Je m'intéresse à bien des choses et de bien des façons, et en tout cas, je crois, d'une manière non dogmatique ni fermée. Bien des gens autour de moi ou à plus de distance semblent considérer que « les choses vont mal », mais quand on passe aux solutions ces gens semblent souvent convaincus que les meilleures sont celles, disons, massives, “changer les choses en grand”, et semblent tout aussi convaincus que l'instrument cause de la plupart des désagréments ou désastres qui les inquiètent est aussi celui qui les résoudra, dit autrement : que la haute technologie est le meilleur instrument pour résoudre les problèmes que crée la haute technologie. Je trouve ça intéressant. Disons : le principe de l'homéopathie mais avec les méthodes de l'allopathie. Je ne suis pas certain que ça puisse marcher…

Mon point de vue est presque inverse : je ne suis pas convaincu que « les choses » vont si mal ; je pense que les meilleures solutions sont les plus petites et plus quotidiennes, “corriger les choses en petit” sans idée de les changer ; je ne suis pas persuadé que l'on corrige un effet avec l'outil qui en est cause, et pour l'allopathie, les récentes campagnes sur la limitation de l'usage des antibiotiques nous montrent assez que cette voie, utilisée à outrance, finit par aller contre son but.


En visitant ce site , vous pourrez constater que je reviens souvent sur un même thème pour l'explorer sous divers aspects ; c'est même un de mes principes de base : ne pas se contenter de la première approche, qui est toujours fausse parce que limitée. Un objet d'étude est un objet comme les autres, il a plusieurs faces et on ne peut pas les voir toutes en même temps. Prenez le cas, par exemple, de « l'expérience de Milgram » : je suis revenu cinq fois sur le sujet ; les titres de chaque partie indiquent je crois assez bien les approches diverses dans ces cinq textes :

I - « Libres discussions sur “l'expérience de Milgram” » ;
II - « À quoi sert la psychologie expérimentale et comment s'en sert-on ? » ;
III - « Agir pour ou contre ses “valeurs” » ;
IV - « Comment on rend compte de l'expérience – descriptions, analyses » ;

V - « Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant ».

La partie I – et texte initial – est une discussion à bâtons rompus d'où plusieurs éléments sont repris et développés dans les parties suivantes ; dans la deuxième partie je m'appuie sur l'expérience en question pour tenter de comprendre comment une société utilise les savoirs et savoir-faire qui s'y développent, et comprendre les rapports qui existent entre diverses institutions souvent considérées non liées, voire antagonistes – par exemple, les rapports entre armée et recherche en sciences sociales – ; ensuite, je considère un point particulier, la question des valeurs, qui semble à la fois cruciale et simple aux commentateurs (en gros : « Ce n'est pas bien de torturer, et si on le fait on trahit ses valeurs »), pour constater que ce n'est pas si évident ; la partie suivante, qui à l'origine fut écrite en deuxième, étudie des commentaires de l'expérience trouvés sur Internet selon deux axes, comment on la décrit puis, ce qu'on en déduit ; dans la dernière partie je me penche sur le statut des acteurs de l'expérience et sur leurs rapports. L'autre manière dont je peux traiter plusieurs fois d'un thème est illustré par la série des «Ethnies» : contrairement à celle sur l'expérience de Milgram, ici si le point de vue varie le mode d'analyse reste assez constant, car s'appuyant sur un ensemble constitué des textes d'un débat qui se déroula pour l'essentiel entre 1995 et 2002, à propos de l'introduction – ou de la non introduction – du « critère ethnique » dans les statistiques de l'INSEE sur la population française.

Bien sûr, le plus souvent le retour sur une certaine question ne se fait pas aussi nettement : parmi les textes de ce site il n'y a guère que cinq ou six séries constituées, le cas étant qu'assez régulièrement je reviens à un sujet qui m'intéresse à partir d'une prémisse qui l'éclairera d'une manière différente. C'est le cas de cette page : au départ je comptais juste envoyer un courriel en réponse à un message enthousiaste (« Votre site est extra ! », me disait ma correspondante – ce qui fait toujours plaisir) ; puis j'ai commencé à discuter d'une question qui m'occupe beaucoup, comment une société évolue. Les deux alinéas qui débutent le texte viennent directement de cette discussion ; ensuite, je développais des considérations diverses sur les groupes sociaux, et notamment à partir de la question de « la gauche » et « la droite » politiques. Ma première approche me convainquant peu mais la manière d'aborder le thème me paraissant prometteuse je décidai de la reprendre ici, en mettant un peu en ordre cette discussion.


La question est donc la latéralité : un être humain moyen est formellement latéralisé et se compose de parties “gauche” et “droite” « en miroir » – je parle des individus « vus de l'extérieur » : les organes internes sont souvent latéralisés mais pas tous, en majorité ceux de la zone abdominale ne le sont pas, ou ont leur propre latéralité qui diffère de celle de l'organisme. Un individu vertébré est un ensemble de quartiers répartis sur un centre, mais les parties antérieure / supérieure et postérieure / inférieure différant assez, on le considérera plutôt comme « une entité latéralisée et orientée et faciée », ou si vous préférez, une entité ayant un côté gauche, un côté droit, un avant ou haut, un arrière ou bas, une « face » et un « dos », ces dernières notions étant moins simples.

M'intéressant ici au seul groupe de vertébrés déterminé comme « les humains », face et dos sont faciles à décrire, mais pour un individu aux capacités étendues de déplacement de la tête, comme en ont la plupart des oiseaux, « le dos » se résume factuellement à la seule partie qu'un individu ne peut jamais voir directement, face et arrière de la tête. Les humains ayant des capacités moins étendues pour faire pivoter leur tête, « le dos » est la partie qui va du sommet de la tête au bas de la colonne vertébrale et comprend toute la surface dorsale (au sens anatomique) du thorax et de l'abdomen ainsi que les fesses et la partie dorsale des cuisses. C'est une approximation : certains individus ont des capacités plus larges de torsion, ce qui leur permet de voir une partie des fesses et de l'arrière des cuisses, d'autres ont au contraire des capacités très limitées de torsion et ne voient guère de leur corps que les bras et le bas de la face frontale des jambes, voire moins (un gars que je croisais souvent à la faculté des Lettres de Montpellier, avait un gros problème aux vertèbres cervicales l'obligeant à tenir la tête rejetée en arrière et sans pouvoir la tourner vers la gauche ou la droite). Il y a aussi le cas des aveugles. Disons que « le dos » est la partie statistique d'eux-même que la majorité des humains ne voient pas directement. Dans une description plus topologique, j'intégrais à la zone dorsale l'ensemble de la tête ainsi que le triangle entre menton et clavicules, mais perceptivement la zone antérieure de la tête et le haut du torse sont « devant ».

Compte non tenu des humains non standards (unijambistes, manchots, scoliotiques, Van Gogh après Avignon, borgnes, etc.), coupant un humain en deux dans un plan face-dos dans l'axe de la colonne vertébrale, on obtient deux objets similaire avec une inversion telle qu'on en constate avec une image produite par une surface réfléchissante ; l'un est « la gauche », l'autre « la droite ». Ayant été dyslexique, je sais que la notion conventionnelle de « droite » et de « gauche » n'a rien d'intuitif. J'ai une hypothèse : « la droite » est la partie du corps où se rattache la main qui écrit ; ce qui implique que 10% à 15% des humains n'a pas « la droite » du même côté du corps que les autres, qu'une autre minorité (moins de 5% des humains) a deux mains droites, et enfin qu'en Sierra Leone, plus de 90% de la population a deux mains gauches. Bon : mon critère n'est pas excellent. Disons que « la droite » est la main « la plus habile », ce qui laisse toujours 15% à 20% d'humains « inversés » par rapport à la majorité, ou ambidextres, compte non tenu des personnes ayant au plus une main. et bien sûr, compte non tenu des personnes dont on dit qu'elles ont deux mains gauches… Cela posé, la convention pour déterminer droite et gauche est celle évoquée : la droite est la partie du corps dont on observe statistiquement que pour une majorité des humains pourvus de deux mains, la main qui y est rattachée est la plus habile. factuellement, il importe peu de savoir exactement et de manière non équivoque quelle est la partie droite du corps et sa partie gauche, ça n'a même aucun intérêt, il suffit de savoir déterminer la face et le dos, le haut et le bas, et de savoir ce que dit : si on divise un humain de haut en bas et de face à dos en suivant la ligne de la colonne vertébrale, on obtient deux objets semblables mais en miroir.

On excusera cette longue discussion qui vise à établir que, contrairement au dos, à la face, au haut et au bas, droite et gauche sont des notions conventionnelles qui ne reposent pas sur une analyse formelle non équivoque et descriptible de manière que l'on puisse les définir en faisant appel à quelque chose d'objectif : je sais qu'il y a une droite parce qu'on me l'a dit, je la différencie de la gauche parce qu'on m'a appris comment le faire, j'ai admis la chose, mais elle n'est pas démontrable par analyse de la réalité du corps. Malgré tout, il y a un moyen objectif de différencier droite et gauche, mais indirect et nullement superficiel, à la base : la droite est le côté du corps où se situe cet objet étrange, apparemment inutile et parfois problématique que l'on nomme « l'appendice », et qui permet souvent d'objectiver la droite après une appendictomie : c'est le côté où on a la cicatrice de « l'appendicite ». Enfin, était un tel moyen, car avec l'amélioration, ces dernières années, des méthodes de chirurgie, on arrive à faire des opérations sans produire de cicatrices persistantes ; esthétiquement c'est bien, fonctionnellement ça ne permet plus, hélas, de faire facilement la différence entre gauche et droite…

La question des notions conventionnelles m'intrigue. On peut dire qu'il y en a de deux sortes : celles s'appuyant sur des éléments objectifs de la réalité et celles ne le faisant pas ; parmi celles non objectives il y a deux catégories : celles référant à un élément de la réalité observable, et celles ne le faisant pas. Pour une paire de notions de la première sorte, « face » et « dos » sont un bon exemple, on peut les définir à partir d'observations non équivoques. « Gauche » et « droite » sont de la deuxième sorte : attribuer à un côté la notion de « la droite » est subjectif et elle ne peut être décrite de manière univoque, par contre, ça s'appuie sur un fait d'observation, la latéralité des individus vertébrés (et de beaucoup d'invertébrés). « La liberté » ou « la sécurité sociale » sont du troisième type : il n'y a pas de réalité observable désignable ainsi sans ambigüité ni d'éléments observables de la réalité à partir desquelles les déterminer.

Ma formation de linguiste me l'apprit, le langage dit à double articulation comporte quatre éléments : référent, « image mentale », signifié et signifiant1 ; le nom change d'une école à l'autre, mais la conception générale est assez stable. Le référent est l'élément de la réalité observable duquel les trois autres éléments, qui sont proprement la part linguistique de l'ensemble, se construiront ; « l'image mentale » est la représentation schématique de la réalité à décrire ; factuellement, il n'existe pas dans la réalité un objet “vache”, par contre il existe une série d'objets ayant certaines caractéristiques, la plus notable étant leur lien généalogique, et le plus remarquable qu'ils ont un aspect général et un type de comportement assez similaires, le plus souvent ; il en ressort que « l'objet vache » est une construction mentale basée sur une analyse fiable de données statistiques assez stables dans le temps. Cette « image mentale » non descriptible est un concept empirique déduit d'une régularité de faits répétitifs ; c'est avec le signifié qu'il devient descriptible. Le signifié est la face langagière de « l'image mentale », l'ensemble de concepts connexes qu'un individu y reliera ; les définitions de dictionnaires, qui énumèrent une série de concepts eux-mêmes définissables et permettent de déterminer l'objet avec autant de détails que nécessaire, sont des explicitations de ce signifié.

Autant que nécessaire… Bien sûr, ça n'a pas grand sens. mon Petit Larousse illustré (ed. 2001) me décrit ainsi notre vache :

« n. f. (lat. vacca). Femelle reproductrice de l'espèce bovine ».

C'est assez juste mais requiert de connaître les signifiés ou au moins les concepts “femelle”, “reproductrice (eur)”, “espèce”, “bovin(e)”. Mon but ici n'est pas de faire un précis de linguistique, mais il est à considérer que dans un état avancé, les mots du langage ne sont pas directement référentiels : on peut maîtriser l'« image mentale » sans nécessairement intégrer le signifié, par contre, la maîtrise du signifié requiert d'avoir intégré un segment non négligeable de signifiants (de « mots ») avec les concepts associés, car de fait un signifié n'est accessible qu'au moyen d'autres signifiés ou de concepts (d'« images mentales »). Dans un cadre restreint où l'on n'est confronté qu'à une seule variété de bovin, l'objet vache peut en rester au niveau de l'image mentale puisque factuellement « toutes les vaches sont semblables » ; dans un cadre large, comme la société française de 2005, « vache » est un signifié réfèrant à une « série de séries », “holstein”, “corrézienne”, “normande”, “zébu”, etc., dont on ne peut guère postuler qu'ils sont directement référentiels ; même si ce type de connaissance peut rester largement implicite (conceptuel), il faut tout de même avoir un niveau de savoir minimal sur, disons, « la génétique des populations », pour parvenir à considérer l'ensemble très disparate des objets regroupés sous le signifié “vache” comme « le même objet ». Dans cette discussion je considérerai le cas de l'humain moyen de dix ans et plus d'une société fortement alphabétisée, lequel est a priori un individu possédant une haute capacité d'abstraction et accédant largement à la réalité à travers une analyse passée au filtre des signifiés plutôt que par le biais des « images mentales ». Considérant cependant que dans la population normale d'une société de ce type, un assez grand nombre d'individus (généralement, une majorité) se contente le plus souvent, pour les signifiés qui n'ont pas d'incidence forte sur leur quotidien, d'une acception très sommaire. Pour revenir à l'objet vache, si pour un éleveur il est important d'avoir un discernement assez grand des variétés de bovins en fonction de qualités secondaires comme la masse musculaire, la productivité laitière, la résistance, etc., pour un citadin qui n'a pas décidé de s'orienter vers la taxinomie ou de se reconvertir dans l'élevage, une détermination simple telle que celle donnée par mon Larousse est très suffisante. “Autant de détails que nécessaire” est donc une notion variable et contextuelle.

Le signifiant, comme le référent, est de définition simple : il s'agit de ce que l'on nomme les « formants », c'est-à-dire les vecteurs sonores, gestuels, graphiques ou tactiles par lesquels les humains communiquent des notions complexes. Leurs formes sont variables mais le but est toujours le même, « échanger des idées », ou quelque chose du genre. Pour un exemple simple, sur cette page il y a (au moins) deux sortes de formants qui ne font pas partie du même système de communication, des « grammes » et des « icônes ». Tout en haut de la page originale d'où je reprends et remanie ce texte, figuraient quatre images, que voici :

Page d'accueil du site Sommaire de la rubrique Vos suggestions concernant cette page olivier.hammam@free.fr


Pour qui vit dans une société à écriture où existe un service postal, les deux images de droite sont, je crois, d'une compréhension simple : “écrire” et “lettre” (“courrier”). Leur fonction sur la page n'est pas d'une compréhension aussi immédiate, mais un usager d'Internet peut aisément interpréter l'image de droite comme « envoyer un courrier électronique » ; le fait que, dans sa version du haut de page ce soit un hyperlien (ce que signale l'apparition de l'icône conventionnelle “petite main doigt pointé” telle que ceci Main de gloire quand on place le pointeur de la souris au-dessus de l'image), et celui qu'une « info-bulle » comportant le texte “olivier.hammam@free.fr” apparaît lorsqu'on met le pointeur de la souris au-dessus de cette image, confirmeront l'hypothèse probable de mes visiteurs que le message est « vous pouvez m'envoyer un message ». L'image ou icône “écrire” est bien moins évidente, d'où il m'a paru judicieux et même nécessaire de la compléter par l'information « Vos suggestions concernant cette page » qui apparaît dans une mini-fenêtre. Les autres sont moins immédiates, quoique celle la plus à gauche soit, dans un certain contexte et avec une certaine culture, assez évidente. Cette image représente une maison ; l'internaute sait par sa pratique que « la maison » réfère généralement à la page d'accueil du site qu'il est en train de visiter, qui est dite conventionnellement “home”, maison. Ce qui requiert donc de connaître et d'avoir intégré les éléments de base de la « culture Internet ». Reste la dernière image, à la fois la plus et la moins simple à décoder. Le symbolisme des flèches est, sinon universel, du moins très répandu ; presque partout dans le monde ça délivre le simple : “vers le haut”. Ouais. Quel haut ? C'est « le haut de la page », ergo on ne peut faire plus haut. La détermination du « vers le haut » que ça désigne requiert une compréhension « diasynchronique » des symboles les plus courants sur Internet.

Le « diasynchronisme » est l'analyse habituelle sur deux axes que pratique tout usager d'un système de signes « à double articulation ». C'est même ce que désigne ce terme : un langage complexe comme celui des humains s'articule sur deux axes, celui paradigmatique ou positionnel et celui syntagmatique ou fonctionnel. J'ai inventé le mot à partir des deux termes désignant les deux types de linguistiques enseignés dans nos université, la linguistique diachronique ou historique et la linguistique synchronique ou générale ; dans la compréhension habituelle la linguistique diachronique s'occupe de l'évolution des langues au cours des temps, celle synchronique, à un certain état de langue à un moment particulier ; mon usage de “synchronie” et “diachronie” diffère ici et réfère aux « deux axes du langage », et tient compte des particularités de ces axes. Tout d'abord une explicitation : “chronique” dérive du mot grec désignant le temps, la durée, le préfixe “syn-” exprime la continuité, celui “dia-” la discontinuité ; les deux termes peuvent se paraphraser en « dans la continuité du temps » et « dans la discontinuité du temps », ou « dans la durée » et « dans l'instant ». C'est précisément la qualité de nos deux axes : celui paradigmatique concerne la série de signifiés acceptables à une certaine position d'un énoncé, une sorte de liste virtuelle, « tous les verbes » ou « tous les noms » ou « tous les adjectifs qualificatifs », etc. ; celui syntagmatique est ce qu'on peut appeler un « énoncé bien formé », une forme grammaticalement correcte, et par le fait, un énoncé se déploie dans la durée, celle de l'énonciation ou celle de l'audition : il faut « un certain temps » pour dire (écrire) ou ouïr (lire) un énoncé. À considérer que si au plan de l'analyse on peut les séparer, dans l'effectivité des choses ces axes sont inséparables : la preuve qu'un énoncé est bien formé se fait en considérant que les mots sont « à la bonne position », et cette position se réalise au cours de l'énonciation. Le diasynchronisme est donc cette compétence spécifique, savoir déterminer à la volée qu'un mot est à sa place et qu'une phrase est correcte.

Ce n'était pas le but de ce texte, mais puisque j'y suis : lors de mes études, je fus étonné de ce que les linguistes ne cherchaient pas à comprendre ce qui diffère dans l'émission et la réception d'un message. D'une manière qui me semblait peu cohérente, ils postulaient que la même compétence est en jeu pour réaliser les deux opérations. Improbable. La théorie linguistique la plus incohérente, de ce point de vue, est la « grammaire générative et transformationnelle » (la GGT), elle postule ce qui apparaît l'exact contraire d'une hypothèse consistante : elle considère que les parties statiques de l'ensemble de mécanismes à l'œuvre sont les énoncés et « l'image mentale » qui en est l'origine ou le résultat, les parties dynamiques étant alors les mécanismes qui procèdent à l'encodage et au décodage. D'une part ça va contre l'expérience et les faits, de l'autre ça va contre la logique, enfin ça va contre tous les modèles fonctionnels de processus de communication, ceux qui ont permis de réaliser la radio, le cinéma, le téléphone, la télévision, l'ordinateur, et bien sûr l'écriture. Remarquez, toutes les théories linguistiques que je connais sont plus ou moins de cet ordre, simplement les explications sont moins radicalement aberrantes puis ceux qui les élaborèrent ne visaient pas, pour la plupart d'entre eux, à rendre compte de l'effectivité des mécanismes à l'œuvre, leurs concepteurs les prenaient avant tout comme des instruments imparfaits mais fonctionnels pour l'étude, non tant du langage en soi, que de ses effets.

Selon moi, l'erreur fondamentale des théoriciens du langage est de croire que le fait dégagé par l'analyse de l'existence de deux axes induit l'existence de deux corps séparés de mécanismes, celui, disons, d'échantillonnage, et celui de formation d'énoncés. L'idée aberrante, et contredite par l'expérience que vous et moi pouvons faire, est en gros que l'on « prépare l'énoncé dans sa tête » puis qu'on l'émet. Vous comme moi savons que l'on « parle sans réfléchir » : nous avons une idée, un sentiment, une émotion que nous désirons communiquer ; nous ne nous formulons nullement une certaine phrase avant de l'énoncer, bien au contraire nous commençons à émettre et la phrase se construit au fur et à mesure que nous l'émettons ; souvent, nous nous rendons compte que ce que nous sommes en train d'émettre ne rend pas compte de notre pensée informulée, alors nous interrompons l'énoncé pour le continuer par quelque chose qui s'y rattache plus ou moins bien, puis arrêtons ce deuxième segment « au milieu », parfois pour commencer un tout autre énoncé, parfois pour émettre un segment « de remplissage » (« Oui, bon, alors, euh, ce que je voulais dire, euh, oui, tu comprends, c'est… ») le temps non de retrouver la phrase, mais de retrouver l'idée, et ça repart ; très souvent, notre interlocuteur, loin d'être un simple récepteur, contribue à la formation de l'énoncé (« L'autre jour j'étais, tu sais, chez machin, là, le gars qui… » ; « Celui dont on parlait ? » ; « Ouais, Gérard… » ; « Lambert » ; « C'est ça, et alors, bon, je lui dis, maintenant, avec dix euros… » ; « On n'a plus rien » ; « C'est ça, et lui y me répond… » ; « T'as bien raison » ; « C'est ça, comment tu le sais ? » ; etc.). Les linguistes, et parmi eux particulièrement les tenants de la GGT, fondent leur analyse du fonctionnement de la langue, non sur ce qui se passe dans une interaction orale réelle, mais à partir de leur expérience de l'écriture et de la lecture : à l'évidence, si je construisais les énoncés de mes textes comme je construis mes énoncés oraux, la lecture en serait pénible, non tant parce que c'est vraiment problématique (les textes de Céline ou Artaud montrent assez, je crois, qu'on peut très bien écrire d'une manière aussi discontinue que quand on parle sans que ce soit problématique) mais tout simplement parce que nos habitudes de lecture et d'écriture sont analytiques, pour la raison même que le système scripturaire alphabétique s'est construit à partir d'un travail d'analyse du discours oral. Ceci ne vaut bien sûr pas pour les écritures de type iconique (idéogrammatique).

Dans le langage oral interactif la forme des énoncés est en général très sommaire, en français, la fameuse séquence “sujet-verbe-complément”, par contre les séquences peuvent être assez complexes, tout simplement parce que l'élément “complément” peut-être, et est le plus souvent, un nouvel énoncé élémentaire, et qu'à l'aide de chevilles en nombre somme toute restreint on peut articuler la séquence de manières très diverses, avec des enchâssements, des incises, l'amorce d'une nouvelle séquence, etc. Là-dessus, ainsi que dit, émetteur et récepteur tolèrent énormément de ruptures de séquences sans que cela perturbe particulièrement l'échange, on peut considérer que dans une conversation normale environ 80% des échanges correspondent à ce que la linguistique structurale définit comme la fonction phatique (comme l'écrit une certaine Isabelle – apparemment, son nom complet est Isabelle Vodjdani –, « Selon ce que j'en ai retenu, la fonction phatique dans le langage correspond à tout ce qui permet de s'assurer que les interlocuteurs sont bien en contact ». Selon ce que j'en ai retenu, elle n'a pas tout-à-fait raison : la fonction phatique réfère à ce qui dans une interaction lingistique ne vise pas à communiquer un message, mais plutôt à communiquer sur la communication. Dans une autre page j'ai trouvé une définition plus exacte : « Elle permet d'établir, de maintenir ou d'interrompre le contact physique et psychologique avec le récepteur. Elle permet aussi de vérifier le passage […] physique du message ». Bref, on vérifie que le message passe en émettant un message « vide », qui n'a d'autre but que de faire du bruit. Or, le langage oral, lors d'une interaction longue à bâtons rompus, consiste essentiellement en des segments « phatiques ». L'usage, dans le langage écrit à but informatif, est au contraire de n'émettre pratiquement que des segments non phatiques. Dans la fiction il peut bien sûr en aller tout autrement (cf. Céline et Artaud). Cela ne signifie pas qu'on ne « phatise » jamais dans les textes informatifs, et reprenant ce texte même, vous pourrez y dénicher nombre de segments dont le but est simplement de « maintenir le canal ».

Finalement non : ici je « phatise » peu ; mais au gré des pages de ce site vous en verrez où, par badinage ou pour induire un certain état (une certaine émotion), j'use beaucoup des segments phatiques : apartés, adresses au lecteur, incises « hors sujet », etc. Cela dit2, pour me citer, dire que dans une interaction verbale longue « environ 80% des échanges correspondent à […] la fonction phatique » est inexact, la chose plus juste est : environ 80% des échanges n'ont pas pour but de communiquer une information à strictement parler. Pour partie cette « non communication » est d'ordre phatique, et pour autre partie c'est du « méta-discours ».

Le méta-discours est, comme son nom l'indique, un « sur-discours », mais aussi un « discours sur ». Discours sur le discours. Si la plupart des auteurs ne le font pas, en théorie on n'a guère nécessité à “méta-discourir” dans un texte écrit, car au cours du temps ce type de communication a pris son autonomie par rapport au système de référence, le langage oral, par le développement de ce que la critique littéraire nomme « paratexte », l'ensemble des éléments de mise en forme et de signalisation qui indiquent aux lecteurs comment on doit interpréter le message émis. Par exemple, au lieu d'écrire :

Le reumeureu est plus ou moins quelque chose comme un bougoubougou

je peux écrire :

Le reumeureu, une sorte de “bougoubougou”

Il y a encore du méta-discours (le « une sorte de »), mais la mise entre guillemets est une manière conventionnelle d'indiquer qu'il ne faut pas lire l'équivalence en un sens strict, que donc c'est « plus ou moins quelque chose comme ».

Le paratexte est plus large : titre, intertitres, sous-titres, mises en italique ou en gras, emploi d'une police de caractère différente de celle du texte global, et tous les procédés de ce genre, non proprement textuels – d'où ce nom de para-texte, « autour du texte », « à côté du texte » – permettent de faire largement l'économie du méta-discours ou méta-texte. Cela dit, et moi comme d'autres, les auteurs tendent à maintenir un certain niveau de méta-textualité, plus ou moins pour s'assurer (ou croire s'assurer…) que les lecteurs feront l'interprétation que l'on escompte du discours qu'on leur propose. Cependant, nous ne sommes pas tous égaux devant la chose, un texte « normal » ressemble à un discours oral en ce sens que, dès qu'il dépasse une quarantaine de mots, la proportion de segments méta-discursifs et phatiques ne cesse d'augmenter pour atteindre, au-delà de deux ou trois pages, 80% et plus de l'ensemble du texte. Ce qui ne laisse de poser problèmes aux auteurs qui n'en abusent pas : les lecteurs (dont moi) ont l'habitude de lire des textes qui, à partir d'une certaine longueur, se composent pour l'essentiel de segments non significatifs ou du moins n'apportant pas de sens nouveau, et du fait, lisent les textes longs « en diagonale ». Je parle ici des grands lecteurs, des personnes qui ont l'habitude de lire plusieurs dizaines voire pour les très grands lecteurs plusieurs centaines de pages par jour. Les petits lecteurs (une page ou moins par jour, en moyenne), auront au contraire tendance à s'attacher à chaque mot en cherchant à lui attribuer un sens pertinent, ce qui n'est guère pertinent.

Les textes habituels sont assez prévisibles, les parties significatives souvent aux mêmes endroits : début et fin de paragraphe, de chapitre, de texte. L'idée est qu'en ne lisant attentivement que les premier et dernier chapitres, dans les autres chapitres les premier et dernier paragraphes et dans les autres paragraphes les première et dernière propositions (au sens grammatical du terme), on aura une idée assez juste de ce que désire dire l'auteur. Je le reprécise, cela concerne les textes informatifs, pour la fiction mieux vaut en général ne pas procéder ainsi, et plutôt lire la totalité du texte. Bien sûr, ça n'est pas si régulier, et il arrive souvent qu'un segment important se situe en un point où en général il y a du commentaire ou du remplissage, mais ce n'est pas un problème : si vous sautez un passage en pensant qu'il n'aura pas grand chose d'intéressant et que, dans la suite, on fasse référence à une notion ou une information supposément exposée auparavant que vous n'auriez pas lue, et bien, vous revenez quelque pages plus haut et vous finirez par repérer le passage où elle se trouve. Car les grands lecteurs ont conscience de ce que l'ordre d'exposition des éléments du texte est hautement aléatoire et arbitraire, loin de la supposée logique argumentaire que l'on impute aux discours écrits. Donc, peu importe de « rater quelque chose », de toute manière le livre est là – comme dit la sentence, les écrits restent.

Les auteurs ne sont pas tous « habituels », certains ont la fâcheuse tendance d'écrire « dans l'ordre logique », d'exposer les notions de telle manière qu'on doive impérativement suivre le discours dans l'ordre de l'écriture. Parmi ceux qui le font le mieux, il y a par exemple A. J. Greimas, un grammairien qui construit (ou plutôt construisait, paix à ses cendres…) ses ouvrages ainsi. D'autres ou les mêmes écrivent serré : point de graisse, point de digressions. Greimas figure encore dans le lot. Et je le disais, ça leur joue des tours : ce que je désignais avec un brin de dédain du remplissage n'en est pas strictement, le lecteur est le même que l'auteur, le méta-discours et les parties phatiques ont en fait une fonction communicative, sans dire strictement qu'ils sont nécessaires, du moins ils sont utiles à la compréhension de la partie réellement informative et permettent au lecteur de mieux la comprendre. C'est que, disposer de la seule partie informative oblige le lecteur à faire lui-même le travail de réflexion nécessaire à insérer le savoir nouveau dans l'ensemble des savoirs existants auquels il se relie. Bien sûr, il n'est pas nécessaire d'aller au niveau courant, les 80% et plus généralement observables, mais en-dessous de 50%, un texte devient difficile à assimiler. L'idée générale est que pour qu'un texte soit accessible, chaque segment significatif doit être accompagné d'au moins autant de commentaires ou/et digressions, le paratexte participant de la chose. Anciennement, on écrivait sans presque de paratexte, et même les formes les plus anciennes d'écritures étaient du type dit boustrophédon, qui se traduit par « en faisant tourner le bœuf » ; l'image indique que c'est comme pour les sillons : une fois d'un sens, une fois de l'autre, une fois de gauche à droite, une fois de droite à gauche. Il y a même plus corsé :

« Les tablettes rongo-rongo de l'île de Pâques sont écrites en boustrophédon inverse : on lit la première ligne de la gauche vers la droite, puis on fait tourner la tablette de 180°, on lit également la deuxième ligne de la gauche vers la droite, et ainsi de suite » (tiré de l'encyclopédie Wikipedia).

Sinon, jusqu'à assez récemment, les scripteurs ne segmentaient guère leurs écrits, les lettres se suivaient en général sans discontinuité, un peu (beaucoup) comme ça :

sinonjusquàassezrécemmentlesscripteursnesegmentaientpasleursécrits leslettressesuivaientengénéralsansdiscontinuitéunpeubeaucoupcommeça

Question d'habitude. Ce n'était pas aussi strict, même les Grecs antiques disposaient d'un système – limité – de ponctuation. Cette écriture dense tenait au moins autant de la nécessité d'économiser le support que de l'idée que les lecteurs sauraient bien faire la segmentation par eux-mêmes. Puis, il y a la question du public : la rareté des écrits et leur cherté faisaient que souvent, qui en possédait avait les clés nécessaires à leur interprétation. L'apparition de l'imprimerie et l'élargissement consécutif du public amena, non plus le scripteur mais le composeur, à mieux segmenter les textes puis à mieux les ponctuer : quand on voit une page de livre imprimé très ancien, force est de constater que la ponctuation ne suit pas de règles précises, loin s'en faut. C'est surtout au XIX° siècle que ponctuation et graphie se normalisèrent, et surtout après le milieu du même siècle que la ponctuation devint un outil puissant d'aide à la compréhension, plus ou moins l'équivalent des éléments dits « suprasegmetaux », “au-dessus des segments” : mélodie, intonation, emphase, accentuation, etc. Les segments étant ici ce que je nommais formants : les sons (lettres), mots et phrases de la langue.

Tiens mais au fait, de quoi étais-je censé discuter ici ? Ah ! oui : de la latéralité. Au passage, voilà justement un joli segment phatique, et ce segment-ci est l'exemple même d'un méta-discours. Donc, la latéralité. Pourquoi donc ai-je dérivé ainsi sur des considérations d'ordre linguistique ? Bon : je me relis un peu pour savoir comment j'en suis arrivé là.

J'y suis : les notions conventionnelles. Laissons la linguistique et revenons à la sociologie. Droite et gauche sont des notions conventionnelles s'il en fut jamais. J'ai dérivé vers la linguistique car je comptais faire une affirmation qui ressort plus ou moins de ce domaine et qu'il me fallait, considérais-je, exposer tout d'abord les notions de base de référent, concept (plutôt qu'image mentale), signifié et signifiant. Voici l'affirmation : les notions problématiques sont celles qui s'appuient sur un fait objectif mais sont elles-mêmes subjectives, comme, ainsi que le l'expliquais plus haut, « gauche » et « droite », qui s'appuient sur la notion de latéralité, qui est objective, mais sont définies elles-mêmes de manière non objectives.

Exprimé avec l'aide de mes quatres termes, ça donne ceci : le concept de latéralité a un référent, et le signifié associé peut être défini par des informations objectives, des concepts et signifiés eux-mêmes référentiels ; à l'opposé, le signifié “liberté” s'appuie sur un concept non référentiel et ne peut être défini en première approche que par des signifiés ou concepts non ou peu référentiels, c'est un « fait de langue » et non pas un fait de la réalité objective ; entre les deux, les concepts et signifiés « la gauche » et « la droite » s'appuient donc sur un concept référentiel mais ne sont eux-même pas déduits d'une réalité observable, d'un référent objectif. Où gît le problème : pour la latéralité, elle est objective ; pour la liberté, elle est subjective ; pour la droite et la gauche, elles sont subjectives mais ont l'apparence de l'objectivité. En soi ce n'est pas un problème, tant que ça ne sert qu'à savoir de quel côté on doit regarder / se tourner / marcher / s'éloigner, etc., bref, tant que ça reste un moyen commode de signaler à un tiers la direction latérale vers laquelle réaliser une certaine action. Malheureusement, des signifiants on ne peut jamais dire « tant que ça reste [ceci] », un mot ne reste jamais quoi que ce soit qu'on voudrait qu'il reste, car les langues, comme toute chose dans cet univers, « travaillent à l'économie », ce qui se traduit ici par le fait qu'un signifiant donné sera systématiquement utilisé pour désigner des objets qui n'ont qu'un lien limité ou indirect avec le concept initial. Les cas les plus courants sont ceux dits de la métonymie (« la partie pour le tout »), de la synecdoque (« le tout pour la partie »), de la comparaison (équivalence) et de la métaphore (traits communs).

En France, mais aussi dans le reste de l'Europe et dans les Amériques, et probablement ailleurs mais je ne puis l'affirmer avec certitude, on a l'habitude de classer les partis et idéologies politiques « à droite », « au centre » ou « à gauche ». Au départ, c'était une synecdoque de la forme « le contenu pour le contenant » qui se mélanga avec une sorte de métonymie pour finir en métaphore figée et terminer en catachrèse, c.-à-d. en trope ayant acquis son autonomie du « sens propre » : parlant de la gauche et de la droite politiques, peu de personnes les associent au notions de latéralité. La synecdoque était : après la Révolution de 1789 « la gauche » désigna les factions politiques qui siégeaient (au sens strict : qui avaient leurs sièges) à la gauche du président de l'Assemblée nationale, « la droite » celles qui siégeaient à sa droite, « le centre » celles en face de lui3. Une fois la Révolution abolie, la synecdoque se transforma en métonymie : les factions ne siégeant plus, « la gauche » désigna les idéologies politiques non reconnues officiellement par le pouvoir – donc, ne siégeant pas –, « la droite » les idéologies admises ; ici « le tout » est un concept non référentiel, celui d'idéologie (à l'époque, on disait probablement opinions). Avec le rétablissement (presque) définitif de la République en 1875, la métonymie passa à la métaphore : « la gauche » désigna le groupe d'opinions se reconnaissant dans les concepts de socialisme et de radicalisme, « la droite » le groupe d'opinions libérales et conservatrices, cela ne se rattachant plus à aucune notion spatiale, serait-ce par métonymie. D'ailleurs, il arriva, que des groupes « de gauche » (tels les chrétiens sociaux dans l'immédiate après-deuxième guerre mondiale) siègent au centre ou à droite parce qu'ayant fait des alliances électorales avec des groupes « de droite » ou « du centre ».

Voici le problème : les usagers de la langue tendent à attribuer aux acceptions nouvelles d'un signifiant les caractéristiques du sens initial. Ici, la principale caractéristique de la gauche et de la droite est de ne jamais « changer de côté » : la gauche est toujours à gauche, la droite à droite. Or, opinions et idéologies politiques tendent au contraire à évoluer avec le temps, à passer d'un côté ou de l'autre selon les circonstances. Plus exactement les sociétés sont des objets temporels qui évoluent, « se déplacent », et le font plus vite que les idéologies ; ce glissement relatif des sociétés tend à se faire « vers la gauche » et à déplacer les idéologies « vers la droite »4.

Une première version de ce texte faisait des considérations trop circonstancielles sur la question ; j'y expliquais que « la droite » (les partis se reconnaissant tels en France) était « passée à gauche » mais que les idéologies de gauche étaient désormais des opinions « de droite ». C'est une erreur : tentant d'expliquer pourquoi les signifiés politiques “la gauche” et “la droite” étaient, selon moi, non pertinents, je persistais cependant à expliquer les choses en ces termes. Voici ce que j'aurais plutôt du dire : la répartition des idéologies politiques en « de droite » et « de gauche », bien que factuellement inexacte, correspondait à une réalité, celle de l'état de la société vers 1875, d'un côté les partisans d'un des « anciens régimes » ayant des adeptes en nombre significatif (monarchie absolue, Premier Empire, Restauration, Second Empire), de l'autre les partisans d'une alternative : républicains, démocrates, radicaux, socialistes réformistes, socialistes révolutionnaires. En gros : s'ils n'étaient pas d'accord sur quel « arrière » les groupes de droite s'entendaient sur le fait qu'il fallait « retourner en arrière » ; s'ils n'étaient pas d'accord sur quel « avant » les groupes de gauche s'entendaient sur le fait qu'il fallait « aller de l'avant ». Or, il est évident je pense qu'après la seconde guerre mondiale l'ensemble qui parvint à imposer son point de vue fut celui « de gauche » et qu'alentour de 1965, l'ensemble « de droite » déterminé aux débuts de la III° République n'était plus significatif par le nombre de ses partisans. De manière encore plus nette, après 1974 tous les groupes politiques représentatifs eurent définitivement le même ensemble de « valeurs », celles qui, parmi les diverses options de la gauche de 1875, étaient devenues la base commune de « la gauche », et qu'énonçait le le préambule de la Constitution de 1946, confirmé par la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (pour 1958, son préambule commence ainsi : « Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 », ergo le préambule de 1958 intègre celui de 1946).

En cette année 2005, nous sommes dans le cas des dernières années du Second Empire ou de l'Ancien Régime : les temps ont changé, ceux qui dirigent la société ne sont pas ceux qui sont au pouvoir ; ceux qui sont au pouvoir n'ont pas le pouvoir, ils commandent sans diriger, et mènent une politique paradoxale, alternant les concessions libérales et les raidissements réactionnaires, car ils sont dans cette contradiction de vouloir que les choses ne changent pas alors donc qu'elles ont déjà changé ; « le peuple » (en réalité, les éléments moteurs de la société – “ceux qui dirigent”) réclame que l'on convoque des états généraux, ou une Assemblée constituante, bref, un aéropage qui soit réellement représentatif de la société, afin de définir un nouvel ordre des choses qui tienne compte des changements effectifs pour les rendre structurels ; devant ces poussées, les gens au pouvoir et leurs affidés s'emparent du vocabulaire des vrais dirigeants au fur et à mesure qu'il s'élabore pour redéfinir, gauchir ces termes, et tenter ainsi de les adapter à l'idéologie de l'ordre ancien, ou de les disqualifier (voir par exemple le « travail législatif » qui a tout de la novlangue orwellienne, où le gouvernement introduit les termes du nouvel ordre en leur donnant un sens pratiquement opposé à celui initial : désormais le « principe de précaution » et le « développement durable » sont constitutionnels mais la Constitution les définit d'une manière très différente de celle dont vous et moi pouvons comprendre ces termes) ; enfin, la typologie des groupes antagonistes n'est plus adaptée à l'état des choses : il ne s'agit plus des anciens et des modernes, parce que tout le monde est moderne ; il ne s'agit plus des monarchistes et des républicains, parce que tout le monde est républicain ; il ne s'agit plus de la droite et de la gauche parce que tout le monde est de gauche.

« Tout le monde », il faut s'entendre : en ce début de XXI° siècle il existe encore des “légitimistes”, “orléanistes” et “bonapartistes” mais ils sont résiduels, donc dire que « tout le monde » est ceci ou cela signifie simplement : assez de minorités actives sont acquises à telle conception et trop peu de minorités actives s'y opposent, pour qu'on puisse affirmer que « la société est acquise à (…) ». Quand en 1873 les tenants de la « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » obtinrent, avec une majorité minimalissime (la moitié des voix plus une), la proclamation de la République, on ne peut dire que c'était gagné d'avance, et les soubresauts qui eurent lieu jusqu'en 1955 significativement, et jusque vers 1975 encore, mais moindrement, le montrent assez. Quoi que désirent vraiment leurs adhérents, aucun parti « de gouvernement » ne remet en cause la République, son indivisibilité, ni la démocratie, la laïcité, et les protections sociales acquises au long du XX° siècle ; et les tentatives récentes de les remettre effectivement en cause ont échoué. Les faux « réformistes » attribuent cette impossibilité au fait que « la France n'aime pas les changements », alors que tous les changements qui eurent lieu au long du XX° siècle, et ont encore lieu en ce début de troisème millénaire, prouvent l'exact contraire ; ce que n'aime pas « la France » est qu'on veuille changer les structures pour revenir à un état ancien, l'organisation générale de la société alentour de 1965 environ, en nommant cette réaction « le progrès » : tant qu'à faire de réformer, autant le faire « vers l'avant » plutôt que « vers l'arrière ».

Le cas est le suivant : la décennie 1960 est celle où le long travail de réformation (de restructuration) de la société commencé un siècle plus tôt est achevé ; au cours des deux décennies suivantes, les dernières adaptations nécessaires sont mises en place, avec comme dernières étapes significatives la régionalisation, la réforme du code pénal et la refonte des systèmes économique et financier : on a du mal à s'en souvenir, mais 1981 fut l'année notable ou l'on nationalisa pratiquement tout l'appareil industriel, commercial et financier en France ; on a du mal à se le rappeler, mais cette décennie 1980 fut aussi celle où un tel mouvement de nationalisation fut le plus court des 150 dernières années. Pour de fausses raisons, on tend à attribuer la tendance à « nationaliser » à « la gauche » alors que les deux vagues de nationalisation précédentes se firent, entre 1944 et 1947 sous l'égide d'un gouvernement d'union nationale à dominante centriste et droitiste, puis entre 1958 et 1962, sous l'égide de gouvernements de droite. Une fois cela constaté, il faut essayer de comprendre à quoi servent les nationalisations et pourquoi elles cessent.

Tout d'abord, il faut comprendre ceci : la détention à titre privé de biens sociaux n'est pas, comme veulent nous le faire croire les supposés libéraux de notre époque, un « droit naturel », c'est une concession de la société à certains individus dont on suppose qu'ils ont les compétences de bien diriger certains secteurs d'activité. L'article 17 et dernier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 l'exprime assez bien :

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

On confond généralement « propriété » et « possession » car l'un des résultats de la novlangue du XIX° siècle fut justement d'établir leur équivalence, or, la propriété est une forme de détention de l'ordre de l'usufruit et non de l'héritage : ce à quoi consent la société est un droit d'usage ; en vue d'efficacité on délègue aussi, mais cela à titre personnel et non cessible, la possession des biens mobiliers et immobiliers nécessaires à l'accomplissement de la tâche qui justifie le « droit de propriété » ; quand le détenteur de ce droit cesse sa tâche, soit en « prenant sa retraite », soit en mourant, les biens concédés reviennent à la société, qui néammoins en rétrocède une partie au retraité ou aux héritiers, parce que chaque membre de la société se voit concéder une « part sociale ». Cela est formel : pour des raisons largement étudiées par la sociologie, la majorité des « successeurs », de ceux qui se voient rétrocéder la délégation accordée au retraité ou au mort, lui sont liés généalogiquement – « les enfants héritent des parents ». Au début c'est justifié ; avec le temps l'organisation sociale réelle évolue de telle manière que les techniques de gestion acquises par les enfants de détenteurs de droits sont de moins en moins adaptées à cette organisation réelle, mais entretemps ces lignées de « propriétaires » auront modifié les lois de manière que les biens concédés leur deviendront inaliénables, aussi peu capables se révéleraient les héritiers d'en faire un usage social bénéfique.

Remarquez, il n'est pas vraiment nécessaire que les « héritiers » soient effectivement (biologiquement) liés à leurs prédécesseurs, importe que ces successeurs agissent de manière à préserver un certain état des choses. Dans les faits, ça va souvent ensemble – je veux dire : les « héritiers » sont en général à la fois génétiquement et idéologiquement liés à leurs prédécesseurs –, mais importe donc le plus l'héritage idéologique, c'est par lui que « l'ordre social est préservé », comme on dit en novlangue. Dans un état terminal de sclérose sociale, on a quelque chose comme un système de caste, avec aux deux bouts des lignées effectives (« les parias », « les exclus », « le quart monde » à un bout, « les brahmanes », « les privilégiés », « les 200 familles » à l'autre bout) ; entre les deux, les individus peuvent passer plus ou moins facilement d'une caste ou classe ou catégorie à une autre, « vers le haut » ou « vers le bas », la plus grande perméabilité ayant bien sûr lien « vers le milieu » (les fameuses classe moyennes). vous avez probablement entendu parler des courbes de Gauss, ça désigne la tendance constatée d'un ensemble de données sociales à se répartir selon une répartition constante, où une majorité d'items étudiés se regroupent « vers le milieu », et où plus on va « vers les bords », moins on a d'items. Bien sûr, si on étudie chaque donnée indépendamment, on n'obtient pas des résultats de ce genre, les courbes de Gauss ne valent que pour les évaluations complexes et sont très prévisibles – en fait, pratiquement obligatoires – dès lors qu'on évalue ensemble plus de deux ou trois critères5.

Prenons le cas des allocataires du RMI, avec trois critères : possession d'une automobile, « statut marital », niveau d'étude.

En France, on considère qu'il y a quatre « niveaux d'étude » : le moindre recense les individus de niveau maximal « certificat d'études primaires » ; le deuxième ceux de niveau CEP à bac ; le troisième ceux de niveau bac à bac+3 ; le quatrième ceux de niveau minimal bac+3 ; avec ce seul critère, on n'aura pas une courbe de Gauss, tout simplement parce que la très grande masse des personnes en France est de niveau II (le « second degré de l'enseignement »), que le deuxième groupe est celui de niveau III (bac à licence), le troisième de niveau I et le dernier, de niveau IV (maîtrise et plus6 : on aura donc un pic avec une pente plus douce « vers le haut » (niveaux III et IV) que « vers le bas ». Avec le critère « statut marital », je ne sais ce qu'on aura mais quelque ordre de classement qu'on prenne des divers statuts actuels (veuve/veuf, divorcé-e, célibataire, en concubinage, “pacsé-e”, marié-e), peu de chances qu'on obtienne un courbe de Gauss, pour cette raison simple qu'il n'y a pas de « hors catégorie », sur ce critère, tout le monde est dans une case. Cela dit, un « statisticien gaussiste » s'attachera à classer ses catégories pour s'approcher le plus possible de la courbe en cloche – cette incise mérite un commentaire qui viendra plus loin. Le troisième critère produira une flèche avec une petite excroissance « vers le bas » (non possesseurs d'automobile) et une courte série de petites excroissances dégressives « vers le haut » (possesseurs de deux, de trois, puis de plus de trois automobiles – au-delà de trois ça entre dans une autre catégorie, celle des collectionneurs). Par contre, en mêlant les trois critères sur la base d'être allocataire du RMI, on obtiendra à coup sûr une « courbe de Gauss », car à l'évidence il est sans aucun doute rare d'être RMIste et « non possesseur », « non diplômé » et « non marital » (si cette « sous-catégorie » a un sens), et rare d'être RMIste et possesseur de plus de trois automobiles, détenteur d'un doctorat et « marital », qu'il est courant d'être possesseur d'une automobile, de niveau II et « marital », ou possesseur d'une automobile, de niveau III et « marital », et plus rare d'être des autres cas possibles, cela autant « vers le haut » que « vers le bas ». Ou dans une représentation horizontale, comme c'est en général (en fait, toujours) le cas, « vers la gauche » et « vers la droite ».

Mon exemple est imparfait mais explique comment on obtient ces fameuses courbes de Gauss : on évalue la détention ou non détention de carottes, de navets, de choux-fleurs, de viande de bœuf, de volaille, de poisson, de laitages, de café, de thé, de sucre, de bière, de vin, de pastis, puis on classe les évalués en fonction du nombre de ces denrées qu'ils détiennent ; on aura une grosse moitié qui en détiendra entre un tiers et deux tiers, un petit quart qui en possèdera moins du tiers, un petit quart qui en détiendra plus du quart, avec une diminution progressive « vers le bas » et « vers le haut ». C'est étrange comme pratique, parce que si je m'en rappelle bien, mon institutrice m'avait expliqué qu'on n'additionne pas les carottes et les navets…

Incidente sur l'incise : les « courbes de Gauss » sont très souvent une construction ad hoc en vue d'obtenir une « normale », c.-à-d. la répartition que l'on suppose conforme à celle prévisible pour un groupe arbitraire, « représentatif ». Comme, en France, « la normale » est cette fameuse courbe de Gauss, on s'arrangera donc, si faire se peut, pour que les items évalués se répartissent « en cloche », avec une majorité de cas « près de la moyenne » et une minorité décroissante vers les extrêmes. Pour parvenir à cela, on peut procéder de deux manières : classer ses résultats dans un ordre qui produise une courbe en cloche ou gauchir ses résultats. Pour le premier cas, dans mon exemple, si « par hasard » les classes maritales les plus représentées sont « marié » et « concubin », on les classera « au milieu du tableau » et on répartira les autres classes de en vue d'avoir deux groupes « moyens » (en nombre d'items, s'entend) de part et d'autres de ceux prépondérants, les deux les moins représentés aux extrêmes. Prévisiblement, aux deux bouts on aura les veufs et pacsés, et sur les côtés de « la moyenne » (gaussienne ici) les divorcés et célibataires – à considérer qu'un divorcé est une variante de célibataire… Comme les deux autres critères ne sont pas discriminants (tout le monde ou presque a une auto, presque tout le monde est de niveau II ou III), on aura fatalement une courbe « normale ». L'exemple le plus clair du second cas est cette expérience qui consista à faire corriger des copies hétérogènes (aléatoires) par plusieurs professeurs. En voici la description, reprise de cette page :

« on donne un lot de copies hétérogènes à corriger à un ensemble de professeurs, chacun établit une distribution en cloche, approximation de la fameuse courbe de Gauss. On enlève alors toutes les copies situés dans la partie médiane de la distribution et on donne les copies restantes à d’autres correcteurs. On pourrait logiquement s’attendre à une distribution bimodale. Il n’est est rien, chaque évaluateur recrée une distribution "normale". On obtient le même résultat si l’on ne conserve que la moitié inférieure ou supérieure d’un premier lot. Les notateurs créent des écarts qui tiennent davantage à l’échelle et au principe du classement qu’aux écarts significatifs entre les connaissances ou les compétences des uns et des autres ».

Je ne sais pas comment procèdent les correcteurs mais je peux l'imaginer : après une première lecture, ils classeront les copies en trois groupes, “bon”, “moyen”, “mauvais” ; ensuite ils attribueront des notes moyennes au groupe déterminé comme moyen, probablement dans une échelle de 8 à 12 ou de 7 à 13 ; les copies « bonnes » recevront une note au-dessus de l'échelle moyenne, celles « mauvaises » une note en dessous. Il est à remarquer que ce biais d'évaluation se produit aussi pour des matière considérées comme objectives, telles que maths ou physique. Ce qui donne à penser sur la fiabilité des évaluations en milieu scolaire : un élève factuellement « dans la moyenne » se trouvant dans un classe globalement au-dessus ou en dessous de la moyenne sera évalué, dans le premier cas, comme un « mauvais élève », dans l'autre comme un « bon élève ». Laissons là cette question, qui vaudrait pourtant d'être explorée. Fin de l'incidente.

Il est bon d'avoir ces données en tête pour comprendre comment les groupes sociaux hiérarchiques (les classes ou castes) se constituent, puis se figent, et pourquoi la mobilité sociale diminue aux extrêmes. Le cas des corrections de copies explique assez le processus général : dans un groupe donné, les individus sont systématiquement classés du « meilleur » au « moins bon » : au meilleur on offrira les meilleures opportunités et ainsi en régressant, le moins bon écopant logiquement de la moins bonne opportunité ; avec ce processus « le meilleur » sera « de plus en plus meilleur » et « le moins bon » sera « de moins en moins bon » ; dans une situation critique, promotion ou déclassement, c'est qui l'on devine qui aura droit à l'une ou l'autre solution. Il est probable que tel qui était « le meilleur » dans un certain contexte, disons, au niveau I, ne le sera plus dans un contexte supérieur ; il n'est pas dit qu'il sera « le moins bon » ; partons de l'idée que notre « le meilleur » du niveau I soit un « moyen haut » du niveau II ; par le biais du même mécanisme, il progressera peu à peu pour de nouveau être « le meilleur » de son nouveau groupe et sera promu au niveau III ; à un moment, il atteindra le plus haut niveau qui lui est accessible absolument (le niveau le plus élevé de sa hiérarchie) ou relativement (le niveau où il figurera dans la moitié inférieure du classement de son groupe). On obtient là à quelque chose qui ressemble au « Principe de Peter » qui énonce (en gros) que tout être pris dans une hiérarchie est destiné à atteindre son « niveau d'incompétence ». Factuellement, la chose est autre : « le principe OMH » est que “toute personne prise dans une hiérarchie est destinée à atteindre un niveau où elle ne progressera plus” ; pour certains ce sera le niveau le plus bas, pour d'autres le plus haut, pour la majorité un niveau intermédiaire.

La majorité des fonctions sociales étant « moyennes », une grande part des membres d'une hiérarchie progressera vers le milieu de la hiérarchie, puis, les places étant plus rares au-dessus, beaucoup moins iront au-delà de ce milieu. Vers le plus haut, les procédures d'admission sont très souvent « par concours externe », par cette évidence que dans aucune hiérarchie on ne dispense, que sais-je ?, de formation d'ingénieur en technologie du froid ou en management international, donc ce genre de poste est fermé aux systèmes de promotion interne. Ceci vaut, bien sûr, en ce qui concerne les sociétés peu évolutives, comme il arrive quand on est dans une fin de cycle, à la veille d'une réorganisation de la société ; en début de cycle, les sociétés ont plutôt tendance à consacrer beaucoup de leurs ressources à la détection des talents compte non tenu le la position des personnes dans la hiérarchie, et à financer leurs formations, même de très haut niveau – à la fin du XIX° siècle il arrivait somme toute assez souvent qu'une entreprise finance les études de ses plus prometteurs employés, charge à eux bien sûr de la payer de retour. C'est que, dans une telle situation les positions acquises auparavant sont très dévaluées, et il est dès lors plus judicieux de promouvoir ceux qui s'adaptent le plus vite au changement en cours que ceux qui étaient le mieux adaptés à la situation antérieure. Ce qui n'empêche bien sûr que, partant d'une meilleure position, les plus hauts placés dans la situation antérieure ont tout de même, comme l'on dit de nos jours, un « avantage compétitif » ; mais du moins, la société offre plus d'opportunités aux talents nouveaux des réputées « classes moyennes », y compris “moyennes basses”.

Le « principe OMH » s'applique aux cas où l'on arrive « à saturation de compétences » : sauf aux marges, l'écart de compétence entre le moindrement et le plus formé des membres de la société devient peu significatif, ce qui implique que presque tous ces membres sont « dans la moyenne ». C'est ce que considère le discours ambiant quand il parle des « classes moyennes » en y incluant environ 80% de la population : de fait, la grande majorité des Français de 2005 a un niveau scolaire, culturel, intellectuel, politique « dans la moyenne » ; mais la société n'offre pas à 80% de ses membres un statut social (avec revenu afférent) de type « classe moyenne », de ce point de vue, sont fonctionnellement de cette classe environ 40% des Français et environ 20% « proche de la classe moyenne », dont moins de 5% proche au-dessus et quelques 15% un peu ou assez en-dessous. Dans une échelle de 1 à 20, environ 40% des Français sont entre 8 et 12, environ 15% entre 5 et 7, environ 5% entre 13 et 15, environ 35% en-dessous de 5 et environ 5% au-dessus de 15.

Je rigole, je rigole : les imputations du paragraphe précédent sont d'une banalité formidable car on retrouve en gros la même répartition pour tous les grands processus sociaux : 30% à 35% « en bas », 15% à 20% « entre le bas et le milieu », 5% à 10% « entre le haut et le milieu », moins de 5% « en haut » et le reste, entre 35% et 45%, « au milieu ». Bien sûr, le « milieu » en question n'est pas obligatoirement « au centre », on a ici la même différence qu'entre revenu médian et revenu moyen par exemple : le revenu médian est celui qui sépare les 50% de Français « les plus riches » et les 50% « les moins riches », celui moyen correspond au PNB par habitant : on divise ce PNB par le nombre de Français ayant un revenu et on obtient celui moyen. Dans une société assez juste ou assez bien répartie (ce qui ne s'équivaut pas) les deux « revenus » tendent à converger ; dans une société moins juste ou mal répartie ils tendent à diverger, et cela se fait toujours au détriment du revenu moyen. C'est logique : considérant que dans la France de 2005, plus de 80% des personnes ont un revenu compris entre rien et moins de deux fois le revenu moyen, parmi les 50% « les plus hauts » plus de 30% sont assez peu au-dessus du revenu médian et encore 15% pas tant au-dessus que ça, alors que plus de 30% sont assez ou très en dessous, donc, le revenu moyen est à 80% égal ou inférieur au revenu médian, ergo les 50% « les plus bas » le tirent beaucoup vers le bas tandis que les 50% « les plus hauts » le tirent très peu vers le haut. Conclusion, le revenu moyen est assez inférieur au revenu médian. Dans cette histoire, le revenu médian est « le centre » et celui moyen « le milieu », d'où il ressort que du point de vue du revenu le milieu est en-dessous du centre…

Considérant le « niveau d'études » à quatre degrés, on peut faire le même constat : la majorité des Français étant de niveau II, puis de niveau III, puis à égalité de niveau I et IV, le milieu est à-peu-près à deux tiers vers le haut du niveau II, ou quelque chose comme ça, en gros, « niveau seconde ». Bien sûr, c'est ici une construction abstraite qui ne se relie pas à une réalité objective, en ce sens que pour les études il n'en va pas comme pour le revenu : on n'est pas « plus ou moins », on est en un point précis ; dans ce cas : environ 75% d'une classe d'âge est de niveau bac ou plus, pour la décennie 2000. Ou encore : 60% des Français ayant arrêté leurs études sont de niveau bac ou plus. Ou 55%, je n'en sais rien. Disons : il n'y a pas un « niveau moyen » duquel on puisse rapprocher les individus mais une limite nette entre ceux qui ont le bac et ceux qui ne l'ont pas, c'est tout. Ce qui ne signifie pas que de poser que « le niveau d'étude moyen est environ celui de seconde » n'a pas de sens, c'est indicatif du taux global de réussite des élèves pour chaque degré ; dans ce cas : en France il y a beaucoup de bacheliers, mais assez peu qui poursuivent des études dans le supérieur au-delà de deux ou trois ans. Ce qui nous ramène à une affirmation antérieure : en France et en 2005, l'écart entre la moindre et la majeure sous-classe de la « classe moyenne » est assez faible, la plupart des élèves ont un niveau d'études au moins égal à la classe de seconde et au plus égal à l'année de licence, avec un gros bataillon entre terminale et deuxième année de DEUG/IUT/BTS et encore assez de titulaires d'une maîtrise (bac+4).

La gauche et la droite. La fin de cycle. La réorganisation de la société. Bon : quand les notions de droite et de gauche politiques s'imposèrent, elles le firent au détriment de l'opposition antérieure entre, disons, « monarchistes » et « républicains », tenant compte que, comme pour la droite actuelle ou d'une part il y a une opposition entre libéraux et, disons, « gaullistes », de l'autre certains de ses représentants se disent centristes, un certain nombre de monarchistes de fait – en l'occurence, les « bonapartistes » – n'auraient pas accepté qu'on les désigna tels et, parmi les monarchistes assumés, il y avait une opposition assez forte entre « légitimistes » et « orléanistes ». Par contre, il me semble que tous les gens de gauche auraient accepté d'être désignés républicains, bien que pour certains la République fut un but en soi, tandis que pour d'autres c'était une étape – vers la démocratie ou le socialisme notamment. Beaucoup de gens sont très attachés aux mots, mais n'ont pas trop conscience que les mots les attachent : cette question de dire « la gauche » et « la droite » plutôt que « les monarchistes » (ou bonapartistes) et « les républicains » (ou radicaux) fut un puissant instrument dans l'appareil de propagande des partisans de la réorganisation de la société pour déplacer l'opposition non plus entre partisans de l'ordre ancien et de l'ordre nouveau, mais entre les « conservateurs » et les « progressistes » dans le cadre de l'ordre nouveau, de passer d'une opposition temporelle à une opposition spatiale, non plus « le passé » contre « le futur » mais donc « la droite » contre « la gauche » dans le présent. Ce qui factuellement faisait du républicanisme, non plus une aspiration mais un fait accompli ici et maintenant.

Il est à considérer que pour fonctionner à plein la propagande doit provenir du groupe social le plus puissant à un instant donné, ce qui signifie que vers 1880, « le goupe le plus puissant » en France était celui des républicains et des radicaux. Ce qui apparaîtra peut-être peu évident à qui connaît l'histoire de cette période : cette année-là et les dix à quinze suivantes, on ne peut pas dire qu'ils aient semblé si puissants. Ceci nous ramène à la question des nationalisations et bien sûr celle des privatisations, l'une n'allant pas sans l'autre. Nationaliser est le meilleur moyen pour un État de s'assurer que la société va s'orienter dans le sens que le groupe qui le dirige souhaite la voir prendre – par exemple, à gauche. Enfin, un des deux meilleurs moyens, l'autre étant la privatisation des moyens de production. Cela dépend du moment : mieux vaut nationaliser quand on est plutôt en position faible ou très forte ; en position forte ou très faible, privatiser est plus intéressant. Ceci est du moins une logique propre aux groupes qui veulent « aller de l'avant » : ceux qui au contraire veulent aller de l'arrière tendraient à faire l'inverse et c'est logique de leur point de vue (puisqu'ils voient les choses inversement aux autres) mais se révèle, hélas pour eux, d'une inefficacité constante.

Le principe est simple : si on est en position très forte, on a donc l'adhésion d'une part significative du corps social, de sa majorité ; nationaliser permettra alors de contrôler directement les instruments de régulation de la société, de placer à leur direction des personnes de la même orientation que soi, et de les orienter ainsi dans la direction qu'on souhaite, avec l'accord de la majorité des citoyens ; le problème est que la nationalisation a un coût social et financier élevé, raison pour laquelle il est judicieux de le faire en situation très forte : on a le temps pour soi, et avant que le corps social ne commence à trouver le coût trop elévé on aura toutes chances de réussir pour l'essentiel cette réorientation, et en tout cas assez pour que, l'opposition revenant au pouvoir, elle n'ait pas la capacité de défaire ce qui fut fait. Quand on est faible, on s'en fiche un peu car on sait que de toute manière ça ne va pas durer, et on visera au contraire, cette fois, à désorganiser les éléments structurels problématiques plutôt qu'à organiser ceux qui vous seraient favorables ; là-dessus, quand vos opposants reviendront au pouvoir, ils auront des marges de manœuvre tellement réduites qu'ils ne seront pas en état d'appliquer leur politique, ce qui n'est pas négligeable.

En position très faible, privatiser a l'avantage d'amener à l'État des ressources supplémentaires qui lui donneront un volant d'action du niveau des cas où l'on est en position forte et peu donc, si la situation s'améliore, renforcer le groupe au pouvoir ; si elle se dégrade, ce groupe étant en position très faible ça ne lui coûtera rien d'être encore plus faible ; en position forte, l'intérêt de privatiser est triple : amener des ressources supplémentaires à l'appareil d'État, diminuer ses dépenses, contribuer à l'amélioration de la situation sociale et financière d'une partie des « classes moyennes ». Le résultat est d'améliorer la situation effective d'une majorité du corps social par ce double mouvement d'allègement du poids de l'appareil d'État et d'augmentation de la masse du revenu disponible pour les personnes privées, lequel permet, comme le dit la novlangue actuelle, de « libérer les initiatives ». Au bout du compte, et pour autant que les choses se passent aussi bien que le prévoit le groupe au pouvoir, une privatisation bien menée renforcera sa position déjà forte.

Ces considérations n'indiquent pas ce que fait ou doit faire un gouvernement selon sa situation (nationaliser ou privatiser n'a pas d'intérêt en soi, sauf circonstances particulières) et surtout n'indiquent pas ce qu'ils font quand ils se trouvent dans les cas indiqués. Mon expérience des politiques gouvernementales de la France au cours de la période 1975-2005 m'amène à considérer que, même s'ils le formulent autrement, les gouvernements « de gauche » de cette période procédèrent le plus souvent selon le schéma indiqué, quant à ceux de droite, depuis le milieu des années 1970 leur corpus idéologique exclut la possibilité de nationaliser ; comme indiqué, avant cela les choses en allaient autrement, notamment sous les présidences du général de Gaulle, du Conseil durant la IV° République, et de la République dans les débuts de la V°. Les supposés gaullistes de la période récente (RPR puis UMP) semblent précisément oublier que ces histoires de nationalisation / privatisation n'ont rien à faire avec la dogmatique et répondent à des questions pragmatiques d'ordre tactique ou/et stratégique, questions à la fois politiques, économiques et sociales, pour autant qu'on puisse séparer ces domaines.

Contrairement à ce qui se dit souvent dans les médias, le pragmatisme n'est pas « de droite », pas plus que l'idéalisme ne serait « de gauche », cela varie considérablement selon les lieux et les époques, sans compter que dans bien des pays, à commencer par les États-Unis, on ne peut définir les partis politiques selon les catégories de gauche et de droite, et dans ce pays les deux partis principaux intègrent des tendances idéalistes et pragmatiques. Il existe un ouvrage très intéressant pour une approche comparative des groupes politiques en Europe et aux États-Unis, Communication et Société de Gregory Bateson et Jurgen Ruesch ; la partie VI, « La communication et le système de contrôle et régulation », expose précisément ce qui oppose les systèmes politiques (et plus largement, sociaux) de ces deux ensembles géopolitiques. Plutôt que de résumer leur propos je vous renvoie à cette partie, disponible sur ce site même. Je vous conseille d'ailleurs la lecture de l'ouvrage entier, mais pour l'heure cette partie seule m'intéresse.

les termes de nationalisation et privatisation sont du même ordre que « gauche » et « droite » appliqué aux idéologies : une manière locale et circonstancielle de désigner et de mettre en œuvre un fait d'ordre plus général. Pour un marxiste la « nationalisation » est la « socialisation des moyens de production », ou « appropriation collective des moyens de production » et la « privatisation », une « accumulation primitive du capital » ou une « expropriation » (pour être précis, « expropriation du producteur immédiat, c'est-à-dire la dissolution de la propriété privée fondée sur le travail personnel »). Soit dit en passant, bien qu'on présente en général la chose autrement Marx n'était pas contre la propriété privée mais contre son appropriation. Sa conception était plutôt de l'ordre de ce que j'écrivais plus haut, c'est-à-dire que la « propriété privée » est une forme de concession accordée à un de ses membres par la société en fonction, d'une part des besoins, de l'autre de son utilité sociale ; dans cette conception, le « propriétaire » ne possède pas sa concession mais en a le libre usage tant qu'il en use selon ce qu'on lui en a concédé. De ce point de vue, on peut considérer que le « marxisme-léninisme » est conceptuellement plus proche de Proudhon, avec sa fameuse formule « la propriété c'est le vol », que de Marx. Et si le soviétisme avait été, contrairement à ce qu'on croit, non pas un marxisme mais un proudhonisme ? C'est à envisager… Considérant l'approche marxiste, le terme « privatisation » correspondrait alors plus à ce qu'on nomme « nationalisation » en France depuis un bon demi-siècle.

Pourquoi la question nationalisation / privatisation n'est-elle pas idéologique ? Parce que toute société « normale » pratique la chose, cela quel que soit le gouvernement en place et quelle que soit son idéologie : des gouvernements « de gauche » privatisent et des gouvernements « de droite » nationalisent. pour le redire, les notions gauche / droite appliquées à la politique me posent problème, et de même les oppositions progressiste / conservateur et leur pendant extrême, révolutionnaire / réactionnaire. Considérons alors une autre catégorie, qui ne dépendra pas de l'idéologie supposée de tel parti et surtout tel gouvernement : idéalisme VS pragmatisme.

Je considère normale une société à gouvernement pragmatique, d'où les guillemets : ce n'est pas un fait mais un jugement de valeur. Objectivement j'estime normale une société dont aucun ensemble de minorités contestant son fonctionnement n'est assez puissant pour la perturber jusqu'au blocage. Subjectivement, je considère l'Allemagne de la période nazie ou l'Union soviétique d'après 1932 « anormales », ou à l'inverse la société française d'Ancien Régime juste avant la Révolution comme « normale », mais constate qu'aucune force interne de la première société n'a pu la perturber, qu'il fallut attendre la fin des années 1980 pour que ce soit le cas pour la deuxième, et que, normale ou non, suffisament de forces lui étant défavorables ont bloqué la troisième jusqu'à la détruire en 1789. À remarquer que mon appréciation subjective de la normalité d'une société d'induit pas mon adhésion ou mon rejet : si je n'adhère pas aux projets de société que je juge anormaux je n'adhère pas plus a celui de la société d'Ancien Régime, simplement j'estime que dans son économie générale elle était somme toute assez pragmatique, et seules les circonstances ont amené sa disparition.


1. “Image mentale” entre guillemets car il ne s'agit pas strictement d'une image, ce terme ne pouvant s'appliquer qu'à un objet singulier : on peut avoir une image mentale effective d'un tableau, d'un paysage, d'une personne, mais la plupart des éléments de référence qui servent à former ces « images mentales » n'existent pas réellement, ce sont des abstractions – on le verra dans le texte avec l'élucidation du concept “vache”. Je reprends ce terme parce qu'il fut celui employé par Saussure dans son analyse du langage, avec les trois autres cités, tout en sachant qu'il est inexact.
2. Tiens ben, justement, voilà un segment typiquement phatique : écrire « Cela dit » en début de séquence n'a aucune utilité d'un point de vue de communication informative, c'est une cheville que j'utilise pour indiquer à mes lecteurs quelque chose comme : « Ce qui suit n'est pas dans la continuité de ce qui précède », ce qui n'est pas d'un utilité remarquable, le lecteur se rendra bien compte par lui-même qu'il y a une réorientation du cours du discours. Quand je relis mes textes, le plus souvent je supprime ces segments et reformule légérement mes phrases pour introduire la rupture d'une manière moins « phatique ». Dans ce cas-là je ne le ferai pas, puisque ça me permet d'illustrer mon propos. Sinon, vous l'aurez constaté je pense, le début de cette note contient aussi un court segment phatique.
3. Ce qui, incidemment, illustre l'arbitraire de la chose : si on se place du point de vue des siégeants, « la droite » est à gauche et « la gauche » à droite… Là-dessus, cette synecdoque latérale avait à l'époque des concurrents, qui étaient métaphoriques (les “montagnards”, parce qu'ils siégeaient dans les rangées les plus hautes) ou métonymiques (les “girondins” parce que leurs chefs venaient en majorité de cette région). La synecdoque s'imposa parce que, selon moi, elle semblait plus neutre que les autres désignations, et qu'elle était plus applicable dans tout contexte.
4. Entendons-nous : j'utilise cette image du « glissement vers la gauche » sans y adhérer, puisque j'ai un doute sur l'application des notions de gauche et de droite aux idéologies, c'est positivement cela seul : faire image. Mon idée est simplement que les sociétés, composées de groupes divers animés d'idéologies tout aussi diverses, n'évoluent pas en fonction de l'évolution de ces idéologies mais de leur mouvement propre ; les idéologies quant à elles tendent à fonder leurs projets sur un état de la société déjà un peu ancien au moment même où elles se fondent, et plus le temps passe, plus cet écart à l'état réel de la société augmente. Après un certain temps, les idéologies les plus « progressistes », ne tenant pas entièrement compte de ces évolutions, tendent à une certaine régression pour devenir, relativement au nouvel état des choses, conservatrices ou réactionnaires.
5. Depuis la rédaction de ce passage j'ai entendu sur France Culture une série de chroniques d'Albert Jacquard là-dessus, où il expose clairement les limites d'une évaluation multi-critère sur cette même base, c'est-à-dire qu'au-delà de deux critères on obtient quasi systématiquement une répartition des items en « courbe de Gauss ». Certaines de ces chroniques sont publiées en livre, et probablement la série sur les statistiques y figure.
6. Pour une raison de convention habituelle je classe les « niveaux » du plus bas au plus haut, mais pour l'Éducation nationale et le ministère du travail ça marche dans l'autre sens : le niveau IV c'est CEP et moins, le niveau I, bac+4 et plus. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai une idée là-dessus…