J'ai certes ma propre manière d'explorer la question mais ne fais pas preuve d'originalité, tout ce que je peux dire dans ces pages qui ne soit pas, disons, de l'ordre de la fiction ou de la fantaisie est étudié et décrit depuis assez longtemps, et même mes fantaisies et fictions puisent à la source commune. Cette discussion-ci concerne la manière dont une société s'organise pour maintenir une grande majorité de ses membres en état de sujétion. En fait, tous ses membres, mais ceux parmi eux qui en tirent profit ont un faux sentiment de liberté, qui ne repose que sur le consentement de la majorité à s'en priver à leur profit. Que ce consentement cesse, et cesse cette liberté ; et quand cesse cette liberté, les comptes doivent se régler, et chacun sera sanctionné en bien ou en mal à la mesure de son action pour la société.
Les deux logiques.
Le terme “logique” a au moins deux sens, pointe au moins deux réalités qui ne convergent pas toujours, la réalité qu'on peut nommer réflexion ou raisonnement, la λογική, la “logikê”, et celle qu'on peut nommer la parole, le verbe, le λόγος, le “lógos”, et en ce sens il s'agit de l'art de la parole plutôt que l'art du raisonnement. Il y a... une logique à tout et entre autres à ces deux sens : pour communiquer une réflexion, un raisonnement, il faut en passer par la parole, on peut dire que “la parole porte le raisonnement” comme on peut dire que la radio “porte le son” : une parole n'est pas plus un raisonnement qu'une onde hertzienne n'est une onde sonore, mais elle en est le vecteur, si du moins il existe un récepteur qui soit “syntonisé”. Comme l'indique le TLFi, syntoniser c'est « accorder deux circuits oscillant sur une même fréquence », la syntonie, l’« égalité de fréquence de deux ou plusieurs circuits ; [l’]état de systèmes ou de circuits capables d'émettre et de recevoir des ondes de même fréquence », dérivant du mot grec συντονια, « forte tension », « accord de sons ». Je suis assez amateur d'étymologie, d'abord parce que j'aime bien essayer de comprendre ce que quelqu'un veut signifier en inventant ou reprenant un mot forgé dans une langue autre que la sienne (le terme est récent, employé dès la toute fin du XIX° siècle par les inventeurs et améliorateurs de la TSF, au départ “télégraphie sans fil” puis un peu plus tard “téléphonie sans fil”, et dans des langues sans rapport direct au grec, l'allemand, l'anglais et le français), ensuite parce que ça permet de comprendre que nos anciens avaient une compréhension fine de leur univers, aussi fine que peut l'être celle actuelle, leurs limites étant avant tout d'ordre instrumental : dans la Grèce du V° siècle avant l'ère commune on était capable comme aujourd'hui de comprendre le rapport entre “tension” et “vibration”, mais pas nécessairement une explication causale très étayée.
Syntoniser, je le prends ici dans l'acception très générale « état de systèmes capables d'émettre et de recevoir des ondes de même fréquence », considérant qu'un être vivant est aussi un système – un système vivant autonome. La logique est à la fois le “message” et le “moyen de communication”. Comme je le dis souvent, pour moi les mots n'ont pas de sens, ne pointent pas une réalité particulière, ce qui n'induit pas qu'ils n'ont pas de signification, ce sont des signes participant d'un système de signes, qui de ce fait sont les vecteurs de significations dans le cadre de ce système. Pour exemple, le “mot” graphié « son » en français a trois significations principales, un quasi-synonyme de “bruit”, un pronom personnel indiquant que ce dont on parle est attribué à une personne absente ou à laquelle le locuteur s'adresse comme à une absente, enfin, après mouture la part du grain qui en formait l'enveloppe. Le son /sɔ̃/ compose ces trois mots plus le mot « sont » ; comme partie de mot il peut aussi être graphié « sson » ou « ceon » / « çon » ou « sceon » / « sçon » (pour les formes “ceon”, dont “çon” est une réduction, sceon” et “sçon” je n'ai pas souvenir de les avoir vues hors graphies anciennes mais elles sont possibles).
Si quelqu'un prononce la suite de sons /ləsɔ̃dəʃɔz/, on peut en faire des analyses diverses, comme « le son, deux choses » ou « leçon de choses » ou (en langue précieuse et archaïsante) « leux sont deux, chose ». L'interprétation dépend du contexte, au départ les interlocuteurs supposent que la langue employée est le français, la segmentation comme l'attribution de significations à chaque élément “mot” dépendront d'un contexte plus large et pourront être retardées si la suite apparaît très tôt, avant que le contexte soit défini – dans une conversation sur les phénomènes sonores ou sur la mouture de farine de blé, on va opter pour la première analyse, si le sujet porte sur les “sciences naturelles” la seconde proposition sera probable. La syntonisation, c'est aussi ça : durant un échange entre des interlocuteurs on se met dans la situation « d'émettre et de recevoir des ondes de même fréquence ». J'appelle ça par ailleurs “harmonisation”. Il se trouve que la logique peut être d'abord du côté du raisonnement ou d'abord du côté de la parole, qu'on va d'abord aller vers la signification ou d'abord vers le sens, ce qu'on veut transmettre de raisonnement ou ce qu'on veut pointer dans la réalité.
Aller vers la logique de raisonnement c'est tendre à l'augmentation d'autonomie pour chacune des personnes concernées, aller vers la logique de discours c'est rester à la surface des choses et en ce cas, qui prend le discours pour la réalité perd en autonomie, se met en état de sujétion. Ces deux cas sont ceux de la norme sociale, on accède à la réalité par ce que l'on peut nommer la raison, et le raisonnement se construit à partir de cet accès ; pour partager expérience et raisonnements avec les autres membres de la société il faut en passer par la parole ou autre moyen équivalent1. Il y a un rapport de réciprocité entre les deux logiques, la parole s'enrichit de chaque nouveau raisonnement qu'elle véhicule, les raisonnements diffusés par la parole enrichissent l'expérience et les capacités de raisonnement de qui les reçoit en partage. Mais un excès ou un déficit dans une de ces logiques peut donner lieu à quelques problèmes. Il y a, disons, ce supposé problème qu'exprime un auteur discutant de tout autre chose mais plaçant son sujet dans la lignée de cette philosophie :
Les personnes qui connaissent une langue connaissent la grammaire universelle. Comment ? C'est une version de ce qu'on appelle le problème de Platon lequel, comme le posait Bertrand Russell, consiste en ceci : “Comment se fait-il que les êtres humains, dont les contacts avec le monde sont brefs et personnels et limités, sont capables d'en connaître autant qu'ils en connaissent ?”. Bref, comment en apprenons-nous autant sur la base d'une si petite expérience ? La réponse de Platon était que beaucoup de notre savoir vient de notre existence passée et est simplement une remémoration. L'explication alternative contemporaine que Chomsky propose est que “certains aspects de notre savoir et de notre entendement sont innés, une part de notre patrimoine biologique, génétiquement déterminé, au même niveau que les éléments de notre nature commune qui induisent la croissance de bras et de jambes plutôt que d'ailes”2.
Repris d'un article du journaliste et activiste Michael Albert, « Universal Grammar and Linguistics » – « La Grammaire universelle et la linguistique ».
La réponse de Chomsky peut en effet paraître d'ordre scientifique, toute personne quelque peu sérieuse dira aussi que « certains aspects de notre savoir et de notre entendement sont innés, une part de notre patrimoine biologique, génétiquement déterminé », sinon que sa version de la chose est proprement platonicienne – mais ce n'est pas mon sujet, m'intéresse ici ce “problème de Platon”. Il est l'image même de l'excès de raisonnement, ou plutôt de faux raisonnement : quand on ne comprend pas comment une chose se réalise, l'explication “la meilleure” ressort du même mécanisme que celui présidant au lamarckisme, à la génération spontanée et à la phrénologie, un “principe inné” en est la cause. Comme le dit plaisamment Gregory Bateson dans son introduction à Vers une écologie de l'esprit :
Beaucoup de chercheurs, surtout dans le domaine des sciences du comportement, semblent croire que le progrès scientifique est, en général, dû surtout à l'induction. Dans les termes de mon diagramme, ils sont persuadés que le progrès est apporté par l'étude des données “brutes”, étude ayant pour but d'arriver à de nouveaux concepts “heuristiques”. Dans cette perspective, ces derniers sont regardés comme des “hypothèses de travail”, et vérifiés par une quantité de plus en plus grande de données ; les concepts heuristiques seraient corrigés et améliorés jusqu'à ce que, en fin de compte, ils deviennent dignes d'occuper une place parmi les “fondamentaux”. A peu près cinquante ans de travail, au cours desquels quelques milliers d'intelligences ont chacune apporté sa contribution, nous ont transmis une riche récolte de quelques centaines de concepts heuristiques, mais, hélas, à peine un seul principe digne de prendre place parmi les “fondamentaux”.
Il est aujourd'hui tout à fait évident que la grande majorité des concepts de la psychologie, de la psychiatrie, de l'anthropologie, de la sociologie et de l'économie sont complètement détachés du réseau des “fondamentaux” scientifiques.
On retrouve ici la réponse du docteur de Molière aux savants qui lui demandaient d'expliquer les “causes et raisons” pour lesquelles l'opium provoque le sommeil : “Parce qu'il contient un principe dormitif (virtus dormitiva)”. Triomphalement et en latin de cuisine.
L'homme de science est généralement confronté à un système complexe d'interactions, en l'occurrence, l'interaction entre homme et opium. Observant un changement dans le système —l'homme tombe endormi —, le savant l'explique en donnant un nom à une “cause” imaginaire, située à l'endroit d'un ou de l'autre des constituants du système d'interactions : c'est soit l'opium qui contient un principe dormitif réifié, soit l'homme qui contient un besoin de dormir, une “adormitosis” qui “s'exprime” dans sa réponse à l'opium.
De façon caractéristique, toutes ces hypothèses sont en fait “dormitives”, en ce sens qu'elles endorment en tout cas la “faculté critique” (une autre cause imaginaire réifiée) de l'homme de science.
L'état d'esprit, ou l'habitude de pensée, qui se caractérise par ce va-et-vient, des données aux hypothèses dormitives et de celles-ci aux données, est lui-même un système autorenforçant. Parmi les hommes de science, la prédiction passe pour avoir une grande valeur et, par conséquent, prévoir des choses passe pour une bonne performance. Mais, à y regarder de près, on se rend compte que la prédiction est un test très faible pour une hypothèse, et qu'elle “marche” surtout dans le cas des “hypothèses dormitives”.
Séparation des logiques : le cas du DSM.
On en a l'exemple, entre autres, avec les divers compendiums de maladies, en premier ceux sur les “maladies mentales” : comme le montrent justement Gregory Bateson et ses coauteurs dans l'article « Vers une théorie de la schizophrénie » mais comme ils ne l'explicitent encore à ce moment (voir en complément l'article « La double contrainte, 1969 », qui à la fois élargit le premier – généralisation à toute situation de “double contrainte” – et le restreint – la “double contrainte” étant un des cas possibles de la classe d'objets mis sous le label “schizophrénie”), une partie au moins des “maladies mentales” sont plutôt des “maladies du lien social” dont la source n'est pas, ou n'est pas seulement, “dans le psychisme” de la personne déterminée “schizophrène”. Il existe au moins deux sortes de maladies, celles qui ont une cause interne, que leur vecteur soit interne (un dysfonctionnement de l'organisme) ou externe (empoisonnement, bactérie, virus, parasite, mycète...), et celles qui ont une cause externe, environnementale. Nombre de maladies dites mentales ont souvent en tout ou partie une cause externe, environnementale en un sens large, dont sociale : la double contrainte en est un exemple, le sujet “schizophrène” peut avoir une telle symptomatologie pour des causes principalement internes (“terrain favorable”, comme on dit) ou principalement externes (contexte favorable à la mise en place d'un comportement de type schizophrénique par les interactions entre le “schizophrène” et au moins une autre personne, souvent deux ou plus). La double contrainte n'est pas une maladie, spécialement une maladie mentale, à proprement parler, c'est une situation, un contexte où une personne au moins est dans une situation de dépendance relativement à au moins une autre personne, et où le participant en sujétion reçoit deux injonctions contradictoires qu'il est censé résoudre en une réponse unique. Elle ne devient pathologique (maladie mentale ou sociale) que quand la circonstance dure ou se répète souvent.
Autre cas de “maladie mentale” douteuse, le “trouble bipolaire”, anciennement la psychose ou maladie maniaco-dépressive. Le changement de nom est d'ordre politique, le compendium le plus exhaustif et le plus répandu en ce domaine est le “DSM”, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Il a longtemps été l'objet d'un conflit entre tenants d'une approche “psychiatrique” et tenants d'une approche “psychanalytique” (en gros, entre médecins et psychologues, même si les clans ne sont pas aussi homogènes) ; pendant une période (les décennies 1960 et 1970, en gros) les “psychanalystes” dominèrent, puis en 1980, avec la publication du DSM III, ce furent les “psychiatres” qui prirent l'ascendant, l'un des marqueurs notables de ce changement étant les dénominations, “psychose” et “névrose” sont des catégories psychologiques, les définitions de “maniaque” et “dépressif” correspondaient à une typologie psychanalytique, enfin, bien qu'ils ne fussent pas moins réductionnistes que les psychanalystes les plus nombreux, spécialement parmi les courants nord-américains, les psychiatres, qui se confrontent à des personnes déterminées comme “malades mentaux” et assujetties à une institution spécialisée, constatent empiriquement qu'il n'est pas si simple de classifier leurs supposées “maladies mentales”, d'où la préférence pour des termes d'une très grande généralité. De ce point de vue, “trouble bipolaire” est confortable, “trouble” désigne des syndromes ou des symptômes allant du simple malaise à la maladie chronique, et “bipolaire” dit qu'il y a deux pôles mais ni leur nature, ni leur écart. Certes, la définition même du DSM induit sans le dire aussi clairement que le “trouble bipolaire” est plutôt un genre de maladie, plutôt de tendance psychotique, et plutôt une alternance de phases maniaques, “normales” et dépressives mais bon, ne pas confondre, ce n'est pas une psychose maniaco-dépressive...
L'intérêt de passer de la “psychose” au “trouble” a plusieurs intérêts, outre les aspects politiques et administratifs déjà évoqués. Cela dit, il s'agit aussi d'administration pour deux aspects assez importants, mais d'un autre ordre, “administrer les malades” et bien sûr “administrer les soins”. Voici la version du “trouble bipolaire” du DSM-IV (la version la plus récente est le DSM-V mais non encore librement disponible – dans ce cas ça importe peu, ce trouble a conservé la même définition). D'abord la typologie formelle, celle qui permet de cocher les cases :
Pour le codage selon la CIM-10, coder l'état actuel du Trouble dépressif majeur ou du Trouble bipolaire I au 4" caractère : 0 = Léger, 1 = Moyen, 2 = Sévère sans caractéristiques psychotiques, 3 = Sévère avec caractéristiques psychotiques.
Pour les procédures d'enregistrement voir p. 401 (Trouble dépressif majeur) et p. 442 (Trouble bipolaire)
Spécifier : Caractéristiques psychotiques congruentes à l'humeur/caractéristiques psychotiques non congruentes à l'humeur
4 = En rémission partielle
5 = En rémission complète
9 = Non spécifié
Les spécifications suivantes s'appliquent aux Troubles de l'humeur (pour l'épisode actuel ou pour l'épisode le plus récent)~h~:
a Sévérité/Psychotique/en rémission/
b chronique/
c Avec caractéristiques catatoniques/
d Avec caractéristiques mélancoliques/
e Avec caractéristiques atypiques/
f Avec début lors du post-partum
[...]
TROUBLES BIPOLAIRES (441)
F3x.x [296.xx] Trouble bipolaire I (441)
F30.x [ .0x] Épisode maniaque isolé". (447)
Spécifier si : mixte
F31.0 [ .40] Épisode le plus récent hypomaniaque (448)
F31.x [ .4x] Épisode le plus récent maniaque (448)
F31.6 [ .6x] Épisode le plus récent (449)
F31.x [ .5x] Épisode le plus récent dépressif (450)
F31.9 [ .7] Épisode le plus récent non spécifié (451)
F31.8 [296.89] Trouble bipolaire II (452)
Spécifier (épisode actuel ou le plus récent) : Hypomaniaque/Dépressif
F34.0 [301.13] Trouble cyclothymique (458)
F31.9 [296.80] Trouble bipolaire NS (461)
Les pages 399-400 décrivent en bref les divers “troubles de l'humeur” dont celui bipolaire ressort :
Le Trouble dépressif majeur est caractérisé par un ou plusieurs Épisodes dépressifs majeurs ( c.-à-d . une humeur dépressive ou une perte d'intérêt pendant au moins deux semaines associée à au moins quatre autres symptômes de dépression).
Le Trouble dysthymique est caractérisé par une humeur dépressive présente la majeure partie du temps pendant au moins deux ans, associée à des symptômes dépressifs qui ne remplissent pas les critères d'un Épisode dépressif majeur.
Le Trouble dépressif non spécifié a été introduit afin de pouvoir coder des troubles de caractère dépressif qui ne répondent pas aux critères de Trouble dépressif majeur, Trouble dysthymique , Trouble de l'adaptation avec humeur dépressive ou Trouble de l'adaptation avec humeur mixte anxieuse et dépressive (ou des symptômes dépressifs pour lesquels l'information est inappropriée ou contradictoire).
Le Trouble bipolaire I est caractérisé par un ou plusieurs Épisodes maniaques ou mixtes habituellement accompagnés d'Épisodes dépressifs majeurs.
Le Trouble bipolaire II est caractérisé par un ou plusieurs Épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un Épisode hypomaniaque.
Le Trouble cyclothymique est caractérisé par de nombreuses périodes d'hypomanie ne répondant pas aux critères d'un Épisode maniaque et de nombreuses périodes dépressives ne remplissant pas les critères d'un Épisode dépressif majeur pendant une période d'au moins deux ans.
Le Trouble bipolaire non spécifié a été introduit afin de pouvoir coder des troubles avec caractéristiques bipolaires qui ne répondent aux critères d'aucun Trouble bipolaire spécifique déjà défini dans cette section (ou des symptômes bipolaires pour lesquels l'information est inappropriée ou contradictoire).
Le Trouble de l'humeur dû à une affection médicale générale est caractérisé par une perturbation thymique marquée persistante évaluée comme étant la conséquence physiologique directe d'une affection médicale générale.
Le Trouble de l'humeur induit par une substance est caractérisé par une modification marquée et persistante de l'humeur jugée comme étant la conséquence physiologique directe d'une substance donnant lieu à abus, d'un médicament, d'un autre traitement somatique de l'état dépressif ou de l'exposition à un toxique.
Le Trouble de l'humeur non spécifié a été introduit afin de pouvoir coder des troubles comportant des symptômes thymiques qui ne répondent à aucun des troubles de l'humeur spécifiques et pour lesquels il est difficile de choisir entre Trouble dépressif non spécifié et Trouble bipolaire non spécifié (p. ex., crise d'agitation).
Comment dire ? Cette liste correspond très bien au propos de Gregory Bateson :
Beaucoup de chercheurs, surtout dans le domaine des sciences du comportement, semblent croire que le progrès scientifique est, en général, dû surtout à l'induction [et] sont persuadés que le progrès est apporté par l'étude des données “brutes”, étude ayant pour but d'arriver à de nouveaux concepts “heuristiques”. Dans cette perspective, ces derniers sont regardés comme des “hypothèses de travail”, et vérifiés par une quantité de plus en plus grande de données ; les concepts heuristiques seraient corrigés et améliorés jusqu'à ce que, en fin de compte, ils deviennent dignes d'occuper une place parmi les “fondamentaux”. [[...]] Quelques milliers d'intelligences ont chacune apporté sa contribution, nous ont transmis une riche récolte de quelques centaines de concepts heuristiques, mais, hélas, à peine un seul principe digne de prendre place parmi les “fondamentaux”.
Le DSM, développé juste après la deuxième guerre mondiale, répondait à une attitude nouvelle dont les prémisses sont anciennes (un siècle et demi d'élaboration, en gros) mais la mise en place réelle et pérenne difficile auparavant pour diverses raisons : la militarisation de la société. Comme le rappelle l'article de Wikipédia, « Le manuel évolue initialement à partir des statistiques collectées depuis des hôpitaux psychiatriques et depuis un manuel diffusé par l'armée de terre des États-Unis » ; comme il le mentionne aussi, « la Seconde Guerre mondiale implique beaucoup de psychiatres américains dans la sélection et dans les traitements médicaux des soldats. Cela a particulièrement changé l'habitude des institutions psychiatriques et les perspectives cliniques traditionnelles ». Le paragraphe précédent précise ce changement : « Il a été créé pour homogénéiser les diagnostics au maximum en utilisant des items les moins subjectifs possibles. Ceci permet aux praticiens et aux chercheurs de pouvoir parler dans les mêmes termes des mêmes maladies ».
Comme l'induit Bateson, une démarche proprement scientifique est déductive (il explicite la chose par ailleurs dans l'introduction, cela dit), les outils inductifs n'étant alors que des instruments permettant de valider ou d'invalider ces déductions. La logique conceptuelle et argumentative est alors le moyen permettant d'aller de la logique spéculative à la logique discursive et inversement. Une logique spéculative qui ne vérifie pas ses présupposés en les confrontant aux faits ou une logique discursive qui construit un raisonnement à partir des données statistiques sans jamais interroger sa pratique posent également problème. Le DSM est un bon exemple des deux cas :
- En premier, le compendium construit sa nomenclature à partir de recueils de données, mais des données prédéterminées et conventionnelles, les “cas pathologiques” enseignés dans les facultés de médecine ou les conclaves de psychoanalyse et “observés sur le terrain”, sinon que ce terrain est en fait un laboratoire : un hôpital, une institution psycho-sociale ou médico-psychologique, un cabinet de médecin ou de psychologue, ne sont pas de réels terrains, le “patient” est en tant que tel un “malade” ou un “souffrant”, soit qu'il le dise ou le suppose lui-même, soit qu'on l'ait diagnostiqué “dans un état pathologique” et amené avec ou sans son consentement dans un “centre de soin” ;
- La classification est donc statistique et diagnostique, comme le précise le titre, ce qui a un double effet : les diagnostics nouveaux sont construits à partir d'un savoir commun, celui des diagnostics existants et de leur dénomination ; l'accumulation de diagnostics reprenant les termes et descriptions de diagnostics préalables augmente statistiquement l'incidence de “maladies mentales” déjà décrites ;
- La “vérification statistique” des diagnostics recensés par la nomenclature induit les praticiens, non plus à singulariser le cas de chaque patient mais à rechercher dans le cas actuel les “signes révélateurs” d'une maladie déjà recensée.
Trois des “diagnostics” de la nomenclature sont intéressants de ce point de vue, le “trouble dépressif non spécifié”, le “trouble bipolaire non spécifié” et le “trouble de l'humeur non spécifié”. On nous précise pour les trois que ce supposé diagnostic « a été introduit afin de pouvoir coder des troubles [...] qui ne répondent pas aux critères » valables pour poser un tel diagnostic, dit autrement, c'est le diagnostic permettant de nommer un cas qu'on ne peut pas nommer parce qu'il “ne répond pas aux critères”. Un peu étrange, de pouvoir nommer un cas hors critères du nom d'un diagnostic établi sur certains critères. D'évidence, le supposé diagnostic le plus étrange est celui de “trouble de l'humeur non spécifié”, car il permet « de pouvoir coder des troubles comportant des symptômes thymiques qui ne répondent à aucun des troubles de l'humeur spécifiques et pour lesquels il est difficile de choisir entre Trouble dépressif non spécifié et Trouble bipolaire non spécifié ». Le cas donné en exemple possible, la “crise d'agitation”, permet assez bien de comprendre la logique de ce “trouble” : le praticien doit diagnostiquer un patient dont il ne connaît rien de sa pathologie possible mais dont il sait, par le contexte, qu'il a une pathologie et se trouve dans une phase critique – typiquement, il vient tout juste d'être placé dans un centre de soin pour malades mentaux ou est présenté pour diagnostic à un psychiatre ou un psychologue par lui-même, un parent ou une autorité quelconque ; il va donc “chercher les signes” qui lui signaleront de quel diagnostic de la nomenclature sont cas ressort ; le patient a le mauvais goût de ne pas présenter une symptomatologie typique, du fait le praticien cherchera un signe minimal qui puisse être l'indice d'une classe assez large de pathologies. Aussi peu précis soient-ils, les diagnostics “spécifiés” répondent nécessairement à plusieurs signes, plusieurs critères, tandis que ceux “non spécifiés” peuvent s'appuyer sur un seul critère.
Le praticien sait que son patient “a une pathologie” non parce qu'il l'a constaté mais parce que c'est un patient, un patient nouveau, donc un cas pathologique. La classe “troubles de l'humeur” a ce double avantage de recenser des critères assez vagues et des comportements qui diffèrent assez peu d'un comportement “normal”, mais même ainsi il n'est pas si évident de poser un diagnostic certain, d'où la nécessité des troubles “non spécifiés”, un faible indice suffit alors. Cas possibles : le “patient” a subi certaines épreuves qui l'ont mis dans un état d'énervement qu'en d'autres contextes on estimera “normal”, mais dans un contexte de diagnostic de trouble mental, ça devient un signe, le critère “crise d'agitation” ; suite à une série d'épreuves le “patient” est dans un état de fatigue “normal” proche de l'apathie, on peut supposer alors un “trouble dépressif non spécifié”.
La troisième logique.
Je l'évoquais au passage, il y a une logique intermédiaire, que je nomme logique conceptuelle et argumentative, renommant la logique de raisonnement “logique spéculative” et nommant celle de discours “logique discursive”. La logique spéculative est la version pauvre de la logique de raisonnement, qui ne s'appuie pas sur la logique discursive par l'instrument de la logique conceptuelle et argumentative, que je nommerai par après “logique dialectique”. Cette logique est dite troisième dans le titre de cette partie, on la définira mieux en parlant de logique moyenne ou intermédiaire, un “concept” est la transposition en mots, la définition ou la description, d'une pensée, l'argumentation est le moyen de tenter par la parole de partager ou de construire une pensée, la logique dialectique est donc la méthode très générale connue de longue date pour tenter d'éviter la séparation des deux autres logiques ou, pour reprendre les termes de Bateson, le moyen d'aller de la déduction vers l'induction et de l'induction vers la déduction. Le problème étant que les humains n'ont pas tous la volonté ou la capacité de faire cette œuvre de discernement, certains ayant même la volonté de ne pas la permettre.
Le travail, l'autre nom de la division.
On peut “labourer”, “ouvrer” ou “tâcher”, réaliser un labeur, un ouvrage ou une tâche. Sans se résumer à cela, la tâche est la méthode de réalisation d'un processus qui est à la base de ce qu'on nomme aujourd'hui travail. Le labeur et l'ouvrage sont la réalisation complète de ce processus par une même personne, que ce soit une personne physique ou morale, un individu ou un groupe, la différence étant dans la nature de ce processus, le labeur est un processus normé, prévisible et répétitif, l'ouvrage un processus possiblement normé et en plus ou moins grande part prévisible mais non répétitif, chaque ouvrage ayant une fin – une fois achevé le processus on a affaire à une réalisation finie et unique. Ce qui ne signifie cependant pas qu'un labeur soit toujours identique ni qu'un ouvrage ne soit pas la répétition d'un ouvrage déjà réalisé. Pour exemple, les tâches d'un agriculteur ou d'un éleveur sont de l'ordre du labeur mais leur répétition et leur prévisibilité sont approximatives, il y a des aléas, bon jour mal jour, bon mois mal mois, bon an mal an on peut anticiper sur la répétition et sur la prévisibilité des choses en considérant cependant de possibles changements ; et pour les ouvrages un artisan, une entreprise artisanale ou industrielle, produiront souvent des séries de réalisations très similaires, à peu de choses près identiques. La différence se situe dans la fin : un labeur n'a pas de fin, chaque jour il faut traire ses vaches, ses brebis, chaque semaine réunir ses productions pour les stocker ou les vendre, chaque saison verra les mêmes semailles, les mêmes récoltes, les mêmes naissances ; un ouvrage a une fin, celle de la production de chaque réalisation, et la réalisation suivante, aussi identique soit-elle à la précédente, sera produite avec d'autres moyens.
Une tâche est un processus élémentaire, qui ne peut être réalisé que par une seule personne (individu ou groupe) au moment où il l'est. Un processus de type labeur ou ouvrage est un ensemble de tâches, un processus qu'on peut dire algorithmique, qu'on peut diviser en tâches qui s'enchaînent dans un certain ordre pour l'obtention d'une certain résultat. Cet ordre n'est pas nécessairement linéaire, certaines tâches, certains groupes de tâches, sont souvent réalisables concurremment, par contre toutes doivent être accomplies pour obtenir le résultat visé. Le cas simple d'un processus algorithmique est la recette de cuisine. Tout en rédigeant ce texte je prépare la réalisation de tourtes de sucrines du Berry (qui sont des courges et non des salades). Pour ce faire je dois disposer des ingrédients nécessaires (une sucrine, de la farine, du beurre, du fromage blanc, des oignons, etc.) et d'une liste d'opérations, la dernière, leur cuisson au four, requiert que toutes les autres soient effectuées, en revanche s'il y a un ordre préférentiel et par moments un ordre obligé de réalisation partielle, la liste des tâches n'est pas linéaire, je dois entre autres faire une pâte brisée, l'étaler et en tapisser des moules, précuire la sucrine à la vapeur, couper et faire revenir à la poêle les oignons et les poireaux, etc. Je peux faire la pâte avant, pendant ou après la précuisson de la sucrine et des oignons, par contre je dois nécessairement étaler la pâte et la mettre dans les moules avant d'y mettre les oignons et poireaux, et placer ceux-ci sur la pâte avant de les recouvrir avec la sucrine. Écrivant la recette j'ordonnerai ces opérations dans une séquence optimale mais qui n'est donc pas nécessairement linéaire.
Un travail est un labeur ou un ouvrage où les étapes de réalisation sont dévolues à certaines personnes continument,