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Les écosystèmes comme sociétés humaines.
Excursus : de la parole, de son opacité et de sa transparence.
Les mots sont opaques, c'est ainsi. Il faut un important effort de volonté pour passer outre et tenter de voir à-peu-près quelle réalité ils sont censés pointer. Ne l'ayant pas lu je ne sais pas ce que Michel Foucault en dit dans son texte Les Mots et les Choses mais s'il est un tant soit peu réaliste, il doit faire le même constat que moi, un mot est une chose. Cela dit ça importe peu, importe non ce que dit ou croit Foucault mais ce que je dis ou crois, et importe l'existence de ce titre, Les Mots et les Choses. Importe aussi que ce titre n'est pas de Foucault mais de son éditeur, Pierre Nora. L'auteur avait choisi comme titre L'Ordre des choses ce qui, pour un ouvrage dont un point de discussion est notamment de poser que les choses n'ont pas un ordre défini, me semble significatif. Les mots sont des choses, je le dis parce que je le crois et je le crois parce que je le constate, c'est abordé déjà dans la première partie, la chose est simple, le texte que j'écris ici est formé de mots qui sont formés de lettres qui sont formées de traits qui sont formés de points, sa forme électronique peut tromper parce qu'on a l'habitude de dire que ce qui est électronique est “virtuel” donc “non réel”, or les points qui composent les lignes qui composent les lettres qui composent les mots qui composent ce texte sont on ne peut plus réels, ils sont pour l'instant fixés dans la mémoire de mon ordinateur, seront bientôt stockés sur un disque dur du serveur où ce site est hébergé, seront physiquement affichés sur l'écran qui permettra de les lire, etc. L'écran est une chose, les autres matériels qui stockent, traitent et affichent ces mots sont physiques, les mots sont des choses...
Au-delà de ce fait simple, l'opacité ou l'autonomie de la parole en tant que phénomène physique, matériel1, il y a l'opacité du sens. Je souligne le mot pour éveiller l'attention sur lui : il s'agit proprement du sens, de la notion spatiale, “la direction”, “le lieu vers lequel on se dirige” ou vers lequel on est dirigé. Un mot est censé pointer une réalité, “quelque chose”, objet ou action, situation ou concept, que le locuteur ou rédacteur et l'auditeur ou lecteur peuvent constater et qui est la même pour tous deux. Si je parle d'un cheval, vous et moi sommes censés nous représenter un objet similaire, de manger, d'une action similaire, de constipation, d'une situation similaire, de, tiens, au hasard, d'écosystème, d'un concept similaire. Et bien, ce n'est pas évident.
Un cheval ça n'existe pas dans la réalité, ça n'existe que dans la langue. Seuls les objets singuliers existent, un objet générique est une construction, par exemple, un “smartphone” ça n'existe pas, en revanche un “Samsung Galaxy Young GT-S5360” ça existe, au-delà de quelques différences mineures (couleur externe, version du système Android, numéro de téléphone, carte SD ou non et taille mémoire de cette carte...) tout téléphone de cette marque et de ce modèle a les mêmes caractéristiques, qui diffèrent un peu de celles d'autres Samsung Galaxy, et un peu ou beaucoup plus d'autres séries de la marque ou d'autres équivalents d'autres marques. Les chevaux c'est pareil, si je parle d'un percheron (cheval), au-delà de différences plus ou moins mineures (âge, taille, sexe...) ça désigne des objets qui ont des caractéristiques très proches et assez ou très différentes de celles d'autres races de chevaux. Manger, et bien, ça existe, mais il n'y a pas de réalisation type de cette action, outre les différences d'ordre culturel ou social, chacun se représente une action de ce genre à partir d'un modèle culturel et d'une série d'expériences propres. La constipation, ça existe, mais on ne peut réellement se représenter une situation que si on l'a vécue comme acteur et comme observateur, non qu'on ne puisse, par comparaison et par analyse, se représenter une situation non vécue mais ça ne peut être qu'un modèle abstrait ; et l'ayant vécue on ne peut plus vraiment s'en faire une représentation abstraite, parce que chaque situation est singulière. Un écosystème, à la fois ça existe et ça n'existe pas, ou plutôt, ça a au moins trois formes d'existence, une réalité concrète, une réalité abstraite et une réalité linguistique. L'écosystème de Trou-sur-Mer ou celui de Trifouillis-les-Oies, l'écosystème que vous et moi constituons, l'écosystème du plan d'eau pas loin de chez moi sont des réalités concrètes ; il y a des séries d'écosystèmes comparables (vous et moi et tous les humains, par exemple) qu'on peut constituer en réalités abstraites, en modèles, tenant compte que leurs réalisations seront toutes uniques ; enfin l'écosystème comme réalité linguistique n'existe que comme tel parce que, précisément, il désigne tout écosystème, du plus restreint au plus large.
Une réalité linguistique, même restreinte, nécessite bien plus de parole, de paroles, pour émerger comme réalité extra-linguistique, pour “avoir du sens”, qu'une réalité abstraite ou concrète. Voulant discuter ici d'une réalité linguistique, les “failles de sécurité”, je me suis dit qu'il fallait d'abord situer le contexte, entre autres prendre en compte le fait que l'informatique en réseau est une sorte d'écosystème et qu'elle a des liens avec ce qu'on peut nommer provisoirement “politique”. Je me suis alors embarqué de manière indirecte vers l'élucidation des écosystèmes, et de fil en aiguille j'en vins aux “choses cachées depuis la fondation du monde”, pas très cachées cela dit, ce qui a résulté (première partie de ce texte) en un discours de 105 kilo-octets (dans mon traitement de texte elle forme une texte de 23 pages, 17.500 mots, 506.000 signes) où la notion d'écosystème n'est élucidée qu'en partie parce que, et bien, la réalité linguistique “écosystème” est vraiment complexe et recouvre une telle diversité de réalités abstraites et concrètes que ça n'est pas évident de la simplifier. Enfin si, c'est assez évident, mais justement je ne veux pas la simplifier. Comme mon but général dans les pages de cette partie du site est d'aller vers la transparence des réalités linguistiques, simplifier mon propos ne le permettrait pas. Et comme le concept des réseaux informatiques comme écosystème(s) est vraiment très opaque, ça explique.
Les écosystèmes : une simplification.
Dans un écosystème il n'y a pas d'individus. Ma proposition en fin de la première partie, « un individu est ouvert et poreux, que sans cesse “quelque chose” entre et “quelque chose” sort de cet objet, qu'après un temps plus ou moins long à-peu-près tout ce qui le constituait à un instant donné ne le constitue plus, et qu'il existe toujours comme individu et comme le même individu », explique assez la chose je pense, un individu n'est pas un acteur dans un écosystème mais une de ses composantes et comme tel il est en perpétuelle transformation et bien sûr, est transitoire. L'écosystème n'a ni début, ni fin, ni limite, chacune des ses parties transitoirement autonome, chacun de ses individus, a un début, une fin, une certaine limite, mais n'est pas isolable quand on observe l'écosystème. Considérant mon contexte proche ou du moins, l'un de mes contextes, la petite ville où je réside en ce moment, si on l'observe en tant qu'écosystème, ce qu'elle est à plusieurs titres, je ne suis rien de plus que la 1.500° partie de sa composante “les humains” et comme, dans ce contexte, je n'ai aucune fonction sociale singulière (élu municipal, membre éminent d'une association, prêtre, commerçant, et même pas travailleur indépendant ou dépendant), on ne peut guère me singulariser, sinon de manière aléatoire – en décidant de suivre au hasard le parcours de tel ou tel élément de la composante “les humains” pour quelque raison expérimentale. Parfois je réside temporairement ailleurs, parfois d'autres humains résident temporairement dans cette petite ville, dans l'ensemble et sur une durée brève (deux ou trois ans) les variations ne sont pas très significatives sinon que d'un point de vue cyclique (en gros, sur un an) il y a des évolutions mais qui sont assez prévisibles dans l'ensemble.
Bien évidemment, plus l'écosystème est large, plus les individus sont non significatifs. Un acteur humain de l'écosystème “la France” a le sentiment que sa société est mouvante et en perpétuel changement, ce en quoi il a raison, c'est le cas de tout écosystème ; pour un observateur “écosystémique” (sociologue, écologue, économiste, politiste, historien), s'il considère une période assez brève, quelque chose comme vingt ou trente ans, il constatera au contraire une assez grande stabilité de l'ensemble et des modifications mineures, sauf bien sûr si des événements créent une rupture dans les équilibres du système. Par exemple, si on considère la période 1945-1975, abusivement nommée “les trente glorieuses”, il se passe lors de cette période des événements notables qui modifient complètement les équilibres internes de l'entité “la France” : entre 1945 et 1965 son aire est divisée par dix environ et passe de plus de cinq millions de kilomètres carrés à environ cinq cent cinquante mille kilomètres carrés ; en 1958 et, plus significativement, après 1962, sa superstructure connaît une évolution drastique, le groupe “au pouvoir” qui était jusque-là “le législatif” est dès lors “l'exécutif” ; entre 1966 et 1975 s'opère une lente mais notable modification, à la fois – mais marginalement – de la superstructure et – plus notablement – de l'infrastructure. Il y aura encore des changements structurels notables entre 1975 et 1985 mais de moindre portée, disons, des ajustements dans les modifications antérieures. Observant la période 1985-2015, on constatera au contraire une assez grande stabilité du système. Or, assez curieusement, du point de vue des acteurs humains la perception sera presque inverse. Bien sûr, ils ne peuvent ignorer la restructuration drastique durant la période 1945-1985 et la stabilité globale de 1985 à 2015, pourtant il y a, pour les acteurs, une certaine continuité durant la première période, et de nombreuses ruptures durant la seconde. Ce qui est logique.
Les individus comme miroirs de leur société.
Vous l'aurez compris, je me suis restreint ici à ces écosystèmes que composent les sociétés humaines, je considère désormais que ce qui précède, la première partie de ce texte, suffit pour comprendre ce qu'est un écosystème de mon point de vue2. La chose qui me semble la plus importante à comprendre et accepter est ce fait indéniable, nos sensations ne rendent pas compte de la réalité mais de ce qui dans la réalité nous est utile pour persévérer en notre être et notre essence, que ces sensations sont une inversion et une reconstruction de la réalité et que notre opinion sur ce qui nous est utile pour persévérer repose sur ces sensations imparfaites. N'étant pas un moraliste, ça ne me semble ni déceptif ni fatidique, c'est, voilà tout, et importe une seule chose, de mon point de vue, en tenir compte.
Les individus (les humains) sont un “miroir du monde”. Le monde (l'univers) est de leur point de vue pure énergie. Que ce soit réel importe peu (à mon avis c'est assez réel), importe que ce qui menace et préserve l'individu, ce qui est son “pharmakon”, lui parvient sous la forme d'énergie. Une énergie effective ou potentielle mais de l'énergie. Les “sensations” sont des moyens permettant de discerner le “bien” du “mal”, le type d'énergie qui se trouve à portée. Pour lui, l'énergie est a priori ternaire : “proie”, “prédateur” et “insignifiant”, tenant compte de l'ambivalence de l'énergie insignifiante : soit elle est à négliger, soit on n'en comprend pas le sens. Si, disons, on a construit une barrière entre le “soi” et le “non soi” assez efficace pour n'avoir pas à tenir compte de l'énergie insignifiante, et bien, on n'en tiendra pas compte. Ou alors si, mais pour simplement vérifier, avec prudence, si cet “insignifiant” est finalement signifiant – est classable dans le “bien” ou le “mal”. Bon, mais est-on certain de ses classifications ? Le cas de l'énergie insignifiante montre que non : si ce qui est a priori “insignifiant” et se révèle parfois, a posteriori, signifiant, quid de ce qui est a priori “signifiant” ? Et bien, la découverte que l'énergie signifiante peut se révéler insignifiante est une expérience quotidienne. Parce que nos moyens de saisir le réel sont très limités et assez imparfaits.
Les plantes ci-dessus sont assez semblables – le contraste de couleur est accentué par un éclairage différent. Pas si ressemblantes de mon point de vue mais bon. La racine de ces deux plantes est longue, pivotante et orangée. À gauche des carottes, à droite des cigües. Mis à part l'aspect l'odeur diffère et probablement le goût mais là, je ne vous conseille pas de vérifier. Il y a quelques années un brave gars un peu rêveur a voulu faire un “retour à la nature” radical en Haute-Loire, genre chasseur-cueilleur. Problème pour lui, ce n'était pas un retour mais un tour vu qu'il avait passé toute sa vie en ville, sauf quelques promenades “à la campagne”. Il voit une jolie plante genre carotte avec une jolie racine genre carotte et décide de se faire une “soupe de carottes sauvages”. Mais ce n'étaient pas des carottes.
Ce cas est extrême, cela posé on ne cesse de se confronter à l'imperfection de notre saisie du réel. Le plus souvent l'écart entre notre croyance et l'effectivité des choses n'est pas très important, parfois si, mais même quand faible les conséquences peuvent en être assez ou très dommageables pour soi ou pour autrui. Avançant dans une rue je vois sur le trottoir d'en face une connaissance, quand elle arrive à ma hauteur je la salue du geste et de la voie tout en continuant mon chemin, à ce moment une personne gagne la rue par une porte à ma hauteur et bing ! Nous nous heurtons. Je mets chauffer du lait dans une casserole, peu après j'ai un appel de téléphone, je le prends, je parle à mon correspondant, j'oublie mon lait sur le feu jusqu'à ce qu'il se rappelle à moi par l'horrible odeur de brûlé de la partie qui a débordé. Etc. Je prends ici des exemples déceptifs, ça marche dans les deux sens bien sûr, on croit mettre en œuvre une série d'actions qui, au bout du compte, donneront un résultat attendu, et au long du processus effectif bien des changements dans les conditions où se déroulent ces actions peuvent modifier peu ou prou leur réalisation. Comme il arrive suffisamment de fois que nos prévisions se réalisent en leur fin, nous éliminons de notre expérience, tant les échecs mineurs ou moyens que les corrections d'importance diverse dans le déroulement d'une séquence. La vie étant un phénomène stochastique c'est-à-dire « qui dépend, qui résulte du hasard » pour l'épistémologue, « qui relève du domaine de l'aléatoire, du calcul des probabilités » pour le mathématicien et le statisticien, nous précise le TLF, qui donne aussi la définition d'un processus stochastique, « dans lequel à une variable x (déterminée ou aléatoire) correspond au moins une variable simplement probable », est prévisiblement imprévisible. Le mot a été inventé dans les années 1940 semble-t-il, en tout cas recensé par les usuels dans ces années-là, pour différencier deux formes d'aléas, celui imprévisible et celui prévisible.
Le sens ancien, celui du mot grec στοχαστικος, “stokhastikos”, peut être traduit par “conjectural” pour l'adjectif, “habile à conjecturer” pour le substantif. Il dérive de στόχος, “stokhos”, signifiant “but”, “cible”, “conjecture”. Le sens actuel est proche, il s'agit bien de faire des conjectures sur le moyen d'atteindre un but ou de viser une cible, en tenant compte du fait qu'il y a de l'indéterminé, un possible inattendu, car si on est à-peu-près sûr des conditions initiales, y compris quand elles sont elles-mêmes aléatoires (cf. le processus stochastique et sa « variable x (déterminée ou aléatoire) ») on doit toujours faire l'hypothèse d'une « variable simplement probable ». Vous connaissez je suppose les fameuses “ailes de papillon”, dont on tira l'expression « effet papillon » – ce qui au passage est un procédé de simplification, dès qu"on donne un nom propre à une notion commune on la rend opaque –, inspirée par un titre de conférence du mathématicien et météorologue Conrad Lorenz : « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». C'était bien sûr un titre publicitaire (propagandiste), concocté d'ailleurs par un des organisateurs d'un colloque de 1972 où se déroula cette conférence. C'est bien trouvé mais réducteur, toujours ce problème de la transparence et de l'opacité : l'intérêt des métaphores, des allégories et des comparaisons est de rendre concrètes des notions plutôt abstraites, le risque est que le lecteur s'arrête à ce qui lui est familier et ne regarde pas plus loin. Ce titre établit une causalité là où le propos de Lorenz était d'exposer que les phénomènes météorologiques sont largement stochastiques, qu'au-delà d'une certaine dimension dans le temps et l'espace un phénomène de ce type est conjectural, comporte des variables “simplement probables” et sensibles au variations du contexte, même faibles : un battement d'ailes d'un papillon au Brésil ne peut pas provoquer une tornade au Texas mais peut être à l'origine d'une modification locale des conditions qui, par propagation, modifiera les conditions locales à une assez grande distance et fera qu'une tornade dont on prévoit qu'elle aura une certaine trajectoire “toutes choses égales par ailleurs” croise une “chose inégale” qui modifiera sa trajectoire. Le battement d'aile ne provoque pas la tornade au Texas mais crée les conditions qui feront qu'une tornade se dirigera vers le Texas plutôt que vers le Nouveau-Mexique. Cela dit, il peut aussi y avoir une relation causale, mais pas nécessairement.
Dans un autre texte (ou dans deux autres, c'est possible) j'en discute, la causalité est une vue de l'esprit, dans cet univers il n'y a que des corrélations, par contre il existe des corrélations suffisamment prédictibles pour qu'on puisse les considérer comme des causalités. Pour exemple, la configuration générale du système solaire résulte de la concordance d'une infinité de corrélations qui, au cours d'un processus assez long, ont abouti à un équilibre global entre une série d'objets assez ou très massifs – le soleil et ses planètes, lesdites planètes et leurs satellites – qui fait qu'on peut conjecturer la position de ces objets à date très lointaine sans grand risque d'être détrompé. Mais le risque existe, car il existe aussi une infinité d'objets de masse et de trajectoire diverses et de comportement assez peu prédictible et “simplement probable” – ou improbable. Au-delà de ce fait, on sait désormais que les équilibres actuels du système solaire ne sont pas constants, qu'ils sont en évolution perpétuelle et qu'à date lointaine et plus ou moins prévisible (dans environ 5.4 milliards d'années, “toutes choses égales par ailleurs”) il y aura une rupture de ces équilibres telle que le système sera complètement modifié, et qu'au passage plusieurs planètes actuelles vont disparaître et que toutes seront modifiées, le soleil lui-même passant par une phase de très grande expansion (rayon au moins 200 fois plus important) suivie d'une contraction qui, quelques milliards d'années plus tard, résultera en une étoile très compacte, à-peu-près des dimensions de la Terre.
Les causalités sont des vues de l'esprit, au constat de corrélations régulières on en tire la conclusion hâtive que les événements se succèdent naturellement selon une séquence infinie, prévisible et mesurable de causes et d'effets, ce qui à échelle réduite se révèle assez vite inexact. Bien sûr, d'un point de vue mécanique il y a des séquences très courtes de causes et d'effets à-peu-près prévisibles, et des séquences plus longues où l'écart entre ce que l'on prévoit et ce qui se réalise est assez peu significatif pour que l'analyse causale se révèle suffisante. Inexacte mais suffisante. C'est sur le plan de l'action du même ordre que sur celui de la sensation : ce que l'on “voit”, “sent” ou “entend” a un rapport assez distant à ce qui est, cas de la lumière qui n'a pas de couleur mais que l'on interprète en termes de couleurs non parce que c'est vrai mais parce que c'est efficace. Comme l'explique Gregory Bateson dans le texte cité en première partie, on peut analyser le processus des sensations et actions en termes de “différences” : une “sensation” résulte d'une différence entre deux états d'un capteur de sensations, une “idée” (ou une représentation, ou un concept, en termes cybernétiques une “unité d'information”) résulte du constat de ce changement d'état. Pour citer Bateson, « une unité d'information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence ». que l'on peut paraphraser par, “une unité d'action peut se définir comme une différence qui produit une autre différence”. D'une certaine manière, sensation et action sont deux aspects d'un même processus, ou plus précisément, deux moments d'un même processus, une “action” est une “cause”, une “sensation” est un “effet”, et comme toute cause a un effet et tout effet une cause, action et sensation sont un même instant perçu de deux points de vue, celui de l'acteur ou “agent” et celui du patient ou “agi”. La fameuse question de l'observateur qui ne peut percevoir simultanément deux états d'un objet.
Tout objet est matière et énergie mais on ne peut l'observer dans ces deux états, cas par exemple de la lumière : elle est soit “onde”, soit “corpuscule”. Non qu'elle ne soit pas à la fois onde et corpuscule ou, autre hypothèse (qui est la même si on y réfléchit), qu'elle ne soit ni onde ni corpuscule, mais si l'on peut concevoir des instruments tirant parti des deux états, on ne peut en concevoir qui observent les deux états en une seule opération. La lumière, nous dit Wikipédia, est une onde énergétique, et l'encyclopédie nous dit que l'électron est une particule. Certes. Mais les capteurs oculaires sont des “compteurs de photons”, lesquels sont des particules, des “particules de lumière”, et l'électron est un quantum, un quantum d'énergie, et de ce point de vue une “onde électrique”. D'ailleurs, les photons et électrons peuvent “changer d'état” (en fait, de statut), les uns produisant les autres. Ce qui nous ramène à mon hypothèse de l'univers essentiellement plein et d'une autre, non discuté dans ce texte jusque-là, selon quoi la “matière” est formellement une “concrétion de lumière”, une sorte de “nœud dans la toile”.
L'univers comme toile et comme réseau.
La description qui suit n'est ni vraie ni fausse, elle est fonctionnelle et se base sur la compréhension qu'on peut avoir de notre univers selon nos capacités actuelles – qui comme auparavant sont provisoirement exactes. Sans dire que les humains ne cherchent pas à obtenir des informations fiables sur la vérité ou la réalité de l'univers, à un instant donné les théories sur ce qui le constitue et sur son fonctionnement sont, d'une part dépendantes de nos outils matériels, conceptuels et intellectuels d'investigation de la réalité, de l'autre à visée strictement utilitaire. Même les sciences fondamentales, qui par le fait ne visent pas à une utilité pratique, sont utilitaristes au sens où le projet de toute recherche, y compris fondamentale, est de consolider notre compréhension des choses. L'utilité de la recherche fondamentale est interne à la science, si elle ne vise pas quelque résultat précis elle a pour but général de valider ou infirmer des hypothèses, les possibles résultats à utilité pratique étant des conséquences et non des causes de cette recherche. Bref, ce qui suit s'appuie sur notre connaissance actuelle de l'univers, celle prouvée, même si je peux à l'occasion évoquer des théories non encore validées ou confirmées.
Globalement, on peut décrire notre univers comme un phénomène ondulatoire, ce qui est une autre manière de dire que l'univers est “énergétique” – le phénomène “onde” est l'aspect d'un objet considéré du point de vue énergétique. De là à supposer, comme certains le font, que les individus, en premier les humains, sont “pure énergie”, il y a loin, tout au contraire ils sont “impure énergie”. À l'opposé, les individus ne sont pas “pure matière” mais là aussi ils sont impurs, ils sont “impure matière”. Il y a de la pureté dans les individus, sinon que ça ne résulte pas en quelque chose de pur, ni d'impur d'ailleurs, mais plus prosaïquement en quelque chose de phénoménal, ils sont “pure interaction” – entre la matière et l'énergie. Or, la matière étant un cas particulier de l'énergie et réciproquement, la notion d'interaction entre matière et énergie est un peu étrange,de prime abord. De second abord, elle l'est un peu moins : que l'on considère que l'univers est fondamentalement énergie ou que l'on ait idée qu'il soit fondamentalement matière, ou que l'on considère qu'il est à la fois énergie et matière, soit que l'une est un cas de l'autre, soit qu'on considère que ce sont des choses différentes, n'a pas grande importance, d'un point de vue fonctionnel l'univers énergétique est plus intéressant, d'un point de vue conceptuel ça importe peu. Cela importe peu parce que factuellement la preuve de l'énergie est la matière et la preuve de la matière est l'énergie.
Une de mes descriptions anciennes de “l'univers essentiellement plein”, il y a une vingtaine d'années, était, disons, “matérialiste”, en ce sens que « la preuve de la lumière est le photon », ou un truc du genre. Pour rappel, entre mon œil et l'objet décrit précédemment, entre mon œil et n'importe quel objet, “il y a de la lumière”. Une lumière que je ne “vois” pas. Ce qui est indémontrable : possible que je la perçoive mais que, comme postulé dans la discussion sur ce sujet, mon analyseur de sensation lumineuse élimine cette perception, comme (et là c'est démontrable) mon analyseur de sensation sonore élimine le “bruit de fond” que constituent l'agitation de l'air et les sons physiologiques, possible que je ne perçoive réellement pas la lumière quand elle n'est pas réfractée ou directe. D'où ma description de type matérialiste, que voici : l'univers est plein de photons qui forment une trame serrée avec une très faible solution de continuité entre photons et entre “fils de photons”. Certes une trame un peu curieuse puisque volumique, une sorte d'accumulation de trames, comme une vaste pile de tapis tous bien alignés. De l'autre côté, comme l'on n'a pas de connaissance exacte de la forme de l'univers ça pourrait aussi bien être un seul fil ou une trame plane, les courbures de l'espace étant telles que ce fil s'enroule sur lui-même ou que cette trame est en accordéon ou en boule, ou autre forme. Là encore ça n'a guère d'importance, quelle que soit la forme “réelle” de l'univers, ce qui nous concerne est sa forme effective. Même si ce n'est pas réellement le cas, on peut le considérer fonctionnellement comme un patatoïde car du point où nous sommes il nous apparaît tel.
Considérant le cas d'un univers plein de photons sagement alignés en fils formant trame, la matière est alors un accident, un défaut dans la trame qui génère une chaîne, en fait une multitude de chaînes qui ne sont pas bien alignées qui et s'entrecroisent, se chevauchent, forment des nœuds. De loin en loin, des photons entre en contact et se “matérialisent”. Non qu'ils n'aient été matière auparavant mais leur entrée en contact les agglomère et de ce fait ils deviennent une autre forme de matière, une “concrétion de lumière”, un nœud solide dans la chaîne qui agglomère aussi une partie de la trame. L'hypothèse de l'univers énergétique ne change pas grand chose sinon que dans ce cas c'est la rencontre entre deux ondes qui crée les concrétions, la lumière ou autre onde (p. ex., les “ondes gravitationnelles”) est à la fois trame et chaîne, ou bien un type d'onde forme la trame, l'autre la chaîne, et les concrétions sont la conséquence d'interactions entre la trame et la chaîne. Bien sûr, si l'on considère que matière et énergie sont des objets différents l'explication sera autre, en ce cas ce que l'on perçoit proprement être de la matière est la conséquence de l'interaction entre “de la matière” et “de l'énergie”. Comme dirait un de mes auteurs favoris, Gregory Bateson bien sûr, il est bon quand on fait une hypothèse, de solliciter « le support négatif du “Rasoir d'Occam” ». Pour le citer mieux :
À l'ancienne question de savoir si l'esprit est immanent ou transcendant, nous pouvons désormais répondre avec une certitude considérable en faveur de l'immanence, et cela puisque cette réponse économise plus d'entités explicatives que ne le ferait l'hypothèse de la transcendance : elle a, tout au moins, en sa faveur, le support négatif du “Rasoir d'Occam”.
J'en dirai autant pour la matière et l'énergie : on peut supposer que ce sont deux objets différents, ou que l'énergie est une conséquence de la matière, mais la supposition que la matière est un cas particulier de l'énergie « a tout au moins en sa faveur le support négatif du “Rasoir d'Occam” » – et, « nous pouvons désormais répondre avec une certitude considérable en faveur » de cette hypothèse. Non que, encore une fois, ça ait épuisé la question de ce qui forme le tissu de l'univers – m'est avis que la réponse n'est pas pour demain, ni pour jamais3 – mais en l'état actuel de nos connaissances l'hypothèse énergétique est plus pertinente. Remarque au passage, ça n'a pas toujours été le cas, la supposée “révolution industrielle” était à base “matérialiste” et dans le schéma de compréhension de l'univers de ce contexte l'énergie était une conséquence de la matière ; ce n'est qu'à la toute fin du XIX° siècle et surtout, d'un point de vue théorique, au début du XX°, que les sciences ont changé de base conceptuelle et privilégié l'approche inverse. C'est aussi le moment où la priorité entre les deux principaux domaines de la science académique, chimie et physique, s'est inversée, et c'est logique : dès lors que la matière est un cas de l'énergie, la science première est la physique...
Bon, je vis dans un univers qui est généralement relativiste et particulièrement quantique – une petite plaisanterie rapport au fait que pour l'heure et pour encore quelques années je pense, mais plus tellement (je leur donne deux à quatre lustres, pas plus, la future théorie générale de l'univers semble arriver à maturité), la théorie dominante pour l'univers est celle de la relativité générale, celle dominante pour les particules élémentaires est la mécanique quantique. Et localement, et bien, ce n'est ni l'une ni l'autre. Par contre, une théorie pour ici et maintenant, valable non pour découvrir les Ultimes Secrets de l'Univers mais pour découvrir comment ne pas trop mettre en péril nos sociétés et si possible, aller vers du mieux, doit tirer partie de ces deux théories. Considérer l'univers comme “une sorte de toile” avec “des sortes de nœuds” a l'intérêt d'être en concordance avec les écosystèmes, donc ceux humains : des sortes de toiles avec des sortes de nœuds, les nœuds “faisant réseau” en se reliant, soit par la trame, soit par la chaîne.
L'écosystème comme toile et comme réseau.
J'en parlais plus tôt, un écosystème est formé de deux composantes principales, le biotope et la biocénose. Le premier est “la trame”, le second “la chaîne”. Le biotope, et bien, ses deux formants en donnent le sens, ce sont à la fois deux racines et deux affixes, “bio” signifie “vie”, “topo” signifie “lieu”, bref, un biotope est un “lieu de vie”. Quoique j'en puisse dire j'aime la langue, j'aime la parole, les mots. Je les aime parce qu'ils m'ont fait, sans la parole, et bien, je ne serais qu'un singe nu. Non que ça ne soit pas une vie souhaitable, mais étant humain, ayant été humanisé, j'apprécie, disposer de la parole permet de jouer au jeu de la vie d'une manière vraiment très plus plaisante. Par exemple, on peut gloser sur le fait que “bio” et “topo” sont, en français, à la fois des racines et des affixes, de ce fait “biotope” a deux racines, mais ce sont des racines mobiles. Et ça tombe bien parce qu'un écosystème a deux “racines”, et même deux fois deux “racines”, et qu'elles sont mobiles. Je parlais précédemment de la trame comme formant l'infrastructure et de la chaîne comme formant la superstructure, et de ce point de vue la trame serait le biotope, la chaîne la biocénose, laquelle au passage, désigne « l'ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace écologique donné » (dixit Wikipédia). Ça n'est ps si simple. Le biotope est certes le “lieu de vie”, mais il est plus. Pour citer le TLF, il définit le biotope comme le « milieu biologique présentant des facteurs écologiques définis, nécessaires à l'existence d'une communauté animale et végétale donnée et dont il constitue l'habitat normal ». Et la biocénose est plus et moins que « l'ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace écologique donné », toujours selon le TLF c'est la « communauté d'espèces animales ou végétales en équilibre dynamique plus ou moins stable dans un territoire défini ». Sans vouloir médire de Wikipédia, les rédacteurs des présentations d'articles ont assez tendance à être “fixistes” et à privilégier les acceptions simplificatrices, donc fixistes4.
Donc, le biotope est plus qu'un lieu de vie et la biocénose à la fois plus et moins que l'ensemble des êtres vivants d'un biotope. C'est simple : les organismes ne peuvent pas occuper un espace “abiotique”, les organismes autotrophes dépendent de microorganismes, en tout premier de bactéries, pour tirer partie du milieu, ceux hétérotrophes dépendent par nécessité de la présence d'autotrophes ou de microorganismes ou d'hétérotrophes, qui doivent donc être déjà là quand ils “occupent le terrain”. Sans même considérer les hétérotrophes, le “biotope” des autotrophes et de certains microorganismes ce sont au moins en partie des microorganismes et bien sûr, pour les hétérotrophes qui se nourrissent d'autres êtres vivants leur seul “biotope” sur le plan alimentaire est “bio”, ergo une partie de la biocénose est aussi une composante du biotope. Ce qui règle la question du “moins” pour la biocénose, puisqu'une partie de celle-ci compose nécessairement le biotope, et qu'une partie de la biocénose intègre certains organismes dans leur propre “biotope”. Ouais, ça règle la question du “moins”... Je crois qu'une petite explication sera utile : il n'y a pas nécessité qu'un biotope se compose d'organismes, il en existe où tous les occupants sont des unicellulaires ou des formes non organisées de pluricellulaires (des lichens par exemple), par contre, du moins pour les biotopes terrestres il y a une interaction entre autotrophes et hétérotrophes puisque, contrairement à ce qui se passe dans les eaux, spécialement dans les mers, dans les zones émergées ils doivent créer et entretenir leur “milieu”, les autotrophes fournissent des composés carbonés aux hétérotrophes qui leurs fournissent les composés minéraux et les uns et les autres sont des “nécrophages” et se nourrissent des restes d'individus morts (parfois aussi ils se nourrissent sur le vif...), en revanche, il y a nécessité pour des organismes qui s'installent dans un espace d'une occupation antérieure.
Le “plus” de la biocénose est liée à deux faits : il y a interdépendance entre individus à un autre niveau qu'alimentaire, ou plus exactement même la composante alimentaire ne suffit pas pour constituer un biotope, les espèces dépendent les unes des autres parce que les unes constituent des hôtes pour les autres et les autres des auxiliaires pour les unes, et bien sûr les individus d'une même espèce sont en rapport de dépendance, en premier parce que pour toutes les espèces une génération n'existe que par l'existence de la précédente, ensuite pour celles où les jeunes ont une autonomie faible ou nulle, leur survie dépend de la présence d'adultes ou de jeunes au moins en partie autonomes, enfin pour celles, disons, sociales, la survie de l'individu est dépendante de l'existence du groupe. Et bien sûr, l'appartenance de certains individus ou groupes à un biotope précis est variable, incertaine. Ce dernier point est moins crucial en ce sens que la délimitation d'un biotope est assez arbitraire, de fait on peut constater des “bassins de vie” où la grande masse de la biocénose est assez stable mais il n'y a jamais de limite nette, notamment, nombre d'animaux prédateurs d'animaux ont une aire de chasse ou/et un nomadisme d'habitat qui ne permet pas de les situer clairement dans un biotope. Disons, selon les espèces le biotope à considérer ne se recouvre pas, on ne peut pas aussi nettement que l'article de Wikipédia tenir la biocénose pour « l'ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace écologique donné », il faut y introduire la nuance donnée par le TLF, parlant d'une population « en équilibre dynamique plus ou moins stable dans un territoire défini ». Le territoire n'est pas “donné” mais il est défini, sa population n'est pas un “ensemble” mais une communauté plus ou moins stable d'espèces. Cela posé, on peut tenir que la composante plus nettement biotopique de l'écosystème, et la plus stable aussi, constitue la trame, celle plus nettement biocénotique, la chaîne, dans le système vu comme une toile, et que le découpage du système vu comme un réseau transcende le (ou est immanent au) couple biotope-biocénose5.
D'un sens, l'écosystème comme paire biotope-biocénose en compose la toile et comme unité, le réseau, du fait que le réseau est indépendant de la structure mais dépendant des acteurs, le biotope formant la part stable de la structure, celle “invisible”, “statique”, la trame, l'infrastructure, la biocénose en formant la part mobile, “visible”, “dynamique”, la chaîne, la superstructure. Chaque nœud est à lui-même un écosystème, à partir de lui se construit un écosystème plus large qui peut à son tour constituer un nœud ou seulement une toile, et ainsi de suite. Pour préciser, ou pour me répéter il me semble, un écosystème textile est composé nécessairement de nœuds, un écosystème réticulaire ne comporte pas de trames et de chaînes, on peut dire qu'un réseau est à la fois trame et chaîne alors qu'une toile, qui est toujours trame et chaîne, “crée des nœuds” chaque fois que la chaîne croise la trame. C'est comme le tissu et le tricot : le second se construit nœud après nœud et dans n'importe quel ordre (du centre à la périphérie, de la périphérie au centre, une ligne après l'autre toujours dans le même sens ou en va-et-vient, en parcelles assemblées peu à peu ou en fin de constitution de toutes les parcelles), et l'on peut y intégrer des morceaux de tissu (on peut aussi placer un morceau de tricot dans un tissu, d'ailleurs, pour l'esthétique ou pour réparer un trou). D'un point de vue fonctionnel, un vêtement tricoté ou tissé se vaut, par contre chacun a ses forces et ses faiblesses, qui sont à-peu-près opposées.
Retour aux ruptures de liens et aux trous dans la trame.
J'ai très brièvement abordé cette question, en disant ceci à propos des sociétés :
Les sociétés réticulaires ont cette force et cette faiblesse qu'un nœud rompu ne met pas en péril le réseau et qu'une rupture du réseau ne met pas en péril les liens, mais il y a une limite de tolérance dans la rupture de liens au-delà de laquelle la société cesse. Pour les sociétés textiles il y a aussi des forces et des faiblesses, les principales forces sont la solidité et la capacité de, disons, auto-réparation de l'infrastructure, de la trame, et pour la superstructure, la chaîne, le remplacement si nécessaire de n'importe quelle personne par n'importe quelle autre de capacités équivalentes, les principales faiblesses sont le coût social de création et de préservation de la trame et les erreurs d'attribution de fonctions sociales, qu'elles soient volontaires ou non.
C'est bien sûr généralisable à tout écosystème. Il me faut cependant préciser quelques points quant aux toiles et aux réseaux, et à des formes qui ne sont ni toile ni réseau ou qui sont les deux à la fois, qu'on peut nommer, en poursuivant la comparaison actuelle, des “feutres” et des “non-tissés”. Pour ce que déjà discuté, il y a deux formes d'écosystèmes réticulaire et deux formes textiles. Comme j'ai déjà en tête une formulation informulée sur les formes réticulaires je vais commencer par là.
Les réseaux nodaux et les réseaux linéaires.
D'un point de vue fonctionnel les deux formes s'équivalent, c'est leur construction qui les sépare. Les réseaux nodaux, et bien, sont proprement formés par des nœuds, chaque point du réseau s'attache à un autre directement, chaque point est relié à un autre par un fil qui est noué à chacun d'eux. Autant de relations, autant de fils et autant de nœuds. Nominalement le terme de “réticulaire” s'applique plutôt à cette forme, le rets, le filet. Les réseaux linéaires sont plus proprement des tricots, le fil compose à la fois les liens et les nœuds. Ce qui rapproche ces deux formes est l'absence de trame, par contre le réseau filaire est une sorte de chaîne, le fil est plus ou moins gros, plus ou moins égal, les liens plus ou moins denses et serrés, les nœuds plus ou moins larges et épais, plus ou moins réguliers ; que les réseaux nodaux sont moins disparates, chaque point doit avoir une dimension qui se tient dans une variation limitée, chaque lien une épaisseur et une longueur assez similaire, chaque nœud une dimension comparable et le nombre de liens pour chaque point doit être proche. Cela parce que la structure fondamentale d'un écosystème est toujours une trame.
Oui, je sais, un peu plus haut je précise que pour les réseaux il y a une absence de trame, et je conclus sur le fait qu'il y a toujours une trame. C'est encore une fois la question du point de vue : l'observateur extérieur subjectif constate une différence forte entre les écosystèmes textiles et réticulaires, faible ou nulle entre les réseaux nodaux et linéaires, l'acteur de type organisme d'un réseau réticulaire constate une différence formelle forte entre les réseaux réticulaires et textiles, et fonctionnelle importante entre réseaux nodaux et linéaires, l'observateur extérieur objectif et l'acteur autre que de type organisme voient toujours une trame, cet observateur voit quelque chose qui n'est pas la trame mais qui ne varie pas trop formellement d'un écosystème à un autre s'il y a des contrastes importants de densité et de répartition d'un biotope à un autre, cet acteur ne voit pas grand chose de ce qui n'est pas la trame et ce qu'il en voit ne diffère pas trop du reste de l'univers, sinon que le quelque chose que voit l'observateur objectif peut être plus propice ou plus dangereux et en tout cas moins prévisible que ne l'est habituellement le reste de l'univers.
Les réseaux textiles plans et volumiques.
Il y a donc deux sortes de tissus, ceux où le motif ou la texture sont créés par la chaîne et ceux où c'est réalisé avec des fils noués sur la chaîne, les toiles proprement dites et les velours. Outre cela, une toile peut comporter plusieurs chaînes, ce qui n'est pas le cas des velours. Pour les écosystèmes textiles, pour au moins deux raisons il y une limite dans la comparaison : qu'ils soient “toile” ou “velours” on peut avoir plusieurs chaînes – on peut même ne pas avoir de chaîne mais là c'est un autre cas – ; la base d'organisation d'un écosystème est toujours réticulaire.
Oui, je sais, tout ça peut sembler de moins en moins cohérent, mais si vous avez suivi cette discussion depuis le début c'est cohérent ou du moins, ça n'est pas plus incohérent que de croire qu'il y a des causes et des effets. Car tout cela est affaire de croyance, de créance, de crédit, de crédibilité, de crédulité. Cette énumération rassemble des mots qui ont un lien étymologique, tous dérivent du verbe latin credere, dont le noyau sémantique est quelque chose comme “croire”.
Excursus : le sens des mots. Exemple : “croire”.
Que “veut dire” le verbe croire ? Rien. Aucun mot ne veut rien dire, aucun mot ne veut rien, aucun mot ne veut. Un locuteur ou un auditeur peut vouloir, peut vouloir quelque chose, entre autres peut vouloir dire, et dire quelque chose. Pouvoir, vouloir, savoir, ça ne peut qu'être le fait d'un être, d'un individu, et pouvoir, vouloir ou savoir dire, le fait d'une variété spéciale d'individus, les êtres humains. Un mot a plusieurs aspects, en premier son aspect matériel, c'est un son, une image, une gravure, une sculpture, bref, une forme ou une action. Ensuite c'est une représentation, par exemple je vais me représenter le mot “croire” et en tant que représentation il n'a pas de forme particulière sinon celle propre à moi, la représentation interne du mot “croire” qui m'est propre et circonstanciellement celle qu'elle prendra au moment où je vais “penser quelque chose” qui dans la langue peut être porté par ce mot. Ou un autre. Je “pense quelque chose” de l'ordre de la croyance ou du crédit ou de la crédulité ou de la crédibilité et qui peut être représenté de diverses manières, la forme “croire” ou celle “faire crédit” ou celle “donner foi” ou celle “avaler des couleuvres” ou celle “être vraisemblable” ou celle... Ce qu'une personne pense n'a jamais de forme externe prédéterminée parce que ce qu'une personne pense n'est jamais prédéterminé, je pense “quelque chose de l'ordre de la croyance” dans un contexte précis, pour une raison précise, et pour réaliser une pensée associant ce “quelque chose de l'ordre de la croyance” à la fois à cette circonstance contingente et à une circonstance interne, quelque chose du genre « comment donner forme à la pensée que je viens de réaliser ? ». Je ne pense pas cela bien sûr, ce que je fais est enclencher un processus qui consiste à transformer une pensée informulée et compacte en une pensée formulée et diffuse, un objet à trois ou quatre dimensions en un objet à une ou deux dimensions, un volume en une ligne, l'autre dimension, qu'on peut ou non considérer, est celle du temps circonstanciel, de la durée : penser, formuler et dire son des opérations qui, comme dit l'autre, prennent “un certain temps”.
Positivement, je ne pense pas “croire”, je pense “quelque chose de l'ordre de la croyance”, qui participe de quelque chose de plus complexe. Ma pensée propre peut se limiter à cela, à ce “quelque chose de l'ordre de la croyance”, mais même en ce cas elle s'insère dans quelque chose d'autre, cette pensée ne naît pas de rien, dans l'univers de la pensée il en va comme dans le reste de l'univers, il n'y a pas de génération spontanée, une circonstance, qui peut être interne ou externe, m'induit à penser quelque chose, qui peut se limiter à ce “quelque chose de l'ordre de la croyance” ou s'étendre à quelque chose de plus complexe où ce “quelque chose de l'ordre de la croyance” n'est qu'un élément, lequel peut être relativement autonome ou relativement subalterne. Si cette chose est assez autonome elle peut se réaliser en tant qu'équivalent de “croire” (y compris “croire”), si elle est subalterne elle peut se réaliser comme composante sémantique secondaire d'une autre chose. Pour prendre un exemple vulgaire (j'adore les exemples vulgaires, souvent ils créent de la rupture, ce qui est très favorable à la pensée réflexive d'un interlocuteur), si vous me disiez quelque chose que je ne peux pas croire, du genre « La lune est un fromage de Gruyère », et bien, dans ma conception de l'univers il s'agit d'une chose invraisemblable, une chose que je ne peux pas croire.
Suite à votre propos je ne penserai pas cela directement et de cette manière, « dans ma conception de l'univers il s'agit d'une chose invraisemblable », tout d'abord je devrai, disons, “comprendre le propos”, effectuer l'opération inverse à celle précédemment décrite et faire d'un objet exprimé et linéaire, d'abord un objet réalisé et plutôt linéaire mais formé en plusieurs ligne, disons, un objet plan, puis en objet comprimé et non réalisé, un volume, une “pensée” comme l'on dit. De fait ça ne ressemble pas trop à ça mais fonctionnellement l'opération suivante consistera à comparer ce volume à toute une série de volumes d'une forme proche, jusqu'à en trouver un correspondant, ou ne pas le trouver. L'opération qui suit est, disons, d'analyser ce volume, de le séparer en volumes élémentaires, pour déterminer des volumes similaires et déterminer s'ils s'associent à un volume compact proche de celui qui correspond à la pensée « La lune est un fromage de Gruyère ». Par le fait, je finirai par trouver un volume de ce genre, quelque chose comme « La lune est un gros caillou ». Du fait, je devrai modifier le volume fromager, ou lunatique, qui sera alors quelque chose comme « La lune n'est pas un fromage de Gruyère », qui découle en partie d'un sentiment qui m'est propre, “quelque chose de l'ordre de la croyance”, en l'occurrence une chose de cet ordre mais négative, “quelque chose de l'ordre de la non croyance”.
Suite à votre propos il peut se passer bien des choses : ne pas en tenir compte ; ne pas formuler ma pensée ; ne pas la réaliser ; ne pas l'exprimer ; en tenir compte, formuler ma pensée, la réaliser, l'exprimer ; rire ; pleurer ; renifler bruyamment, l'air offusqué ou méprisant ; rien ; etc. Cet excursus portant sur le sens des mots, je retiens le cas “en tenir compte, formuler ma pensée, la réaliser, l'exprimer”.
D'évidence, sauf accident (suite à votre propos un événement incident interrompt nos échanges et nous conduisent dans d'autres séquences du flux des événements de ce monde) toute réaction ou non réaction (ce qui constitue aussi une réaction, une réaction négative) de ma part sera “l'expression de ma pensée”, non pas en soi mais relativement à vous. Venant d'exprimer votre pensée sous cette forme linéaire, et celle-ci établissant ou poursuivant une relation entre vous et moi, probablement vous vous attendrez à une réponse ou une réaction de ma part, qui soit relative à cette pensée ou à une série de propos ou d'actions dont celle-ci participe, ou qui soit relative à autre chose – émettre un propos du genre « La lune est un fromage de Gruyère », d'autant si c'est avec les apparences du sérieux et de la conviction, peut certes correspondre à une “vraie” pensée mais peut aussi bien ne pas proprement correspondre à la pensée “vraie” que ce satellite a cette composition, constituer une plaisanterie ou une provocation, ou être une citation, bref, autre chose qu'une parole qui requerrait une réponse littérale, une réponse à une affirmation positive et “vraie”. Dans l'énumération des cas de l'alinéa précédent, tous ceux qui précèdent le cas “en tenir compte, formuler ma pensée, la réaliser, l'exprimer” sont “un même cas”, tous ceux qui suivent jusqu'à “rien” sont “un même cas”. Sauf celui “en tenir compte, formuler ma pensée, la réaliser, l'exprimer”, tous ces cas sont non langagiers. Non pas au sens strict, toute interrelation entre deux individus, quelle que soit leur espèce, “fait langage”, les individus ne cessent de “chercher des signes”, de tenter de donner du sens à ce qui les entoure, car c'est nécessaire à leur préservation, et les types de signes dont un autre individu est le vecteur ont toujours deux sens, l'un direct et simple, c'est un signe, l'autre indirect et complexe, c'est le signe d'une action d'un “semblable” (la non action, comme la non réponse, étant aussi une action, négative ou nulle) et toute action d'un être vivant est une sorte de promesse, la promesse d'une conséquence à son action. La “machine à interprétation” tente alors de savoir si cette promesse est dirigée vers soi et alors, si c'est promesse de don ou de prise, et dans les deux cas, promesse bénéfique ou maléfique. Raison pourquoi “tout fait langage” en interrelation6. Les autres cas sont non langagiers au sens où ce ne sont pas des réponses linéaires et diffuses que l'interlocuteur devra, après réception, restituer comme un volume compact. La première série, assimilable à “ne pas en tenir compte” est certes pou soi-même diverse mais pour l'interlocuteur unique, une apparente “non réaction”, la série suivante est diverse dans son expression mais peut se résumer en “ne pas y croire”, les deux séries composent des réponses compactes, inanalysables. On peut certes les “interpréter”, leur attribuer une formulation linéaire, “je n'ai rien à en dire” et “ne n'y crois pas”, par exemple, mais leur expression, elle, est compacte.
Ma réponse langagière à une affirmation du genre “la Lune (etc.)” est imprédictible. Hormis le fait mentionné que sans connaître le contexte on ne peut pas savoir si son émetteur est sérieux (croit ou semble croire à l'affirmation) ou non, et dans tous les cas si son propos est proprement son discours ou un discours rapporté, une citation, ma réponse dépendra entre autre chose de la position sémantique de ce “quelque chose de l'ordre de la croyance” qui fait l'objet principal de cet excursus : nodale ou périphérique ? Je me limiterai ici au cas où, émettant ce propos, vous le fait avec sérieux et conviction et que vous adhérez à la proposition, vous croyez sincèrement que la Lune est composée de fromage de Gruyère, est une grosse meule de gruyère que, pendant quatorze jours, des souris célestes grignotent, et que pendant les quatorze jours suivants des fromagers célestes reconstituent après que des pièges célestes ou des chats célestes aient massacré presque toutes les souris célestes, les quelques survivantes (par chance au moins un mâle et une femelle) se reproduisant à distance pendant les quatorze jours où les fromagers célestes œuvrent, les nouvelles générations se répandant dans le ciel et accomplissant alors la même œuvre que leurs ancêtres et grignotant à leur tour la nouvelle Lune. On dira donc que vous croyez sincèrement que la Lune est un fromage. Un fromage de Gruyère. Je n'y crois pas. Et je vais vous le dire. Mais comment ?
Je propose ici une formulation, disons, dénotative, reprenant votre proposition pour la nier en bloc : « Je ne crois pas que la Lune est un Fromage de Gruyère ». Ceci correspond à une pensée informulée de l'ordre du sentiment telle que je pourrais l'avoir suite à une affirmation de ce genre, et où le “quelque chose de l'ordre de la croyance” qui est une des composantes de ce sentiment aurait une position sémantique nodale. Je pourrais exprimer mon sentiment de cette manière ou me limiter à l'élément nodal, la proposition même étant assumée par ce qu'en linguistique ou grammaire on appelle un déictique?, un élément du langage qui “sert à montrer” (ce qui est à-peu-près le sens du mot grec, δεικτικός, “deiktikos”, « action de montrer »), dans le cas où ce qu'on veut “montrer” est une parole on utilise le plus souvent des pronoms, qui servent précisément à remplacer un segment de langage de longueur diverse, un mot, une phrase, un discours, l'ensemble de propos tenus dans une langue, l'ensemble des propos tenus depuis que les humains parlent : émettant une sentence du genre « chacun de mes mots les contient tous », “les” pointe directement “mots” ou “mes mots” ou “chacun de mes mots”, indirectement, tous les mots jamais prononcés. Dans notre cas, ma formulation pourrait être « Je ne le crois pas » ou “le” sert à montrer “que la Lune est un Fromage de Gruyère”. D'un point de vue dénotatif les deux formes se valent, vous et moi savons que “le” équivaut à votre affirmation sur la Lune, par contre elle me permet d'insister plus nettement sur ce que j'estime important, ma croyance.
Un déictique “sert à montrer” mais à montrer n'importe quoi. Dans ma première proposition le déictique pointe une parole mais il pourrait pointer mon interlocuteur. Si dans la discussion j'adopte une position de familiarité et que je veux vous mentionner, je vous pointerai par le déictique “te” et pourrais dire « Je ne te crois pas ». Le contexte lèverait je pense une ambigüité dans cette formulation : est-ce que je ne crois pas ce que vous avez dit ou est-ce que je ne crois pas que vous le pensez sérieusement, ou les deux ? C'est sûr, quel que soit le cas cette formulation implique la non croyance en l'affirmation et exprime la non croyance en sa formulation, mais peut aussi, donc, exprimer ma non croyance en votre propre croyance quant à cette affirmation. D'où, ma pensée informulée pourrait se formuler d'autre manière pour mieux préciser ce en quoi je ne crois pas, ou au contraire pour ne pas le faire. Si par exemple je souhaite éliminer la possibilité de mon incroyance sur votre croyance, je peux dire « Je ne te crois pas, je suis certain que la Lune est un gros caillou ». Ça n'élimine pas entièrement l'incertitude mais ça la réduit de beaucoup. Si par contraire je veux mettre en doute le fait que vous croyez à votre affirmation, je pourrais dire « Je ne te crois pas, tu ne peux pas penser une telle chose ». Si au contraire je veux accentuer l'incertitude d'interprétation de ma formulation, je pourrais dire « Je ne te crois pas, ça n'est pas possible de dire un truc pareil ! » : le fait que c'est très possible (puisque ça a été dit) et que je réfute “la possibilité de dire” et non l'affirmation même augmente l'incertitude quant à ce que je ne crois pas. Enfin, pour conclure sur la question de l'énonciation de ma pensée, je peux énoncer une formulation dans laquelle le “quelque chose de l'ordre de la croyance” a une position sémantique encore plus périphérique quant à l'affirmation, et encore plus nodale quant à l'interlocuteur, par exemple « Mais ça n'est pas possible de raconter des conneries pareilles ! » ou « J'ai rarement vu des cons de ton genre... », ou encore plus concis, « Mais quel con ! ». Je vous en avais prévenu, ça serait un exemple vulgaire créant rupture...
Fin de l'excursus.
Je peux disserter longuement sur les écosystèmes, affiner leur typologie, prendre une série d'exemples concrets pour les illustrer que ça ne changera rien à ce fait : ce ne sont pas des réalités concrètes ou abstraites mais seulement des réalités de langage. Pour en savoir plus sur la question, il existe de bons ouvrages et de bons sites (et aussi de moins bons ouvrages et sites, et même de très mauvais) sur le sujet, rédigés par des connaisseurs ou des ignorants, que vous pouvez consulter avec profit (y compris les très mauvais, ne serait-ce que pour avoir l'exemple de choses à ne pas faire dans la forme ou le fond ou les deux). Mon but ici n'est pas vraiment d'expliquer les écosystèmes mais de donner à comprendre que ce qui simplifie tend à opacifier la parole. Pour un biologiste ou un éthologue ou un écologue, ou même un sociologue ou un économiste (si du moins il existe des économistes, ce dont je n'ai pas encore eu la démonstration) la notion d'écosystème est un outil, un terme technique qui permet à deux spécialistes de ces questions de dialoguer sans devoir sans fin déterminer avec précision de ce dont on débat. Non que, même pour des spécialistes, il n'y ait une opacité du terme, par contre ils peuvent assez rapidement s'harmoniser en déterminant brièvement le niveau de concrétion, d'abstraction ou de discussion (si l'on parle de cas réels, de modèles ou du concept général, de la réalité de langue). Pour, disons, un “non spécialiste”, en outre un non spécialiste qui n'a jamais trop cherché à déterminer ce que les spécialistes ou les connaisseurs veulent signifier en l'employant, le terme est nécessairement une réalité de langue, un objet opaque, à l'instar par exemple des termes “algorithme” ou “cholestérol” – oui, le terme de cholestérol : vous savez vraiment ce que c'est et quel rôle, non pas “le cholestérol” mais les cholestérols, jouent dans l'organisme ? Moi non plus, mais par contre je sais que je ne le sais pas. Tiens, un excursus sur “algorithme”.
Excursus : la vertu dormitive de l'algorithme.
J'écoute les médias et si je les en crois, soit c'est un objet fermé inanalysable, soit c'est “quelque chose de mathématique”. En tant qu'objet fermé le terme a une fonction magique, il “explique” n'importe quoi, et spécialement ce qui concerne l'informatique. Le titre de cet excursus réfère à un propos de Gregory Bateson sur la “vertu dormitive du pavot”. Tiens, je vous le cite, pour le plaisir de la lecture – Bateson est un fin ironiste. Pour le contexte je vous renvoie au texte, « Vers une Écologie de l'esprit, Introduction - Une science de l'esprit et de l'ordre ». Voici le passage qui nous concerne :
Beaucoup de chercheurs, surtout dans le domaine des sciences du comportement, semblent croire que le progrès scientifique est, en général, dû surtout à l'induction. Dans les termes de mon diagramme, ils sont persuadés que le progrès est apporté par l'étude des données « brutes », étude ayant pour but d'arriver à de nouveaux concepts « heuristiques ». Dans cette perspective, ces derniers sont regardés comme des « hypothèses de travail », et vérifiés par une quantité de plus en plus grande de données ; les concepts heuristiques seraient corrigés et améliorés jusqu'à ce que, en fin de compte, ils deviennent dignes d'occuper une place parmi les « fondamentaux ». A peu près cinquante ans de travail, au cours desquels quelques milliers d'intelligences ont chacune apporté sa contribution, nous ont transmis une riche récolte de quelques centaines de concepts heuristiques, mais, hélas, à peine un seul principe digne de prendre place parmi les « fondamentaux ».
Il est aujourd'hui tout à fait évident que la grande majorité des concepts de la psychologie, de la psychiatrie, de l'anthropologie, de la sociologie et de l'économie sont complètement détachés du réseau des « fondamentaux » scientifiques.
On retrouve ici la réponse du docteur de Molière aux savants qui lui demandaient d'expliquer les « causes et raisons » pour lesquelles l'opium provoque le sommeil : « Parce qu'il contient un principe dormitif (virtus dormitiva) ». Triomphalement et en latin de cuisine.
L'homme de science est généralement confronté à un système complexe d'interactions, en l'occurrence, l'interaction entre homme et opium. Observant un changement dans le système — l'homme tombe endormi —, le savant l'explique en donnant un nom à une « cause » imaginaire, située à l'endroit d'un ou de l'autre des constituants du système d'interactions : c'est soit l'opium qui contient un principe dormitif réifié, soit l'homme qui contient un besoin de dormir, une « adormitosis » qui « s'exprime » dans sa réponse à l'opium.
De façon caractéristique, toutes ces hypothèses sont en fait « dormitives », en ce sens qu'elles endorment en tout cas la « faculté critique » (une autre cause imaginaire réifiée) de l'homme de science.
L'état d'esprit, ou l'habitude de pensée, qui se caractérise par ce va-et-vient, des données aux hypothèses dormitives et de celles-ci aux données, est lui-même un système autorenforçant. Parmi les hommes de science, la prédiction passe pour avoir une grande valeur et, par conséquent, prévoir des choses passe pour une bonne performance. Mais, à y regarder de près, on se rend compte que la prédiction est un test très faible pour une hypothèse, et qu'elle « marche » surtout dans le cas des « hypothèses dormitives ».
Quand on affirme que l'opium contient un principe dormitif, on peut ensuite consacrer toute une vie à étudier les caractéristiques de ce principe : varie-t-il en fonction de la température ? dans quelle fraction d'une distillation peut-on le situer ? quelle est sa formule moléculaire ? et ainsi de suite. Nombre de questions de ce type trouveront leurs réponses dans les laboratoires et conduiront à des hypothèses dérivées, non moins dormitives que celles de départ.
En fait, une multiplication des hypothèses dormitives est un symptôme de la préférence excessive pour l'induction ; c'est une telle préférence qui a engendré l'état de choses présent, dans les sciences du comportement : une masse de spéculations quasi théoriques, sans aucun rapport avec le noyau central d'un savoir fondamental.
À la première lecture et même à la seconde ce passage m'a beaucoup fait rire, depuis il me fait beaucoup sourire. Je connais nombre de personnes qui n'auraient pas exactement la même appréciation que moi là-dessus, c'est sûr...
C'est plus comme objet mathématique que l'algorithme a une vertu dormitive, comme mot magique il a surtout pour fonction d'opacifier le langage, de “simplifier la réalité”. Par contre, le fait pour les ignorantins de privilégier dans les discours l'idée que les algorithmes sont des objets mathématiques a bien pour fonction de contribuer à l'opacification du terme, parce que pour ces ignorantins “les mathématiques c'est de l'hébreu” (ou du chinois, ou du latin, bref, un langage hermétique réservé aux initiés), de ce fait référer les algorithmes à ce domaine permet de faire l'économie de la compréhension du terme, puisqu'il est précisément “incompréhensible”. Or, un algorithme n'est pas un objet mathématique et n'est même pas un objet complexe, c'est tout au contraire un objet très simple, très facile à définir, et sans aucun mystère. Un objet qui, une fois compris, pose ce problème simple : sa transparence le rend inefficient en tant que mot magique et opacifiant.
Initialement, la “méthode algorithmique” est une méthode formelle développée par le logicien et mathématicien arabe Al Ḫuwārizmī, le mot “algorithme” dérive de son nom, la “méthode d'Al Ḫuwārizmī”. Il s'agissait initialement d'une procédure simple et linéaire pour effectuer des opérations arithmétiques élémentaires (addition, soustraction, multiplication, division). Bien sûr, son propre but était de se simplifier la tâche dans ses activités en mathématique, mais d'une part son application concernait un domaine secondaire, l'arithmétique, le “calcul élémentaire”, celui que peuvent utiliser les comptables et les administrateurs, lesquels ne s'intéressent pas à la vie des nombres mais à la gestion de leurs ressources. Le calcul n'est pas une fin mais un moyen, il peut servir à la mathématique comme à des choses qui n'ont que peu ou pas du tout de rapports avec elle. Pour des raisons qu'il vaudrait d'étudier il se trouve que l'on a intégré les outils de la mathématique à la mathématique même, sauf l'un bien sûr, le langage, on parle certes de “langage mathématique” mais on n'y inclut pas toute la part proprement linguistique qui est un outil nécessaire pour communiquer des notions mathématiques, dénommé, lui, “jargon mathématique” et séparé de la mathématique. Pour le dire autrement, tous les systèmes de signes disponibles sont des outils pour la mathématique, aucun n'est intrinsèquement mathématique, tous sauf la part des systèmes de signe “langues naturelles humaines” dont elle use sont abusivement supposés “mathématiques par nature”. L'algorithmique n'est pas mathématique mais sert à la mathématique, de même que la jambe de bois n'est pas humaine mais sert aux humains.
La méthode algorithmique ? La voici :
Le premier [de mes principes] était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.
Vous me dites ? Oui, c'est ça, il s'agit de la “méthode cartésienne”. Et de la “méthode d'Al Ḫuwārizmī”. Et de la “méthode du boulanger”, et de la “méthode du cuisinier”, bref, la méthode de toute personne qui, dans son activité, doit éviter soigneusement la précipitation et la prévention, ne comprendre rien de plus en ses jugements que ce qu'elle n'a aucune occasion de mettre en doute, de diviser chaque difficulté en autant de parcelles qu'il serait requis pour la mieux résoudre, de conduire par ordre ses pensées, en commençant par les objets les plus simples pour monter peu à peu jusques à la connaissance des plus composés, et en supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement, et de faire partout des revues si générales qu'on soit assuré de ne rien omettre. Je parle de la méthode du boulanger ou du cuisinier, parce qu'une recette est un algorithme :
- Connaître son métier, et ne pas croire avoir compris un procédé qu'on ne l'ait pratiqué ;
- Bien déterminer ce qui doit servir à réaliser la recette ;
- Diviser le processus de réalisation en étapes élémentaires ;
- Grouper ces étapes en unités fonctionnelles ;
- Énumérer les étapes dans un ordre arbitraire mais fonctionnel, parce que, et bien, on ne peut pas dire, ni faire, deux choses en même temps donc on peut les énumérer “sans ordre” mais séquentiellement, en préservant l'ordre “naturel” pour les seules étapes “qui se suivent naturellement” (on ne peut pas battre les blancs en neige avant d'avoir cassé les œufs et séparé les blancs des jaunes, ni cuire le gâteau avant de l'avoir réalisé, par contre il n'y a pas d'ordre naturel entre le battage des blancs et celui des jaunes mais il doit y avoir un ordre entre les deux actions dans l'énonciation de la recette) ;
- Vérifier qu'on n'a rien oublié ;
- Éviter soigneusement la précipitation et la prévention.
La dernière mention n'est pas spécifique à la méthode algorithmique, c'est plutôt le principe de base de la vie, comme le dit si bien le proverbe italien, qui va lentement va sûrement, qui va sûrement va longtemps (chi va piano va sano, chi va sano va lontano).
Étant assez féru en informatique (pour préciser, j'ai deux diplômes dans le domaine, dans l'analyse et la programmation) et assez déficient en mathématiques, je puis vous certifier que l'algorithmique ne requiert aucune compétence en maths, beaucoup en logique, beaucoup en relations humaines et en capacités linguistiques. Bien sûr, un programmeur compétent en maths peut réaliser par lui-même les possibles opérations élémentaires de type mathématique mais le plus souvent les programmeurs ne sont pas les analystes ni les concepteurs des opérations élémentaires. La partie proprement algorithmique est généralement réalisée par l'analyste (qui peut aussi être le programmeur mais l'est rarement), le travail le plus important se déroulant avant cette partie : discuter longuement et précisément avec le demandeur pour clairement comprendre ce qu'il souhaite ; lui demander d'exposer clairement les parties qui sont de sa compétence ; transposer sa formulation en une formulation acceptable par un ordinateur ; “dessiner” le processus dans une forme logique abstraite où les étapes non informatiques sont symbolisées ; décrire le processus dans une forme logique concrète qui simule la logique propre aux langages de programmation. La réalisation effective sera une transposition de la forme logique concrète à la forme propre à un langage de programmation précis, celui dont le programmeur dispose dans son contexte de travail. J'ai déjà travaillé pour des comptables, des directeurs de ressources humaines, des ingénieurs chimistes, etc., des tas de gens qui ont des compétences que je n'aurai jamais, j'ai réalisé des programmes en COBOL, en FORTRAN, en Pascal, en C, en LISP, en Basic, en langages “propriétaires” propres à IBM, Hitachi ou HP, avec des base de données de tous types, la seule chose qui ne varie pas est la partie conception-analyse : bien comprendre la demande, bien diviser les étapes élémentaires. Un algorithme c'est une recette : en entrée, les ingrédients et les outils, au milieu, les étapes de réalisation, à la sortie, un bon plat tout chaud (ou tout froid) où les ingrédients sont transformés et les outils remisés dans leurs placards.
Fin de l'excursus.
Cet excursus me servira par après en tant que lui-même, ici il me sert à montrer ceci : ce n'est pas tant la parole qui importe que l'usage qu'on en a. Certains privilégient l'opacité, d'autres la transparence, d'autres enfin ont pour but d'avoir du discernement et si possible, d'aider leurs semblables à en avoir. Les mots sont nécessairement opaques, les langues sont nécessairement transparentes, la parole est un lien entre les langues et les mots, et un lien entre la vérité et la réalité. Les écosystèmes sont, soit réels, soit vrais, soit imaginaires mais ne sont jamais les trois à la fois, rarement deux de ces cas à la fois. La langue peut aider à accéder au réel, par exemple un ouvrage sérieux et documenté sur les écosystèmes peut exposer longuement les trois aspects du terme, concret, abstrait et linguistique, montrer les rapports et les liens entre ces trois aspects et, in fine, permettre aux lecteurs d'avoir une compréhension fine du terme et de ses usages, ce qui leur permettra de “discerner le vrai du faux”, de déterminer si tel utilisateur en use pour opacifier ou clarifier son discours – l'opacification étant une opération qui “va vers le faux”, que le locuteur en ait conscience ou non. Bien sûr, si l'on n'est pas sensible à telle ou telle propagande, on saura très bien discerner le vrai du faux – je veux dire, si le locuteur exprime un avis qui contredit les croyances profondes de son auditeur, celui-ci détectera ce qu'il y a de “non vrai” (en fait, ce qui va contre sa propre vérité, qui est parfois en concordance avec la réalité) – mais si on n'a pas la capacité de déterminer en quoi c'est “faux” on n'aura qu'une possibilité, nier le propos en bloc. Ce qui n'est jamais pertinent, car les mots sont toujours vrais.
Discerner le vrai du faux.
La langue est toujours fausse, les mots sont toujours vrais, la parole est l'instrument qui permet de discerner le vrai du faux. J'aime bien produire des sentences un peu mystérieuses, je fais l'hypothèse que ça réveillera mes lectrices, voire mes lecteurs. En même temps, je tente autant que possible de dire... De dire... De... Bon, je me lance : de dire vrai. Je m'excuse de cette impolitesse, je tente autant que se peut de dire vrai. D'un sens ça n'est pas très compliqué puisque les mots sont toujours vrais, de l'autre bord on use de la langue pour énoncer les mots, et comme la langue est toujours fausse... Reste à élucider cette idée selon laquelle la parole permet de discerner le vrai du faux.
J'ai du mal avec certains mots, notamment le mot “idée”. Je ne sais pas trop ce qu'est une idée. Une pensée oui, ça c'est simple, je pense, je pense souvent, donc j'ai une appréciation précise de ce qu'est pour moi une pensée, c'est un truc qui aide à avancer, à avancer dans la vie ou dans la pensée ou dans le monde. Je pense, donc j'agis. Une idée, je ne sais pas trop, j'en si rarement et elles sont si souvent fallacieuses, que je ne suis pas certain d'avoir compris le truc pour “avoir des idées”. Il y a bien les idées des autres mais comme le plus souvent elles sont aussi fallacieuses que les miennes et que pour les autres, dont je ne peux déterminer aisément leur caractère de véracité ou de fallacité (mince ! Un néologisme. Je m'en doutais, cela dit), en général je ne les comprends pas trop. Et quand par hasard j'en comprends une, elle se transforme immédiatement en pensée, du coup l'idée disparaît, se réduit à un mot, lequel mot je peux associer à une pensée. Finalement, il se peut que les idées soient un réalité linguistique. Même si ça n'est pas le cas, de mon point de vue une idée n'est qu'une réalité linguistique, donc opaque. Qui ne renvoie à aucune réalité.
La voilà, cette parole : je ne comprends pas un mot, j'en parle, au bout de mon discours, soit ce mot est transparent, soit opaque. Pour moi bien sûr, seulement pour moi. La parole n'est un instrument de discernement que pour qui s'en sert. L'alinéa précédent n'est ni vrai ni faux, chacun de ses mots est vrai, l'ensemble est faux si on le considère mot à mot, vrai si on le saisit comme un seul mot, tout les mots de ce texte sont vrais, chaque partie qui est prise comme un seul mot est vraie, le texte même faux mot à mot, mais pris comme un seul mot il devient vrai. La parole est une sorte de commentaire mais un commentaire révélateur, qui n'est pas réel mais qui peut informer sur la réalité. Dans la première partie j'écrivais ceci à propos des commentaires :
Je préfère commenter les commentaires que les discours réels, ceux qui parlent de la réalité de l'auteur. Un discours réel est aussi un commentaire mais un commentaire sur sa propre réalité, et non sur une réalité abstraite, ou un commentaire sur des commentaires.
Considérant que tout texte est un commentaire, un “comment taire”, un masque sur la réalité qu'il prétend (ou ne prétend pas) décrire, ce que de fait il est (un discours n'est pas la réalité mais la description d'une certaine réalité, il la “masque” non parce que son auteur souhaite masquer quoi que ce soit – cela dit, certains auteurs le souhaitent – mais parce que c'est intrinsèque au langage, un mot est une chose mais non la chose qu'il nomme, un discours décrit la réalité mais n'est pas la réalité décrite, il est sa propre réalité, un objet de la réalité en lui-même), considérant que certains textes décrivent la réalité de leur auteur, que d'autres décrivent la réalité linguistique, commenter pour soi-même un “discours réel” permet parfois d'accéder à la réalité de l'auteur, si l'auteur est précis et si le lecteur est attentif, publier ce commentaire ne fait qu'ajouter un masque à un masque, “déréaliser” le discours, si par chance c'était un discours réel, et ne rien apporter au savoir si par malchance c'était une réalité linguistique ou un commentaire.
Quoi qu'on dise, quoi qu'on écrive, ce dont on parle est toujours sa propre réalité, je peux croire bien des choses, je peux croire disposer d'informations fiables sur l'univers dans le temps et dans l'espace, croire en disposer sur la société française, croire comprendre ce qu'est un écosystème, croire connaître et comprendre mes proches, croire comprendre le sens des mots, qu'est-ce que je peux réellement savoir de quoi que ce soit, que je n'en aie une expérience directe ? Donc, j'écris, je le fais avec des mots qui m'ont été donnés, auxquels j'attribue une certaine valeur, un “sens”. Un mot est réel parce que c'est un objet de la réalité. La valeur que je lui attribue est vraie parce que je la lui attribue. Le lien entre ce mot et cette valeur est réel parce que le mot est réel et que je suis réel, mais faux parce que le seul être de l'univers qui attribue cette valeur exacte à ce mot c'est moi. Un discours est nécessairement faux car les liens entre les mots qui le composent sont arbitraires. En mon esprit se réalise une pensée, laquelle porte nécessairement, soit sur ma réalité propre, “intérieure”, soit sur mon expérience de la réalité, “extérieure”. Elle n'est ni vraie ni fausse aussi longtemps qu'elle reste informulée, c'est, comme le disent certains psychologues, philosophes, ethno-sociologues, comportementalistes une gestalt – un mot dont l'article de Wikipédia sur la psychologie de la forme dit « qu'aucun mot ne [[le]] traduit exactement dans aucune langue », raison pour laquelle, affirme l'article, on a « conservé ce terme de gestalt aussi bien en français (où il est entré dans le dictionnaire), qu'en anglais, en russe ou en japonais », ce qui est invraisemblable mais peu importe (enfin si, importe, mais sous un autre aspect, celui de la transparence et de l'opacité : quand on ne veut pas clarifier un mot on le répute obscur, c'est un processus habituel7). Le mot existe, il est devenu français et a pris à la fois de la densité et de la transparence. Donc, la pensée comme gestalt. L'article cité nous en dit ceci, juste après l'avoir réputé intraduisible :
Le verbe gestalten peut être traduit par « mettre en forme, donner une structure signifiante ». Le résultat, la « gestalt », est donc une forme structurée, complète et prenant sens pour nous.
Bref, c'est une “totalité signifiante”. L'article a raison, « aucun mot ne [[le]] traduit exactement » en français, par contre deux mots le font, donc on pouvait traduire ce mot, qui même en allemand est un mot composé, par un syntagme formé de deux mots. Désolé de dériver un peu là-dessus, c'est de nouveau la question de l'opacité : les linguistes évitent de parler de mots entre eux et préfèrent parler de (tlf:syntagme|syntagmes)), qui sont, nous dit le TLF, des « combinaison[s] de morphèmes ou de mots qui se suivent et produisent un sens acceptable », une suite de sons qui forment une unité de sens. Par exemple, à strictement parler “pomme-de-terre” n'est pas un mot mais une suite de trois mots formant une « combinaison de morphèmes [qui] produisent un sens acceptable ». Une pensée informulée est donc une totalité signifiante, une gestalt, un morceau de réalité à laquelle le “penseur” donne un sens. La formulation de cette pensée en fera nécessairement autre chose, ce que j'évoquais déjà, on transforme un objet compact quadridimensionnel en objet diffus bidimensionnel, tenant compte que la dimension “temps”, “durée”, n'a pas la même “texture” : en tant qu'objets, la pensée informulée comme celle exprimée “durent”, elles persistent dans la durée ; en tant qu'unités de sens, la pensée informulée est d'accès instantané, celle exprimée est d'accès différé, on doit “parcourir le texte”, “écouter le discours” avant d'accéder au sens de l'ensemble. Or, dans la suite d'opérations qui va de ma pensée informulée à votre pensée informulée il y aura de la perte, de la transformation. Et plus nous seront différents, plus il y aura d'altérations.
J'en ai déjà parlé, la communication d'une pensée ne se fait pas qu'en deux ou trois phases, il y a plusieurs étapes qui, à chaque fois, modifient la forme de l'objet. Un bon modèle de la séquence me semble la division cellulaire, spécialement des procaryotes, précisément la division du noyau : lors de la division le noyau, compact et tridimensionnel, se déplie et devient diffus et unidimensionnel puis se duplique ou plutôt, est dupliqué ; les deux nouveaux noyaux, qui à ce moment-là ne sont plus des noyaux au sens strict, s'écartent, s'attachent à deux points distants de la membrane extérieure et commencent à reconstituer une membrane nucléaire, la cellule même se divisant à son tour. L'article consulté de Wikipédia, celui anglophone “Fission (biology)” est comme souvent assez naïf et postule que « le résultat de cette méthode de reproduction asexuée est que toutes les cellules sont génétiquement identiques, ce qui signifie qu'elles ont le même patrimoine génétique (sinon quelques mutations aléatoires)8 ». Naïf parce qu'à chaque duplication il y a des mutations, il n'y a jamais deux cellules “génétiquement identiques”. Ce sont des mutations suffisamment souvent peu significatives, mais que veut dire “suffisamment souvent” ? Le cas des organismes permet de se faire une idée : il y a sans cesse apparition de cellules assez significativement divergentes pour que l'organisme les estime “étrangères” et leurs fassent subir le sort de tout corps étranger, les tuer, et apparition de cellules qui, se considérant elles-mêmes “anormales”, se “suicident”, et apparition de “tumeurs”, c'est-à-dire de cellules ne correspondant pas au modèle en vigueur localement, le plus souvent bénignes mais pas si rarement malignes, “cancéreuses”. Avec les êtres unicellulaires on ne peut pas vraiment savoir ce qu'il en est parce qu'il n'y a pas le même genre, ni de tolérance ni de régulation des “populations”, les organismes ont une certaine tolérance à l'anormalité et nourrissent aussi bien les cellules “inutiles” et “anormales” que les autres, tant qu'elles ne sont pas trop inutiles ou pas trop anormales et bien sûr, pas trop nombreuses. Du point de vue de l'organisme, un cancer est le développement de cellules “anormales” ; du point de vue de ces cellules, elles sont normales mais différentes des voisines, et comme ce n'est pas “leur espèce” elles ont le même comportement que celles-ci, sauf que ce qu'elles éliminent c'est la majorité. D'un sens, une colonie de cellules cancéreuses a quelque chose de commun avec des schémas politiques du genre de celui développé par les nazis : leur but est de procéder à l'élimination des “indésirables” ce qui revient, quand on est ultra-minoritaire “de son genre”, de son groupe, à tenter de tuer le corps qui nous fait vivre. Dans un texte au titre un peu provoquant mais au contenu qui ne l'est pas, même si ce que j'y dis est peu conventionnel, dans ce texte, « Le génocide nazi », je développe l'idée assez évidente que le but réel des nazis était leur propre destruction. D'évidence ce n'était pas leur but véritable mais justement, là se situe l'écart entre les chercheurs de vérité et les chercheurs de réalité : importe non ce que l'on prétend vouloir réaliser mais ce que l'on réalise. Le but que se fixaient les nazis était “restaurer la pureté de la Race Aryenne”, ce qui pose problème avec chaque mot, avec l'expression et avec le concept.
Excursus : La réalité ne se change pas sur commande.
La notion “restaurer” dans le sens de “rétablir” ne peut s'appliquer que pour le présent et ni pour le passé ni pour le futur, ce que l'on peut envisager de restaurer est, disons, le fonctionnement harmonieux d'un système, son homéostasie, tendre à l'équilibre du système, ce qui ne peut valoir que pour ici et maintenant et dans l'état actuel de ce système. Le projet nazi était de rétablir “dans le futur” un équilibre situé “dans le passé”, ce qui signifiait la désorganisation du système “dans le présent”, et ma foi, quand on désorganise un organisme il a une fâcheuse tendance à cesser – à mourir. De ce point de vue... Non, je réserve ça pour plus loin. La notion de “pureté” n'a jamais d'application réelle, nous vivons dans un univers impur, de ce fait vouloir éliminer les éléments “impurs” est une tâche sans fin, plus on en élimine, plus les critères de pureté s'étendent, ce qui maintient le “taux d'impureté” à un niveau au moins constant, souvent plus élevé : quelle que soit la part réelle d'individus “purifiés”, si au départ le “taux d'impureté” est, disons, de 50%, il restera le même après élimination de la moitié de la population. C'est une boucle inéluctable : la logique de l'épuration est de postuler qu'une fois les “indésirables” éliminés, tout ira pour le mieux, or cette élimination, au mieux ne change rien à la situation non souhaitable, souvent ne fait que l'aggraver ; le réaliste qui voit qu'une solution ne donne pas le résultat attendu en tire la conclusion que ce n'était pas la bonne et en change ; l'idéaliste part du principe que la solution est correcte, donc qu'il faut faire la même chose mais en plus gros. Je ne parle pas de la notion de race, avec une hypothèse comme “la pureté de la race” l'échec est inévitable. Les Aryens, ça n'existe pas. Enfin si, ça existe, mais ni en ce lieu ni en ce temps, les véritables Aryens sont les ancêtres culturels et civilisationnels de l'ensemble de peuples héritiers du bassin perse, donc l'Iran et certaines parties des pays proches. Et en tout cas, la “race aryenne” ça n'a jamais existé pour autant qu'on la cherche dans les corps – dans l'hérédité généalogique – et non dans les esprits – dans l'hérédité culturelle.
Considérant tout cela, considérant l'inadéquation de chaque terme de la proposition avec la situation de l'Allemagne de 1933, l'évidence de l'inéluctable échec des nazis est claire. Considérant l'expression, “restaurer la pureté de la Race Aryenne” est une impossibilité puisque cela s'appuie non sur un passé réel mais sur un passé mythique élaboré au cours du XIX° siècle un peu partout en Europe et très notablement dans ce qui devint l'Allemagne en 1870 mais se construisit dès la décennie 1820. En gros, le projet nazi était de rétablir un état ancien de la société qui n'a jamais eu lieu, dans un espace qui n'a jamais existé et avec une population “originelle” qui est une pure invention. Partant de là, il n'y a qu'une manière de “réaliser” cela : faire disparaître l'ici et le maintenant, éliminer le réel – procéder au suicide collectif de tout un peuple. Considérant le concept, et bien ça se déduit de ce qui précède : on ne peut pas réaliser l'irréalisable. D'où mon concept de “génocide nazi” : si les nazis avaient pu mener leur projet à terme, la conséquence aurait été de totalement éliminer l'ensemble de la population qu'ils affirmaient vouloir “restaurer”. Ce qui était en bonne voie, cela dit, en nombre ça n'était pas si loin, en proportion de la population le plus grand nombre de victimes que le projet nazi provoqua, directement ou indirectement (manière de dire : quand on décide de mener une “guerre totale” est-ce qu'on peut vraiment dire que les victimes dans sa propre population sont indirectes ?), fut dans la population allemande, spécialement chez les nazis les plus fervents. Le point de vue que j'avais remis à plus tard est celui-ci : dans l'ensemble, le projet nazi s'est réalisé. Mais autrement que prévu.
Donc, “restaurer la pureté de la Race Aryenne”. La méthode : éliminer les indésirables. Le but immédiat : détruire la société actuelle. Le but final : “régénérer la race”. Entre 1941 et 1945, une large part des indésirables fut éliminée, je veux dire : les nazis les plus radicaux ont pour une large part été éliminés et après 1945, si même ils en avaient la nostalgie, du moins les nazis les plus opportunistes ont laissé leurs opinions à la maison, et non plus dans l'espace public. Les Allemands les plus indésirables, ceux qui visaient à la destruction de la société allemande, furent éliminés. Détruire la société actuelle ? Une réussite totale : en 1945 l'Allemagne du Troisième Reich est défaite et disparaît pour laisser la place à une société nouvelle. Et même à trois sociétés. Régénérer la race ? On peut ne pas adhérer à la notion de race – ce qui est mon cas – mais constater tout de même que la “race allemande” a en effet été “régénérée” après la défaite nazie. Comme dit, une réussite totale mais assez peu concordante avec le projet “véritable” des nazis. Le fin mot de l'histoire est le suivant : l'analyse des nazis était assez correcte, l'Allemagne des années qui ont suivi la Première Guerre mondiale était en pleine déliquescence (ce ne fut pas la seule, cela dit, mais elle l'était éminemment), un changement radical de la superstructure et une amélioration importante de l'infrastructure étaient nécessaire, il fallait “éliminer les indésirables” au sens où il fallait éliminer les groupes idéologiques disruptifs, ceux même qui contribuaient le plus à la désorganisation sociale, non pas leurs membres ou leurs soutiens mais les groupes, les idéologies qui animaient ces groupes – et si nécessaire ceux de leurs membres les plus dangereux pour la société. Analyse à-peu-près correcte, solutions totalement irréalisables et fondamentalement contraires à ce qu'induisait l'analyse.
On peut dire que ce qui s'est passé en Allemagne au tournant des années 1920 et 1930 était, dans le contexte de l'époque, inéluctable mais que ce qui se passa à partir de 1932-1933 est un concours de circonstance, pour des raisons explicables il y eut une “harmonisation” entre la population allemande et le groupe idéologique personnifié par Hitler qui déboucha sur un “emballement”. Au départ, le parti nazi était assez similaire aux autres partis de type, disons, fasciste, des réactionnaires nationalistes alliés à des conservateurs opportunistes qui adoptèrent les méthodes de propagande très efficaces des partis révolutionnaires “de gauche” et les outils de mobilisations eux aussi très efficaces des mass media nés dans les deux précédentes décennies, avec pour visée principale de faire que rien ne change, que chacun “reste à sa place”, les puissants au pouvoir, les autres dans l'impuissance. Et comme les autres partis de ce type, leur projet politique affiché n'était pas censé se réaliser. Mais il commença effectivement à se réaliser, ce qui ne pouvait que les mener à l'échec. Le titre de cet excursus, « La réalité ne se change pas sur commande », vise ce que dit plus haut : un projet irréaliste ne peut pas se réaliser. Par contre, il peut mener à une catastrophe si les porteurs de ce projet ont les moyens de tenter de le réaliser. On ne peut refaire l'Histoire mais en toute hypothèse, s'il n'y avait pas eu Hitler ça aurait tourné beaucoup moins mal, non que tout soit le fait d'Hitler, c'est plutôt une sorte de catalyse, il n'est pas cause de tout mais il est cause de l'emballement.
Fin de l'excursus.
Je ne crois pas qu'un groupe idéologique “non isolationniste” puisse avoir la volonté réelle de contribuer à sa propre destruction, par contre je sais que certaines idéologies favorisent des projets politiques auto-destructeurs. C'est proprement assez similaire à ce qui se passe pour des tumeurs cancéreuses. Dans toute société il y a des “tumeurs”, des groupes qui ont un projet de société incompatible avec celui de la société globale. La majeure partie de ces groupes compose des “tumeurs bénignes”, plutôt séparatistes et ne visant pas à court terme à “changer la société”, qui interfèrent peu avec le reste de la société sinon pour des échanges matériels. Selon leur distance au modèle social global ils seront plus ou moins séparatistes et pour les plus distants ils peuvent tendre à l'isolationnisme, la séparation totale avec le reste de la société. On nomme généralement ces groupes des “communautés” ou des “sectes”, selon que leur projet de société est tendanciellement “matérialiste”, “politique”, “social”, ou “idéaliste”, “religieux”, “mystique”. Ils sont souvent assez mal vus par les voisins mais les moins séparatistes sont souvent appréciés, disons, on s'en méfie mais on les apprécie car ils sont fiables ou serviables ou compétents dans leurs domaines. Les les plus séparatistes représentent parfois un danger pour eux-mêmes ou pour leurs voisins, ou pour les deux. Dans certains contextes, les voisins peuvent aussi représenter un danger, en ce sens que certains milieux ont une tolérance faible aux “déviances”. De loin en loin, certains de ces groupes “dérapent”, sont amenés, de manière endogène ou du fait d'un contexte défavorable, à avoir une conduite “suicidaire”, parfois au sens strict (suicides collectifs), soit en créant une situation qui les met en conflit ouvert avec la société locale ou globale ou en commettant des crimes en série ou des crimes de masse, soit en menant une expérience irréaliste au-delà du tolérable, ce qui provoque la mort de tous ou presque, ou l'éclatement du groupe. On peut aussi ajouter à ces groupes certains groupes criminels qui, dans certaines circonstances, peuvent agir à la manière de ces groupes.
Les groupes “tumeurs malignes”, et bien, ont la volonté de changer la société à court terme. S'ils forment souvent des mouvements de type politique ils peuvent adopter n'importe quelle forme, mouvements religieux, économiques, “sociaux”, ou un mélange de tout ça. Puisque leur but est de “changer la société”, et précisément, de “changer la société de l'intérieur”, tous les secteurs les concernent, raison pourquoi le “point d'entrée” importe peu. Ces groupes sont généralement réticulaires et, selon leur idéologie, peuvent proprement former un filet où chaque nœud est censément égal à chaque autre, ou s'organiser “en toile d'araignée” avec un nœud central qui rayonne vers la périphérie. Formellement ça ne fait guère de différence tant que le groupe reste assez confidentiel, les nœuds du réseau sont souvent dépendants de la densité de la population locale, leur interrelation dépendante du niveau de ressources des membres, de ce fait même un réseau censément centralisé est assez décentralisé par manque de moyens, et même un réseau censément égalitaire a des nœuds “dominants” et “subalternes” qui correspondent en général aux sites dominants et subalternes de la société globale. J'ai en mémoire deux cas, l'un “égalitaire”, plutôt social et sinon religieux du moins mystique, où certains nœuds étaient “plus égaux que d'autres” parce que tout simplement le nombre de leurs membres était beaucoup plus important, l'autre “centralisé” et politique dont les cellules les plus périphériques avaient une large autonomie parce que le centre n'avait pas les moyens matériels et humains lui permettant un contrôle du niveau qu'il souhaitait. Ces groupes ne posent pas trop de problème à la société parce qu'ils comptent généralement peu de membres et parmi eux, peu occupent des positions prépondérantes ou stratégiques dans la société. De loin en loin, un groupe de ce genre se lance dans “l'action directe” ce qui crée des perturbations parfois importantes mais de peu de durée ou de peu d'intensité car plus ils sont actifs moins ils sont attractifs et assez vite la société “résorbe la tumeur”. On peut aussi ajouter à ces groupes certains réseaux criminels qui, dans certains contextes, peuvent agir à la manière de ces groupes.
Que ces groupes soient au départ des tumeurs bénignes ou malignes, les uns et les autres peuvent, dans certaines circonstances, représenter un danger réel pour la sauvegarde de la société globale. Les tumeurs bénignes, c'est assez simple, leur dangerosité est en rapport direct avec la cohésion de la société globale : plus elle est faible, plus ils peuvent représenter un danger. Un danger pour la société mais pas toujours pour ses membres en ce sens qu'une société dont la superstructure se défait mais dont l'infrastructure est assez solide peut favoriser l'émergence d'un groupe parfois circonstanciel dont le projet politique est solide et qui aura le soutien d'une part significative des membres de la société. Sans dire que ça soit toujours favorable à moyen ou long terme ni que ça se passe sans heurts, beaucoup de révolutions ont lieu dans de telles circonstances. C'est plus souvent quand la superstructure est solide mais l'infrastructure faible que les groupes de ce genre peuvent constituer un danger pour la population, le groupe de pouvoir de la superstructure se replie dans la partie la plus solide de la société est des groupes locaux, parfois dissidents, parfois en accointance avec le pouvoir, se créent des “principautés” et imposent leurs règles à la population générale ou les met en sujétion. Bien sûr ces situations favorisent aussi les groupes criminels endémiques qui peuvent alors agir comme une “tumeur bénigne” (je parle de la forme, non pas de l'activité, qui est rarement “bénigne”...), adoptant souvent un discours “idéologique” sans pour cela y adhérer.
Les groupes “malins” sont toujours problématiques. Je leur ai donné ce nom par comparaison aux formes des tumeurs mais ça n'induit rien quant à leur action sur la société en ce sens qu'ils ont la forme normale des groupes sociaux étendus et qu'ils peuvent être porteurs d'un projet de société a priori favorable – au moins dans leur discours. Par exemple, tout groupe politique nouveau, qu'il ait un projet nouveau ou non, qu'il soit “révolutionnaire” ou “réactionnaire” (fondamentalement c'est la même chose puisqu'il s'agit de “changer le sens de la société”), qu'il soit conservateur, réformiste, ou libéral, ou autre, cherchera à créer un réseau. Une entreprise conformiste sans projet social global peut être locale, une entreprise qui veut “changer la société” (ce qui peut signifier plus prosaïquement, prendre la place d'un autre groupe, changer l'acteur sans changer le reste) doit viser à la globalité et de ce fait, s'organiser en réseau. Très possible que son projet social soit textile mais quand on démarre on n'a pas tellement le choix, le tissu social est déjà là et les bonnes places dans la structure sont déjà occupées... Les groupes qui constituent des tumeurs malignes sont donc toujours problématiques parce que toujours possiblement dangereux, les tumeurs bénignes sont bénignes pour deux raisons : elles sont locales et leur projet est clair puisqu'elles le mettent en œuvre. Quand la trame et la chaîne de la société sont solide, ce type de groupe ne peut s'étendre que par la conviction et la discussion, il procèdera par “conversion”, ce qui peut être décrit comme, la trame devient la chaîne et la chaîne devient la trame. Même si ça n'est pas toujours le cas, une telle transformation peut se passer sans (trop de) heurts car le “tissu social” n'est pas considérablement modifié. Les êtres vivants ne sont pas des matières inertes et statiques, ce sont des objets mobiles et autonomes, changer la structure requiert de déplacer un nombre limité d'individus, ceux qui sont aux points de croisement de la toile. Les tumeurs malignes c'est autre chose : leur projet peut être d'opérer une conversion, ou il peut être seulement d'occuper les meilleures places, ou il peut être plus radical et plus violent, “inverser la toile”, une véritable révolution ou une véritable réaction, faire que le dessus soit dessous et que le dessous soit dessus mais pas comme avec la conversion, on prend toute la toile et on la retourne.
Les groupes malins posent problème pour une autre raison : leur projet réel n'est pas toujours celui formel. Et pour une autre raison encore : la structure change plus souvent les groupes que les groupes ne changent la structure. Le cas nazi est intéressant de ce point de vue : en toute hypothèse, le projet, disons, réel de ce groupe était probablement de ne pas changer grand chose, de faire quelque chose de comparable aux fascistes italiens, avoir un discours “révolutionnaire” et une pratique très conservatrice. Factuellement, ce qu'a fait le parti fasciste fut pour l'essentiel de prendre les meilleures places, d'imposer un régime autoritaire et assez violent mais sans excès (bon, je dis ça mais je n'aurais pas aimé vivre cet autoritarisme violent “sans excès”), disons, un régime un peu plus violent et un peu plus autoritaire que le précédent mais pas tant que ça. D'un sens, ce qui se passa en Allemagne dans les années 1930 n'est pas si différent sauf sur un point, le contexte. Et justement, le danger des groupes malins est lié au contexte.
Excursus : propagande et fascination.
Un bout de temps que je discute de la propagande, et un bout de temps que je réfléchis à la fascination sans trop oser en discuter. Deux sujets délicats. Moins pour la propagande mais à peine moins. L'idée avec la propagande est que ça structure la société. Que ça structure la vie même. L'idée avec la fascination est qu'il s'agit d'un “effet de bord” de la propagande, un effet secondaire ou collatéral. Ou alors, la propagande est un cas particulier de la fascination. Ou alors, l'une et l'autre sont des variantes du “jeu de la vie”.
La vie est pas mal de choses, elle est un songe, devant soi, un long fleuve tranquille, des autres, l'amour et la mort, mais avant tout la vie est un jeu. Un jeu dangereux, comme tous les jeux. Un mélange de poker, de roulette, de roulette russe, d'échecs, de dames, de go, de scrabble, de monopoly et de... Et de tout. Au fond, la vraie proposition serait plutôt qu'un jeu est la vie, que tout jeu est “le jeu de la vie”. Je ne sais pas si les jeux tels que les pratiquent les humains, ceux qui leurs sont propres, avaient pour but cela, du moins est-ce, comme avec les jeux que pratiquent beaucoup de mammifères, notamment ceux dont au moins une partie des activités est la prédation d'animaux mobiles, à fonction d'apprentissage. Les uns apprennent à se comporter, d'autres à interagir, d'autres à anticiper et préparer, souvent un jeu mélange ces apprentissages. Et certains sont des “jeux de la vie”, ils apprennent à se méfier de tout et à se fier à tout mais avec discernement.
Un jeu comme le poker par exemple, est avant tout un jeu d'observation et un jeu de rôle où l'élément apparemment central, le “jeu de cartes”, est très secondaire. Disons, il intervient avant tout en tant que moyen d'affûter sa vigilance et de se composer un rôle. Si vous y avez déjà joué ou si vous avez observé des parties vous le savez déjà, la “main” des joueurs a un rôle très secondaire, et de moins en moins important au cours d'une partie. Lors d'un tour, le joueur qui emporte la mise est rarement celui qui a la meilleure “main”, la meilleure combinaison de cartes. Les cartes interviennent comme “hypothèses”, au début d'une partie il il y a beaucoup de combinaisons possible puis, le talon s'épuisant, elles se réduisent, mais durant toute la partie l'hypothèse la plus probable est que chaque joueur n'a pas une très bonne “main” et qu'au moins un joueur a une meilleure “main” que soi. D'où, si on veut gagner il ne faut pas trop tenir compte de sa “main”, sauf si on a un carré d'as. Et même en ce cas il ne faut pas trop en tenir compte en ce sens que, quoi qu'on ait dans sa “main” il faut jouer toujours à-peu-près de la même manière, pour ne pas influencer trop le comportement des autres joueurs. Le but du poker étant avant tout de gagner le plus de mises possibles, si on se comporte d'une manière trop indicative ça peut induire les autres joueurs à ne pas miser.
Des jeux comme la belote et le tarot font appel à la mémoire et à l'observation, et sont des jeux où l'interrelation a une grande importance. Les cartes ont une fonction plus importante que dans le poker mais ça n'est pas la part prépondérante, ce qui compte le plus est d'avoir une idée assez fine de, disons, la psychologie et des comportements des autres joueurs. Dans ces deux jeux, un tour commence par des “annonces”, chaque joueur doit, à son tour, dire si il “prend”, c'est-à-dire s'il fait l'hypothèse qu'il peut remporter le tour. S'il réussit il gagne les points ramassés, s'il échoue il perd tous ses points. À quoi s'ajoute, au tarot, le montant de la mise engagée, qui peut être de 1, 2, 4, 8 ou 16 fois la mise de base. Si les cartes qu'on a en main sont indicatives, ce que l'on sait de la manière de miser et de jouer des partenaires a encore plus d'importance. Disons, moins ils sont prévisibles, moins on prendra de risques. Au tarot à cinq joueurs notamment, cette connaissance des partenaire à un rôle éminent, à une époque je jouais très régulièrement avec des personnes que je connaissais bien et qui avaient des capacités très disparates, notamment certains étaient très prudents, certains pas très habiles par manque de vigilance ou de mémoire, certains éloquents par leur attitude quant à ce que comportait leur “main”, d'autres non. Comme, dans le tarot à cinq, le joueur qui “prend” va “appeler”, c'est-à-dire déclarer que le joueur qui a une certaine carte sera son partenaire, les trois autres étant leurs adversaires, si l'on sait que tel joueur est assez timoré et assez éloquent, s'il doit faire une annonce avant soi, qu'il donne les signes d'avoir un excellent jeu selon qu'il renonce (ne fait pas d'annonce), qu'il engage une mise réduite ou moyenne, on peut faire l'hypothèse qu'il a peu ou beaucoup de cartes qu'on peut “appeler” (en général, un roi ou une dame). Si j'ai un jeu faible ou moyen, qu'un joueur de ce genre fait une annonce moyenne et que les autres ne surenchérissent pas, il y a de bonnes chances que ce joueur ait en main beaucoup de cartes appelables, du fait je prendrai le risque de surenchérir en comptant qu'il sera mon partenaire, ce qui arrive souvent. Ce genre de calcul a son importance du fait que le joueur qui s'engage remporte (ou perd) deux fois la mise, son partenaire et ses adversaires ne remportant, ou perdant, que le montant de la mise. Du fait, avec un jeu moyen ou faible et un partenaire à jeu fort, on gagne le tour grâce à lui mais on gagne deux fois plus que lui.
Sans épuiser la question, on peut dire que les jeux se classent le plus souvent en deux types principaux, les jeux de tactique, où l'on doit faire des évaluations à chaque tour de jeu, et ceux de stratégie où l'on doit les faire sur toute une partie, tenant compte que lors d'un tour de jeu de tactique il peut y avoir de la stratégie, lors d'un tour de jeu de stratégie, de la tactique, et que souvent les deux se mêlent en proportion variable. L'exemple du tarot montre que si c'est surtout un jeu de stratégie puisqu'une partie peut avoir une infinité de tours, lors d'un tour il y a des phases où la tactique prédomine et d'autres où c'est la stratégie. Les jeux entièrement aléatoires, type roulette, ou entièrement prévisibles (s'il y en a, mais du moins certains le sont beaucoup) sortent de ces types ; croire qu'il peut y avoir de la stratégie ou de la tactique avec la roulette est illusoire, le seul stratège à la roulette est le banquier, et sa stratégie est sommaire : le banquier gagne toujours.
Les jeux sont des sortes d'ateliers d'apprentissage de la vie, certains simulent des situations réelles, la plupart sollicitent des compétences qui sont socialement utiles. Et de toute manière, la vie est un jeu, mais un jeu sérieux. Remarquez, beaucoup de jeux le sont, le poker, la belote et le tarot notamment sont des jeux d'argent, même si (et c'est mon cas) beaucoup de gens se contentent de compter les points. Pour anecdote, à une occasion, pour ne pas avoir à compter on avait convenu, avec mes partenaires, de miser des sachets de sucres en jouant au tarot. Vous savez quoi ? Miser des objets au lieu de miser des points change le comportement, quand on voit son tas de sachets de sucre diminuer on est beaucoup plus prudent que quand il s'agit juste de noter des chiffres dans des colonnes... Pour anecdote encore, un ami Turc m'avait expliqué un jour que le jacquet (ou backgammon) est un jeu très sérieux dans son pays, un jeu à fonction sociale, la valeur des individus, spécialement administrateurs et militaires de haut rang, est en partie déterminée par leur valeur comme joueurs de jacquet. Le poker aussi a une fonction sociale de “classement” dans certains pays et dans certains milieux, y être “bon” (gagner souvent) est valorisant. Et bien sûr, dans la plupart des pays on voit des joueurs professionnels qui vivent de leur art au jeu. Cela posé, la vie est donc un jeu, entre autres choses. J'avais décrit ça dans d'autres textes comme le jeu du chat et de la souris, ou plus exactement, comme
Le Jeu du Chat, du Chien, de la Souris, du Rat, de l'Arbitre et de l'Autre.
Pas sûr que j'aie exactement donné ces noms, “arbitre” ou “banquier”, “autre” ou “inconnu” ou “absent”. Dans une version les deux acteurs principaux, le chat et la souris, sont nommés les salauds et les cons. Les termes importent peu, seules les fonctions comptent.
À dire vrai je n'ai pas inventé grand chose, c'est plutôt une synthèse. On peut décrire la vie, spécialement la vie des humains en société, de diverses manières. Plusieurs récit d'un excellent écrivain de science fiction, Cordwainer Smith, sont des variations sur le thème jeu du Chat et de la Souris, je pense entre autres à une nouvelle intitulé La Mère Hitton et ses chatons et à une autre, Le Jeu du rat et du dragon. D'ailleurs, dans ses récits interviennent beaucoup de chats, de rats, de souris, de chiens et d'arbitres. La nouvelle Le Jeu du rat et du dragon est plaisante mais trop explicite à mon goût, un peu trop didactique, La Mère Hitton et ses chatons est plus subtile en ce sens que, si on la lit bien, dans ce récit les “chatons” sont des “rats” et le personnage qui apparaît pendant presque tout le récit être une sorte de rat, se révèle chat à la fin. Une chose particulièrement intéressante avec Cordwainer Smith est le fait que dans ses récits de science fiction c'est comme dans la vie : il n'y a ni bons ni méchants, chacun a de bonnes raisons pour agir à sa manière, chacun fait toujours le mauvais choix, c'est-à-dire le seul qu'il puisse faire, et le résultat, qu'on peut estimer bon ou mauvais, n'est jamais une conséquence nécessaire du choix. Et bien sûr, les apparences sont toujours trompeuses...
Les humains ne sont pas des chats, ni des chiens, ni des souris, ni des rats (cela dit en toute hypothèse), il peuvent être des arbitres et sont toujours des “autres” – ce qui en fait des “mêmes”, car si tous sont des autres alors tous sont les mêmes. Considérant que les humains ne sont pas des animaux, ou du moins pas des animaux autres qu'humains, et que le Jeu du Chat, du Chien, de la Souris, du Rat, de l'Arbitre et de l'Autre (pour la suite, on se contentera du Chat et de la Souris, ou de la Vie) se joue entre humains (cela dit, des vrais chats, chiens, rats et souris peuvent y participer mais comme auxiliaires des humains), les joueurs “animaux” sont des humains qui jouent un rôle. Le dernier joueur, l'Autre, indique assez je crois que, et bien, on ne sait pas trop qui est qui : si l'Autre est un Même, quel Même est-il ? Et si chaque Même est un Autre, quel Même, ou Autre ? C'est ça le Jeu de la Vie : on ne sait jamais très bien qui est qui. Après un truisme d'une telle évidence et d'une telle généralité je peux aller me coucher et vous laisser disserter sur ce thème, on ne sait jamais très bien qui est qui...
Zut !, je me suis levé il y a peu ! Bon ben, j'irai me coucher plus tard et vais pour mon compte disserter sur les chats et les souris. Et les autres.
Le jeu du chat et de la souris est un modèle, comme tous les jeux, une “simulation”, ça n'est ni la réalité ni la vérité et ça ne prétend pas tout dire de la Vie et du Jeu. Ce modèle me sert surtout à discuter de ce qu'est un rôle social et à faire des hypothèses sur la manière dont les sociétés évoluent – dont elles évoluent en tant qu'individus et qu'espèces. Le Chat est, disons, “celui qui a le pouvoir”, le Chien, “celui qui garde le pouvoir”, c'est aussi une sorte de Chat mais il l'ignore et en plus quand il lui arrive de prendre le pouvoir, et bien, il fait un Chat très imparfait, la Souris “celle qui est sous le pouvoir”, savoir si le pouvoir la domine ou si elle le soutient – indécidable –, le Rat est “celui qui est contre le pouvoir”, savoir s'il s'y oppose ou s'il s'appuie dessus – indécidable –, et c'est aussi “une sorte de Souris”, l'Arbitre est “le maître du jeu”, il ne fixe pas les règles mais il peut en modifier certaines et surtout il vérifie qu'on les respecte et si besoin il sanctionne ceux qui ne les respectent pas, quant à l'Autre, et bien, c'est l'Autre. ou l'Absent. C'est ainsi avec l'Autre, on ne sait trop qui il est, on ne sait même pas s'il joue vraiment le Jeu, et s'il le joue, on ne sait pas trop quel rôle il y tient. Ni s'il respecte les règles. Sur ce dernier point, pour peu que l'Autre joue le Jeu ça ne fait pas de différence avec les autres joueurs : ils ne respectent pas toujours les règles. Y compris l'Arbitre.
Les règles du jeu non modifiables sont élémentaires :
- Le Chat, qui est unique, a le pouvoir,
- Le Chat peut manger autant de Souris qu'il veut mais,
- Le Chat ne peut pas manger plus que la moitié des Souris,
- Le Chien, qui est plusieurs, garde la Souris, c'est ainsi qu'il garde le pouvoir,
- Le Chien a un quota de Souris qu'il peut manger,
- Le Chien ne doit jamais manger autant ou plus de Souris que le Chat,
- La Souris, qui est multitude, n'a aucun droit et beaucoup de devoirs,
- La Souris sert le pouvoir, et si besoin sert de plat de résistance,
- Le Rat, qui est multiple, a quelques droits et devoirs mais,
- Le Rat n'a pas le droit d'être une Souris et n'a aucun droit sur les Souris,
- L'Arbitre, qui est unique et multiple, vérifie que les règles sont respectées,
- L'Arbitre distribue les rôles en début de partie,
- L'arbitre fixe ou modifie les règles, sauf celles de cette liste,
- L'arbitre peut s'accaparer une partie des Souris, dont le nombre est dépendant du nombre total de Souris,
- L'autre, qui est autre, joue le Jeu ou ne le joue pas,
- Les règles de cette liste sont en nombre fini, sauf si les joueurs s'entendent pour en ajouter,
- Les règles non modifiables qui seraient ajoutées sont modifiables,
- Les règles non modifiables actuelles de cette liste sont modifiables.
Hormis celles de cette liste, toutes les autres règles sont modifiables et certaines peuvent ne pas être respectées, ou n'être respectées que sous certaines conditions. Une partie se déroule comme elle se déroule et se termine quand l'Arbitre le dit, ou quand elle se termine. Dans tous les cas, à la fin de la partie la Souris gagne.
Bon, d'accord, la dernière règle de la liste semble induire que les règles à respecter ne sont pas à respecter. C'est plus ou moins vrai. La chose est que toutes les règles de la liste doivent être respectées mais, comme l'indique la dernière règle, même celles non modifiables sont modifiables ce qui fait qu'on ne sait jamais quelles sont les règles. Le Jeu de la Vie est comme tous les autres jeux, et aussi comme la Loi : nul n'es censé l'ignorer mais beaucoup, y compris chez les arbitres, la méconnaissent. Quand on joue à un jeu on n'a ps toujours les règles sous la main et pas toujours un arbitre, alors on discute des règles avant la partie, celles dont on n'est pas sûrs on s'accorde sur leur interprétation entre joueurs, celles dont on estime, ici et maintenant et entre soi, que bon, elles ne sont pas très valables, on les change, entre soi, et dans tous les cas si on peut les tourner, si on peut tricher en comptant ne pas se faire prendre, on triche. Ou non. Et on se fait parfois prendre. Du coup on demande un arbitrage. Comme l'arbitre ne connaît pas toujours les règles sa décision est aléatoire, et dans tous les cas elle sera contestable et parfois contestée.
Le Jeu du Chat et de la Souris n'a pas de règles. Enfin si, il a une règle mais je ne suis pas certain qu'on puisse proprement nommer ça une règle : chacun a le droit de défendre sa vie et le devoir de le faire, et l'obligation de mesurer l'écart entre ce droit et ce devoir, sous peine de perdre le droit de participer au jeu. L'Arbitre du Jeu est la vie même, quant à la règle unique, si on ne la respecte pas la sanction est immédiate et définitive, perdre le droit de participer au Jeu de la Vie est incontestable, seuls les vivants peuvent contester.
Qu'est un chat ? Un humain qui “peut”, qui “a le pouvoir”. Donc tout humain est un chat aussi longtemps qu'il vit, au-delà c'est un mort. Qu'est un Chien ? Un humain qui “a la possibilité”, qui “garde le pouvoir”, qui a la possibilité de pouvoir, qu'il en use ou non. Donc tout humain est un Chien aussi longtemps qu'il vit, au-delà c'est un mort. Qu'est une Souris ? Un humain qui a du “potentiel”, qui “a toujours la possibilité de”, qui a une capacité de puissance, de pouvoir. Donc tout humain est une Souris aussi longtemps qu'il vit, au-delà c'est un mort. Qu'est un Rat ? Un humain qui “fait contre-pouvoir”, qui “s'oppose au pouvoir” ou “s'appuie sur le pouvoir”, qui a une puissance, un pouvoir dont il use pour se préserver d'un pouvoir adverse. Donc tout humain est un rat aussi longtemps qu'il vit, au-delà c'est un mort. Les humains n'étant pas des animaux autres qu'humains, nécessairement un humain qui est Chat, Chien, Rat ou Souris joue un rôle ou plus précisément, assume une fonction pour laquelle il endosse un rôle, tel qui le matin et dans tel contexte sera Chat, sera Chien ou Rat ou Souris, ou Chat, le soir dans tel autre contexte, parce que de toute manière ce sera un autre contexte. La durée de péremption des contextes est courte et ne peut excéder quelques heures, rien n'est jamais “égal par ailleurs”, ni les choses, ni les êtres, ni les contextes. Pendant un temps plus ou moins long “les choses” ont une certaine stabilité mais ça ne peut pas durer très longtemps, pour exemple, aucun “puissant” ne peut maintenir sa “puissance” partout et toujours, il lui faut régulièrement “être dans l'impuissance”, genre, dormir, ou “être dans la dépendance”, redevoir à la puissance d'un tiers, genre, manger, être nourri (les “puissants” dans une société doivent consacrer l'essentiel de leur puissance à la société et pour cela dépendent des “non puissants” pour leur survie).
J'en parle dans plusieurs textes, une société qui se fonde, pour mieux dire un ensemble de personnes qui se réunissent pour fonder une société, est une société de pairs. Je parle d'une société “indépendante”, soit qu'elle se fonde hors de toute société soit que, dans la société où elle se fonde, elle le fasse en autarcie – une autarcie fonctionnelle, structurelle, non pas réelle, même si ça peut arriver, pour l'évoquer brièvement, une société humaine étant un écosystème n'a pas de limite nette et n'est pas séparée des autres écosystèmes, il ne peut donc s'agir que d'une autarcie relative et généralement, plus formelle que réelle –, avec une indépendance structurelle, une sorte de “trou dans la toile”. Une société de pairs, il faut mesurer les choses : on doit prévoir au moins un “coordinateur”, comme on le dit mieux en anglais un “go-between”, un qui “va entre”, à la fois intermédiaire et médiateur. D'un sens c'est le moins utile des membres de la société et pourtant c'est le plus nécessaire, elle pourrait fonctionner sans lui donc il n'est pas d'une grande utilité, et en outre c'est une “bouche inutile”, il ne produit rien mais consomme. Mais il est nécessaire pour son rôle de coordinateur, il va d'un groupe à l'autre pour informer et s'informer, il surveille, alerte, explore, il facilite la vie de tous. La société pourrait se passer de lui mais fonctionnerait moins bien, c'est “l'huile dans les rouages”.
En théorie, dans une petite société, disons, quelques dizaines de membres y compris les enfants, peut-être jusqu'à deux cent membres mais là ça commence à faire gros, donc dans une petite société n'importe qui peut être n'importe qui, le go-between être désigné pour un temps puis un autre prendra la fonction et ainsi de suite. En pratique c'est moins évident, ne serait-ce que pour une raison assez élémentaire, il y en a de meilleurs que d'autres, et une raison secondaire, il y en a de moins bons que d'autres. Les meilleurs améliorent la coordination, et les moins bons la détériorent, mais comme on est poli entre membres on n'ose pas leur dire, alors on règle la question en décidant de ne choisir parmi les membres que “les meilleurs”. C'est un peu (c'est beaucoup) comme dans certaines religions, il y a des “meilleurs”, les “élus”, mais il n'y pas de “moins bons” ni de “mauvais”, tout le monde est un “élu” potentiel mais seuls quelques-uns sont des “élus” effectifs. On n'élira donc que des élus. C'est un peu tautologique dans les termes mais non dans les faits. Désolé, lectrice, lecteur, j'ai un peu le sentiment de tourner en rond, ce qui est à la fois vrai et faux, mais ça n'est pas si gênant en ce sens que, d'abord je renouvelle mon point de vue chaque fois que j'aborde un même sujet, ensuite je ne suppose pas que mes potentiels lecteurs vont tout lire de ma prose, enfin il n'est pas inutile pour un lecteur de revenir aux mêmes sujets plusieurs fois et selon divers points de vue, étant moi-même lecteur, je ne déteste pas, loin de là, qu'un même auteur écrive plusieurs fois “la même chose” parce que, sauf pour les très piètres auteurs, ça n'est jamais “la même chose”, ou plus précisément c'est “la même chose vue sous un autre angle”, et comme l'angle de vue importe beaucoup, ça me convient. Bon, pourquoi écrivais-je cela ? ah oui ! pour vous parler de9 ce que l'on peut nommer la “sédimentation” des sociétés. Et précisément, celle que la langue induit.
Ce qui structure une société est... J'hésite : l'information ? La communication ? En fait, les deux. On peut dire que la communication est la trame ou les liens, l'information la chaîne ou les nœuds : l'information est “ce qui a du sens”, la communication “ce qui donne du sens”, l'information est la fin, la communication le moyen. Cette description n'est pas réelle mais elle est vraie : si je prends une toile et que je regarde son revers, la trame devient la chaîne et la chaîne devient la trame ; si je considère un lien, c'est une ligne donc une série de points, si je considère un nœud c'est un point, un point assez gros mais un point, et si je considère le réseau je vois des des gros points mis en série par des liens formés de points plus petits. Si enfin je me rapproche de la toile ou du réseau, tout ça ne me semble plus très évident, de loin je voyais des liens et des nœuds d'une certaine densité et une toile bien propre avec une trame et une chaîne bien alignées, de près le réseau est beaucoup plus dense, les fils de la toile sont plus ou moins bien alignés, et d'encore plus près, que ce soit un réseau ou une toile, je vois des points très désordonnés et divers, et plus que vaguement reliés. C'est une question de granularité.
Excursus : le grain, la paille et l'aire de battage.
Vue de près, de très près, de très très près, disons, vue à un niveau moléculaire, une aire de battage juste après battage et avant séparation de la paille et du grain c'est tout un, le grain, la paille et l'aire de battage sont formés de molécules plus ou moins proches, plus ou moins liées, et indifférenciables. Si je prends un peu de distance et que j'use d'un système d'observation plus grossier, disons, trente centimètres ou un mètre et mon œil, je vois de la paille, du grain, des particules diverses, de la poussière, et par en-dessous le terrain, plutôt compact mais inégal. Si je prends encore de la distance, disons, une dizaine de mètres environ, et mon œil, je verrai encore du grain et de la paille mais plus guère de particules et plus du tout la poussière, et le terrain m'apparaîtra moins in"gal et plus compact. Encore de la distance, trente mètre, et mon œil : de la paille et un terrain égal et compact. Trois cent mètres et mon œil : un rond de terrain bien dessiné qui se distingue de celui qui l'entoure, bien égal et compact et diversement coloré. Deux kilomètres en altitude et mon œil : un gros point monochrome se distinguant peu du terrain environnant. La granularité c'est ça : plus la chose observée est distante plus le “grain”, le point élémentaire, est gros. Exemple :
À gauche une carte routière, à droite une carte dite d'état-major ou de randonnée. Les deux représentent le même territoire, à-peu-près à la même échelle. Les piétons n'ont rien à faire des autoroutes et peu à faire des nationales à quatre voies, les automobilistes n'ont rien à faire des chemins pédestres et des sentes. Ici, la différence de granularité n'est pas due à une cause effective, la limite de l'appareil de vision, mais à une cause fonctionnelle, le public visé. Cela considéré, de toute manière la granularité d'une carte aux trente-cinq millièmes a des limites, celle mécanique de la taille du point d'impression et celle visuelle de sa lisibilité, outre donc la limite fonctionnelle de son utilité. L'exemple qui légitime mon titre a pour cause un cheminement qui va dans tous les sens, “granularité” amena “grain”, l'idée d'un élément contrastant de type “ligne” associée à “grain” fit émerger “paille” par association d'idée avec le titre d'un livre politique, La Paille et le Grain, et pour le troisième élément, la “surface”, m'est venue l'idée d'aire de battage. Un exemple qui en vaut un autre. Donc, la granularité. Il y a donc une limite de perception, une limite de capacité d'analyse et une limite fonctionnelle relativement à la granularité. Comme habitant de ma petite ville de 1.500 habitants la “granularité humaine” est au niveau individuel, chaque habitant est un grain élémentaire ; dans ma résidence alternative, une ville d'environ 40.000 habitants, il y a plusieurs granularités, celle compacte de mon quartier, environ la même population que dans la petite ville, où une bonne part des habitants sont des grains, celle diffuse, réticulaire, des personnes que j'y connais plus ou moins intimement et qui vivent ou travaillent un peu partout, où le grain est aussi l'humain, celle parcellaire des quartiers où le grain est le quartier pour ceux que je connais peu, le pâté de maison pour ceux que je fréquente, et où les humains forment une grappe plus ou moins différenciée, celle globale de la ville qui en elle-même est une toile où la part humaine est indiscernable, un nombre, une statistique, 40.000 individus humains, comme ville d'un territoire plus large qui forme société, mon département, un nœud dans un réseau d'unités d'habitation, des points sur une carte, des points plus ou moins gros dans un grand désert parcouru de liens, avec chacun un nombre associé lui aussi plus ou moins gros, de 80 jusqu'à 40.000, et des zones de diverse taille et diversement colorées, bleues, brunes, jaunes, vert clair, vert foncé...
Fin de l'excursus.
Chacun de nous a une sorte de “carte mentale de l'univers” qui, contrairement aux cartes les plus courantes, sont anamorphiques, chaque point de notre carte mentale représente un point de la réalité de taille diverse, deux liens réels de même longueur entre deux points n'ont pas nécessairement la même longueur dans cette carte mentale, enfin, la densité de points significatifs est très inégale et n'est pas en adéquation avec une densité objective sur un critère précis, par exemple les unités d'habitation de plus de 5.000 humains. Objectivement, ma petite ville et ma grande ville occupent un territoire très différent en dimensions et ont une densité de population assez contrastée ; subjectivement, la grande ville n'est pas si différente en dimensions que la petite pour moi, et je n'ai pas une claire perception de leur densité, je sais qu'elle diverge fort mais je ne le constate pas. Fut un temps, j'habitais à Montpellier et il m'est arrivé parfois de dire que mes parents habitaient “pas très loin de Bourges” – citer le nom de leur petite ville eut été vain –, ce à quoi plusieurs m'ont dit, « Ah ! D'accord, pas très loin de Paris », ce à quoi je leurs répondais, « C'est ça, et Montpellier n'est pas très loin de Marseille ». Chacun de nous a une carte mentale de l'univers et aucunes ne se correspondent, parce qu'on voit l'univers à partir de soi et qu'on le cartographie à partir de ce qu'on en connaît et qu'on en comprend. Et bien sûr, à partir de ce qui nous est utile. Une granularité exacte des “unités d'habitation” devrait aller jusqu'à l'unité humaine, ce que je décrivais plus haut comme un grand désert bariolé ne correspond pas à cette granularité car il existe de nombreux nœuds qui ne comptent qu'une maison, certains avec un seul habitant, et le prochain nœud à cinq cent mètres.
Considérant la société comme une toile, il n'y a pas de séparation nette entre l'information et la communication, chaque point de croisement de la trame et de la chaine et une sorte de nœud où la trame “communique” et ou la chaîne “informe” ; la considérant comme un réseau, les liens sont les “moyens de communication”, les nœuds sont les “moyens d'information”, à la fois émetteurs et récepteurs d'informations ; la considérant comme un ensemble de points d'organisation disparate et indéterminée, chaque point est à la fois moyen de communication et d'information. L'information étant une fin, la communication aussi en est une à un niveau de granularité ponctuel, “moléculaire”. La question étant alors de savoir ce qu'est une fin puisque vous comme moi savons que communiquer n'est pas nécessairement informer, si du moins informer nécessite de communiquer. Une fin est, soit une cause, soit un effet. En outre, une fin est un moyen. Par contre, un moyen n'est pas nécessairement une fin.
Fins et moyens, causes et effets.
J'ai mentionné que les causes et les effets ça n'existe pas ? Il me semble que oui. Je me dois de corriger un peu : ça existe mais c'est le même objet vu de deux points différents, pour la raison simple que la cause d'un récepteur est l'effet d'un émetteur, lequel effet est la conséquence d'une cause antérieure qui est la conséquence d'un effet antérieur qui... On peut voir notre univers de diverses manières, j'en ai déjà exposé plusieurs dans ce texte, j'en ajoute une, “l'univers comme un immense billard”. Vous comme moi le savons, il n'y a pas d'effet sans cause (enfin, j'espère que vous le savez). Mais, et vous et moi devrions aussi le savoir et en tout cas je le sais, il n'y a pas de cause sans effet. Pour décrire autrement les choses, un “mouvement” est le résultat d'un apport d'énergie d'une certaine orientation et d'une certaine quantité sur une surface qui va déplacer l'ensemble des atomes liés à cette surface dans une certaine direction. Bien sûr, la surface en question peut se résumer à celle d'un atome, pour autant qu'un atome ait une surface. Considérons invalide mon hypothèse de l'univers comme essentiellement plein, et prenons un univers essentiellement vide. Dans cet univers il n'y a pas d'effet sans cause, c'est certain (enfin, plus ou moins mais on dira que c'est certain10). N'y a-t-il pas de causes sans effets ? Il n'y en a pas. Même dans un univers essentiellement vide. L'effet peut être très longtemps différé, peut-être indéfiniment, mais comme rien ne se perd l'énergie acquise lors de l'effet se transfèrera au premier objet rencontré.
La question de la possibilité d'une cause sans effet est intéressante mais en ce qui concerne ma discussion actuelle ça n'a pas trop d'importance, localement, ici, sur la Terre, un effet a une cause et une cause a un effet. Manière de dire que tout mouvement qui cesse le fait par perte d'énergie, que cette énergie se transfère à un objet, ou à plusieurs, et ce transfert provoquera nécessairement un mouvement. Celui-ci peut être “interne” en ce sens qu'il peut se diffuser à l'intérieur de l'objet et s'y maintenir, ce qui de l'extérieur donne l'impression que le mouvement cesse mais c'est une illusion. On peut dire que “la communication” c'est le transfert d'énergie et “l'information” le mouvement induit. Comme ce mouvement finira par résulter en un transfert d'énergie, l'information du récepteur sera la communication de l'émetteur. En gros, et en détail, un “émetteur” transforme de l'information en communication et un “récepteur” transforme de la communication. On peut me dire bien sûr que le récepteur transforme de l'énergie en matière et un émetteur de la matière en énergie, ce qui est vrai mais n'est pas réel. La réalité c'est le premier principe de la thermodynamique. Tiens, je vous cite l'article de Wikipédia in extenso cette fois :
Le premier principe de la thermodynamique, ou principe de conservation de l'énergie, affirme que l'énergie est toujours conservée. Autrement dit, l’énergie totale d’un système isolé reste constante1. Les événements qui s’y produisent ne se traduisent que par des transformations de certaines formes d’énergie en d’autres formes d’énergie. L’énergie ne peut donc pas être produite ex nihilo ; elle est en quantité invariable dans la nature. Elle ne peut que se transmettre d’un système à un autre. On ne crée pas l’énergie, on la transforme.
Ce principe est aussi une loi générale pour toutes les théories physiques (mécanique, électromagnétisme, physique nucléaire...) On ne lui a jamais trouvé la moindre exception, bien qu'il y ait parfois eu des doutes, notamment à propos des désintégrations radioactives. On sait depuis le théorème de Noether que la conservation de l'énergie est étroitement reliée à une uniformité de structure de l'espace-temps.
Le passage notable est : « On ne lui a jamais trouvé la moindre exception, bien qu'il y ait parfois eu des doutes, notamment à propos des désintégrations radioactives ». Il l'est à double titre : le rédacteur est aussi prudent que moi et ne certifie pas que ce principe est définitivement exact même si les contestations ne sont pas vérifiées, et pour mon histoire, et bien, « On ne lui a jamais trouvé la moindre exception ». Donc, le processus conséquent à un effet n'est pas la transformation d'énergie en matière mais la transformation d'énergie en énergie, la “matière” voit augmenter son niveau d'“énergie”. On passe d'une énergie globalement linéaire à une énergie globalement circulaire. Le récepteur est “agité”, dira-t-on. Mais de toute manière ça n'a qu'un temps, passé un certain niveau de transfert le récepteur “sature” et libère de l'énergie.
Bien sûr, les causes et les effets ne sont de la communication et de l'information que pour les objets qui considèrent que leur environnement communique et informe, autrement dit pour les êtres vivants. Je ne suis pas animiste11, donc je ne crois pas que les pierres et les pépites d'or, ou la Terre (comme entité) ou le Soleil “communiquent” et “informent”, donc ce que dit ne concerne que les êtres vivants. Je sais que je fais partie d'une minorité, la plupart des humains croit en effet que des entités qui ne participent pas de la vie, du moins de notre vie, qui ne sont pas une partie de la biomasse, “pensent”, “informent”, “communiquent”, et bien sûr “agissent”. Certes ils ne peuvent pas le prouver mais c'est non significatif, cela dit, jusque-là les tenants d'hypothèses matérialistes ou réalistes parviennent avec assez de régularité à les démontrer, ce qui n'est pas le cas des idéalistes. De ce fait je préfère en rester à mon hypothèse réaliste quant à la possibilité de l'animisme12.
Que veut un être vivant ? 1) ne pas mourir ; 2) vivre. Comment ne pas mourir ? En obtenant des informations sur son entourage. Comment vivre ? En obtenant des informations sur son entourage. Je sais, vivre c'est ne pas mourir et ne pas mourir c'est vivre. Plus ou moins : “ne pas mourir” revient à obtenir des informations sur ce qui, dans l'entourage, peut menacer sa préservation, soit qu'il agisse contre soi, soit qu'en agissant on se mette en situation de menacer sa préservation, vivre obtenir des informations permettant d'agir en faveur de sa préservation. Même si ça ne se limite pas strictement à ça, ne pas mourir c'est agir pour ne pas devenir une proie, vivre c'est se mettre en situation de se faire prédateur. Ou alors ça se limite à ça mais ça demande de revisiter ces catégories.
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