennent du changement d'échelle produit dans nos entreprises par chaque extension de nous-mêmes, ou par toute nouvelle technologie8.
Ordinairement, la phrase est donnée comme « le medium est le message » ce qui, en français, réduit le propos puisque, comme le précise McLuhan, ce qu'il nomme medium est « toute extension de nous-mêmes », donc tout moyen, tout objet ou action, utilisé comme extension de soi. Le medium de McLuhan est ce que nommé plus haut artéfact, car un artéfact est une extension de soi, un instrument permettant de réaliser autrement que par ses propres moyens un certain projet. On suppose souvent que ces moyens, ces artéfacts, que ces extensions de soi, ces prothèses, sont des instruments pour réaliser “mieux” un projet, or ce n'est pas évident, il s'agit surtout de faire autrement, sans autre motif que celui-là. Disons, à un certain moment dans son histoire, l'espèce qui deviendra par après les humains, ou qui le devint de ce fait, découvrit le moyen de “médiatiser le monde”. Il faut s'entendre, ça n'est pas apparu avec les humains, en fait tout être vivant “médiatise le monde”, je veux dire, la particularité des êtres vivants est proprement cette capacité à diriger localement une partie de l'univers pour... Et bien, pour “faire des choses”, cela en ceux acceptions, la capacité à agir induit l'action, et l'action dirigée crée de nouvelles réalités, des objets ou des actions inédits dans l'univers d'avant la vie. En agissant de son propre mouvement un être vivant “crée de la réalité”. La spécificité des humains – qui cela dit ne partaient pas de rien – est d'avoir acquis la conscience de son action et des conséquences sur le monde de cette action. Avant eux, les êtres vivants “faisaient de la médiatisation sans le savoir”, ce qui on s'en doute bien est quelque chose de très prosaïque...
Comme dit, ça ne part pas de rien, la conscience n'est pas toute une, il y a des “niveaux de conscience” (cela dit littéralement, et non selon l'acception New Age de l'expression), tout être vivant a une certaine conscience de soi mais très limitée, ce qu'on peut nommer un tropisme, une « réaction d'orientation ou de locomotion orientée d'un organisme [...] causée par des agents physiques ou chimiques », nous dit le TLF. Comme je réserve, dans mes discussions, le terme d'organisme aux organismes stricto sensu, ceux qui sont pluricellulaires et dont les cellules forment des organes, j'aurais plutôt parlé de la réaction d'un être vivant ou d'une entité. Passons. Le tropisme est le niveau zéro de la conscience, on ne peut dénier une forme élémentaire de conscience à une bactérie ou même à un virus puisqu'ils agissent de manière à se maintenir, se développer et se reproduire. Dès les premiers procaryotes et même, dès la constitution de stromatolites qui se composent de plusieurs variétés de bactéries, spécialement « la variété botryoïde, produite par une association de diatomées et de cyanobactéries » (dixit Wikipédia), des sortes de “proto-procaryotes”, on passe à un niveau secondaire de conscience. Même cette forme plus primitive d'association que sont les filaments bactériens induit cette conscience de second niveau, sans que ce soit certain cependant. Dans la forme purement tropique de la conscience on ne peut vraiment parler de “conscience de soi”, même si le constat que la plus primitive des bactéries se reproduit peut faire supposer quelque chose de cet ordre, mais dès lors qu'une certaine organisation a lieu, la reconnaissance du “non soi” induit la conscience du “soi”. Une conscience “inconsciente” bien sûr, cet oxymore pointant le fait qu'on ne peut strictement supposer qu'une bactérie “se pense” et “pense l'autre”.
Au troisième niveau de conscience, qu'on ne peut toujours pas supposer réflexive, celui des procaryotes, on passe à un nouveau type d'association, la “fusion-acquisition” comme on dit dans l'économie contemporaine : plusieurs entités s'associent non plus par symbiose mais par commensalité, une des bactéries est “l'hôte”, les autres les “invités”. Je ne peux pas décrire le processus réel mais vu le résultat actuel, on peut supposer qu'il s'agit d'une évolution qui part d'une forme de parasitisme ou alors, d'une fusion paradoxale, les noyaux des individus ayant fusionné mais non leurs membranes, du coup on a une membrane avec milieu intérieur mais sans noyau et un noyau inclus mais séparé, sans milieu intérieur mais avec une membrane. Sans dire que ce soit le cas, on peut voir ça comme l'association d'un virus et d'une bactérie, le virus ne s'insère pas dans le noyau mais insère le noyau en lui, l'hôte bactérien continue de travailler pour son noyau et y ajoute le travail pour le virus, du fait les deux individus vivent et se reproduisent conjointement. Les invités sont les bactéries qui vivent dans le milieu intérieur de la cellule englobante et qui contribuent à la vie de l'ensemble en sacrifiant tout ou partie de leur autonomie (certaines bactéries ont transféré tout leur patrimoine génétique à la cellule et n'ont plus aucune autonomie, d'autres, comme les mitochondries, ont une large autonomie et conservent une bonne part de leur patrimoine. Elles se reproduisent d'ailleurs indépendamment de la cellule-hôtes).
En toute hypothèse, la conscience réflexive n'existe que chez certains vertébrés et quelques rares invertébrés, spécifiquement les céphalopodes. Je ne suis pas dans la tête des autres invertébrés mais ne crois pas que les arthropodes, les annélides ou la plupart des mollusques ont une conscience réflexive, ni que ce soit le cas chez tous les vertébrés. C'est à la fois une question de volume et d'organisation du cerveau : en-dessous d'un certain rapport de volume entre le corps et le cerveau et en-deçà d'une certaine complexité, difficile d'avoir une représentation consciente de soi, me semble-t-il. Par contre, la capacité de médiatiser, disons, de manière consciente mais non réflexive est à la portée de tout organisme. Ce que les humains acquièrent est précisément la capacité de médiatiser de manière consciente et réflexive, de se représenter, peut-on dire, tout “non soi” à la fois comme “un soi” et comme “ du soi”, comme à la fois de l'autre et du même, quelque chose “qui n'est pas moi mais qui peut participer de moi”. Pour le dire autrement, les humains inventent l'image, et de ce fait l'imagination. Quand je dis “inventent” c'est au sens premier, « celui qui trouve », non l'inventeur-créateur mais l'inventeur-découvreur, qui “découvre quelque chose” au sens précis, la chose est là mais couverte, voilée, et l'inventeur la dévoile. Ce qui ramène aux prophètes, d'ailleurs, et ramène au titre d'une autre partie de ce site, « Révélation sur le mont », qui réfère à un texte du Nouveau Testament, habituellement placé à la fin et nommé Apocalypse, ce qui lui donne un caractère mystérieux alors que ça n'est que le mot grec un peu francisé pour le premier mot de ce texte, comme pour beaucoup de livres de la Bible, ce mot étant “révélation” (l'incipit est « Révélation de Jésus-Christ, que Dieu lui a donnée pour montrer à ses serviteurs les choses qui doivent arriver bientôt, et qu’il a fait connaître, par l’envoi de son ange, à son serviteur Jean »). Révélation ou, pour une traduction plus exacte, dévoilement. Le mont, est bien, c'est l'autre terme un peu étrange de ce texte, Armageddon ou, dans la traduction de la Bible par Louis Segond, Harmaguédon, plus exacte pour la prononciation. Le mot n'apparaît qu'une fois dans le texte, de même d'ailleurs pour le mot “révélation”, dans Apocalypse 16,16 : « Ils les rassemblèrent dans le lieu appelé en hébreu Harmaguédon ». “Ils” ce sont “le dragon” (défini précédemment comme « le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre »), “la bête” (savoir laquelle, il y en a au moins trois dans le texte, probablement celle qui portait “la marque”) et “le faux prophète” (première mention dudit, dont on saura un peu plus loin qu'il « avait fait devant elle [la bête] les prodiges par lesquels il avait séduit ceux qui avaient pris la marque de la bête et adoré son image », Apo. 19,20). “Les” ce sont « trois esprits impurs, semblables à des grenouilles » qui « sont des esprits de démons »'' (Apo. 16,13-14). Étrange de voir que deux mots qui désignent censément tout autre chose, le premier un “dévoilement”, le second un lieu où furent rassemblés provisoirement trois esprits de démons qui n'ont pas de rôle particulier plus tard, le lieu en question non plus, désigner désormais la catastrophe, la fin du monde, le désordre et la désolation.
Étrange ? Pas vraiment. Pour me citer, « Un mot est une chose, tantôt un objet, tantôt une action, en tout cas un élément du réel [et] ne peut désigner que lui-même, il est opaque et non dirigé ». Sans trop préjuger des motifs des traducteurs de la Bible en français, utiliser “apocalypse” comme titre de ce livre a probablement pour but d'opacifier le mot, ne pas faire émerger l'autre aspect du langage, quand les mots sont “transparents” et « “désignent les choses” en un sens spatial, sont des pointeurs qui se dirigent vers les choses ». De ce fait, le texte est “déréalisé”, il ne s'agit plus d'un texte de combat mais d'une sorte de rêve, de texte ésotérique, d'objet pour exégètes. De prophétie au mauvais sens du terme, celui donné par Wikipédia dans son articles sur le texte, parlant de la thèse exégétique « futuriste [qui] voit dans ce livre une peinture des événements à venir, une prophétie ». Par nécessité une prophétie ne parle que du présent, comme c'est le cas de toute parole, en utilisant les images du passé, avec pour but une action future mais une action limitée à la parole même. Pour exemple, ce texte même : l'écrivant en ce mois de janvier 2018, je ne peux parler que depuis ici et maintenant, et ni depuis le passé, mort, ni depuis le futur, non né. Mon propos s'appuie sur le passé (sur ce qui reste en moi ou dans le monde des traces du passé qui ont contribué et contribuent encore à faire de moi ce que je suis au moment où j'écris) et il est destiné à un futur hypothétique, celui où quelqu'un, en l'occurrence vous, si vous me lisez et n'êtes pas moi (le lisant, je serai aussi un “vous” mais non celui que j'envisage, un “vous” autre que moi9), en prendra connaissance (comme dit en note, la lecture n'a que peu de rapports avec l'écriture, donc si je suis mon propre lecteur je ne prendrai pas moins connaissance de ce texte que tout autre lecteur).
Comprendre que le moyen est le message revient à comprendre que ce que “dit” un texte n'est rien d'autre que ce que chaque lecteur en fait. En tant que producteur dudit texte j'ai bien évidemment un certain projet, quelque chose comme “un message à délivrer” or ce sera bien le cas, en ce sens que je ne suis qu'un vecteur, je compose un texte formé de mots dont je ne suis pas l'inventeur en première instance, selon une méthode de composition apprise et avec une compréhension de ces mots, de ces phrases, de ce texte qui sont dépendants de ce que l'on m'a appris et de ce que j'en ai compris et retenu. Lecteur de moi-même j'en aurai, disons, une compréhension assez proche, et de même pour des lecteurs ayant eu un parcours proche de celui qui fut le mien ; mais quelle compréhension en aura une personne ayant eu un tout autre parcours et une tout autre manière d'apprendre ? Ce qui nous ramène à l'apocalypse.
Les sociétés humaines : une révélation.
Définir c'est révéler, commenter c'est masquer. Comme dit précédemment, j'ai acquis l'ouvrage de Stanley Milgram Soumission à l'autorité récemment. Qu'en ai-je à dire ? Rien. Si vous désirez en savoir plus, voici les références : Stanley Milgram, Soumission à l'autorité, traduit de l'américain par Emy Molinié, avec un avant-propos dispensable et sans intérêt, simple commentaire d'un auteur qui fait du placement de livres (presque toutes les références d'ouvrages en français renvoient à ses propres écrits), collection Pluriel, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2017, dépôt légal septembre 2017, ISBN 978-2-8185-0521-1 (en quatrième de couverture) ou 978-2-818-50521-1 (sur la sixième page de garde). Selon la BNF ce serait ISBN 978-2-8185-0528-1, et EAN 9782818505281. J'ai fait beaucoup de commentaires sur les commentaires concernant cette expérience, beaucoup d'hypothèses sur ce qu'on pouvait en penser, discuter de l'ouvrage serait du commentaire. La soumission à l'autorité, la servitude volontaire, le consentement aux médias reviennent à cela, préférer les commentaires sur la réalité à la définition de sa propre réalité. J'ai une opinion sur la réalité, une opinion simple : la seule réalité réelle est la mienne, le reste n'est que vérité ou mensonge, le reste n'est que commentaire. Raison pourquoi je préfère commenter les commentaires que les discours réels, ceux qui parlent de la réalité de l'auteur. Un discours réel est aussi un commentaire mais un commentaire sur sa propre réalité, et non sur une réalité abstraite, ou un commentaire sur des commentaires.
L'intérêt du commentaire de commentaires est simple lui aussi : la parole est un miroir paradoxal, quand on la produit elle inverse la réalité, quand on la reçoit on l'inverse, ce qui fait que croyant “rétablir la réalité” (inversion d'inversion) on ne fait qu'inverser la parole, donc inverser la réalité du discours sans inverser l'inversion de la réalité énoncée par le discours. Les commentaires étant des discours inversés, commenter les commentaires permet de rétablir le discours, de ce fait on se retrouve avec un discours “à l'endroit”. Certes, un discours qui “inverse la réalité” mais comme c'est le cas de tout discours ça ne pose pas de problème, pour autant qu'on ait une certaine pratique de la discussion. Et une claire conscience de ce phénomène d'inversion de la réalité. Dans une discussion, quand les interlocuteurs ont l'habitude de la joute oratoire ils passent un temps assez long à, disons, s'harmoniser, à “définir les termes du discours”, parce que les termes sont instables, un mot peut désigner n'importe quoi, il faut donc s'entendre pour que les mots équivoques soient d'une même acception pour tous les interlocuteurs. Si vous avez déjà assisté à un débat entre des personnes de culture orale vous aurez constaté qu'elles peuvent passer un temps important à discuter leurs termes, puis à discuter les termes de ces définitions, puis à parler de tout et de rien, à sembler ne plus s'intéresser au discours principal. C'est justement qu'ils ont conscience de l'indétermination du sens des mots et que tout cela vise à s'harmoniser, à bien s'entendre quant à la réalité pointée. Les discours médiatisés ne permettent pas d'effectuer ces ajustements, d'autant moins quand ils sont “simplifiés”, la caricature de l'heure étant le “tweet” et ses 140 signes, désormais étendus à 280, de quoi placer les mots, non de les définir. Et bien sûr, les médias d'information “en continu” et “en temps réel” qui alertent le “fait brut” et le commentaire rapide rebaptisé “analyse”. Définir ses termes et commenter son propre discours sont des moyens pour tenter de corriger l'inversion du discours, charge aux lecteurs de corriger l'inversion de la réalité qu'induit la parole.
La société donc. Les sociétés. Les sociétés humaines. Comme dit, une société humaine est un écosystème. Comme dit, un écosystème n'est pas un objet très défini : un organisme forme une sorte d'écosystème, il agit dans un écosystème local, dans un ou plusieurs écosystèmes plus larges, ces écosystèmes sont des sortes d'individus agissant dans un ou plusieurs autres écosystèmes et ainsi jusqu'à la biosphère. D'un sens, un humain accompli peut constituer une société, une “société privée à responsabilité limitée unipersonnelle” comme dit la loi belge, non parce qu'il est une sorte d'écosystème mais parce qu'il peut participer réellement d'un écosystème sans y participer formellement. Pour exemple, ce site : c'est, comme dit la loi française, une “entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée” (en ce cas, je suis responsable de ce que je produis, ce texte, mais non de ce que mon lecteur en fera, sauf si bien sûr mon texte a comme visée d'induire mes lecteurs à réaliser certaines actions mais ça ressortira tout de même de cette responsabilité limitée en ce sens que même si aucun lecteur n'agit comme je l'escompte, le fait d'avoir l'intention de le faire agir suffit pour engager ma responsabilité. Par exemple, si je diffusais un texte incitant à commettre des crimes, peu importe que ce soit suivi d'effet, seul l'intention compterait). Même si ce n'est pas le cas, ce site pourrait très bien être “unipersonnel” au sens strict dans sa réalisation, si j'avais les compétences requises je pourrais réaliser les moyens me permettant de le réaliser, des composants de l'objet informatique me permettant de mettre en œuvre le processus jusqu'aux composants secondaires (aux “périphériques”) et aux logiciels me permettant de le créer, de le maintenir et de le diffuser, sous un aspect ça serait idiot, il m'aurait fallu toute une vie pour y parvenir, sous un autre aspect, c'est bien réellement mais non véritablement ce que j'ai fait : j'ai passé toute une vie à me trouver en situation d'obtenir le matériel, le logiciel et les méthodes d'usage qui m'ont mis en état de réaliser ce site, et toute une vie à me mettre en situation d'en créer le contenu. Je n'ai pas véritablement créé mon moyen, j'ai réellement créé la situation qui m'a permis de me trouver en état de, et bien, réaliser ce moyen, de le rendre réel, effectif et fonctionnel.
Bien sûr, cette “société unipersonnelle” ne peut être que parce que je suis un être social et plus précisément, un être humain social : même dans le cas improbable où j'aurais été le réalisateur de tout ce qui me permet de créer, maintenir et diffuser ce site, d'une part ça n'aurait été possible qu'après avoir acquis les compétences nécessaires à réaliser ce projet, ce qui n'est possible que dans un contexte d'humanisation, de l'autre ce projet n'aurait pas de sens si mon but à terme n'était pas de créer un objet qui ne prend de la valeur, du sens, que dans un contexte humanisé. Le concept est le suivant : je suis un objet plus ou moins déterminé qui participe d'un univers plus ou moins déterminé (beaucoup plus déterminé, et déterminable, que moi, mais jamais entièrement déterminé, du fait qu'il n'a pas de limites précises ni de structure définitive, invariante) et de ce point de vue mon autonomie réelle est proche de zéro ; je suis un objet plus ou moins déterminé qui participe d'un segment de cet univers globalement stable et prévisible sur une durée significative, que l'on prenne en compte la galaxie ou le système solaire ou le seul ensemble Terre-Lune-Soleil ou même la seule planète Terre cette description reste assez exacte, et de ce point de vue mon autonomie est faible mais mesurable ; je suis un objet plus ou moins déterminé qui participe d'un ensemble complexe de systèmes, depuis celui que je constitue moi-même jusqu'à la biosphère – qui, soit précisé, ne se limite pas à la part biotique de ce segment restreint de l'univers, le supposé “dérèglement climatique”10 actuel montre assez je pense que la biomasse participant de la biosphère n'en forme pas la part prépondérante, l'action des êtres vivants sur le climat est, depuis environ 1 Ga, plutôt marginale mais suffisante pour que le climat ait une action en retour significative sur les équilibres de la biomasse – et, de ce point de vue, mon autonomie est faible est assez peu mesurable au niveau de la biosphère, limitée mais mesurable dans les écosystèmes proches dont je suis un agent ; je suis un objet assez déterminé même si en perpétuelle évolution dans mon contexte immédiat, avec une autonomie variable, plutôt restreinte mais non négligeable et potentiellement importante suivant les circonstances.
D'évidence, la “société unipersonnelle” est une fiction, mais toute société en est une, il s'agit d'un concept fonctionnel servant de base à ce qu'on peut appeler un “contrat”, tantôt implicite, tantôt explicite, tantôt informel, tantôt formel. Comme entité vivante je n'ai pas agi pour être, et sans remonter aux origines de l'univers, du moins suis-je la conséquence fortuite d'une longue série d'événements entre le moment de l'apparition de la vie sur la Terre et ma conception. Comme individu je n'ai pas agi pour accéder au statut d'humain, cela me fut donné par la décision de tiers qui ont décidé de m'humaniser, de ce point de vue c'est mon premier “contrat”, implicite et informel, sinon qu'on ne me laissa pas vraiment le choix. J'aurais certes très bien pu “résilier le contrat” ou “ne pas remplir ma part du contrat”, ou les tiers qui ont signé pour mon engagement auraient aussi pu ne pas remplir leur part ou rater leur travail, par incompétence ou par malveillance, mais quel que soit le cas, de ma naissance à mes cinq à sept an, mon autonomie en tant qu'humain était à-peu-près nulle, en tant qu'individu assez ou très limitée. Après, j'ai eu droit à un nouveau contrat, du fait que le premier arrivait à son terme, je veux dire, j'étais devenu un humain imparfait mais acceptable, parlant, poli, propre sur lui, modérément mais suffisamment socialisé et sociable pour que les auteurs du premier contrat estiment pouvoir me laisser agir dans le cadre d'autres sociabilités sans (ou sans trop) de risques pour moi, pour ces sociabilités et pour eux. Là aussi je n'avais pas trop le choix, c'était du tout ou rien, ou j'acceptais le contrat, toujours implicite mais beaucoup plus formel, ou on changeait de contrat. Avoir le choix est un concept douteux bien sûr, mais fonctionnel, disons, on a toujours le choix de faire ou non ce que des tiers attendent de vous mais c'est un choix restreint et conditionné par le contexte et par les acquis. Je passe les étapes pour en venir à celles décisives du point de vue de l'autonomie, où les contrats deviennent explicites et formels, et découlent plus ou moins des choix des individus.
Réseaux et toiles, nœuds et trames.
Toute société humaine est réticulaire, je veux dire : l'individu est directement relié à d'autres individus, qui peuvent former des groupes reliés à d'autres groupes (ici comme pour les sociétés formelles un groupe peut comporter un seul individu), des groupes de groupes être reliés à d'autres groupes ou groupes de groupes, certains ensembles sont des sociétés, qui sont reliées à d'autres ensembles, jusqu'à l'ONU qui relie directement ou indirectement tous les ensembles formels, toutes les sociétés. L'ONU même est une sorte de société qui fédère plusieurs groupes fédérateurs (OIT, UNESCO, OMC, OMS, etc.), certains reliant les mêmes ensembles que l'ONU mais avec un autre projet, d'autres ne reliant qu'une partie de ces ensembles, voire d'autres ensembles (par exemple, il y a discordance entre les ensembles reliés par l'UNESCO et l'ONU, des membres de l'ONU ne participent pas à l'UNESCO, et des membres de l'UNESCO ne sont pas membres directs de l'ONU ; l'OIT et l'OMC intègrent des groupes infra ou inter-étatiques...). Certaines sociétés sont “textiles”, elles forment une toile, avec sa trame et sa chaîne, ou pour le dire autrement : dans une société large on peut constater une infrastructure (la trame) et une superstructure (la chaîne) ne dépendant pas de, disons, la qualité des individus qui y agissent ou les constituent. L'interaction entre la trame et la chaîne “tissent le lien social” dans lequel les individus s'insèrent, alors que dans sa forme réticulaire chaque “nœud” est directement dépendant des individus ou groupes qui le créent et le maintiennent. Comme dit, toute société est réticulaire, même si la forme stable de cette société est textile, et c'est là que les problèmes commencent mais j'en parlerai plus loin, pour l'instant le sujet ou objet reste les sociétés humaines.
Le “contrat” est ce qui forme les nœuds et la trame d'une société. La base contractuelle de la société comme réseau est la confiance, la base contractuelle de la société comme toile est la fiabilité. Dans les deux cas il s'agit de “foi”, comme l'indique l'étymologie de ces deux mots, dont la racine commune est le mot latin fides qui, dit le TLF dans l'article sur la foi, signifiait « foi, confiance ; ce qui produit la confiance , bonne foi, loyauté ; promesse, parole donnée ». On peut aussi parler d'engagement, plus précisément d'engagement sur l'honneur, comme l'induit le dernier sens, « parole donnée ». La différence se situe au niveau de “ce qui fait foi”, de l'objet vers quoi cet engagement se dirige : le nœud engage les “personnes”, il s'agit nécessairement d'un engagement interpersonnel ; la trame engage l'ensemble des individus participant à la société, qu'ils aient ou non des liens interpersonnels, et c'est l'existence de la trame même qui garantit du respect de l'engagement de chacun et de tous. Les personnes entre guillemets, car une personne peut être un individu (une personne physique) comme un ensemble d'individus (une personne morale). On peut dire que seules les sociétés réticulaires sont des sociétés réelles, celles textiles n'étant que formelles, mais les deux formes sont vraies.
Ruptures de liens et trous dans la trame.
Les sociétés réticulaires ont cette force et cette faiblesse qu'un nœud rompu ne met pas en péril le réseau et qu'une rupture du réseau ne met pas en péril les liens, mais il y a une limite de tolérance dans la rupture de liens au-delà de laquelle la société cesse. Pour les sociétés textiles il y a aussi des forces et des faiblesses, les principales forces sont la solidité et la capacité de, disons, auto-réparation de l'infrastructure, de la trame, et pour la superstructure, la chaîne, le remplacement si nécessaire de n'importe quelle personne par n'importe quelle autre de capacités équivalentes, les principales faiblesses sont le coût social de création et de préservation de la trame et les erreurs d'attribution de fonctions sociales, qu'elles soient volontaires ou non. Et bien sûr, la force et la faiblesse de toute société, quelle que soit sa forme, est l'engagement, la foi.
Une société étant un écosystème doit se confronter à ces limites simples : les ressources matérielles disponibles sont finies et les ressources énergétiques de faible renouvellement ou d'usage délicat – ou les deux. C'est lié au fait que le phénomène qu'on peut désigner “la vie” est un phénomène, que dire ? Naturel ? Quelque chose de ce genre. Pour me citer, « la vie ne s'oppose pas à la “non-vie” mais est un cas particulier de l'interaction énergie-matière ». Certes un cas singulier, du point de vue des êtres vivants (pour autant qu'il y ait des êtres “non vivants” ou des “non êtres” vivants, ce dont je doute fort, et le cas échéant, qu'ils aient un point de vue11), mais qui, pour l'essentiel, a les mêmes caractéristiques que le reste de l'univers. Même si c'est une chose connue de longue date on s'en est clairement aperçu ces derniers temps, l'univers accessible à la vie, c'est-à-dire la biosphère et sa périphérie proche (40 kilomètres en-dessous et 40.000 kilomètres au-dessus de la biosphère, en gros), est fini, et ce qui dans cet univers accessible peut constituer une ressource pour le maintien de la vie est rare et d'un usage parfois problématique, je dirai même, souvent problématique.
Une ressource est le plus souvent un “pharmakon”, un objet qui peut être tantôt un remède, tantôt un poison, tantôt à la fois un remède et un poison. Même sans considérer cela, il n'y a pas d'autre manière pour un écosystème que de limiter l'usage des ressources disponibles, car un écosystème est un objet globalement fini et homéostatique. Comme le dit la sentence prêtée à Lavoisier, une formulation du premier principe de la thermodynamique, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » (principe énoncé ainsi dans l'article de Wikipédia sur la thermodynamique : « L’énergie totale d’un système isolé reste constante. Les événements qui s’y produisent ne se traduisent que par des transformations de certaines formes d’énergie en d’autres formes d’énergie » – de ce point de vue, la matière est “une autre forme de l'énergie” et l'énergie “une autre forme de la matière”12). Certes les humains sont parvenus à augmenter le niveau de ressources disponibles mais ça reste assez limité et marginal, et ça ne change rien à un fait inévitable : le niveau de consommation des ressources d'un écosystème est corrélé au niveau de ressources disponibles. Pour le dire autrement, plus il y a de ressources, plus il y aura de consommateurs de ressources, ou plus les consommateurs augmenteront leur niveau de consommation. L'illustration de la chose est la relation proie/prédateur, considérant qu'est “proie” toute ressource consommée, “prédateur” tout consommateur de ressource. Je veux dire, la relation proie/prédateur ne concerne pas les seuls rapports entre animaux carnivores et herbivores :
- les carnivores ne sont pas sélectifs quant à ce dont se nourrissent leurs proies et s'ils ne risquent pas une réponse dommageable, s'empareront d'un autre carnivore, donc le prédateur des uns est souvent la proie des autres,
- les omnivores sont opportunistes quant à leurs proies, et selon le contexte se nourriront de viande ou d'herbe, donc prédateurs de ce qui est disponible,
- les herbivores sont autant prédateurs d'êtres vivants que les carnivores, simplement leurs proies sont des végétaux,
- les hétérotrophes non animaux (notamment les champignons) sont prédateurs d'autres êtres ou de leurs “déchets”, et prédateurs, parasites ou symbiotes d'êtres d'autotrophes ou d'autres êtres hétérotrophes,
- les organismes autotrophes sont parfois prédateurs (parasites ou symbiotes) d'autres êtres, généralement d'autres autotrophes,parfois d'hétérotrophes,
- les autotrophes non prédateurs d'autres êtres sont in fine les premiers prédateurs, ceux pour qui la proie est le biotope même.
Je disais des omnivores qu'ils sont opportunistes or c'est le cas de tout être vivant, sans quoi il ne restera pas très longtemps un être vivant. La différence entre un omnivore et un autre être concerne plutôt le fait de la diversification et de la spécialisation : pour tout être une ressource est bonne à prendre, pour un omnivore tout être est ressource.
Toute ressource est bonne à prendre.
Le modèle proie/prédateur est assez simple : l'augmentation du nombre de “proies” induit l'augmentation du nombre de prédations, soit que les prédateurs se multiplient par croissance interne ou externe, soit que les individus augmentent leur taux de prédation ; le taux de prédation plus élevé induit la réduction du nombre ou du volume des proies ; la réduction de la quantité de proies n'étant pas immédiatement corrélée par une réduction de la quantité de prédateurs, la ressource en proies devient rapidement inférieure au niveau de prédation suffisant pour garantir la survie de tous les prédateurs, qui voient rapidement leur nombre se réduire par inanition ou par auto-prédation (les prédateurs devenant proies les uns des autres), souvent par les deux. Au bout de ce cycle, deux possibilités : la population de chaque groupe parvient à un certain équilibre, temporaire bien sûr, avant qu'un nouveau cycle du même ordre se reproduise, ou bien l'une des populations ne parvient pas à se reconstituer et disparaît, ce qui aura pour conséquence à terme la disparition de l'autre population qui, n'étant plus limitée par ses prédateurs, épuisera à son tour ses ressources. Bien sûr, le cas de disparition des populations ne vaut que pour des hétérotrophes animaux ou pour une espèce précise d'autotrophe, en ce sens que les autotrophes ont des stratégies de préservation qui leurs permettent de restaurer leur population après disparition de tous les individus, on le voit notamment dans les déserts ou après un feu de forêt ou de savane : les populations d'autotrophes seront en majorité autochtones, alors qu'une large part des animaux et dans le cas d'un feu, la quasi-totalité, seront allochtones, les individus autotrophes repartant d'une racine profonde, ou de graines ou spores.
Un exemple donné dans l'article « Équilibres prédateurs-proies » de Wikipédia est intéressant, en ce qui concerne la qualification de prédateur, qui concerne autant les herbivores que les carnivores. Pour illustrer le fait que « la présence de prédateurs influe donc sur la qualité de fonctionnement de l'écosystème où ils vivent », l'article donne ce cas :
C'est ainsi que pour protéger les habitats forestiers, on a réintroduit en 1994 des loups d'Alberta dans le Parc national de Yellowstone, afin qu'ils régulent les populations de wapitis et autres grands herbivores (bisons) qui étaient devenues assez importantes - après 50 ans de croissance en l'absence de loups - pour mettre en péril la forêt (par consommation des jeunes plants, écorçage… et surexploitation du milieu).
L'article même considère cette relation proie-prédateur uniquement pour les hétérotrophes animaux, principalement les vertébrés terrestres, mais ce cas illustre bien le caractère tout aussi prédateur des herbivores. Pour le redire, tout être vivant est un prédateur parce que tout être vivant est dépendant des ressources disponibles de son écosystème pour sa survie.
Toute ressource est finie.
Considérant la biosphère, elle est extrêmement résistante. On a récemment introduit dans les sciences, disons, du comportement (qui s'intéressent aux relations entre vivants), le terme de résilience dans son acception en mécanique et en physique, qui est la « résistance d'un matériau au choc », plus précisément, l'emploi du terme en physique pour désigner la capacité d'un matériau à revenir à son état initial après une déformation due à une contrainte mécanique13. L'emploi du terme pour la biosphère me semble abusif en ce sens qu'elle est indifférente au devenir des espèces et des écosystèmes, et plus encore à celui des individus : après évolution des contextes, du plus local au plus global, la biosphère ne revient jamais à un état antérieur, elle suit son erre. Ce qui se conserve est la vie elle-même, sous la même forme ou sous une autre. Bien sûr, après une catastrophe la structure générale de la biosphère reste la même, avec une très large domination des bactéries, qui constituent l'essentiel de la biomasse, par contre il n'y a jamais restauration des structures secondaires, celles des espèces les plus complexes. La vie est résistante mais pas spécialement résiliente, après une supposée “grande extinction”, et bien, la plupart des espèces, celles bactériennes et virales, et une bonne part de leurs individus ont continué, par contre les lignées de dinosaures disparues ne sont jamais revenues, une fois les conséquences de la catastrophe épuisées.
Donc, la biosphère est extrêmement résistante. Sans vouloir médire de mes contemporains, ils me font beaucoup rire quand ils partent sur un délire de destruction de “la nature”, de fin la vie sur la Terre, dont l'agent serait notre espèce. Autant que je puisse le déterminer, l'idée de la fin du monde est probablement aussi ancienne que l'humanisation même : avoir accédé une consciente réflexive et consciente de soi c'est avoir dans le même temps accédé à la conscience explicite de sa finitude. Les stratégies de tout être vivant pour se préserver et se perpétuer montrent que même le plus humble virus a une conscience non réflexive et non explicite de sa finitude, c'est intrinsèque au phénomène vital et proprement la singularité des êtres vivants, contrairement aux autres objets de cet univers ils agissent pour conserver et reproduire leur forme singulière. Ça n'a qu'un temps, certes, mais de fait ils prouvent par leur constance à persévérer dans leur essence ou dans leur être cette forme élémentaire de “conscience de soi”, de conscience du “soi”, donc de leur possible fin. Mais les humains y ajoutent une conscience réflexive et, dira-t-on, réelle, de cette finitude. Raison pourquoi on peut supposer sans grand risque de se tromper que le concept de “la fin de la vie” est contemporain de la compréhension de sa finitude.
Excursus : l'individu comme univers fermé.
J'en discute plus précisément ailleurs, un individu est à lui-même un univers, il y a le soi et la limite du soi et au-delà, l'inconnaissable. Certes l'être peut (et même, doit) supposer qu'il y a “quelque chose plutôt que rien” au-delà de sa propre limite, mais sans trop savoir ce que c'est que ce non soi. Les individus les plus élémentaires ont des moyens de discerner le “favorable” du “défavorable”, mais des moyens élémentaires et approximatifs. Les individus les plus complexes ont des moyens beaucoup plus efficace de discernement mais ça ne fait que reculer les limites du connaissable. Pour le phénomène général déterminable “la vie” ça ne fait pas grande différence, je veux dire : considérant que le projet général des individus composant la biomasse est de persévérer dans leur essence et dans leur être, de vivre aussi longtemps que possible et de se reproduire, que cela se fasse sous la forme bactérienne ou virale ou sous la forme d'un organisme vertébré mammifère importe peu, fondamentalement, même un être humain n'est qu'une collection très complexe de bactéries et de virus qui ont trouvé, par le moyen de leur intégration (cellules) et de leurs colonies (organes), et l'association avec des symbiotes (le microbiote), une manière efficace de concilier leurs deux tropismes fondamentaux, se préserver et se perpétuer. Factuellement, la différence entre la bactérie et l'être humain quant à la capacité de connaissance de l'inconnaissable est d'ordre quantitatif et non d'ordre qualitatif, je veux dire : l'être humain n'a pas plus de capacités que la bactérie à entrer en contact avec l'univers global, c'est un système homéostatique fermé avec une faible porosité qui lui permet, quand le contexte s'y prête, de faire circuler un peu d'énergie de l'extérieur vers l'intérieur et inversement, les informations qu'il reçoit de son univers sont aussi indirectes et aussi limitées que pour la bactérie. Par contre il a un avantage quantitatif, sa surface et sa structure lui permettent de recevoir beaucoup plus d'informations qu'une bactérie. La différence qualitative est interne, comme tout organisme il est structuré de telle manière que sa capacité à analyser et mémoriser ces informations est incommensurablement plus élevée que celle des individus non organisés. À dire vrai, cet avantage qualitatif vaut pour tout organisme, même le plus infime et sommaire, c'est cette structure même qui permet le “saut qualitatif”.
Bien sûr, il n'y a pas qu'une différence quantitative entre, disons, une huître, un scarabée, un lombric, une raie manta, une grenouille, un corbeau, une souris, un chat, un chimpanzé et un humain : le gain en capacité de “traitement de l'information” est à la fois quantitatif et qualitatif, plus les organes de captation et d'analyse de ces informations sont complexes et pour certains, volumineux, plus on gagnera en qualité de connaissance de l'inconnaissable. À considérer que le volume de “l'unité centrale de traitement de l'information”, le cerveau, est important mais pas entièrement déterminant : les céphalopodes et certains oiseaux ont des capacités cognitives plus élevées que certains animaux bien mieux pourvus en quantité de cerveau, y compris en quantité relative (le rapport entre poids du cerveau et poids total de l'individu) mais une organisation de ce cerveau plus propice à la finesse de cognition. Dans un autre texte, celui où, disais-je, je discute de l'individu comme univers, je parle entre autres d'un fait qui me semble assez évident, les informations que les organes de sens nous transmettent n'ont rien à voir avec, disons, la réalité. Non que ces informations ne soient pas fiables, en gros elles le sont, même si parfois imprécises et en partie illusoires, mais elles n'ont rien à voir avec leur représentation interne. Je parlais notamment de la vision pour en dire que ce qu'on “voit” n'a aucune concordance avec la sensation oculaire.
Excursus dans l'excursus : la vision.
Ce que reçoit le fond de l'œil est une équivalence photonique des objets inverse et même, doublement inverse à leur position dans l'espace puisque que d'une part c'en est une image inversée, de l'autre le capteur est “derrière l'image” donc perçoit ce qui est à gauche comme étant à droite et réciproquement, une image à l'envers et “devant-derrière” comme on me disais quand j'enfilais un pull, soit avec proprement le devant dans le dos et le dos sur le devant, soit quand l'extérieur était à l'intérieur et l'intérieur à l'extérieur. Outre cela, cette sensation est très approximative : si le fond de l'œil est à-peu-près plan, le point de focale est courbe, de ce fait l'image est déformée ; même si la distance focale est un peu variable elle ne l'est pas au point qu'on puisse obtenir une image nette, et de toute manière seule une partie de ce que vu est à la bonne distance pour être à-peu-près net, la “profondeur de champ” est limitée, surtout pour les plans les plus proches ; l'œil perçoit une image plane, sans profondeur justement ; la vision normale étant binoculaire, il n'y a pas concordance entre les deux images perçues ; en cas de vision monoculaire, l'image que l'on obtient est “aperspective”, plane, et ne peut donner, comme dans le cas de la vision binoculaire, une idée approximative de la distance de soi à ce que vu ; les sensations de couleur sont très rudimentaires et approximatives, les capteurs les plus précis sont ceux qui perçoivent des nuances de gris, ceux qui perçoivent des nuances de couleurs sont rares, sont inégalement répartis et sont assez imprécis quant aux positions des objets d'où ces nuances proviennent ; on ne capte que trois couleurs, si je me souviens “rouge” “vert” et “bleu” ou “rouge”, “jaune” et “bleu”, avec une petite information sur la variation de la longueur d'onde et surtout une information sur l'intensité. Etc. La liste est longue des petites ou grandes imperfection d'un œil faisant que la sensation perçue n'a pas grand chose à voir (cas de le dire...) avec celle reconstituée dans le cerveau.
La question des couleurs notamment vaut qu'on s'y attarde. Comme le disait je ne sais plus qui sur ma radio il y a peu, un neurologue je pense, qui causait sur France Culture, dans l'émission La Conversation scientifique d'Étienne Klein ou celle Matières à penser du vendredi, de Serge Tisseron, (je parie plutôt pour la première), bref, comme il le disait, la lumière n'a pas de couleur. Ce qui est somme toute assez logique : la lumière est une onde et même, un segment d'ondes, d'ondes électro-magnétiques, ayant pour un humain une fréquence comprise entre un peu moins de 400 nanomètres et un peu moins de 800 nanomètres (l'article de Wikipédia sur la lumière indique des longueurs d'ondes « comprises entre 380 nm (violet) et 780 nm (rouge) », ce qui n'est qu'indicatif, je ne sais plus quel savant de la fin du XVIII° siècle eut quelques problèmes avec l'Académie des sciences parce qu'il avait une perception des ondes en-deçà de 380 nm et de ce fait, décrivait des phénomènes lumineux dans l'ultra-violet, ce que personne n'avait cru à l'époque, mais qui fut confirmé par la suite avec des instruments adéquats14). La lumière étant ce qu'elle est, ce segment varie un peu entre individus et beaucoup entre espèces, et sa perception est plus ou moins précise selon les individus et les espèces. Quoi qu'il en soit, une onde, et bien, n'a pas de couleur ou d'odeur ou de saveur ou que sais-je, une onde est une onde, elle a une fréquence et voilà tout15. Comme le dit (plus ou moins exactement mais peu importe) l'article de Wikipédia, elle est « un phénomène physique correspondant à un transport d'énergie sans transport de matière », or la couleur est matière. Ce que l'on perçoit est la frange d'ondes du spectre électro-magnétique correspondant à la lumière qui n'est pas absorbée, “traversée” par un objet, en quelque sorte l'image en négatif de l'objet, la partie d'ondes qui ne correspond pas à sa “couleur” et qu'il réfracte, train d'ondes qui vient alors exciter les capteurs qui correspondent à-peu-près à cette longueur d'onde. Cela posé, et bien, lesdits capteurs sont, dira-t-on, “sans nuances”, comme dit ils forment trois groupes dont je ne nommerai pas les couleurs associées parce que ça n'a pas grand sens, comme le précise l'article de Wikipédia sur ces capteurs,
Chaque type de cônes est sensible à des radiations appartenant à un domaine étendu de longueur d'onde, dans la mesure où sa réponse ne fait que refléter le nombre de photons qu'il capte, indépendamment de leur longueur d'onde (le cône rouge capte aussi bien des photons verts de 500 nm, jaunes de 560 nm ou rouges de 650 nm). Un photorécepteur n'est qu'un “compteur de photons”, suivant la formule de Michel Imbert, chaque photon absorbé par le pigment produit le même effet. La longueur d'onde n'intervient qu'au niveau de la probabilité d'absorption suivant la sensibilité spectrale du pigment. La perception des couleurs n'est possible qu'au niveau central par comparaison des signaux issus de deux classes de cônes.
Bref, certains réagissent mieux à la frange “verte”, d'autres à celle “bleue”, d'autres enfin à la frange “jaune-orangé”, aucun n'est très précis et en outre, seuls ceux “dans le bleu” sont assez précis, les autres servant principalement, nous dit l'article, « à détecter la structure spatiale des images ». Comme dit, l'œil ne capte pas proprement la couleur mais bien plutôt l'intensité et, plus ou moins, la fréquence de ces ondes, et en outre une partie seulement de ces fréquences. L'image qu'on obtient au niveau des récepteurs du cerveau est le résultat d'un calcul – en réalité de trois calculs mais peu importe, ces trois calculs étant effectués systématiquement et dans le même ordre on peut dire que c'est un même calcul avec trois séquences, un “algorithme arithmétique séquentiel”. Un calcul à la fois assez complexe et assez simple : complexe parce que le nombre et la variété des informations à traiter est très grand, simple parce qu'il s'agit principalement, dans la première séquence d'éliminer les informations discordantes, dans le second d'amplifier celles concordantes, dans le troisième d'harmoniser ces informations, notamment en réduisant l'écart perceptif entre les images de chaque œil. Pour reprendre le cas de la couleur et en citant de nouveau Wikipédia, « un photorécepteur n'est qu'un “compteur de photons” », les bâtonnets font un comptage sans discernement et mesurent surtout l'intensité et l'orientation des flux, les cônes sont moins précis quant à l'orientation et à l'intensité mais mesurent mieux les longueurs d'ondes ; au niveau du cerveau il y a donc une « comparaison des signaux issus de deux classes de cônes », plus précisément, plusieurs comparaisons puisqu'on a trois classes de cônes : comme tous sont sensibles à plusieurs longueurs d'ondes ça permet d'avoir une estimation moyenne des fréquences, comme certains mesurent mieux une frange plus restreinte, ça permet d'estimer les dominantes de fréquence à tel endroit. Considérant que, pour ce deuxième calcul, les cônes ont un spectre assez restreint (alentour de 437 nm pour les uns, alentour de 533 nm pour les suivants, alentour de 564 nm pour les derniers), on perçoit assez mal la frange entre 450 nm et 520 nm et assez approximativement celles qui s'éloignent des valeurs de crête, et pourtant, on les “voit”. Dans le cerveau.
Fin de l'excursus dans l'excursus.
Cet exposé un peu long pour faire apprécier que la représentation du monde est construite et ne correspond pas à ce qu'on en ressent, l'œil reçoit des ondes de toute fréquence, par ses capteurs il convertit ce signal énergétique en équivalent matériel, “électronique” (on reçoit ou perçoit des “photons” qui “excitent des électrons”16), et construit une représentation qui n'est pas très exacte (qui ne l'est pas du tout) mais qui est très fiable (fonctionnelle). Peu importe que la représentation soit “réelle” du moment qu'elle est efficace, que ce que dans ma représentation je situe, par construction, à 70 centimètres de mon œil, devant moi et légèrement à droite, qui est à environ 1,30 mètres du sol, qui a une forme rectangulaire avec une largeur d'environ quarante centimètres, une “profondeur” d'environ vingt-cinq centimètres et une hauteur d'environ cinq centimètres, qui est d'une nuance à dominante noire, qui semble solide et plein, soit effectivement là relativement à moi et au sol, ait bien cette forme et cette dimension, et la consistance que je lui suppose. Un individu ne peut proprement rien “voir” de la réalité extérieure mais peut en savoir beaucoup, mais par calcul.
Fin de l'excursus.
Donc, la biosphère, les écosystèmes, les individus et les ressources. La biosphère est finie et très résistante. Les écosystèmes sont plus ou moins finis, plus ou moins résistants et résilients et plus ou moins durables, selon leur étendue et leur structuration. Les individus sont infinis, perméables, plus ou moins résilients et assez peu ou très peu résistants. Les ressources de la biosphère sont globalement finies, assez stables en quantité et qualité, et modérément mobiles. Les ressources d'un écosystème sont variables, plutôt stables en quantité et plutôt instables en qualité, inégalement mobiles et, disons, “épuisables”. Les ressources d'un individu sont imprévisibles et globalement infinies, très variables en quantité comme en qualité, inégalement mobiles, inégalement disponibles et inégalement épuisables. Bref, ce que l'on peut dire objectivement de la réalité est assez inverse de ce qu'un individu en perçoit subjectivement. Mon hypothèse de l'individu comme univers globalement fermé est subjective, le considérant objectivement je constate qu'il est une parcelle d'univers globalement ouverte et très perméable : en tant que moi, en tant que l'individu Olivier Hammam né le 11 mais 1959 à Chartres, Eure-et-Loir, France, Terre, système solaire, Voie Lactée, univers local (pour autant qu'il y en ait de non-locaux, ce qui est discuté), et bien, je m'estime plutôt fermé, stable et constant. Me considérant en tant que parcelle de cet univers, et bien, je n'ai pas grand chose à voir avec cet individu de 1959, en longueur (ou hauteur) je suis trois fois plus important que lui, en masse c'est énorme, il pesait dans les trois à quatre kilos, ce qui doit être à-peu-près le poids de ma seule tête (cou compris) et représente entre 1/25° et 1/30° de mon poids actuel (selon que c'était plutôt trois ou plutôt quatre kilos), et bien sûr, les éléments qui me composent actuellement n'ont rien à voir avec ceux de l'époque.
Les êtres vivants ont bien des caractéristiques qui les singularisent, l'une d'elles est ce fait étrange : on ne peut les singulariser par ce qui les compose. Je suis bien “la même personne” que cet Olivier Hammam né à Chartes en 1959 et pourtant, presque rien de ce qui le constituait à l'époque ne me constitue aujourd'hui et le peu qui, peut-être, en reste, est non significatif, quelques grammes ou milligrammes de mon être de l'époque. Cela vaut bien sûr pour tout être vivant, certains se renouvellent moins vite, parfois extrêmement moins vite, mais tous se transforment avec le temps, et tous restent cependant “le même” entre l'instant de, disons, leur constitution, et celui de leur dispersion en tant qu'individu, de leur “mort”. Cette question de la mort étant équivoque, d'ailleurs : un organisme qui “se disperse” et bien, de fait il meurt, ce que ses constituants ultimes deviennent après cette dispersion n'est plus dans la continuité de l'individu qu'il était ; un être unicellulaire qui se perpétue par scissiparité se disperse, mais est-ce qu'il disparaît, ou bien l'un des individus est-il “le même” et l'un “un autre”, ou les deux sont-ils “le même” et dans ce cas sa dispersion n'est pas sa mort mais sa duplication ? Un lombric coupé en deux dont chaque partie continue son chemin comme de rien, est-il mort comme individu ou se continue-t-il dans l'une des parties, ou dans les deux ? Un virus qui s'intègre au patrimoine d'une cellule pour l'induire à produire des virus “de son espèce” est-il mort comme individu ou ne meurt-il qu'à la mort de la cellule-hôte ? Passons, je m'intéresse ici aux organismes, en premier les humains, et là c'est sans équivoque : un organisme qui se disperse meurt.
Une fois compris qu'un individu est ouvert et poreux, que sans cesse “quelque chose” entre et “quelque chose” sort de cet objet, qu'après un temps plus ou moins long à-peu-près tout ce qui le constituait à un instant donné ne le constitue plus, et qu'il existe toujours comme individu et comme le même individu, ça donne à penser sur la notion d'individu, celle d'écosystème, celles de ses composantes, biocénose et biotope, et celle de biosphère. Presque tout le monde je pense a désormais une certaine compréhension de ce qu'est un écosystème, pas obligatoirement une compréhension exacte ni même vraie, mais du moins une certaine notion de l'objet, disons, quelque chose comme... Ouais ben, je ne crois pas pouvoir produire une définition minimale du terme qui formera un sens commun à tous mes possibles lecteurs. Ce qui nous ramène à la transparence ou l'opacité de la parole, des mots, de la langue.
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Note à la note. Je dis que l'énergie circulante « entre le système et le reste de l'univers est une donnée constante, prévisible et qui ne modifie que marginalement les équilibres internes » non parce que c'est réellement marginal, à long terme ça ne l'est pas, mais parce que du point de vue des acteurs, donc à court et moyen terme, ça l'est, y compris quand le système évolue, donc modifie ses équilibres internes. Même un système homéostatique assez stable finira immanquablement par être rattrapé par l'inéluctable réalité du deuxième principe de la thermodynamique qui, nous dit l'article de Wikipédia, « établit l'irréversibilité des phénomènes physiques, en particulier lors des échanges thermiques [ce qui] introduit la fonction d'état entropie [...], usuellement assimilée à la notion de désordre qui ne peut que croître au cours d'une transformation réelle ». Il est vrai ici et maintenant pour un acteur que son propre système et les écosystèmes dans lesquels il agit sont stables, il est réel qu'à terme ces systèmes vont se disperser, “disparaître”, leurs composants mourant ou entrant dans un autre système actuellement stable.