L'intelligence artificielle ne peut exister pour une raison simple : si c'est artificiel ça ne peut être intelligent, si c'est intelligent ça ne peut être artificiel. Un artifice est un simulacre, une simulation, on réalise une opération avec une entité qui n'a d'autonomie que celle que lui confère son opérateur. J'en discute ailleurs, tout artefact est une extension de son opérateur, une prothèse, de ce fait il y a une certaine réciprocité, l'opérateur concède une part de son autonomie à l'artefact, il le sert autant qu'il s'en sert, le but étant d'augmenter le degré global d'autonomie de l'ensemble, cela dans le seul intérêt de l'opérateur bien sûr, une fois les deux éléments séparés ce gain d'autonomie est entièrement déporté vers l'opérateur. À considérer cependant que ça peut être transitoire, je veux dire, l'opérateur lui-même peut, en quelque sorte, simuler, s'il agit pour un tiers il doit lui rétrocéder tout ou partie de ce gain. Je n'en ai pas discuté par ailleurs mais du moins cette réflexion s'inscrit dans celle plus large de ce site, “être” et “avoir” sont deux moments ou deux parties d'un même processus, il faut être pour avoir et avoir pour être, la possession de nourriture par exemple n'a de sens que pour une entité qui a la volonté de se nourrir, donc qui a une certaine conscience de soi, mais ça n'est pas une fin, on ne possède pas de la nourriture juste pour la posséder, on la possède en tant que moyen d'assurer sa propre persistance comme entité autonome, comme être1.
Comme dit souvent dans ces pages, si je ne crois pas à la dichotomie entre corps et esprit du moins je la constate, pour le dire mieux, on ne connaît pas de manière certaine de corps sans esprit ni d'esprit sans corps2 mais il est indéniable que “quelque chose anime le corps” qu'on nommera esprit ou âme, et “l'esprit se nourrit de quelque chose” que le corps lui transmet, chose qu'on nommera énergie. On peut situer la capacité d'intellection, donc d'intelligence, du côté de l'esprit, l'autonomie est liée à cette capacité d'intellection, ergo un corps sans esprit, sans capacité d'action autonome réelle, n'a pas d'intelligence propre. De fait il existe des artefacts que l'on peut dire intelligents mais ils ne le sont que par délégation, l'intelligence qu'ils intègrent est là par délégation, c'est l'intelligence d'une entité autonome simulée par l'artefact, d'une certaine manière il y a de l'intelligence dans tout artefact, l'intelligence artificielle ça peut se résumer en la part d'intelligence, donc d'autonomie, qu'une entité intelligence va la pourvoir : un marteau n'est pas intelligent mais a de l'intelligence en lui, celle de son créateur qui l'a conçu et réalisé pour augmenter le niveau d'autonomie globale dans le monde.
Artifices de l'intelligence.
Je constate ces temps-ci une certaine incompréhension entre, disons, les spécialistes et les connaisseurs de l'intelligence artificielle, et les non-spécialistes non-connaisseurs : les premiers considèrent avant tout l'aspect artificiel, les seconds sont intrigués et assez souvent obnubilés par l'intelligence. Pour le dire autrement, les connaisseurs ont la claire conscience que c'est un artifice, que ni les robots ni les ordinateurs ne sont intelligents, parce qu'ils savent comment tout ça est organisé en vue de simuler un comportement qui a les apparences de l'intelligence, de l'action autonome et libre, les non-connaisseurs tendant à supposer une intelligence réelle derrière cette apparence, je veux dire, une intelligence propre à l'artefact et non l'intelligence antérieure, celle de ses fabricants.
La chose à considérer est un trait commun à tous les humains, ils sont animistes. Plus ou moins et plus ou moins constamment mais en tout cas ils le sont, ils ont tendance à attribuer de la volonté aux entités non vivantes, d'autant plus si elles ont une certaine autonomie, si elles “se meuvent de leur propre mouvement”. Certes une autonomie par délégation, comme dit, mais du moins une réelle autonomie. Pourquoi concevoir et réaliser un artefact ? Comme dit aussi, pour augmenter le niveau global d'autonomie dans le monde, soit pou réaliser le même niveau global d'action à moindre effort, soit pour en réaliser plus à effort constant. De ce point de vue, d'ailleurs, l'agriculture et l'élevage produisent des artefacts, même si ce n'est pas strictement exact dans tous les cas on peut en gros dire qu'une plante ou un animal domestiques ne sont pas plus intelligents en eux-mêmes que leurs équivalents sauvages, c'est là aussi un transfert d'autonomie, les humains vont organiser leur espace pour favoriser le développement de certaines plantes, et agir sur leurs animaux d'élevage pour les faire se comporter d'une certaine manière. Cependant, cette autonomie est contextuelle, une plante ou un animal domestiques hors de l'espace social des humains, soit meurt soit abandonne ses particularités qui lui donnaient une certaine forme d'autonomie dans cet espace, bref, cette forme particulière d'intelligence des espèces domestiques est acquise par délégation et hors de la présence d'un contexte humain, se perd ou se révèle pour ce qu'il est un artifice.
Donc, un certain animisme. Même pour les humains l'intelligence est en partie un artifice. Je discute de la chose diversement en divers textes de ce site, pour paraphraser une célèbre sentence, on ne naît pas humain, on le devient. À la base, un être humain est un singe comme les autres, avec ses particularités d'espèce mais a priori un type d'intelligence guère différent de celui des autres singes, il fut une phase assez longue et un contexte particulier pour que ses capacités proprement humaines se développent, on le sait maintenant depuis assez longtemps, si un membre de l'espèce n'est pas soumis à une forme de conditionnement particulière à base de répétition, de renforcement de comportement, il ne deviendra pas un humain du genre capable de faire ce que je fais en ce moment, réfléchir d'une certaine manière et communiquer cette réflexion d'une certaine manière, “penser” et “parler” (même si en ce cas j'écris, mais ça revient à-peu-près au même). Penser et parler entre guillemets en ce sens qu'on peut supposer une certaine forme de pensée chez la plupart des êtres vivants, une certaine forme de parole chez tous les vertébrés et même chez certains invertébrés, mais d'une autre nature. Un humain, disons, pense et parle, communique, de la même manière que les autres vertébrés, spécialement les autres mammifères et sinon tous, du moins certains oiseaux et même certains invertébrés, notamment les céphalopodes et certains insectes sociaux, mais il pense et parle aussi d'une manière singulière qu'il partage pour partie avec un nombre très restreint d'espèces, quelques oiseaux, notamment les corvidés et peut-être les psittacidés, quelques céphalopodes, probablement les rats et certaines espèces de singes et de cétacés. Cela dit, les humains ont leur spécificité qu'autant qu'on puisse le savoir ils ne partagent avec aucune autre espèce, qu'on peut décrire comme la capacité de générer un “esprit transcendant”, et comme il n'y a pas d'esprit sans corps, de constituer une sorte de “corps immanent”, de constituer leur espace social en un corps et, dira-t-on, de lui insuffler de l'esprit.
D'un sens, cette capacité est commune à toutes les entités vivantes, la différence étant la conscience de la chose chez les humains , d'où leur capacité consciente d'augmenter le niveau global d'autonomie. La question de la conscience est délicate, même l'entité vivante la plus élémentaire a un niveau lui aussi élémentaire de conscience de soi, sans quoi elle n'aurait pas la capacité de vouloir persévérer en son être et en son essence