Je me défends régulièrement dans ces pages d'être croyant, spécialement croyant en ****, ce qui est pécher. Le TLFi nous dit que pécher est « commettre un péché, des péchés » et un péché, un « acte libre par lequel l'homme, en faisant le mal, refuse d'accomplir la volonté de ****, se séparant ainsi de lui ». On devrait aujourd'hui remplacer “homme” dans cette définition par “humain”, le mot “homme”, en latin homo, ayant depuis changé de sens pour désigner avant tout non un semblable mais la seule partie masculine des semblables de notre espèce. Pour les non connaisseurs, le titre de cette discussion est dans la première parole proprement rituelle de la messe catholique :

Je confesse à **** tout-puissant,
je reconnais devant mes frères
que j’ai péché en pensée, en parole,
par action et par omission.
Oui, J’ai vraiment péché.
C’est pourquoi je supplie
la bienheureuse Vierge Marie,
les anges et tous les saints,
et vous aussi mes frères,
de prier pour moi le Seigneur notre ****.

Là encore il devrait y avoir une petite correction, “pareils” plutôt que “frères”, car cette confession concerne tous les semblables. Le remplacement du mot usuel par **** vise à restaurer la vieille notion, présente dans le texte original du livre partagé par tous les croyants de la foi des Hébreux, israélites et leurs héritiers, chrétiens et leurs héritiers, musulmans et leurs héritiers, la Torah, la notion qu'on dira celle de “l'innommé”, qui n'a pas de nom ou qui a tous les noms, ce qui revient au même. Nommer l'innommé est pécher, refuser d'accomplir la volonté de ****. Cela posé et pour la suite, pour l'innommé et sauf dans les citations j'écrirai YHWH, le “tétragramme” qui dans le livre commun nomme sans le nommer l'innommé.

Que voulé-je signifier en affirmant n'être pas croyant ? Fondamentalement, que je ne crois pas qu'existe une entité correspondant à ce que signifie le tétragramme et à qui l'on puisse attribuer un nom, son “nom de personne”, car il n'y a pas une telle personne qui est de tout temps et “pour les siècles des siècles” et qui soit nommable de ce nom. Je suis l'héritier d'une longue tradition qui dit, ce qui n'a pas de nom, il ne faut pas le nommer, ce qui n'a pas de figure, il ne faut pas le figurer. Or, pour une espèce dont les membres se relient par le moyen de la parole et de l'image, difficile de ne pas nommer ni figurer. Donc, je ne suis pas incroyant en **** ou en YHWH mais incroyant en une personne ou figure ou face nommable et qui correspondrait à **** ou YHWH. Si YHWH désigne l'unité profonde entre tous les semblables je peux y croire, s'il s'agit de “quelque chose” ou de “quelque un” qui serait au-dessus des semblables ou entre eux ou en-dessous d'eux, à l'origine et à la fin de tout, mais en tout cas, en dehors d'eux, je ne peux y croire.

Le motif initial de cette discussion est la question de la corruption. Cet acte a toujours au moins deux acteurs, le corrupteur et le corrompu. Si la corruption est un péché, qui des deux acteurs pèche le plus, ou pèche, le corrupteur ou le corrompu ? Comme le dit la parole rituelle citée, commettre le péché c'est le faire « en pensée, en parole, par action et par omission » : le corrupteur corrompt en parole et par action, le corrompu au moins en pensée et par action, le témoin de la corruption le fait au moins par omission. On peut avoir de “bonnes” ou de “mauvaises” raisons de participer à la corruption mais peu importe, importe seulement de participer à la corruption, qui est le mal. Je ne sais pas ce qu'est le bien mais je sais ce qu'est le mal : toute pensée, parole, action ou omission (inaction) qui met la division entre les semblables. De ce fait, la corruption est autant le fait du corrompu que du corrupteur, du spectateur que de l'acteur, puisqu'ils contribuent tout par leur action ou leur inaction à un acte qui installe la division entre semblables.

J'entendais hier, et ce matin, une émission de France Culture concernant l'Arménie et les récents événements ayant mené au changement à la tête de l'exécutif, le chef du gouvernement précédent ayant quitté sa fonction, son principal opposant ayant été nommé à ce poste par les partisans même de son prédécesseur, non par raison mais par nécessité. Cette émission, accessible sur cette page, https://www.franceculture.fr/emissions/le-magazine-de-la-redaction/armenie-les-defis-dune-revolution-pacifique , pointe que le cœur même de la situation ayant mené à cette crise est la corruption. On y apprend que les animateurs du mouvement qui amena à la crise, et à son début de résolution, furent “les jeunes”, qui désigne globalement les personnes jeunes en âge mais aussi, les personnes jeunes en pensée, en parole, par action et sans omission, celles qui ne pèchent pas ou qui au moins tentent au mieux de leurs moyens de ne pas le faire. Le plus souvent les jeunes en âge ne sont pas dans la corruption comme acteurs mais le sont comme témoins, les jeunes en pensée, en parole et par action sont ceux qui, sans nécessairement être jeunes en âge, refusent d'être dans la corruption de quelque manière que ce soit, sinon comme témoins vrais, comme témoins qui constatent la corruption, et qui la proclament, au risque d'eux-mêmes. La cause de la corruption est le corrupteur, sa conséquence est le corrompu ou le témoin muet. Accepter la corruption par action ou par omission c'est corrompre, que l'on soit corrupteur ou corrompu. La force du corrompu n'a qu'une source, la faiblesse consentie du corrupteur. Nul n'est forcé de consentir à quoi que ce soit sinon de consentir à soi, et consentir à soi c'est refuser ce qui nous change en ce que nous voulons ne pas être.