Pour régler la question évoquée dans l'introduction de cette page, c'est simple : on ne peut strictement parler de culture pour un groupe humain qui n'aurait aucun contact avec d'autres groupes humains, si du moins de tels groupes complètement autarciques existent, son propre ensemble de savoirs, de pratiques, de coutumes et de règles ne fait culture pour soi que par contraste avec d'autres ensembles. Sans méconnaître le fait qu'une culture existe en soi en tant que réalité de fait, la culture comme... fait culturel n'existe que par contraste, une culture solipsiste est à elle-même l'humanité dans son entier, les autres humains sont “autre chose”, des barbares, des sauvages, des êtres hors humanité, une société se définira elle-même comme culture par la reconnaissance de l'autre comme participant d'une culture, dans un état ancien des choses il y a les humains comme espèce et parmi eux les vrais humains et les autres, avec un gradient qui va du quasi-humain (métèques, affranchis) au non humain (esclaves, barbares).

Disons, pour une société la conscience de soi comme culture est liée à la conscience de soi comme élément d'une civilisation, pour comparaison c'est assez similaire au phénomène social lui-même, un observateur humain lit l'organisation de certaines espèces comme des structures sociale mais ça n'est qu'une métaphore : une ruche, une fourmilière ne se composent pas d'individus formant société mais composent un organisme ou chaque individu n'a d'autre choix que de participer de l'ensemble pour assurer sa survie ; plus les espèces sont formées d'individus complexes, plus la structure des groupes correspond à une organisation sociale à proprement parler, mais une petite poignée d'espèces forme des sociétés telles que le terme le définit pour les humains, cet objet complexe à la fois individu et collection d'individus, dont les membres sont autonomes et ont un statut lié à leur fonction et non à leur individu, et qui sont en capacité de passer assez librement d'une société à une autre. Autant que je le sache, cette capacité n'existe que chez certains oiseaux (corvidés, psittacidés, étourneaux), mollusques (les céphalopodes) et mammifères (dont les rats et autant que je sache, certains primates), et autant que je le comprenne, c'est lié à la capacité d'apprendre et comprendre le langage des autres groupes, ce qui est nécessaire pour s'intégrer à une société.

Dans le cadre des sociétés humaines, la conscience de sa société comme groupe culturel requiert d'accepter les autres comme groupes culturels équivalents (non nécessairement de même niveau mais de même forme ou structure, non pas des “incultes” – des barbares, des sauvages – mais des êtres de culture). Cela requiert de participer d'une civilisation, d'un ensemble humain où l'on admet que d'autres sociétés participent de l'humanité sans pour cela participer nécessairement de sa propre société, de sa propre culture – dans l'ancienne forme, les empires qui regroupaient des sociétés de cultures différentes fédérées par le sentiment d'une commune humanité dans un cadre plus large, une « société de sociétés ». Sans dire qu'il n'existe plus strictement d'empires, la forme actuelle est plutôt la fédération ou la confédération, la réunion d'États ayant leurs propres caractéristiques culturelles dans des entités plus larges par libre adhésion, ce qui n'est pas toujours le cas dans les empires où le consentement n'est pas un prérequis. Ma proposition selon laquelle il n'y a pas de civilisation sans culture ni de culture sans civilisation tiens donc compte de cela, du fait que la conscience de sa propre culture se fait par contraste à d'autres cultures, donc d'une acceptation réciproque dans un cadre plus large, qu'on nommera civilisation