Le texte qui suit est très long et très imparfait, notamment il est très grossier quant à l'analyse des “médiateurs” et des “politiciens”. Il n'est jamais trop bon de faire des analyses avant de disposer d'une série de faits nouveaux suffisante pour se faire une idée à-peu-près acceptable d'une situation. Pour imparfait qu'il soit, et injuste envers bien des personnes qui, comme moi, n'avaient pas assez d'éléments pour comprendre les évolutions en cours, je le publie quand même car il me semble un instrument acceptable en vue de comprendre pourquoi les médias connaissent un dysfonctionnement permanent, qui s'accentue quand précisément médiateurs et politiciens manquent d'éléments d'information pour saisir assez correctement la situation dans laquelle ils évoluent et qu'ils doivent commenter.
Le titre renvoie à ce pont-aux-ânes des médias, « l'information va de plus en plus vite », censé justifier les dérives, dérapages et emballements très récurrents mais donnés comme exceptionnels où, par désir de ne pas être dépassé voire de prendre de l'avance sur les médias concurrents, ou par conformisme, les médiateurs publient des « informations » qui n'en sont pas ou sont fausses. Dans les faits, l'information ne va pas plus vite ou moins vite car elle n'est pas un objet dont on observe le déplacement mais que l'on fabrique dans les médias, par contre la non information, elle, va de plus en plus vite, c'est-à-dire que le processus de création de la non information s'accélère1.
Qu'est-ce qu'une non information ? Un objet qui a les caractéristiques de ce qu'on nomme information dans les médias. Mais avec des particularités qui en font une non information. Je vois qu'il va falloir d'abord élucider ce qu'est une information pour un médiateur...
Information, désinformation et non information.
Information et non information.
La réalité observable se compose de nombreux objets dont deux intéressent principalement les médias, les faits et les événements2. Un fait est un segment isolable dans le flux des événements au sens ordinaire de « fait[s] qui survien[nen]t à un moment donné ». Un événement est ce que dit mais dans une acception un peu différente, un fait notable, mémorable, qui rompt avec le flux ordinaire de la survenue des faits. Si ces explications peuvent paraître tautologiques la séparation est pourtant nette : un fait est un événement, quelque chose qui advient et qui est isolable, un événement est dans l'acception qui nous intéresse un fait extraordinaire, « qu sort de l'ordinaire », qui se singularise assez pour ne pas être considéré ordinaire.
Les médias s'intéressent à toutes sortes de faits, surtout ceux ordinaires, d'autant s'ils visent un public bien déterminé, par exemple les médias ou segments de médias dits régionaux non parce que s'adressant proprement à une région, ils visent souvent une zone géographique moins ou plus importante, mais par opposition à ceux dits nationaux, se consacrent largement à des faits ordinaires, informations de proximité ou de service. De même, si leur appareil formel semble désigner autre chose en les « spectacularisant », les médias people ou à scandale ou « de caniveau » rapportent pour l'essentiel des faits ordinaires, leur seul intérêt étant d'être spectaculaires en eux-mêmes (faits divers) ou de concerner des personnes considérées extraordinaires (acteurs, artistes notoires, gouvernants, notabilités, etc., et bien sûr cette catégorie récente, les people sans talent particulier, dont la seule singularité est d'avoir de la notoriété). Disons que plus un média est spécialisé, plus les sujets de son contenu sont stéréotypés et peu singuliers.
Mais les médias généralistes traitent aussi pour l'essentiel de faits ordinaires, et pas seulement les sujets de proximité ou de service (météo, programmes télé et radio, courses hippiques du PMU et autres pronostics et résultats de jeux, etc.). Le cas le plus évident me semble l'information institutionnelle : on ne peut vraiment dire que les paroles et gestes de nos responsables institutionnels sortent souvent de l'ordinaire, ils ont des fonctions assez routinières et prévisibles, pourtant cela forme une part importante des informations supposées extraordinaires que les médias généralistes diffusent. Même si avec des moyens rhétoriques différents, les médias généralistes « spectacularisent » tout autant que ceux à scandale ou people, les mettent en scène, les « fictionnalisent » pour leur donner un relief qu'elles n'ont souvent pas. Pour exemple, les voyages de responsables politiques à l'étranger : d'un voyage l'autre on a peu de variation et peu d'informations à proprement parler, les étapes sont les mêmes, les protocoles répétitifs, les discours convenus, pourtant il y a presque toujours nombre de sujets avant, pendant et après pour tenter de singulariser ce qui n'a que rarement un caractère singulier. Ce qui nous amène tout doucement à la non information.
Une non information est formellement une information. Elle se singularise par le fait que son sujet ou son objet est en-deçà de tout trait qui puisse la singulariser. Même un voyage protocolaire de responsable politique compte des aspérités, certes assez similaires d'un voyage l'autre mais des aspérités, des « faits ». La non information traite d'un non fait ou d'un fait sans aspérités. Le cas qui va principalement m'intéresser est l'élection présidentielle en général, celle française en particulier, celle de 2017 spécialement. Le temps passant, ce sujet a connu une extension phénoménale dans les pays développés où le chef de l'État est élu au suffrage universel direct et où il a une réelle position de pouvoir, deux choses qui vont souvent ensemble, les pays où la fonction est surtout honorifique tendant à privilégier le suffrage indirect, même si certains États (je pense notamment à l'Autriche) procèdent à une élection au suffrage universel direct, ou bien préfèrent encore un chef de l'État non élu (monarque, doyen d'une assemblée3...).
L'élection présidentielle est, au sens banal, une information : à telle date, a, aura, eut lieu l'élection du président de tel pays. L'objet « élection présidentielle » tel que présenté et discuté dans les médias a un rapport incertain avec elle. Et un rapport incertain à l'objet « information » tel que défini dans les dictionnaires, spécialement au pluriel, « les informations ». Le TLF (Trésor de la langue française) nous donne plusieurs acceptions, dont celles-ci nous intéresseront :
- Action de s'informer, de recueillir des renseignements sur quelqu'un, sur quelque chose
- Ensemble des activités qui ont pour objet la collecte, le traitement et la diffusion des nouvelles auprès du public.
- Ensemble de connaissances réunies sur un sujet déterminé.
- Faits, événements nouveaux, en tant qu'ils sont connus, devenus publics.
- Fait, événement d'intérêt général traité et rendu public par la presse, la radio, la télévision.
- Émission consacrée à l'information, généralement à heures fixes.
Les quatre premières concernent l'information en général, les deux premières étant plutôt d'usage singulier, les autres plutôt ou seulement pluriel. Le TLF dit comme moi que l'information concerne les faits et les événements. L'élection présidentielle de 2017 est un fait mais pas encore un événement, ce 15 avril 2017 où commence la rédaction de cet article. Un fait au sens où il est effectivement prévu qu'elle ait lieu les 22 et 23 avril avec, le cas échéant, un second tour les 6 et 7 mai4. Il n'y a pas encore eu de cas semblable pour la présidentielle mais une élection peut être reportée dans certaines circonstances, dont l'empêchement d'un candidat (je me souviens de quelques cas pour des législatives où un candidat eut un empêchement majeur, le décès) ce qui ne change rien au fait précis que le mandat présidentiel actuel arrive à échéance et que très bientôt, probablement aux dates prévues et au pire peu après, disons, dans les semaines à venir, aura lieu une telle élection, sauf cas de guerre, et encore. Ce n'est pas un événement car elle n'a pas eu lieu : un fait peut être hypothétique, ce que ne peut être un événement, un « fait qui s'insère dans la durée ». On peut certes anticiper un événement (une élection par exemple) mais il ne le devient qu'en s'inscrivant dans la durée, en devenant un fait du présent ou du passé.
Sauf la dernière, ces acceptions ont en commun de définir l'information comme portant sur des faits avérés ou vraisemblables. La dernière définit simplement un type de programme audiovisuel, certes censé porter sur l'information, les informations, mais ça n'est pas proprement ce qui définit cet objet, « les informations » sont un type d'émissions signalées par leur contenu présumé et le plus souvent leur régularité. Dans une dictature ou même une démocratie autoritaire où les médias audiovisuels sont sous le contrôle de l'État, on appelle aussi ces émissions « les informations » sans qu'elles diffusent toujours des informations stricto sensu, un recueil de renseignements sur un sujet ou objet, ou un fait, un événement devenu ou rendu public. La non information sera donc la diffusion d'une nouvelle qui ne répond pas à tous les critères définissant une information.
Avant de poursuivre, une petite précision : on tend souvent à voir « informations » et « nouvelles » (les deux au pluriel même si parlant d'un objet particulier l'usage du singulier est permis ou requis) comme des synonymes, or les nouvelles sont autre chose, ce qu'indique le TLF de nouveau : « Tout ce que l'on apprend, sur les sujets les plus variés, par la presse, la radio, la télévision, la rumeur publique ». Autrement dit, une nouvelle n'est pas obligatoirement une information au sens strict, c'est juste « ce que l'on apprend, sur les sujets les plus variés ». Raison pourquoi, d'ailleurs, le terme certes un peu désuet de « nouvelles » pour nommer ce qu'on appelle désormais uniquement « informations » me semble plus exact. Dire donc d'une non information qu'elle est la diffusion d'une nouvelle n'a rien de paradoxal, il s'agit d'une nouvelle qui n'informe pas, si du moins elle apprend quelque chose, ici quelque chose sur l'information médiatique...
L'information est :
- un recueil de renseignements et en ce cas,
- sur un sujet ou objet, ou c'est
- un fait, un événement devenu public,
- un fait, un événement rendu public.
Une non information est donc une nouvelle :
- qui ne se base pas sur le recueil de renseignements, ou
- qui ne porte pas sur un sujet ou un objet, ou
- qui n'est pas un fait, un événement, ou
- qui n'est pas un fait, un événement devenu ou rendu public.
Le distinguo entre les points 3 et 4 est du même ordre qu'entre les deux précédents : si le cas est rare, il arrive qu'une nouvelle soit le résultat d'un recueil de renseignements sur un non sujet ou un non objet, dit autrement, un informateur peut sciemment tromper un enquêteur en lui fournissant des éléments ayant les apparences de la vérité à propos d'un objet ou sujet qui n'existe pas, pour exemple et même si, dans sa phase non information le public visé était restreint, l'affaire des avions renifleurs montre qu'un informateur (ici deux) peut très bien construire un objet qui a toutes les apparences de la réalité que ses relais prendront pour vrai et diffuseront sincèrement comme vrai à des tiers. Le cas le plus courant est cependant l'absence de recueil de renseignements. Le cas 4 correspond au scoop ou son équivalent actuel, le buzz : le diffuseur du supposé fait, pressé de le rendre public pour « griller la concurrence », ne prend pas le temps de vérifier sa pertinence ou sa réalité, et peut par précipitation donner une nouvelle fausse ou sans intérêt pour une information ; le cas 3 est plus large et comprend aussi les cas où un diffuseur de nouvelle la publie sciemment comme information en pensant ou en sachant que c'est une non information. Disons, les cas 2 et 4 sont ceux où le diffuseur est naïf au sens où il ne sait pas qu'il diffuse une non information, les cas 1 et 3 ceux où il ne se donne pas les moyens de vérifier une nouvelle ou diffuse sciemment comme information une non information. Dans tous les cas le résultat est le même.
J'ai un adage : un con est un salaud qui s'ignore, un salaud est un con en devenir. Dans le cadre de cette discussion, ça signifie qu'un médiateur qui fait mal son boulot (pas de recueil réel de renseignements ou pas de vérification d'une nouvelle) ou un médiateur qui fait un autre boulot (pas de recueil de renseignements du tout ou diffusion volontaire de non information) parviennent au même résultat, désinformer et décrédibiliser leur profession. Je dois le dire, j'ai du mal à trouver des circonstances atténuantes aux cons quand ils font un boulot qui requiert du discernement sans en avoir les capacités, pour moi un médiateur con est aussi malfaisant qu'un médiateur salaud. Qui donc est in fine un con, puisqu'il contribue à, comme on dit, scier la branche sur laquelle il est assis5.
Désinformation et non information.
La non information est à la fois un cas particulier d'information et un cas particulier de désinformation. Sans l'avoir explicité, il me semble clair que la frontière entre information et non information est mince, hors celles de service et de proximités il existe un ensemble d'informations et en premier celles institutionnelles déjà citées, qui sont si proches de la non information que certaines y tombent6. Il y a une proximité similaire entre non information et désinformation mais dans l'autre sens : même si l'on n'a pas pour but de désinformer, non informer quand c'est à haute dose finit par avoir le même effet. Et comme dans l'autre cas, il y a une limite très mince entre les deux : non informer sciemment c'est désinformer puisqu'on se sait vecteur de nouvelles fausses ou non pertinentes, avec la différence que l'on n'a pas pour but de désinformer.
Pour clarifier les choses, la non information volontaire répond certes à la définition de la désinformation, l’« action [...] de communiquer sciemment de l’information fausse », sinon que désinformer est aussi une démarche idéologique, sauf rare cas le désinformateur (qui s'est rebaptisé récemment « réinformateur ») ne le fait pas pour le plaisir de le faire, il a un projet et dans ce cadre la désinformation est un instrument de sa propagande. Le non informateur volontaire a lui aussi un but et, d'un sens, une idéologie, implicite ou explicite (pour lui, consciente ou inconsciente), mais le plus souvent il ne va pas trier ses non informations en but de contribuer à la réalisation d'un projet politique, il les prendra pour leur caractère attractif et leur capacité espérée à attirer le public. Bien sûr, le non informateur qui privilégie systématiquement des nouvelles fausses ou sans intérêt d'un même type (par exemple, celles concernant des faits criminels ou délictuels attribuables à une certaine frange de la population) diffère peu du désinformateur, il est une sorte de Jourdain de la désinformation.
Pour conclure cette partie, la non information est donc une nouvelle publiée dans les formes et sous les aspects d'une information, qui a certains points communs avec la désinformation, et qui diffuse un non fait, un non événement ou un fait sans intérêt pour le public. Vous avez l'impression de voir la description de l'information ? Moi aussi...
Quelle est la vitesse d'une non information ?
C'est une question, d'où en naît une autre : quelle est la vitesse d'une nouvelle ? Et la réponse me semble : une nouvelle va à la vitesse de la communication. On peut situer le moment où la communication acquit sa vitesse optimale en 1963 avec le tout premier satellite de télécommunication géostationnaire, mais elle acquit sa vitesse maximale plus tôt, on peut dire que cela eut lieu en plusieurs temps, le première étape est la pose du premier câble télégraphique intercontinental en 1866 puis, plus décisif, le début des câbles téléphoniques en 1956 qui deviennent très vite câbles de télécommunication. Entretemps, dans les années 1920 et 1930, les émetteurs radio à ondes courtes sont aussi une étape décisive mais ce n'est que dans l'après deuxième guerre mondiale qu'elles deviennent d'usage plus courant, et plus encore après 1954 et la diffusion des émetteurs et récepteurs à transistors. On peut dire que la diffusion de l'information ne va pas significativement plus vite aujourd'hui qu'en 1957 et n'a plus connu d'amélioration sur ce plan depuis la fin des années 1980, le « gain de vitesse » somme toute mineur durant ces trois décennies venant du fait qu'elles sont plus fiables, donc moins de coupures ou de réceptions de mauvaise qualité.
Qu'est-ce que la vitesse d'une information ?
Que veut signifier un médiateur en général, et plus spécialement les médiateurs qui se voient décerner ce nom dans les médias, c'est-à-dire les porte-paroles d'un média censés (exercice difficile) exprimer à la fois le point de vue du public et celui du média, en disant assez régulièrement que « l'information va de plus en plus vite » ? Deux choses :
- la quantité de nouvelles ne cesse d'augmenter ;
- le temps accordé à chaque nouvelle est de plus en plus réduit, tant pour son évaluation que pour son traitement.
Bref, la question n'est pas vraiment celle d'une quelconque et introuvable « vitesse de l'information », mais celle de la vitesse de traitement d'une nouvelle ou d'une donnée7. Certes, la masse de nouvelles a augmenté assez fortement avec l'arrivée de l'ADSL haut débit à faible coût et du smartphone puis de la tablette, qui permettent à quiconque de mettre en ligne rapidement n'importe quoi, n'importe quand et n'importe où. De nouvelles au sens restreint de données. Je n'ai pas exactement idée de la proportion mais selon moi, le taux de données dans le total de nouvelles est à-peu-près égal au taux de spams dans le total de courriels, supérieur à 80%, et parmi les nouvelles qui sont plus que des données le taux de nouvelles informatives est à-peu-près égal au taux de courriels pertinents parmi les non spams, de l'ordre de 30%. On peut donc estimer qu'au plus une nouvelle sur quinze est immédiatement identifiable comme une information, et au plus une sur cinq identifiable comme plus qu'une donnée. Le principal problème, qui justifie sinon le fait du moins l'invocation de la supposée accélération de l'information, est que le travail que réclame une nouvelle est inversement proportionnel à son niveau informatif.
Données, nouvelles et informations.
La différence entre ces trois objets est à la fois de degré et de nature. D'un point de vue formel ce que proposent les médias est pour l'essentiel de la nouvelle mais l'on suppose, ou du moins l'on supposait jusqu'à en gros la fin des années 1970 que les médias proposaient des informations dépouillées de leurs marques formelles. Cela se modifia lentement pendant quatre à cinq lustres8 puis, au tournant des années 1990 et 2000, une modification plus radicale encore se produisit qui, elle, fut assez rapide, environ un lustre. Avant de poursuivre, trois définitions valables dans le cadre de cette discussion :
- Une donnée est un élément minimal de signification. Ça n'induit pas qu'une donnée est un élément simple, juste qu'elle n'est pas directement analysable. Par exemple, une nouvelle comme « en France en 1012 les CSP+ représentent 25,9% de la population active de plus de 15 ans » est une donnée inanalysable : quelle est la population totale en France en 2012 ? Quelle est la proportion de la population active ? Quelle proportion de la population de plus de 15 ans et de moins de 65 ans, est classée non active ? Quelles sont les catégories déterminées comme « catégories socio-professionnelles supérieures » ? Ou pour qui n'a pas les clés, que signifie CSP+ ? Ce n'est donc pas une nouvelle simple mais elle ne contient pas les éléments permettant de l'analyser.
- Une nouvelle est, selon le cas ou le point de vue, une donnée contextualisée ou une information probable mais non validée. Pour reprendre la donnée précédente, une nouvelle dira plutôt : « selon l'INSEE, en France en 1012 les catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+) représentent 25,9% de la population active de plus de 15 ans (13,3 M de personnes) ». Il y a du contexte (qui le dit, combien de CSP+, ce que le sigle signifie) mais non les éléments qui permettent de vérifier par soi-même ces éléments.
- Une information est donc à la fois une donnée ou une collection de données, les éléments de contexte et les éléments de vérification, au minimum les éléments permettant de retrouver le document INSEE à partir duquel cette nouvelle a été constituée ou d'où elle provient.
En théorie, un média est un filtre : il agrège des nouvelles disparates, depuis la donnée jusqu'à l'information, essaie de retrouver les éléments de contexte d'une donnée qu'il estime d'intérêt public, essaie de retrouver la source d'une donnée faiblement contextualisée, et vérifie – ou invalide – les informations qu'il reçoit. Raison pourquoi il peut diffuser des nouvelles voire parfois, pour celles n'ayant pas besoin de contexte (p. ex., « En France, il y a eu [X] naissances en 2015 ») des données, le lecteur assumant que le médiateur a fait son métier, donc vérifié la validité de la donnée ou la source de la nouvelle. Oui mais « l'information va de plus en plus vite », et le corollaire de ce pseudo-fait est précisément : le médiateur n'a pas le temps de faire son travail. Du coup, il exerce une autre profession que celle de médiateur, celle de rewriter.
Fabrication d'une non information.
Un point à élucider, qui explique largement pourquoi, à un instant donné, un nombre important de médiateurs produit de la non information convergente, c'est-à-dire des discours basés sur des données ou nouvelles au mieux inexactes ou inanalysables, au pire fausses ou mensongères, ou des informations non vérifiées, les mêmes d'un média l'autre et qui traitent de quelques rares sujets dans l'actualité : la supposée hiérarchie de l'information.
Dans l'imaginaire des médiateurs, spécialement des journalistes9, il existe une hiérarchie de l'information. Quelle est-elle ? Il y a la notion abstraite, bien exposée dans ce document pédagogique (PDF), « le classement des informations effectué par un [...] média [...] en ordonnant ces informations de la plus importante à la moins importante. C’est choisir l’information mise en avant, mais aussi éliminer les informations jugées secondaires ». Mais juste après, l'abstrait est corrigé par le concret. Là ou ailleurs, même topo : les médias établissent une hiérarchie de l'info qui privilégie l'important sur le secondaire et le pertinent sur le non pertinent, sauf que... Suit une énumération de raisons ne permettant pas de respecter cette hiérarchie, au premier plan desquels l'information qui va (vous savez quoi) et « les attentes du public », agrémenté de considérations un peu nauséeuses à mon jugé, genre la fameuse topique du mort kilométrique (un mort à 1km est plus important pour « le public » que mille morts à 1.000kms). Bref, la notion de hiérarchie de l'information est plus là pour rassurer le médiateur (qui on le sait est objectif et en surplomb, extérieur au contexte) que pour décrire la réalité. En gros, le médiateur tente de hiérarchiser objectivement et honnêtement l'information, mais les contraintes l'amènent à « un peu » gauchir cette hiérarchie.
Cela dit, je pense que les médiateurs sont honnêtes dans l'ensemble, je veux dire, qu'ils ont une croyance naïve et sincère en leurs mythes professionnels et attribuent réellement à des causes externes, tant à eux qu'à leur entreprise de média, les manquements aux règles intangibles du genre hiérarchie de l'information, vérification et objectivité. En outre, je pense qu'ils adhèrent tout aussi naïvement à la hiérarchie explicite à l'œuvre et à quelques autres dogmes comme celui du scoop et celui, corollaire, de l'urgence. Tout cela crée le terrain favorable à la non information.
Constitution d'un non information : l'élection présidentielle française de 2017.
Comme dit précédemment, c'est ici « l'objet “élection présidentielle” tel que présenté et discuté dans les médias » qui m'intéresse. Un vieil objet maintenant. Je parle de l'objet particulier « présidentielle 2017 », car l'objet général applicable à toute présidentielle française est récent dans sa forme actuelle. On peut même le dater : postérieur à 2002 et pleinement réalisé en 2005. C'est bien sûr lié à la modification de la durée du mandat présidentiel. Une très mauvaise idée. Il y a une sacrée différence entre un mandat de sept ans et un mandat de cinq. Dans le premier cas, le président a environ cinq ans pour construire sa politique, dans le second, environ un an, au mieux deux ans.
La France est comme la plupart des pays démocratique, il se passe rarement deux ans sans élections, depuis la collectivité de base jusqu'à l'assemblée législative ou, pour certains pays, l'élection au suffrage universel du chef de l'exécutif. En 59 ans de V° république, seulement 15 ans sans élection, et seulement deux fois deux années successives sans. Quand le président a un mandat de sept ans, il peut se permettre de subir cinq ans d'élections contre son camp, il peut même se permettre deux ou trois ans d'Assemblée nationale contre son camp, suffisant pour dévaluer ses opposants, insuffisant pour qu'ils développent une politique qui assiéra leur position. Quand il a cinq ans devant lui, deux ans avec des élections contre lui puis dès la troisième année l'objet « élection présidentielle » mais déjà avant, dans son propre camp les réticences de ses futurs adversaires qui commencent à se positionner pour la prochaine échéance, bref, même dans la meilleure configuration il a un an à dix-huit mois pour tenter quelque chose, autant dire rien parce qu'à échéance de moins de trois ans il n'y a pas moyen de mettre une politique en place.
l'objet « élection présidentielle »... Une pure non information. Pour mémoire, les éléments constitutifs d'une information : un recueil de renseignements sur un sujet ou objet, ou un fait, un événement devenu ou rendu public. En 2014, il n'y a aucun recueil de renseignements possible sur cet objet, dans la majorité personne ne prend position, du moins pour l'élection à venir, par simple souci de ne pas apparaître comme « le diviseur de la majorité » (m'est avis que Benoît Hamon paie en ce moment le fait d'avoir, du point de vue des soutiens de Hollande, été un des chefs de file des « frondeurs », ce qui montre qu'il ne faut pas se désolidariser trop vite de la ligne officielle – et lors de la primaire de gauche Manuel Vals a payé le fait de s'en être désolidarisé trop tard...), dans l'opposition c'est juste les prémisses des positionnements internes donc rien à glaner non plus, reste ceux qui n'ont pas de position externe ou interne à préserver mais à ce moment-là ça n'intéresse guère les médias de disserter sur les chances de Bayrou, Le Pen et Mélenchon. En fait, l'intérêt des partis dits de gouvernement est inverse de celui des médias, les uns veulent se positionner publiquement le plus tard possible, les autres veulent savoir le plus tôt possible. En 2014 toujours, il n'y a ni fait (donc, pas même un discours vraisemblable sur la configuration possible de l'élection à venir) ni a fortiori événement. Disserter sur la présidentielle 2017 en 2014 est donc faire de la non information.
Le vrai début de la non information à récurrence courte (en parler au moins une fois par semaine, plutôt deux ou trois fois) a lieu environ deux ans avant l'échéance. Le moment où se mettent en place les premiers sondages sur « la cote des candidats ». Bon, d'accord, il n'y a pas de candidats déclarés, du moins parmi les personnalités qui intéressent les médias et par ce fait les sondeurs, mais ça n'empêche de les évaluer... Ah ! Les sondages ! Un élément fondamental de cette non information, et un élément basique pour beaucoup d'autres. Une non information de type 1 (pas de recueil de renseignements) ou 2 (pas de sujet au sens strict, un non fait intégral) se passe de toute légitimation, ces non informations sont contextuelles et transitoires ; une de type 3 ou 4, donc un fait de pertinence faible ou nulle ou un non événement, ou un fait, un événement non public et de crédibilité limitée, à besoin de s'appuyer sur quelque chose. Et la chose la plus aisément mobilisable est bien le sondage, qui a l'avantage de n'être constitué que de données. Je parle là des sondages sans visée d'efficacité immédiate, quand un sondeur fait une étude sur l'image d'un produit, la satisfaction d'une clientèle et autres études de type marketing il a de tout autres méthodes que la simple interrogation d'un panel supposé représentatif par téléphone et même désormais, par Internet. On peut dire que le sondage électoral est confortable pour les instituts : ça ne rapporte pas grand chose mais ça ne coûte pas cher et en plus, on n'a pas vraiment besoin d'en connaître les résultats, puis pendant longtemps ça constituait une vitrine pour ces instituts. Plus trop maintenant, certes, vu qu'ils démontrent de moins en moins la supposée fiabilité des instituts qui les produisent. Tout passe...
La raison pour laquelle les sondeurs n'avaient pas trop à se préoccuper des résultats réels d'un sondage particulier est simple : il disposaient jusqu'à récemment, en gros jusqu'en 2002 pour la France, d'une longue série de sondages grandeur nature, les élections même. Si par exemple dans un sondage donné seulement 5% des personnes interrogées déclarent vouloir voter pour un candidat FN, le sondeur va corriger la chose pour, en 2002 donc, faire remonter les intentions de vote en faveur de ce parti alentour de 13%. Mais la correction sera la même s'ils obtiennent un niveau d'intention de 7% ou de 9%. Lesdits sondeurs nous bassinent sans cesse avec leurs supposées méthodes scientifiques de correction alors que l'explication est beaucoup plus triviale : on ne peut pas estimer sérieusement que le niveau réel de votes pour le FN sera proche de celui issu de l'enquête quand il se situe à moins que la moitié de ce qu'il a été dans la précédente élection comparable et moins que la moitié des résultats de toute élection des quatre ou cinq années précédentes. Du coup on corrigera uniformément en indiquant le niveau le plus vraisemblable en fonction des données réelles.
Tenant compte de cela, on peut comprendre pourquoi on voit presque systématiquement une très forte modification du niveau d'intentions de vote quand le moment de l'échéance réelle d'une présidentielle est imminent : pendant un temps assez long, les sondeurs vont estimer le niveau de certains candidats potentiels ou réels à l'aune de leur résultats précédents (les résultats des élection, non des sondages) avec pour certains une correction systématique vers le bas ou le haut en fonction cette fois de la différence connue entre le niveau d'intentions et le niveau d'expression réelle. Reste un solde à répartir sur les possibles candidats sans historique, soit en eux mêmes soit par leur parti. Dans notre cas, on a Mélenchon, connu, on a Hamon, parti connu, on a le Pen, connue, on a Fillon parti connu, on a les « petis » plus ou moins connus et plus ou moins estimables (beaucoup de variations par exemple pour les candidats LO, NPA ou Verts), enfin on a, comme presque toujours, le candidat surprise, cette fois bien sûr Macron. Au moment où les choses semblent se stabiliser, c'est-à-dire après la désignation de Hamon, quels que soient les résultats réels les sondeurs vont, chacun à sa manière qui, fondamentalement, doit être assez similaire d'un institut l'autre, établir un « cote » qui tient compte des résultats électoraux antérieurs, Hamon dans la moyenne basse du PS, environ 17%, Fillon, pas encore dans les affaires, est dans la zone haute des intentions, au-dessus de 25%, Marine Le Pen assez au-dessus de son niveau normal avec 27%, et Macron dans les 22 à 23%. En toute hypothèse, tous ces nombres sont faux dès cette époque.
Les plus faux (mais pas obligatoirement inexacts) sont probablement ceux de Le Pen et Macron, la première parce qu'elle a droit à la correction habituelle, qui se base sur une sous-déclaration des électeurs FN, le second parce que quand on a pas d'historique on donne une valeur au pif, et ceux de Hamon et Mélenchon, le premier parce qu'on ne peut vraiment pas lui accorder un niveau encore plus bas que le plus bas résultat PS à une présidentielle, le second parce qu'on ne peut vraiment pas le croire au-dessus du candidat PS. Fillon est très probablement le moins corrigé (même s'il se prépare à l'être, mais autrement...). Puis tout se dérègle: Fillon chute, d'abord dans la réalité puis dans les déclarations d'intentions de vote, Hamon ne remonte pas et même descend, Mélenchon ne descend pas et même remonte, enfin nos sondeurs, éclairés par d'autres enquêtes, non publiées mais bien mieux payées donc plus sérieuses et plus fiables10 que désormais les électeurs FN ne sous-déclarent plus, et que les niveaux de Mélenchon et Hamon sont plus proches de ceux déclarés que de ceux corrigés. Même un sondage sérieux n'est pas une prédiction mais du moins est-il plus fiable que les enquêtes faites à la va-vite pour ces mauvais payeurs que sont les médias, plus intéressés par la date de l'enquête (la plus récente possible) que par sa validité. La suite est évidente : sauf pour Fillon, difficile de corriger violemment les niveaux actuels sans mettre en doute toutes les enquêtes précédentes, donc les différents candidats vont voir « lentement » (enfin, manière de dire, en ce cas c'est une lenteur rapide...) leur estimation corrigée, qui vers le haut, qui vers le bas, pour converger vers celles des sondages sérieux11.
Le phénomène suivant est tout aussi prévisible : l'évolution des sondages va orienter les choix des indécis. Sur ma radio (France Culture), j'ai entendu quelques reportages réalisés par des non-journalistes, et quelques-un par des journalistes fiables, un peu avant le chamboule-tout, où l'on entendait notamment pas mal de gens se tâter pour savoir s'ils voteraient Hamon ou Mélenchon, ou hésitaient (mais oui !) entre Le Pen et Mélenchon. Et bien sûr, il y a le terrain et la forte mobilisation des « insoumis » (c'est ainsi qu'ils se désignent) qui n'est pas, et pour cause, contrebalancée par celle des socialistes, pas trop sûrs d'eux-mêmes en ce moment, ni des Marcheurs, pas trop affûtés comme militants et peut-être pas si en marche que leur mouvement ne l'affiche, ainsi que la mobilisation des soutiens de « petits candidats ». Tout ne va bien sûr pas se renverser, sinon le cas Hamon, simplement on se trouve désormais devant une tout autre configuration que ce que la non information antérieure proposait, c'est-à-dire, juste avant le 25 janvier un immanquable second tour Le Pen-Fillon, puis peu après cette date un second tour assuré Le Pen-Macron, mais dans le cas de quatre candidats dont les intentions de vote les situent dans la zone d'incertitude, et un second tour imprévisible. Tout ça m'éloigne de mon propos sans m'en éloigner tout-à-fait. Retournons en 2015.
Pour le redire, il n'y a pas d'objet réel qu'on puisse sérieusement décrire comme « la présidentielle 2017 » en 2015, je veux dire, on n'a ni données ni faits qui puissent étayer la moindre étude d'opinion quant à la candidature de telle ou tel. Que vont faire les sondeurs ? Un truc un peu idiot, évaluer les personnes considérées comme représentatives, celles dont on peut supposer qu'elles se présenteront, celles qui se sont déjà présentées, enfin celles qui disent vouloir se présenter. À l'occasion, on en sort certains de la naphtaline sans que le lecteur du sondage comprennent vraiment pourquoi (Olivier Besancenot, Philippe de Villiers), pour tel parti on prend non quelqu'un de vraisemblable mais quelqu'un de médiatique (du moins au moment du sondage, la médiatisation c'est volatil), telle Cécile Duflot dont les médias ne se sont pas encore aperçu qu'elle ne représentait plus qu'elle-même. Et la machine de la non information se met en place (elle a démarré plus tôt mais c'était un tour de chauffe, cinq sondages en 1013, autant en 2014).
Faire de la non information consiste ici à disserter sur les résultats d'un sondage comme évaluation vraisemblable d'un événement futur donc sur rien puisqu'il n'y a d'événement que du passé. Je ne parle pas là de l'expression convenue « événement futur » qui désigne un fait à venir à forte probabilité de réalisation mais de parler d'un fait hypothétique à vraisemblance limitée comme s'il était accompli. J'ai déjà fait une critique de cette tendance en indiquant que les médiateurs agissent alors comme des devins et astrologues, en assumant qu'une chose non advenue ou sur laquelle il n'ont pas d'informations est un fait avéré, et en discutent comme s'ils avaient des informations sur l'objet ou le sujet. En même temps, les médiateurs ont la claire conscience qu'un sondage n'est qu'un sondage, qu'il ne donne que ce qu'on lui demande de donner, en la circonstance il ne donne que des évaluations sur la représentation que se fait le sondeur ou son commanditaire de ce qu'est, à un instant donnée, une candidature vraisemblable. Ce qui n'est pas très clair. Prenez par exemple le cas de François Fillon, déclaré de longue date comme candidat futur à la primaire de droite quand celle-ci a lieu : pour des raisons inexplicables, entre janvier 2016, où il entre dans la liste des vraisemblables, et novembre de la même année, il sera à éclipse sans que les taux d'intentions de vote envers lui puissent l'expliquer puisque quand présent il obtient près de ou plus de 20% d'intentions en sa faveur. Plus curieux encore, sur septembre et octobre 2016 un seul sondage le prend en compte alors que sa candidature à la candidature à la candidature (pas de coquille : avec l'apparition des « primaires », l'élection présidentielle est devenu un scrutin à quatre tours...) est avérée.
Dans le discours des sondeurs le choix des personnalités proposées est rationnel et repose sur une évaluation sérieuse de leur crédibilité. Dans les faits ça ne semble si clair. Par exemple, un médiateur a beaucoup de difficultés à croire que quand une personne publique dit qu'elle s'éloigne définitivement du segment de l'espace public qui a fait sa notoriété, elle est sincère. Donc, si un politicien affirme qu'il ne briguera plus de mandat électoral, ils ne peuvent pas l'admettre réellement. On a eu le cas en 2006 avec Lionel Jospin : bien qu'il ait dit on ne peut plus clairement qu'il ne se présenterait plus à aucune élection, dès qu'il réapparaissait dans l'espace public revenait systématiquement l'hypothèse de son « retour en politique ». Fin octobre 2005 il publie un libre bilan « qui relance les spéculations autour d'un éventuel retour en politique », comme dit son article dans Wikipédia. Du fait, presque chaque fois qu'il est invité sur un plateau de média audiovisuel, le plus souvent pour parler censément de ses activités actuelles, revient la sempiternelle question de sa possible candidature à la présidentielle de 2007. Chaque fois il répond que la question ne se pose pas, qu'elle n'a pas lieu. Vient le 28 juin 2006 et une interview particulièrement agressive où son interlocuteur insiste très lourdement pour obtenir une réponse. De guerre lasse, Jospin finit par dire : « S'il apparaît que je suis le mieux placé pour rassembler le pays, pour assumer la charge de l'État, pour proposer des orientations aux Français, alors, je me poserai la question, bien évidemment ». Ce qui le lendemain donne :
- TF1 : « __2007 : Lionel Jospin à petits pas.Invité du 20 h de TF1 mercredi, l'ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin n'a pas exclu d'être le candidat de la gauche pour la présidentielle de 2007 » ;
- France 2 : « Jospin prêt à la candidature pour 2007M. Jospin a envisagé mercredi pour la première fois de solliciter l'investiture du PS pour la présidentielle de 2007 » ;
- RTL : « PRESIDENTIELLE 2007 - Lionel Jospin à moitié candidatCette fois, c’est clair : il a envie d’y aller. Après quatre ans passés à évacuer le sujet, dans chacune de ses rares interviewes, Lionel Jospin a fini par lâcher, mercredi soir sur le plateau de TF1, que "oui, peut-être", si les conditions sont réunies, il serait prêt à refaire au moins un tour de présidentielle, l'an prochain, sous les couleurs socialistes [...]. » ;
- Libération : « Sur TF1 hier, l'ancien Premier ministre n'a pas écarté une candidature pour 2007.Jospin se retire de sa retraite politique“La question est ouverte”. Mais la réponse est de plus en plus évidente. Pour la première fois, Lionel Jospin, invité hier soir du 20 heures de TF1, a clairement indiqué que l'idée d'être candidat à la présidentielle de 2007 le chatouillait sérieusement[...]. » ;
- Le Monde : « Lionel Jospin lève le tabou sur sa candidatureC'est dit. “Pour moi, aujourd'hui, à quelques mois de ce moment où des décisions devront être prises, et bien, cette question [celle de sa propre candidature] est une question ouverte”. ».
Une non information qui aura des conséquences inattendues, notamment la (brève) réapparition de Lionel Jospin dans la liste des personnalités évaluées pour la présidentielle 2007. Ce qui nous rapproche d'une particularité des non informations de ce type, qu'on peut désigner comme la référence circulaire. Ou plus ironiquement, le phénomène « ça doit être vrai puisque je l'ai lu dans le journal » (ou entendu à la radio, ou vu/entendu à la télé).
L'auto-référentialité comme générateur d'informations.
Petite précision : les sondeurs ne sont pas des médiateurs (quoique, ça se discute...) mais du moins, dans leurs rapports aux médias pour des sondages récurrents, spécialement sur la politique, ils en participent. Dire dans ce cas que la référence à un sondage électoral est une auto-référence n'est pas abusif.
Donc, l'auto-référentialité (mon correcteur orthographique n'aime pas le mot). Dès lors que « l'information va de plus en plus vite » il faut trouver moyen de réduire le temps de production d'une information particulière. La méthode la plus simple, a priori, est de la pêcher dans un réservoir censément fiable puis de l'accommoder à sa sauce. Or, qu'y a-t-il de plus fiable qu'un média réputé ou une source périphérique comme les agences de presse ? Qu'y a-t-il de plus fiable en dehors des sources directes, s'entend, lesquelles posent le problème d'une accessibilité limitée et lointaine. L'agence de presse, le journal, la radio, l'institut de sondage sont directement accessibles et toujours disponibles. Vous avez déjà repéré le problème, je suppose : si la source d'un média est un autre média, qui dit que le média source n'a pas lui aussi un autre média comme source ? Rien. Et même, tout dit qu'il y a pas mal de chances que ce soit le cas avec une non information.
Dans un autre article, déjà évoqué mais non cité, Divinations, j'étudie un cas de ce genre, qui ressort des non informations de type 1 ou 3, selon ce que l'on considère : il y a un événement à la base, l'écrasement d'un avion contre une tour à Turin (ou Milan, je ne sais plus) mais sauf un cas, pas de recueil de renseignements ; de l'autre bord, m'intéressait surtout l'étude de la constitution d'une non information, en ce cas le prévisible objet « attentat terroriste », d'autant plus prévisible qu'on était en avril 2002. Une non information car lorsqu'ils publient, la plupart des journaux ne savent guère plus que ça, une simple donnée, un avion s'est écrasé contre une tour à Turin. Ou Milan. Qui et pourquoi ? Mystère. Remarquez, certains savent qui, ce qui devrait éliminer toute spéculation sur un quelconque objet « attentat terroriste » entendu comme attentat terroriste par un (groupe) islamiste, et même l'un d'eux à quelques idées de pourquoi. Or, même les quotidiens qui ont des éléments pour éliminer cette possibilité ne le font pas. La raison en est assez évidente je pense : en avril 2002 il est totalement impossible pour un média de ne pas évoquer cet objet même s'il a la certitude de sa non réalité. En tous les cas, on a bien affaire ici à de l'auto-référence puisque les seuls éléments réels dont les médias disposent proviennent d'autres médias. Ce qui fait que sauf Libération (qui va lui-même constituer une source pour d'autres médias) ils vont disserter sur un fait dont ils ne savent rien de certain ou de vérifié.
On peut dire que l'objet « présidentielle 2017 » reste une pure non information au moins jusqu'en septembre 2016 et un fait de faible pertinence jusqu'en janvier 2017, après la désignation du candidat socialiste. Même alors cet objet reste pour l'essentiel une non information puisque la configuration réelle du premier tour n'est connue que le 18 mars 2017 avec la publication de la liste des candidats officiels. On peut même dire que pour toute élection présidentielle française l'objet médiatique « élection présidentielle » est une non information jusqu'à la veille du scrutin. On peut dire ceci, finalement : tout objet médiatique présenté comme une information et qui se base uniquement sur des données ou sur des nouvelles de faible pertinence est nécessairement une non information.
Accélération de la non information.
Comme déjà dit, si l'information ne va pas plus vite ou plus lentement ou plus à gauche ou plus en haut ou plus à droite ou que sais-je, bref, si l'information n'est pas un être ou un objet réel dont on puisse observer les déplacements et la vitesse, on peut en revanche dire comme le précise mon titre que la non information va de plus en plus vite.
Il ne s'agit pas de vitesse intrinsèque bien sûr, information ou non information, sa « vitesse » dépend strictement de la vitesse de diffusion des canaux de communication et l'on peut dire que que leur évolution en ce domaine est faible, y compris quand il y a une amélioration importante en vitesse de diffusion. Il a va là comme souvent : si la nature a horreur du vide, la culture adore le trop-plein. Dit autrement : l'amélioration d'un processus ou d'une situation suscite rapidement l'expansion du phénomène qui requérait cette amélioration pour assez vite la saturer. Le cas le plus notable de ce processus est celui des prisons : tant qu'on ne s'attaque pas à la source du phénomène, comme l'ont fait les pays qui ont connu ces derniers temps une baisse du nombre de prisonniers, on peut tant qu'on veut augmenter le nombre de places, à terme ça permettra juste d'augmenter le nombre de personnes incarcérées sans réduire la surpopulation carcérale.
La diffusion de données par les canaux de communication s'est considérablement améliorée en quantité (la « vitesse », dira-t-on) et en qualité ces derniers lustres mais dans le même temps les données qui y transitent ont considérablement augmenté en volume (par exemple, au lieu de mettre en ligne une vidéo basse définition à fort taux de compression on en mettra une haute définition et moyennement compressée, soit dix ou quinze fois plus volumineuse, pour un gain informationnel limité). C'est le phénomène dit de la « Loi de Gates », en rapport avec la « Loi de Moore ». La seconde énonce que « la complexité pour un coût minimum par composant a progressé à un taux d'en gros un facteur de deux par année [et] pour le court terme on peut s'attendre à ce que ce taux se maintienne, s'il ne progresse pas », en plus court, « le nombre de transistors par composant double tous les ans à surface et à coût constants », la vulgate énonce (faussement) que « la puissance des processeurs double tous les dix-huit mois ». La première, basée sur la vulgate, énonce que « La vitesse d'exécution des logiciels est divisée par deux tous les dix-huit mois. Heureusement, la loi de Moore compense ». Bref, une loi assez générale qui constate que toute amélioration augmentative est condamnée à court ou moyen terme à trouver sa limite.
L'accélération de la non information est très corrélée à l'amélioration des canaux de diffusion de l'Internet et à la multiplication des points de production de données. Cela dit, L'Internet n'est pas la cause de ce phénomène, sa cause directe, matérielle, technique, est l'amélioration phénoménale des réseaux de télécommunication ce dernier demi-siècle. On peut même dire que si causalité il y a elle est inverse, l'amélioration des télécommunications a été un moteur de l'invention et de la diffusion de cette partie émergée des réseaux que l'on appelle Internet, qui n'en forme qu'une partie relativement secondaire. Pour dire, même, ce qu'on appelle usuellement Internet, qui pour l'essentiel est le « World Wide Web », est autant ou plus le réceptacle de la non information que son producteur, et en outre les médias autres qu'Internet furent jusqu'à récemment assez méfiants envers ce qui provient directement d'Internet. Le problème de base, qui fait dire aux médiateurs que l'information va de plus e plus vite, est surtout la multiplication des points de production de données ou au mieux, de nouvelles, connectés aux réseaux de télécommunication. Le problème secondaire, qui fait que la non information va de plus en plus vite, est le manque de discernement des médiateurs.
Qui est responsable ?
Prenons un cas que j'ai bien étudié à l'époque, « l'affaire du RER D », dite aussi « l'affaire Marie L. », intéressante par sa densité : elle débute sur des chapeaux de roues, après une dépêche de l'AFP diffusée vers 15h le 10 juillet 2004. Il y a ce que Daniel Schneidermann nomme un « emballement » avec le point culminant de sa première phase à 22h11 le même jour et la diffusion d'une déclaration de Jacques Chirac sur le sujet. Toutes les phases de l'emballement (montée, plateau, révélation du caractère fallacieux de l'événement original, affaissement, mea culpa, « analyses et mises au point12 » ont lieu du dix au treize juillet. Une telle densité que la phase « plateau » avait encore lieu qu'on en était déjà au mea culpa et même à l'analyse (pas celle à chaud sur l'événement présumé mais celle postérieure sur l'emballement avéré). Qui donc peut être estimé responsable de l'emballement ? Je dirai, personne et tout le monde dans la chaîne de production de l'information, c'est-à-dire les médiateurs, leurs sources, les sources de leurs sources, les responsables politiques, les représentants de certaines institutions, les supposés analystes, les personnes publiques qui se sentent de donner leur opinion, etc. En tout cas, une personne n'est à coup sûr pas responsable de tout ça, Marie L. Ce qui bien sûr n'empêcha pas l'un des responsables avérés, Jacques Chirac, d'accabler cette malheureuse et de promettre qu'une chose qui ne pouvait assurément pas lui arriver lui arrive. Passons, j'ai fait par ailleurs l'analyse politique et morale, ici m'intéresse le processus, la manière dont une non information peut devenir en quelques heures une affaire d'État et un puissant attracteur pour tous les donneurs de leçons.
Le point de départ est donc une dépêche de l'AFP. Je regrette de ne pas disposer de la toute première, diffusée vers 15h, qui devait être beaucoup plus neutre que celle dont je dispose, diffusée probablement vers 23h, après que les médias se soient emparés de la nouvelle et que « les autorités » (ministre de l'intérieur, Premier ministre, président de la République...) se soient exprimées. Dans cette dépêche on discerne l'effet auto-référentiel, elle contient déjà tous les éléments de l'emballement : la nouvelle, ses conséquences, les messages du président et du ministre de l'Intérieur, enfin la « mise en perspective », en ce cas « la (re)montée de l'antisémitisme ». Dans mon analyse de l'époque j'explique pourquoi cette non information a connu un tel traitement, qui se résume en : elle contient tous les éléments qui semblent valider une certaine représentation de l'état de la France au mitan de l'année 2004. À quoi s'ajoute qu'il s'agit d'une nouvelle sensationnaliste et au sens plein extraordinaire, et que sa source est réputée la plus fiable en France, l'AFP. Je pense que ce dernier élément explique le mieux pourquoi les médias ont fait l'impasse en un premier temps sur l'action qui transforme une nouvelle en information, la vérification.
Entre les deux versions dont je dispose, pourtant proches dans le temps, l'une diffusée vers 23h, après le communiqué de l'Élysée, l'autre à 0h45, la seule différence avec le titre (mais rien ne dit que ça vient de l'AFP) est le nombre et la place des mentions d'une source de renseignements : dans la première, il est indiqué une seule fois « a-t-on appris samedi de sources policières » vers le milieu du récit de l'agression, dans la seconde la mention vient dès le premier paragraphe puis revient, avec sa variante « a-t-on appris samedi de mêmes sources », trois autres fois. Pour moi cela répond à deux motifs, l'un évident, l'autre moins. Le but évident est renforcer la véridicité du récit, d'autant qu'elles viennent après les éléments les plus extraordinaires du récit, « avant de lui dessiner des croix gammées sur le ventre » puis sous une forme légèrement différente, « avant de dessiner au feutre noir trois croix gammées sur son ventre », puis « en voyant qu'elle avait une adresse dans le XVIe [...] ils auraient déduit qu'elle était juive, ce qui n'est pas le cas », puis « "Dans le XVIe il y a que des juifs", avait alors lâché un des six hommes, avant que le groupe ne commence à agresser la jeune femme ». Pour le troisième passage, savoir si le réviseur de l'article prend ses distances avec la déduction étrange ou avec la non judéité spécifiée...
Le but moins évident est, disons, la protection du médiateur : il me semble probable que dès ce moment on commence à savoir à l'AFP que ce récit n'est pas aussi évidemment évident, la gare RER de Sarcelles n'est pas loin et un petit tour sur place suffit pour savoir que personne n'y a vu une jeune femme dépenaillée, échevelée et couverte de croix gammées, ni n'a souvenir ou trace de « témoins de la scène [qui] “ramassent alors l'enfant et la mère, puis alertent la SNCF” ». Puis pourquoi, une fois dans la gare, ne pas aller vers un membre du personnel et faire état de sa situation, et plutôt appeler son compagnon qui « l'accompagne au commissariat d'Aubervilliers » et non à celui de Sarcelles ? Enfin, c'est soit l'un soit l'autre : soit il y a des témoins qui, et dès lors on la conduit direct à la gare, soit son copain vient la chercher puis. Du fait, il est bon de préciser plusieurs fois, spécialement après les passages les plus extravagants, que le récit provient d'une source extérieure a priori fiable et ne sont pas le résultat d'une enquête de l'auteur initial de la dépêche. C'est là un procédé classique des médiateurs qui ne sont pas certains de la validité d'une information que de multiplier les marques de véridicité qui à la fois dégagent leur responsabilité et donnent une apparence de validité, y compris avec les très vagues mentions « de source sûre » ou « de source bien informée ».
S'enclenche alors la machine à non information surmultipliée, qui devrait censément s'arrêter le 12 juillet au soir mais se poursuit jusqu'au 13 et même au 14 (elle continue même un peu au-delà mais c'est très limité, dans toute affaire de ce genre, pour des raisons diverses une frange limitée de médiateurs persiste à la traiter comme vraie après que sa fausseté soit établie). Si j'ai des réticences avec ce terme qui tend à indiquer que ces phénomènes sont exceptionnels, anormaux, la notion d'« emballement » rend assez compte de ce qui se passe car, comme dans l'emballement d'une machine réelle, une fois le moteur arrêté la machine médiatique poursuit un certain temps sur son erre. Un temps d'autant plus long que l'emballement sera puissant. La différence entre machine médiatique et machine ordinaire est que celle médiatique est structurellement et fonctionnellement construite pour s'emballer.
Donc, qui est responsable ? Personne et tout le monde, disais-je, précisément parce que la machine médiatique est destinée à s'emballer et parce que chaque élément de la chaîne est en situation de l'arrêter ou de la freiner. Désormais c'est moins vrai mais jusqu'à il y a peu, en gros jusqu'à l'intégration complète de l'Internet dans la chaîne de production de l'information, qu'on peut situer en 2012 et l'arrivée de la technologie de télécommunication de téléphonie mobile 4G couplée à la généralisation de l'usage des smartphones et tablettes tactiles, les sources principales des médiateurs étaient, d'abord les sources périphériques immédiates, essentiellement les agences de presse, puis les sources institutionnelles, puis les autres médias, puis les sources externes habituelles (les informateurs), puis les sources internes documentaires ou issues d'enquêtes de terrain. Les autres sources étaient assez peu sollicitées et, du moins jusqu'à il y a au plus deux lustres, presque toujours vérifiées. On peut donc dire qu'en 2004 un emballement a presque toujours une cause interne et qu'il peut être arrêté à n'importe quel point de la boucle. On peut aussi dire qu'en 2004 comme en 2017 un emballement est rarement arrêté très près de sa source et que le plus souvent il parcourt toute la boucle au moins deux fois. On peut enfin dire qu'à la différence de 2004, en 2017 il arrive plus souvent que sinon un emballement, du moins une « dérive », la version modérée de l'emballement, trouve sa source hors de la boucle. Ce qui ne change rien au fait qu'en théorie chaque point de la boucle est en état d'arrêter le phénomène. La question est donc de savoir pourquoi, en général, un emballement n'est pas arrêté.
La chaîne, la boucle et l'emballement.
L'emballement est un cas particulier d'accélération de la diffusion d'informations. Le cas général est le fait qu'une information attractive va connaître à coup sûr une accélération de sa diffusion, d'autant plus importante qu'elle sera plus attractive. Le cas de « l'affaire du RER D » a la particularité de se baser sur une non information intégrale et d'avoir été paroxystique mais pour le reste il a toutes les caractéristiques du traitement habituel d'une information éminemment attractive, qu'elle soit vraie ou fausse. Le terme qui désigne la majeure partie de ces phénomènes est la dérive, discutée plus loin.
Dans les cas ordinaires de diffusion de l'information, le système qui la propage peut être décrit comme une chaîne avec quelques effets de boucle, spécialement dans les médias comptant peu de collaborateurs ou ceux faisant de l'information en continu, qui doivent souvent se contenter de reprendre et de plus ou moins recycler des informations provenant de la chaîne. Dans les cas de dérive il ressemble plutôt à une boucle en ce sens qu'assez vite les éléments des objets médiatiques secondaires liés à l'information proviennent d'éléments de la chaîne et non plus de sources externes, ou au pire périphériques.
La chaîne a déjà été décrite, sources périphériques, puis sources externes, puis (etc.). La boucle, c'est le moment où les sources externes habituelles s'appuient sur des informations ou des données provenant des média et où les sources internes fonctionnent malaisément. Du coup, des éléments qui ressortent du commentaire ou de la fiction deviennent, dans la boucle, des informations. Sans même considérer la non factualité de « l'affaire du RER D », les deuxième et troisième jours beaucoup de réactions de médiateurs ou de personnalités publiques se sont appuyées sur des éléments ayant l'apparence de données factuelles mais provenant de commentaires, analyses, chroniques, tribunes libres, discours d'autres personnalités ; une fois décontextualisés et réinjectés dans la boucle, ils deviennent des faits qui provoqueront d'autres commentaires, analyses, etc., d'où l'on extraira des éléments d'apparence factuelle qui... La boucle. Et cela arrive pour les vraies comme les fausses informations, si elles donnent lieu à un emballement il y aura une boucle, plus ou moins importante et durable.
L'emballement stricto sensu est violent et volumineux, la boucle connaît aussi un régime de croisière qui conduit donc à la version molle de l'emballement, la dérive. J'ai choisi la métaphore du régime de croisière en lien avec celle de la dérive, la « déviation d'un bateau ou d'un avion par rapport à sa route sous l'action des courants ou des vents ». Comme pour l'emballement, me gêne que le terme induise l'idée d'un phénomène anormal et en quelque manière imprévisible. Ce n'est pas le cas : la boucle est un phénomène habituel et prévisible, la dérive fréquente, l'emballement pas si rare et tout aussi prévisible. Je pense l'avoir écrit, c'est structurel et fonctionnel : le temps consacré à la collecte et la vérification de chaque donnée, nouvelle, information se réduit, le recueil de renseignements est de plus en plus rare et rapide, le recours à des sources auto-référentielles courant, le tout contribue à réduire la capacité critique des médiateurs, et au final une part toujours plus importante des informations produites et diffusées s'appuie sur la boucle.
Vois-tu comme le flot paisible...
l'objet médiatique « élection présidentielle » en général et plus spécialement l'objet « présidentielle 2017 », sont des exemples intéressants pour comprendre comment une boucle routinière se forme, parce que leur caractère non factuel est très visible. Comme dit, l'objet « présidentielle 2017 » est devenu récurrent en 2015 et comme dit, le fait « présidentielle 2017 » est devenu pertinent au mieux après l'été 2016, mais plutôt en janvier 2017. Ça signifie que pendant dix-huit mois à deux ans tout ce qui concernait la présidentielle provenait principalement de la boucle, et même ce qui n'en venait pas était décrit et analysé en passant par le filtre de la boucle. Soit précisé, ça n'a pas tellement changé par après et en toute hypothèse ça ne changera pas avant le 8 mai 2017, j'en parle d'expérience, cette boucle « élection présidentielle », pour molle qu'elle soit, est très résistante et assez peu perméable à la réalité extérieure, disons, une boucle élastique. Ce qui est assez logique, en fait.
Comme dit, un événement n'existe que dans le passé, au mieux dans le présent s'il s'agit d'un événement très localisé dans l'espace et le temps. L'élection présidentielle ne se réalise qu'au soir du tour où le président est désigné, donc au plus tôt lors du premier tour, le plus souvent (jusqu'ici sous la V° République, toujours), au soir du second. Le fait devient de plus en plus consistant au fil des jours mais l'événement reste virtuel, or les médias ont tendance à vite dériver (et oui !) du fait probable à l'événement hypothétique, mais en traitant celui-ci comme un événement effectif. Non que les médiateurs croient que c'est déjà arrivé (enfin, pas tous, disons, pas la majorité), par contre, malgré toutes les préventions et précautions sut les sondages qui ne sont pas une prédiction mais un état de l'opinion à un instant T13, ils ont une forte tendance à présumer que les pronostics délivrés par les instituts de sondages sont prédictifs. Cela dit, il en va ainsi aussi pour les sondeurs même. Et pour les politiques. Et in fine pour l'opinion, du moins pour la part flottante de cette opinion qu'est le corps électoral.
Ça fait un bout de temps que je n'ai plus été interrogé pour un sondage électoral, probablement parce que ne réponds jamais favorablement aux invitations par courriel des instituts de sondage à m'inscrire sur leur site dans leur « panel » (avec promesse de points bonus et de possibles cadeaux) et que les enquêtes par téléphone se raréfient. Un bout de temps donc mais de toute manière je n'ai probablement jamais été un bon client, du fait que je ne suis pas pétri de certitudes et que j'ai tendance à ne pas me prononcer. Non que je n'aie pas d'opinion sur ce qu'on me demande, qu'il s'agisse d'élections ou de lessives, simplement mes opinions sont rarement binaires ou même unaires, de ce fait j'ai un peu de mal à trancher sur les choix simplistes proposés, du coup je ne me prononce pas. Donc, dans le cadre d'un sondage électoral, probable que je fasse partie des indécis ou des sans opinion. Et comme observateur des sondages, je les trouve un bon guide pour me permettre de décider de mon choix devant l'urne (manière de dire, mon bureau de vote dispose de machines à voter donc il n'y a plus d'urnes...). Bref, je fais partie de l'électorat flottant et par le fait les sondages peuvent contribuer à modifier mon comportement électoral mais peut-être pas de la manière dont les sondeurs et médiateurs l'envisagent, spécialement pas selon leur conception de ce que peut être un vote « utile », c'est-à-dire le choix du candidat qui apparaît le mieux placé pour passer au second tour et remporter l'élection.
Dans le cas d'espèce, je ne souhaite vraiment pas que Marine Le Pen soit présidente de la République française. Bon, une fois ça dit, est-ce que je souhaite qu'Emmanuel Macron ou François Fillon le soient ? Non. Est-ce que j'adhère à l'affirmation d'une majorité des médiateurs qui situent Macron au centre-gauche ? Non. Remarquez, je n'adhérais pas plus il y a cinq ans à l'affirmation que François Hollande était un candidat de gauche, ce que m'a confirmé sa présidence. Donc, me voilà dans le cas d'un électeur qui, sans adhérer à un parti ni vraiment considérer qu'aucun parti présentant un candidat propose un programme qui soit très proche de ce que je souhaite comme projet de société, se considère néanmoins de gauche. Dans cette optique, j'élimine d'office huit des onze impétrants (j'inclus dedans Philippe Poutou, un gentil garçon je crois mais un imbécile, et le candidat d"un parti que je n'ai jamais apprécié même dans son incarnation LCR, et qui n'a pas trouvé mieux que de choisir un sigle que beaucoup lisent, méchamment, comme Nulle Part Ailleurs...). Me voilà donc dans la situation où je ne souhaite pas voir arriver à la présidence trois candidats qui sont donnés de longue date dans la fourchette des possibles présents au second tour. Deux possibilités peuvent se produire : un autre candidat entre dans cette fourchette, ou non. Mon « vote utile » dans le second cas va consister à voter pour la personne qui représente le mieux ce que je veux exprimer de l'état de la société, ou pour personne. Et dans le premier cas, si le nouveau possible candidat de second tour me semble représenter le moins mal mon idée d'un projet de société je voterai pour lui. Bref, je voterai Mélenchon. J'expose mon cas pour permettre de comprendre comment (pour employer, comme les commentateurs des médias, un vocabulaire de turfiste) un candidat peut passer en moins d'un mois de lointain outsider en possible favori. Ça me semble intéressant parce que, comme beaucoup je pense, mon choix d'un candidat n'a rien de sentimental.
Ce n'est pas vrai de tous mais dans l'ensemble les médiateurs sont des êtres paradoxaux, ils invitent des sociologues ou des politologues dont le terrain est le comportement électoral, des, comme ils disent, « spécialistes » de la chose, les écoutent aimablement puis « résument » leur propos en énonçant des lieux communs qui tendent à montrer qu'ils n'en ont rien compris, ils passent autant de temps à discuter de la fiabilité, ou non, et de la validité, ou non, des sondages qu'à discuter de leurs résultats comme de faits avérés, ils peuvent dans le même discours partir du point de vue que les électeurs qui se prononcent font un choix rationnel pour aboutir sur le supposé constat que leur choix est irrationnel puisque (selon les cas) leur candidat propose un programme qui leur est défavorable ou qu'il a un projet irréalisable. Du coup, nos braves médiateurs ne comprennent pas comment et pourquoi un Mélenchon passe si vite du statut de trublion (plus ou moins) sympathique mais négligeable à celui de possible futur président. Cela tient au fait qu'ils sont dans la boucle.
Hors de la boucle la société n'est pas un flot paisible mais pas plus une mer tempétueuse, ce n'est de toute manière pas une mer ou un océan, bref, hors de la boucle la société n'est pas une métaphore, c'est la société, voilà tout. J'en discute ailleurs, les médiateurs sont des êtres sociaux comme les autres mais fonctionnellement il arrivent rarement à mettre en adéquation leur point de vue de citoyens ordinaires et celui qui est le leur en tant que médiateurs. En fonction, donc, ils sont dans la boucle.
Entendons-nous, les médias ne se résument pas à la boucle, ou aux multiples boucles qui s'y développent, une part non négligeable de leur production concerne les informations de proximité ou de service et une autre part non négligeable de la production ou diffusion des médias n'a rien à voir avec ce qui ressort de l'information ou de la nouvelle14 (documentaires, fictions, jeux...). Et parmi les autres productions d'information une part significative ne se trouve pas dans une boucle ni dans la boucle principale « les informations ». Si je considère le média que je fréquente le plus, France Culture, il y a bien sûr les informations au sens d'émissions à heures fixes consacrées à l'information les « journaux », qui hors informations de service sont pour l'essentiel dans des boucles ordinaires ou prévisibles, puis il y a celles dont l'objet principal est lié à l'actualité et qui ont fortement tendance à s'inscrire dans des boucles ordinaires, celles que l'on peut qualifier d'idéologiques, c'est-à-dire dont les producteurs-animateurs ont tendance à lire la société au filtre de leurs préjugés ou d'un instrument déformant (par exemple, l'émission Les Chemins de la philosophie n'est pas idéologique au sens politique, bien que son animatrice laisse parfois paraître une telle chose, mais l'est au sens où elle filtre son appréciation de la réalité et de la société au tamis d'une certaine philosophie, ce qui tend à laisser de gros morceaux de réalité dans le tamis), celles généralistes et qui n'ont pas vocation à se trouver dans une boucle mais dont, pour certaines, les animateurs ont tendance à prendre une position de médiateur-observateur, ce qui les mène souvent dans des boucles, celles qui sont clairement dans une boucle mais c'est dans le contrat (comme l'émission La Dispute que je n'apprécie guère mais qui du moins ne prétend pas être autre chose que ce qu'elle est, une émission de critique sur les arts et spectacles), celles spécialisées et hors actualité sinon dans leur domaine, comme les émissions musicales, enfin les émissions de distraction ou de fiction. Au bout du compte, sur une semaine il doit y avoir peut-être une trentain d'heures d'émissions qui traitent de sujets sur la société ou l'actualité ou la réalité en général et ne sont pas ou pas toujours dans des boucles, soit quatre à cinq heures par jour en moyenne, mais pas tellement plus d'émissions qui sont dans le type de boucles dont je traite ici.
Hormis le cas de ceux à production rapide et axés sur l'information, dits d'information en continu, donc audiovisuels ou multimédia (ce qui inclut la presse lorsqu'elle dispose d'un site Internet sur lequel il y a de la production d'information en continu), la majorité des médias diffusent des productions qui ne sont pas de l'information ou sont de l'information de service et de proximité (catégorie où l'on peut aussi ranger les petites annonces) ou de l'information spécialisée (rubriques cuisine / gastronomie, bricolage, beauté, etc.), ou de la non information rémunérée (publicité, publi-reportages) généralement signalée comme telle. Bien sûr, la presse quotidienne ou hebdomadaire généraliste dite nationale contient une part plus importante d'information mais même dans celle-ci il y a une part parfois importante de contenu autre, par exemple une hebdo comme L'Obs (ensemble L'Obs+Télé-Obs) n° 2732 (édition du 16 mars 2017) contient 47 pages de publicité et publi-reportage sur 144, à quoi s'ajoutent les 36 page du supplément, soit 46% de l'ensemble, plus environ 50 pages culturelles ou de service, soit plus de 70% de l'ensemble qui ne traite à coup sûr pas d'informations générales. Les quotidiens nationaux ont en général une part plus grande consacrée à l'information, même si certains comme Le Parisien/Aujourd'hui en France (c'était aussi le cas pour le défunt ''France Soir') et les « gratuits » ont une part prépondérante de pages de service et de publicité. Cela posé, intéressons-nous de nouveau aux médiateurs qui sont dans la boucle et à ceux qui commentent la société et le monde en tirant l'essentiel de leurs informations de la boucle.
La société n'est pas une métaphore, l'élection présidentielle n'est pas une métaphore, Marine Le Pen, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron ne sont ni des métonymies ni des métaphores, la France n'est pas une allégorie ni Paris une synecdoque, bref, l'univers sensible n'est pas la rhétorique ni ses parties ne sont des figures de style. Pourtant, au filtre des médiateurs on peut se poser la question. Je l'évoque par ailleurs, le discours le plus courant relativement à l'élection présidentielle ressort du commentaire sportif, et plus spécialement de celui sur les courses hippiques ou cyclistes et sur le demi-fond. Prenez les trois articles mis en exergue le 17 avril 2017 à 8h30 par Google pour la recherche « sondages présidentielle » :
- 20 Minutes : Présidentielle: A J-6, le quatuor de tête des sondages attaque le sprint final de la campagne
- Le Monde : Sondage Présidentielle 2017 : Le Pen, Macron, Mélenchon, Fillon au coude-à-coude dans les intentions de vote
- Europe 1 : Présidentielle : la folle dernière ligne droite des candidats
La Présidentielle considérée comme une course de chevaux... Course d'obstacles, je suppose. Allez, encore un histoire de rire, version pentathlon moderne : « Présidentielle: Macron et Le Pen en duel à Paris avant le sprint final ».
La boucle, un accélérateur de non information.
Quel est le problème, celui qui motive cette discussion ? Le fait que la boucle produit pour l'essentiel de la non information. Le problème secondaire, mais qui devient principal dans certaines circonstances ou pour certains sujets, est qu'elle induit une accélération de cette production. Il ne s'agit plus ici d'emballement mais de dérive : le possibilité de produire du sondage en continu induit un comportement stéréotypé des médiateurs, aborder tout discours et toute interactions avec les candidats ou leurs soutiens à l'aune de ces mesures quotidiennes (actuellement et depuis le début de l'année au moins quatre, souvent six ou sept sondages chaque jour), et parler chaque jour de « l"évolution des intentions de vote » non parce qu'il y a quelque chose de consistant à en dire mais simplement parce que chaque jour il y a au moins quatre « nouveaux » sondages.
Wikipédia est aimable et se contente de rendre compte des sondages quotidiens tous les trois jours, au motif assez censé que « l'échantillon » est seulement renouvelé par tiers à chaque sondage. Même avec cette réduction, on peut observer que pour chaque série, on a le plus souvent des données assez stables sur plusieurs enquêtes, une variation qui reste assez ou très en-deçà de la marge d'erreur et un classement le plus souvent inchangé. En regardant telle série, on peut croire à certains moment que tel institut a, disons, un meilleur aperçu de « l'état de l'opinion » parce que, par exemple, il fait remonter plus tôt Mélenchon et descendre plus vite Hamon, puis sur la série suivante on voit qu'il prend moins vite en compte la nouvelle progression de ceux-là ou d'autres, puis d'un coup on se dit, mais mon vieux tu te fais balancer ! Dans telle série puis telle autre les instituts ont procédé à un ajustement qui reste dans la fourchette de la marge d'erreur précédente, puis un second qui reste dans la nouvelle fourchette. En fait tu assistes simplement à une correction de la correction, les instituts commencent à se rendre compte, comme presque à chaque fois, que leur correction habituelle ne prend pas assez en compte l'évolution des positionnements de l'électorat, que quand on obtient depuis début début février Mélenchon entre 17% et 18% et Hamon entre 9% et et 11%, c'est vrai ! Que quand on obtient Le Pen alentour de 23% c'est vrai ! Bon sang, les salauds ! Ils ne mentent même plus en nous répondant !
Une fois qu'on intègre pleinement le fait que les sondages, non seulement ne sont qu'un outil d'évaluation de « l'état de l'opinion » mais en plus un outil peu fiable, qu'on a bien à l'esprit que vraiment ça n'est pas un instrument très efficace pour la prospective, que si un sondage donne tel jour 10,5%, le suivant 10% et le surlendemain 11%, en fait il donne juste une variation dans la fourchette, on se dit : bon, jeter un œil aux sondages tous les trois ou quatre jours et n'en parler que s'il y a des évolutions de plus de 1% pour les principaux candidats, de plus de 0,5% pour ceux en-dessous de 10%, ça suffira bien. Mais si l'on est un médiateur dans la boucle, on ne peut pas se dire ça, parce que quand on est dans la boucle, toute donnée ou nouvelle du jour sur un objet qui est lui aussi dans la boucle est un élément qu'on ne peu pas ne pas prendre en compte.
« La boucle » c'est le mode normal de fonctionnement de l'information ordinaire pour un grand nombre de médiateurs. La boucle entre guillemets car ça ne désigne pas proprement cette boucle, ces boucles que je veux élucider ici. La majeure partie des médiateurs sont bien plus des consommateurs que des producteurs d'objets médiatiques. Il y a de la variété selon les entreprises de médias, depuis Le Canard Enchaîné qui produit l'essentiel de l'information qu'il diffuse jusqu'aux petites chaînes de la TNT et plus encore celles qu'on trouve dans les offres de télévision satellite ou ADSL qui pour certaines n'en produisent aucune. Plus un média aura une rédaction réduite et plus il aura un rythme de diffusion rapide, moins il sera producteur. Là-dessus, une part assez importante de l'information générale et la plus grande part de celle de service et de proximité provient de sources qui diffusent de l'information (agences de presse, services météo, collectivités territoriales, bref, tous les fournisseurs périphériques d'informations) dont les médiateurs se feront les simples relais, procédant plus ou moins à leur réécriture. S'y ajoute l'information « historique », la reprise d'informations anciennes ou toutes prêtes pour un anniversaire, une commémoration, une nécrologie, ou pour soi (pratique courante de rubriques « en ce temps-là » avec fac simile d'articles anciens). Cette boucle-là ne pose pas de problèmes, en général, sinon sur un point : elle accoutume à « boucler ».
Je parlais précédemment de différence de degré et de nature. Avec les boucles on glisse sans toujours – souvent sans – s'en apercevoir d'une boucle ordinaire non problématique à une boucle problématique ou extraordinaire. Sans dire qu'ils étaient pertinents ni même non problématiques, quand les sondages de l'objet « élection présidentielle » avaient un rythme de parution mensuel ou bimensuel on pouvait en user autrement que comme éléments de la boucle « présidentielle 2017 ». Malheureusement c'est rarement le cas, le médiateur a, disais-je, assez souvent une certaine accoutumance au « bouclage », d'autant plus s'il travaille surtout sur des nouvelles ou informations qu'il n'a pas contribué à produire, se contentant de les mettre en forme ou de les commenter. Cet objet particulier « élection présidentielle » est une boucle ordinaire problématique permanente, elle se met en place peu de temps après une élection réelle, premier sondage relevé par Wikipédia, IFOP, 9 au 12 octobre 2012, cinq en 2013, en avril et mai, cinq en 2014 entre avril et octobre, cinq au premier semestre 2015 puis rythme mensuel dès juillet jusqu'en juillet 2016, avec un peu plus de sondages certains mois (avril notamment, mois anniversaire des vraies élections). Sans que ce soit une obsession, c'est un événement prévisible et attendu, le médiateur sait qu'il aura généralement son sondage trimestriel vers la mi-mandat en cours puis une montée en rythme un an plus tard. C'est un rituel, comme « le(s) chiffre(s) du chômage15 », comme le fut longtemps « le(s) chiffre(s) de la délinquance », comme les interventions programmées du président de la République (14 juillet, 31 décembre, vœux aux corps constitués de janvier...) ou les réunions internationales récurrentes, G7 ou G8, G20, COB, Davos, assemblée générale de l'ONU, etc.
Dans l'ensemble, on sait en quoi consistera un événement prévisible, rare cas d'événement à venir ayant une certaine consistance. Pour être clair ce n'en est pas un au sens strict, ce que confirme la réalité, assez systématiquement l'événement réel ne ressemble pas à celui décrit par avance, par contre on sait très à l'avance quand et où il aura lieu et quelle sera sa durée minimale. Pour certains on connaît même l'ordre du jour, qui est rarement respecté, ce qui confirme qu'il n'existe pas d'événement futur. Sauf cas très exceptionnel, une intervention programmée n'apporte nulle surprise. J'ai parlé du rituel des conférences de presse mensuelles de Dominique de Villepin et de leur contenu informatif nul ou très limité, au sens où il ne donnait que rarement des informations nouvelles. Par nature ces événement s'inscrivent dans au moins une boucle, celle de leur périodicité, en général dans plusieurs boucles, ici celle des annonces gouvernementales, récurrentes mais à temporalité variables. Comme dit, sauf cas exceptionnel ce genre de boucles n'apporte aucune surprise16, ce qui donne lieu à un phénomène intéressant, dans mon optique ici : quelques jours avant la conférence, les médiateurs supputent ce que Villepin dira ; le jour dit, il annonce ce que prévu ; juste après et pendant quelques jours, les médiateurs décortiquent ses propos. Résultat de tout ça, pendant une semaine environ il ne se passe pas de jour et dans certaines médias pas de « tranche » ce qui, pour ceux en continu, dure en moyenne quatre heures (de deux à six selon le moment de la journée) sans qu'on parle d'un quasi-non événement qui fournit une quasi-non information, laquelle est étudiée sous toutes les coutures avant et après. C'en fut au point que par peur qu'elles finissent par ne même plus susciter le réflexe automatique d'entrée dans la boucle tellement il n'y avait rien à dire de consistant, Villepin inventa la conférence décentralisée, c'est-à-dire se déroulant hors de Matignon, pour que les médiateurs aient au moins un sentiment de nouveauté. Crainte infondée, à mon avis.
Les boucles sont des accélérateurs de non information du fait que, le temps passant, les non nouvelles et non données qui la nourrissent s'accumulent et que leur quantité apparente augmente. Pour reprendre le cas des sondages, il n'y a pas nécessité d'en fournir plusieurs par mois six ou huit mois avant l'échéance, si l'on se place du strict point de l'apport d'informations. Il n'y a pas plus nécessité d'en produire plus qu'un par quinzaine à trois mois, plus qu'un par semaine à deux mois, plus qu'un par... Euh ! Non : l'échéance approchant, pas vraiment besoin d'accélérer encore le rythme de parution des enquêtes. En fait, si l'on se place d'un point vue démocratique il serait préférable de ne pas effectuer, publier et discuter les sondages électoraux, de nul intérêt dans cette optique et même, qui contribuent à interdire un réel débat démocratique. Le sondage est l'instrument idéal de l'oligarque qui souhaite que les élections, spécialement présidentielles et législatives, soient plutôt aristocratiques que démocratiques. Si l'on envisage la présidentielle non comme une course de chevaux où les deux questions à discuter sont la cote des concurrents et leur position dans la course à 1.400 mètre, puis 1.200, puis 1.000, puis 800, puis... Quand donc on se prend à considérer l'élection comme l'occasion d'un débat sur les projets politiques des candidats, ils se peut que le choix ne soit plus de désigner « le meilleur des meilleurs » (pour mémoire, l'aristocratie est « le gouvernement des meilleurs »), mais le porteur du meilleur projet, soit le candidat souhaitable non pour ce qu'il est ou ce qu'il paraît mais pour ce qu'il représente et plus encore, pour ceux qu'il représente.
La boucle « élection présidentielle » a clairement pour fonction d'éviter qu'un réel débat démocratique ait lieu. Bien que ce ne soit pas le cas, on peut la décrire comme une sorte de complot organisé par « le pouvoir », dont certains acteurs sont « le bras armé », d'autres « les éminences grises » et « les complices », et où enfin les médiateurs sont des sortes d'idiots utiles, conditionnés à diffuser de la non information dans certains contextes et sur certains objets et sujets, qui offrent l'avantage de croire à l'utilité de leur fonction et à la validité de leurs procédés de fabrication de l'information y compris quand c'est de la non information, le tout destiné à maintenir « le public » en état de sujétion passive. Dans les faits, le processus est différents mais l'effet obtenu ressemble beaucoup à ça.
Complots médiatiques
De même que certains paranoïaques n'ont pas tort de croire qu'on leur en veut, certains « théoriciens du complot » pointent de réelles manipulations de l'opinion. Le problème avec les uns et les autres vient de ce qu'ils ne font pas la différence entre vraies et fausses menaces pour les paranos, entre complots réels et inventés pour les complotistes. L'autre problème est qu'ils tendent à expliquer les vraies menaces et les vrais complots à la manière dont ils expliquent les fausses menaces et les faux complots. Il y a un autre problème, pour la question qui nous concerne ici (je laisse à d'autres le soin de faire comprendre aux paranoïaques qu'à partir d'une analyse défectueuse on ne peut qu'élaborer des solutions inefficaces) celui qui fait qu'on peut difficilement empêcher les machines à produire des boucles de se mettre en place, la capacité des médiateurs à rationaliser leurs pratiques, à « donner du sens » à ce qui n'en a pas. À quoi s'ajoute le fait déjà discuté que fonctionnellement ils sont peu aptes à ne pas s'inscrire dans des boucles quand elles leur apparaissent normales, « la bonne manière de rendre compte des faits ».
Pourquoi participer à un complot ?
Si l'on croit que les phénomènes concourant à mettre en place quelque chose qui a toutes les qualités d'un complot sont le résultat d'une action concertée de « puissants » plus ou moins bien déterminés assistés par des « hommes de l'ombre », on a tout faux et l'on est dans le trip du complotisme. Pour la boucle « élection présidentielle », il n'y a rien de dissimulé dans son fonctionnement ou ses buts, les choses sont claires et les motivations des divers acteurs assez évidentes. Pour étendre à la compréhension de la structure fonctionnelle des principaux médias, la meilleure analyse, la plus dense et la plus claire, a été fournie par Patrick Le Lay et sa fameuse expression, le temps de cerveau humain disponible. La citation (que je reprends de Wikipédia) vaut d'être lue :
Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.
Le Lay omet la chose primordiale : TF1 a d'abord à vendre TF1. À la base, une entreprise, un individu dont l'activité principale a lieu dans l'espace public a le même but que Le Lay et que TF1, obtenir du « temps de cerveau humain disponible ». Moi qui rédige ce texte, j'espère bien que vous qui le lisez serez disponible et le lirez avec votre esprit, et pas seulement avec vos yeux, en prenant le temps nécessaire. Par contre je n'ai pas l'intention de monnayer ma capacité de captation de votre attention. Patrick Le Lay ou Jean-Marie Bigard ou Rolf Heinz17 ont quelque chose à vendre, en lien à leur intervention dans l'espace public. Plutôt, quelques choses, au moins deux : leurs productions et leur insertion dans l'espace public. Même quand c'est indirect, in fine ces productions sont destinées à un public.
Sauf quand elle est diffusée de manière fermée (diffusion cryptée, ou uniquement sur réseau ou par satellite) une chaîne de télévision n'a pas l'opportunité de vendre l'accès à ses productions, contrairement à un organe de presse ou un histrion, de ce fait ses revenus proviennent de son public nécessairement en assez ou très faible part. Il faut s'entendre, à la fin du compte les revenus d'une télé proviennent de son public, ou, qu'il soit ou non le sien, du public, puisque ceux qui la rémunèrent obtiennent eux-mêmes leurs revenus des personnes qui constituent ce public. Ce qu'elle vend alors est autre chose que sa production, une chose que l'on peut en effet qualifier comme du temps de cerveau humain disponible.
Cela posé, tout dépend alors du destinataire, de la prestation proposée et de ce que compte faire de cette chose l'acheteur. Par exemple, les inventeurs de la chaîne de télévision Arte ont, de quelque manière, offert à leurs commanditaires de mettre en place une entreprise de médias qui capterait l'attention d'une partie du public. Dans quels buts et par quels moyens ? Clairement, le but n'est pas de « le préparer entre deux messages [pour le] vend[re] à Coca-Cola » ou autre acheteur d'espace publicitaire puisqu'il n'y avait pas de publicité sur Arte (ça a changé depuis mais guère). Le but n'était pas non plus de faire de la propagande ou de contribuer au bruit médiatique. Difficile de savoir comment tout ça se mit en place mais à mon avis, ils ont vendu à leurs futurs commanditaires de se payer une danseuse, de donner à fonds perdus pour une chaîne qui se proposait de contribuer à cultiver le public avec des programmes de qualité. Ils n'ont donc pas vendu du « temps de cerveau humain disponible », en promettant cependant de rendre des cerveaux disponibles à leurs productions. On peut dire que le commanditaire « se rémunère » en prestige sans demander d'autre contrepartie sinon le respect du cahier des charges. Les télévisions, même celles qui trouvent directement auprès de leur public une part plus importante de leurs ressources par le biais d'un péage ou d'une redevance, doivent en effet vendre du « temps de cerveau humain disponible ».
C'est plus large bien sûr. On peut ranger les entreprises de médias dans plusieurs classes, dont les deux principales sont celles pour qui l'activité médiatique est une fin et celles pour qui c'est un moyen, et dans la deuxième classe celles pour qui c'est un moyen pour une fin propre et celles pour qui la fin est médiane, je veux dire : le but poursuivi n'est pas d'aller vers une fin dont le moyen est le véhicule mais une fin dont le moyen est juste un appareil permettant d'atteindre la fin réelle, que ce soit, disons, du bourrage de crâne ou que ce soit une conditionnement du public pour l'amener à recevoir et accepter les visées des commanditaires. Pour autant que les deux cas ne soient deux aspects d'un même fin, le bourrage de crâne. Pour exemple d'un média dont la fin est de convaincre par les productions diffusées, les quotidiens La Croix et L'Humanité qui ont pour but explicite de proposer une information passée au crible de leur idéologie : leur média est un moyen mais leurs productions sont une fin, elles contiennent le message final explicite ou implicite. Pour TF1 ou France 2, Libération (celui d'aujourd'hui, non celui d'avant 1982 ou au mieux de 1986) ou Le Figaro (même remarque, celui d'après 1975, ou paradoxalement il devient à la fois une sorte d'organe officiel de la droite conservatrice et réactionnaire et un centre de profit), et plus largement toute entreprise de média dont une part importante des revenus dépend de commanditaires qui souhaitent obtenir la disponibilité du public pour la réception de leurs propres productions, tant par la forme que par le fond la composition de ces productions est faite pour tenter de parvenir à cette fin seconde. Cela ne signifie pas que toutes ces productions poursuivent ce but, simplement que le choix desdites, celui de leurs concepteurs et réalisateurs, l'organisation du travail pour les collaborateurs directs au quotidien et finalement l'organisation et la segmentation des contenus, concourt en premier à ce but, offrir du « temps de cerveau humain disponible » à ces commanditaires.
Comment participer à un complot ?
On l'aura compris, il n'y a pas strictement de complot, il y a simplement une convergence d'intérêts de plusieurs acteurs, généralement des groupes, mais parfois des individus peuvent apporter leur contribution à l'ensemble (je veux dire : une entreprise de média ou une entreprise périphérique et fournisseuse d'informations, de nouvelles ou de données peut très bien être conçue et réalisée par un seul individu, on peut même imaginer un commanditaire qui soit un individu mais ça n'arrive guère et d'un sens, jamais : ce type de commanditaire peut agir seul mais in fine il travaille pour la consolidation de son propre groupe). Prenons le cas de TF1 puisque l'un de ses responsables nous a si bien expliqué quelle peut être la fin des détenteurs d'une entreprise de médias pour qui elle est un centre de profit.
Je ne sais pas proprement quels peuvent être les motifs d'un propriétaire de média, si j'ai bien compris, par exemple, deux propriétaires du quotidien Le Figaro, le défunt Robert Hersant et celui actuel, Serge Dassault, avaient plus ou moins l'idée, au départ, d'en faire un tremplin pour la diffusion de leur idéologie propre. Disons, ils avaient un projet assez comparable à celui de plusieurs entrepreneurs qui, spécialement pendant la première moitié du XX° siècle même si ça commence un peu avant et que sa se poursuit un peu après, s'offraient une danseuse, comme on dit, achetaient ou créaient une entreprise de média dans ce but de faire passer leur point de vue sur le monde sans souci réel de profit et en comptant sur leurs ressources propres pour, le cas échéant, essuyer les pertes. Il se trouve que depuis cette époque la chose devient beaucoup moins évidente. Pour prendre le cas de Serge Dassault, contrairement à son père Marcel il n'a pas la même latitude pour disposer des fonds de son entreprise, du coup il doit faire que son groupe de médias, au moins ne fasse pas trop de pertes ou soit à l'équilibre et si possible, fasse un peu de profit. Bien sûr, le journal qu'il acheta en 2004 est déjà positionné à droite donc son lectorat devrait a priori être réceptif à son discours. A posteriori c'est moins évident.
Le Figaro s'adresse à un large pan de la droite, d'une droite libérale plutôt centriste à une droite réactionnaire qui, comme le dirent plusieurs de ses représentants en diverses occasions, partage beaucoup de valeurs avec la droite extrême. Sans discuter de l'idéologie propre de Serge Dassault, du moins elle ne converge profondément qu'avec une partie de ce lectorat, s'il l'oriente trop nettement dans sa propre orientation il risque fort de perdre une part significative dudit lectorat, du coup ses ressources publicitaires subiront une double baisse, en valeur (déterminée par sa diffusion) et en nombre (moins d'attractivité donc moins d'annonceurs). On a d'ailleurs assez bien vu la chose les premiers temps après l'achat du journal : Dassault fut assez présent comme éditorialiste et comme précepteur pour la « ligne éditoriale » mais tant pour des causes internes somme toute mineures (réactions négatives d'une bonne part des rédacteurs) qu'externes, bien plus déterminantes, la désaffection du public dont des annonceurs, il a rapidement modifié sa pratique. On peut d'ailleurs voir la même chose dans d'autres entreprises de médias, cela d'autant plus quand les coûts de production et de diffusion sont importants, on peut toujours vouloir s'offrir une danseuse, s'il n'y a pas d'orchestre derrière et bien, elle ne danse pas...
Pour le redire, ne m'intéressent pas ici les « vrais » complots, si du moins ils existent18, m'intéresse la manière dont une certaine approche de la société et des rapports entre groupes sociaux peut conduire une entreprise de média à s'insérer dans la boucle principale de la non information et selon l'organe et ses visées, s'inscrire dans des boucles secondaires ordinaires ou extraordinaires. À la base, il s'agit de faire de son média un centre de profit (au sens large : le principal profit visé est le profit financier, cela d'autant, comme dit, que les coûts du média sont importants et ses ressources directes faibles, ce qui est notamment le cas de télévisions en libre accès, mais on peut rechercher d'autres profits, par exemple la notoriété, certes monnayable mais source de satisfaction en soi, ou la perturbation de la société en vue d'un profit ultérieur, ou que sais-je, en tous les cas toute situation où le média est un moyen pour un fin qui a lieu ailleurs) et pour ça, il faut nécessairement s'inscrire dans la boucle et tenter d'y prendre une place suffisante pour que le média génère le genre de profit visé. Selon le média et le but, l'investissement peut être très réduit et le profit important, ou l'inverse. Un site de « réinformation » représente un coût très bas, pour la production (qui consiste en la simple collection de données, nouvelles ou informations) et la diffusion, et peut très bien être mis en œuvre par une seule personne, avec une efficacité parfois formidable, et à l'opposé une chaîne de télé comme TF1 représente un coût important pour un profit somme toute limité si on le mesure à ce coût. Ce qui n'induit pas une impact faible.
Quel que soit le rapport coût/efficacité et le profit visé, reste qu'un média qui souhaite être visible ET qui a une fin autre que simplement exposer ses productions doit entrer dans la boucle principale ou des boucles secondaires ordinaires donc, qu'il y adhère ou non il va reproduire les mécanismes qui les créent et les diffusent. Cependant, il y a des degrés différents d'implication qui à un certain niveau deviennent des natures différentes d'implication. Une télé ou radio ou désormais un site Internet qui, avec les guillemets qu'il faut, « produit » de l'« information » en continu répond à un schéma précis sans quoi elle ne peut pas faire sa place dans la boucle, schéma qui se déploie en deux axes, « le ronron » et « la rupture ». Produit entre guillemets car pour l'essentiel il s'agit d'agrégation plus ou moins adaptée et non de production, de l'information entre guillemets car pour une bonne part il s'agit de non information dans ses deux principales formes, l'information ou la nouvelle sans pertinence et les productions de la boucle (qui sont souvent sans pertinence mais d'autre manière). Le ronron, c'est le cycle de répétition du stock d'informations considérées principales, qui est à cadence assez rapide et à renouvellement lent.
Les sites Internet ont pour eux l'avantage de mettre tout leur stock à disposition en permanence, il y a cependant de la variation par le reclassement incessant de ces informations suivant la priorité que leurs accordent les autres médias, qui fait que telle, mise en avant à 14h, peut se trouver en cinquième position 30mn plus tard, voire reléguée dans une page secondaire. Les radios et télés procèdent d'une autre manière, elles composent plusieurs cycles. Pour les radios, ça consiste à alterner des « journaux » et des « rappels des titres » à intervalles de 15 à 30mn, selon l'heure : cycles plus longs et journaux plus développés aux heures de forte audience, cycles un peu plus rapides aux heures creuses de la journée, cycles moyens avec plus souvent des rappels des titres aux heures creuses de la nuit. Le cycle principal est de l'ordre de 2h à 4h, et parsemé de rubriques, de chroniques, de revues de presse, d'éditoriaux, etc., certains de ces éléments ayant aussi un cycle de répétition relativement rapide (toutes les heures ou toutes les deux heures), d'autres un cycle plus long voire une diffusion unique. Les télés utilisent ces moyens et d'autres, elles ont aussi le cycle des journaux, un peu plus long ; les tranches (terme qui désigne le cycle principal) sont généralement des émissions de plateau plus ou moins thématiques ; les rappels des titres sont plus rares, cette fonction étant assurée par un bandeau permanent en bas ou en haut de l'écran où s'inscrivent en bref les infos du jour. Tous ces médias inscrivent bien sûr des ruptures dans leur ronron, les « dernière minute ! » ou « urgent ! » et les « flash info » qui signalent une information nouvelle et IM-POR-TAN-TE !
Avant de poursuivre, une anecdote qui permet de comprendre comment peut se créer de la non information, en ce cas le signalement d'une information jugée importante avec des codes qui ne sont pas très pertinents. Un jour, je visite le site du journal Le Monde et je vois un gros titre en bandeau, qui se présente comme suit:
Le caractère d'urgence de l'annonce d'une mort m'avait alors laissé songeur... Bien sûr, en ce cas ça ne porte pas à conséquence mais ça indique un certain processus : qu'elle soit ou non importante, qu'elle soit ou non exacte, une nouvelle estimée prioritaire sera mise en exergue de manière un peu outrancière sans trop réfléchir à la pertinence de la signalétique utilisée. Je ne sais pas pourquoi la personne qui a créé ce bandeau a jugé qu'elle avait un caractère d'urgence, par contre je sais qu'elle l'a fait sans réfléchir. La boucle...
Finalement, cette anecdote déjà ancienne (2 juillet 2004) est bienvenue, elle montre assez ce qu'est une boucle : quelqu'un lit la dépêche qui doit déjà comporter sa signalétique *** !!! URGENT !!! ***, ce qui déclenchera à coup sûr l'alerte et le processus de boucle puisqu'en ce cas il s'agit d'une source réputée fiable, donc on publie l'information sans la vérifier. Que l'information soit exacte ou non, pertinente ou non, importe peu du moment qu'il y a les bons signaux, preuve en est, à une semaine de là, « l'affaire du RER D » : source fiable, bons signaux (cette fois dans le sujet même, pas sûr que dès le départ il y ait eu les signaux d'alerte), deux raisons pour mettre l'objet dans la boucle le plus vite possible. Au départ, l'annonce d'un décès est une rupture, un scoop, mais très vite elle déclenche sa propre boucle s'il s'agit d'une personnalité notable, d'une mort inattendue ou d'un fait divers spectaculaire. Bien sûr, si les trois se conjuguent on est assuré d'un emballement TGV. Quant à l'événement au-delà de l'extraordinaire, ça sera, que dire ? Supersonique ? Pour mémoire, les attentats du 11 septembre 2001, je ne crois pas devoir revoir un jour une telle boucle sur du rien que les premières heures après l'attentat de New York, quand la seule « information » (en fait une nouvelle au mieux et plutôt une donnée) dont les médiateurs disposaient était le fait brut des conséquences du premier écrasement puis le second écrasement en direct.
La mort de Marlon Brando. Impossible que ça ne devienne pas une boucle de non information. De fait, c'est une personnalité marquante par son œuvre et par sa vie mais là encore ça importe peu, la mort de Lolo Ferrari, être insignifiant s'il en fut, devint une boucle presque aussi notable que celle de la mort de Brando. Ce n'est pas la pertinence de l'information qui crée la boucle mais la nécessité de parler d'un sujet au-delà du point où c'est de l'information. Pour une non information intrinsèque (affaire du RER D), pour une nouvelle ou donnée hissée au rang d'information (écrasement de l'avion à Turin), la boucle est contemporaine de sa diffusion. Pour la mort d'une personne insignifiante elle se met vite en place (que dire de plus de Lolo Ferrari que « C'était une pauvre fille aux gros lolos en plastique et au destin bien triste » ? Une minute après l'annonce débute la boucle19). Pour une personnalité comme Brando il y a deux branches, celle de l'information, qui dure un peu plus de temps, une à trois heures pour les médias de flux, le lendemain ou le jour de parution des hebdomadaires pour la presse, et celle de la non information, presque contemporaine pour les médias de flux, le surlendemain pour la presse quotidienne ou la semaine suivante pour les hebdomadaires : une fois dit qu'il était mort, indiqué les circonstances, retracé sa carrière et sa vie, que dire de plus ? Rien. La persistance du sujet dans la boucle devient de la non information, on répète les mêmes choses, on y ajoute des « informations » glanées ci et là dans la boucle et d'une véracité douteuse ou nulle, on suppute, on présume, on brode, bref, on fait durer le sujet sans que ça apporte une once d'information supplémentaire.
Comment participer à un complot ? De la manière la plus simple : en consentant à entrer dans une boucle. Peu importe qu'on le fasse sciemment ou non, dès lors qu'on y entre on fait partie du complot.
Nature des complots
Une société est un être composite où des groupes et des individus ont des projets différents et parfois opposés, mais aussi des projets similaires qui s'excluent cependant l'un l'autre parce que leur mandants visent la même position. Dans le cadre des élections politiques c'est explicite, d'évidence les onze candidats de la présidentielle 2017 s'opposent, soit qu'ils aient des projets incompatibles, soit qu'ayant des projets assez proches ils représentent des groupes différents, soit qu'ils n'aient pas réellement de projet (ce qu'a par exemple très clairement exprimé Emmanuel Macron20) mais que leur volonté d'occuper une certaine place, ici celle de chef de l'État, s'oppose à la même volonté des dix autres candidats.
Les entreprises de médias et celles périphériques, les propriétaires et responsables de ces entreprises, les médiateurs et les producteurs d'informations, de nouvelles et de données à destination des médias, sont des êtres sociaux, ce qui implique qu'ils ont aussi des projets de société ou qu'ils adhèrent à des projets déjà définis. Puis, ils participent à des réseaux de sociabilité dont la pérennité est tributaire de l'existence de projets de société. Enfin, il y a cette question de leur fonction qui induit une certaine représentation de la réalité et spécialement de la société. Cet ensemble de groupes et de personnes contribue à créer une structure, « les médias », et dans ce cadre à produire plusieurs objets dont « les informations », qui m'intéresse ici dans son incarnation complotiste, la non information.
Formellement la non information a les mêmes caractéristiques que ce que les médias nomment l'information. Par contre elle sert à autre chose, fonctionnellement c'est de la propagande, et pour partie c'en est proprement. Par exemple, les producteurs et diffuseurs de l'un des éléments principaux de la boucle « élection présidentielle », les sondages électoraux, ne peuvent pas ignorer que cet objet-là n'a pas beaucoup de consistance, que les intentions de vote recensées par chaque sondage particulier n'est jamais un indicateur fiable de ce dont il est censé rendre compte, « l'état de l'opinion ». La preuve évidente de ce fait est que si l'on compare plusieurs sondages effectués au même moment et selon les mêmes méthodes, on peut constater un écart entre eux qui va bien au-delà du niveau d'incertitude supposé pour l'intervalle de confiance annoncé (en général 90% ou 95%, une donnée douteuse21). Par exemple, les quatre sondages que propose Wikipédia qui furent réalisés juste avant le début de la campagne officielle donnent une prévision d'abstention qui va de 23% à 27% et, pour les trois qui l'indiquent, un taux d'indécision qui va de 29% à 40%. Pour ces trois-là, le cumul indécis+abstention donne 61% pour deux d'entre eux mais avec une inversion des deux données (23%+38% et 29%+32%), tandis que le troisième donne 74% (34%+40%). Pour des enquêtes plus anciennes, l'écart de données pour un même candidat, qui depuis s'est réduit pour être à-peu-près dans le même niveau d'incertitude (il y a cependant encore des écarts significatifs : 2% pour Mélenchon, 2,5% pour Fillon entre mes moindres et majeures estimations), on peut voir précédemment, à mêmes dates des écarts de 6,5% pour Mélenchon, 3,5% pour Hamon, 2,5% pour Fillon, et comme exposé précédemment une évolution incohérente des variations pour un candidat, tels instituts (en fait, la majorité) « lissent » cette évolution, d'autres passent d'un sondage l'autre de 15% à 19% pour l'un, de 12% à 8% pour l'autre (Mélenchon et Hamon), etc.
On ne peut donc voir cela comme un strict complot, un « dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution », de nuire à un personnage public ou de le favoriser, d'ailleurs, puisqu'un complot est autant censé entraver telle personne, telle institution, qu'œuvrer à la promotion de telles autres (comme l'exprime très bien le délirant Fillon, le « cabinet noir » veut le décrédibiliser pour favoriser Macron – ou Hamon, selon les jours). Sauf les supposés complots supposés nihilistes, les supposés comploteurs ont pour supposé but de permettre à leur camp de prendre le pouvoir ou de le garder (c'est aussi le cas des complots réels, comme l'opération Condor, dont le dessein secret et concerté avait bien pour but de réduire l'opposition à quia et de préserver le pouvoir des dictateurs sud-américains de l'époque22, ergo le plus souvent un complot a aussi pour but de bénéficier à un individu ou/et à un groupe). Le « complot “élection présidentielle” » a certes deux traits principaux qui le constituent comme complot, c'est un dessein secret et il a pour but de nuire (ou de bénéficier) à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, mais il y manque l'élément essentiel, le fait que ce soit une action concertée entre plusieurs personnes. Enfin si, c'est bien une action concertée. Enfin, non. Bon, ça n'est pas simple cette histoire...
Derrière un complot, et derrière l'organisation des principales entreprises de médias et la structuration de la chaîne de l'information plus largement, il y a une action concertée entre plusieurs personnes physiques et morales et plusieurs groupes sociaux mais explicite, les personnes qui la favorisent ne se cachent pas du fait qu'elles œuvrent à influencer l'opinion pour favoriser leur groupe ou leurs commanditaires. Quand un responsable politique, face à l'échec ou la mise en cause radicale d'un projet de loi, d'un référendum, d'une politique publique, explique que la raison en est qu'il n'a pas su s'expliquer, qu'il a « manqué de pédagogie », et quand des médiateurs relaient son discours et vont dans son sens, ils explicitent le fait que leur manière de faire passer un projet, d'orienter un choix, est habituellement une sorte de manipulation de l'opinion, on la conditionne en un premier temps à considérer qu'une certaine orientation est le seul choix valable, qu'il n'y a, comme le dit une personnalité célèbre, pas d'alternative, et quand arrive la décision, sans proprement consentir l'opinion adhère à l'idée qu'il n'y a pas moyen d'empêcher la chose de se réaliser. Sans préjuger de l'adhésion réelle des derniers maillons de la chaîne, les médiateurs et les producteurs de discours publics (j'ai l'indice fort que beaucoup n'y adhèrent pas), en temps normal ils contribuent à entretenir ce système de conditionnement de l'opinion. Ce n'est pas global, il existe des médiateurs et il existe quelques rares entreprises de médias qui ne sont pas dans ce schéma, mais du moins les plus importantes entreprises de média et en leur sein la grande majorité des médiateurs y contribuent, par choix ou par nécessité. Cependant, cette action concertée est informelle, il n'y a pas de « cabinet noir » (désolé M. Fillon), juste une convergence d'intérêts des principaux acteurs contribuant à ce système. Comme l'écrivit Lionel Jospin en 2005, dans son livre Le Monde comme je le vois :
Une alliance implicite entre des grands dirigeants d’entreprise, des financiers, des cadres élevés d’industrie et des services, certains hauts fonctionnaires de l’État, et des privilégiés des médias forment la nouvelle aristocratie. Il enjoint aux autres catégories sociales de faire des sacrifices au nom de la compétition mondiale ou de l’équilibre de l’économie, mais ne consent pour elle-même aucun effort ou renoncement et ne conçoit même pas que la question se pose23.
La citation me semble approximative. Du moins, Jospin exprime une idée que je partage : il y a une « nouvelle aristocratie », à quoi j'ajoute qu'il y a aussi une nouvelle oligarchie, disons, un nouveau groupe de pouvoir, qui diffuse et fait diffuser un discours enjoignant aux autres acteurs sociaux d'accepter certaines choses qu'il ne consent pas pour lui-même, et il y a une alliance implicite des membres de ce groupe pour contribuer à diffuser ou faire diffuser ce discours. C'est la notion d'alliance implicite qui m'intéresse avant tout ici, le complot « élection présidentielle » n'est pas un complot pour cela qu'il ne s'agit nettement pas d'une action concertée, chaque membre du groupe de pouvoir n'a pas besoin de se concerter avec les autres pour comprendre quels sont ses intérêts, chaque sous-ensemble de ce groupe n'a pas besoin de se concerter avec les autres ni de recevoir des consignes pour savoir pourquoi et comment diffuser le message des autres sous-ensembles quand ils contribuent à renforcer leur position. Cela posé, à tout pouvoir il y a un ou des contre-pouvoirs, qui trouvent moyen avec le temps de contourner ces injonctions et mettre en place, pour un temps, un contre-discours.
La nature des complots est donc composite, il y a un groupe de pouvoir (auquel, soit dit en passant, trois des quatre principaux candidats participent – pour qui croirait naïvement que Marine Le Pen vise à sa destruction, il faut comprendre que sa situation de possédante et de femme de pouvoir est tributaire du maintien du système actuel24), dont les intérêts convergent globalement mais peuvent diverger localement (Fillon et Macron ont tous deux intérêt à ce que ce pouvoir reste en l'état, s'opposent modérément sur sa structuration et s'opposent fortement pour l'acquisition d'une certaine position dans son appareil). À sa périphérie il y a divers groupes, plus ou moins structurés, dépendant pour leur position dans la structure sociale, non exactement de ce groupe mais de la préservation de la structure qui permet à ce groupe de se maintenir au pouvoir, enfin divers groupes ou individus dépendant pour leurs ressources et pour leurs positions sociales du groupe au pouvoir ou des structures au service des groupes ou individus à la périphérie du groupe au pouvoir.
Parmi les membres du troisième niveau, certains contribuent à la production et à la diffusion des objets médiatiques, directement ou en fournissant de la matière au producteurs des médias. Cet ensemble contribue de diverses manière à structurer les contenus et les formes des productions médiatiques, et converge dans la volonté de préserver la structure sociale actuelle, raison pourquoi tout cela fonctionne comme un complot sans qu'il y ait nécessité d'un « dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de » réaliser un certain projet. Cela n'empêche, donc, qu'il y ait de la concertation entre les membres des niveaux les plus élevés de la structure de pouvoir et de celles périphériques mais pas vraiment sur un mode complotiste, sans que ce soit nécessairement public du moins ça n'est pas secret. Pour illustrer la chose, la rendre concrète, on peut considérer par exemple le cas du groupe mixte de BTP et de médias Bouygues, mais ça vaut pour la plus grande partie des « grands groupes », qui sont en général des holdings fédérant un pan industriel ou une activité structurée comme une industrie (BTP, transports, énergie), un pan financier, un pan « intéressement » (détentions d'actions et d'obligations, de bons du trésor, etc.) et un pan entreprises culturelles (médias, musique, cinéma...), à quoi s'ajoute depuis quelques lustres un pan télécommunications et informatique.
Bouygues est une grès grosse entreprise. Elle tire une bonne part de ses revenus dans le BTP de marché publics, en France ou ailleurs. Une entreprise de ce type ne peut travailler que dans des zones politiquement stables et où l'on peut négocier avec les instances de pouvoir. Négocier légalement ou d'autre manière, peu importe, le principal est la stabilité politique. Pour une particulier ou un petit entrepreneur, la corruption est une plaie du quotidien, pour une très grosse entreprise c'est une des manières possibles d'acquitter taxes et impôts. La stabilité politique garantit à ce type d'entreprise des « prélèvements obligatoires » situés dans des limites prévisibles et raisonnables, quelle que soit leur forme.
Dans des pays comme le Maroc, la Chine ou l'Ouzbékistan, la Tunisie de l'époque Ben Ali ou le Congo du temps où c'était le Zaïre on a la stabilité politique et en plus la sécurité que l'expression publique ne risque pas de perturber la situation. Dans un pays comme la France il n'en va pas de même, rien ne garantit que, par le biais des médias, ne puisse se déployer une expression publique attractive sur un projet de société contradictoire avec la bonne marche des affaires qui finisse par s'imposer, voir la catastrophe tunisien où si, malgré le fantasme des commentateurs de ce côté de la Méditerranée, Internet et les réseaux sociaux n'ont pas été un instrument d'organisation de l'insurrection, du moins ils ont permis à une parole libre de se développer et d'être reçue. Maintenant il n'y a plus moyen d'y faire des affaires comme au bon vieux temps... La liberté d'expression, une belle idée mais une laide réalité. Voir aussi le cas du référendum de 2005 en France, où les contre-pouvoirs furent plus prompts que les auxiliaires du pouvoir à s'emparer de l'outil Internet pour permettre à un débat réellement démocratique de se tenir, ce qui a considérablement réduit l'impact du rouleau compresseur de la non information – heureusement, cette faille dans la boucle a été considérablement réduite depuis, même si elle n'est pas comblée.
J'en parlais par ailleurs, ce qui fait une société, c'est la communication. Dans une société restreinte elle se fait de pair à pair, dans une société large comme il en existe depuis en gros 6000 ans et l'invention des cités-États puis des États, il faut un médium pour diffuser l'information, ce qui implique que le contrôle des moyens de communication, y compris leurs vecteurs, les voies et réseaux de communication, assure le contrôle de la société. Et ça fait en gros 6000 ans qu'on assiste à une lutte incessante entre deux ensembles, l'un compact, « le pouvoir », l'autre diffus, « les sujets ». Selon circonstance, le pouvoir devient le gouvernement et les sujets, le peuple. La circonstance est le moment où le pouvoir perd le contrôle de la communication. Ce que je dis là est de l'ordre de l'évidence, depuis aussi longtemps que l'écriture et les réseaux de circulation existent, le pouvoir tente de se les réserver, et depuis presque aussi longtemps les sujets tentent de le contrer. Parfois les sujets parviennent à les reprendre pendant un temps, généralement à l'occasion d'un invention qui modifie le mode de diffusion de l'information ou le mode de déplacement des personnes, puis le pouvoir se reconstitue après un temps plus ou moins long et apprend à contrôler cette évolution, parfois le pouvoir est détruit par un autre pouvoir ou par l'insurrection des sujets ce qui provoque une régression momentanée ou définitive des moyens de communication. Le second cas est courant, ce sont les guerres, interétatiques ou civiles, mais aussi les catastrophes naturelles, qui sont une sorte de pouvoir, ou autres catastrophes. Le premier est plus rare et tire parti de ce que le pouvoir est conservateur par fonction, donc il a toujours un temps de retard face à la nouveauté, pour prendre trois cas récents, l'invention de l'imprimerie contribua fort à l'émancipation des sujets de l'époque et selon les contextes certains groupes de sujets parvinrent parfois durablement à se constituer en peuples, ou le pouvoir parvint à conserver ou assez vite reprendre le contrôle. Au tournant des XVIII° et XIX° siècles, il y eut un moment où l'évolution technique contribua à considérablement améliorer les voies et moyens de communication et la diffusion de l'information, et pendant une période assez longue (en gros, de 1770 à 1850) il y eut, dans l'espace et dans le temps, des alternances entre pouvoirs et gouvernements, peuples et sujets, et même des compromis, la cohabitation d'un pouvoir et d'un gouvernement avec des sujets plus ou moins populaires ou des peuples plus ou moins assujettis. À la toute fin du XIX° siècle et au début du XX° une nouvelle évolution importante des techniques créa durablement les conditions d'établissement de gouvernements assez stables et de peuples assez libres dans certaines parties du monde. Par la suite, les choses devinrent plus complexes, on peut dire que depuis la première guerre mondiale les pays les plus développés puis plus récemment les nations assujetties par les empires coloniaux connaissent des alternances entre pouvoirs et gouvernements sans que les pouvoirs parviennent durablement à faire du peuple des sujets. Il faut dire qu'un pays qui souhaite améliorer ou préserver sa technologie doit s'appuyer sur une population éduquée, et que l'éducation est le ferment de la liberté des esprits...
On peut pour ainsi dire déterminer si un État est plutôt dirigé par un pouvoir ou par un gouvernement, donc si l'autre groupe est plutôt des sujets ou un peuple, à l'aune de la liberté réelle d'expression, qui se mesure à l'autonomie des médias aux aux puissances politiques, économiques et sociales et à leurs périphéries. Mais il y a bien des manières d'acquérir de l'autonomie ou d'exercer un contrôle. Dans des époques déjà lointaines, en gros jusqu'au XVIII° siècle, avec ci ou là des poches d'exception (en Europe, les Pays-Bas en furent une assez tôt dans l'Histoire), la méthode habituelle de réduction de l'autonomie des diffuseurs d'information était assez brutale mais, précisément grâce aux poches de relative liberté d'expression, ça devint plus compliqué le siècle avançant. Au XIX° siècle il y eut de la variété, selon les lieux et les époques. Pour ne prendre que la France, entre 1789 et 1881 on eut des alternances de liberté totale et de contrôle total avec beaucoup de périodes de liberté modulée. C'est au cours de ce siècle que se développa le plus une nouvelle manière pour le pouvoir, ou pour un gouvernement plutôt autoritaire, d'exercer un contrôle indirect des médias, déjà un peu testée au Royaume-Uni et dans ses dépendances le siècle précédent, consistant à favoriser la mainmise de groupes périphériques sur les organes de médias et, industrialisation aidant, les entreprises de médias. La méthode initiale était assez simple et consistait à instaurer un régime de liberté d'expression aléatoire. Le principe est le suivant : le pouvoir continue d'exercer un contrôle des contenus mais a posteriori le plus souvent (longtemps, le théâtre continua de connaître une censure préalable), alors que le contrôle à l'ancienne se faisait a priori ; l'inconvénient de cette méthode pour les producteurs et les diffuseurs est que la publication de contenus non tolérés devient un délit, avec interdiction de vente et destruction des publications condamnées, amendes parfois lourdes voire peines de prison, parfois interdiction de publier à temps ou définitive. Cette méthode a de multiples avantages, elle est moins coûteuse pour le pouvoir que la censure préalable qui requiert de rémunérer un corps de contrôleurs et devient même une source de profits, elle assèche les ressources des opposants, elle instaure un régime d'autocensure, les opposants n'ayant pas trop envie de subir cette censure d'un nouveau genre, enfin elle contribue à aider les groupes périphériques à contrôler les médias puisque ceux-ci n'auront que rarement affaire à la justice puisqu'ils ont intérêt à ne diffuser que des contenus qui ne gênent pas le pouvoir, et si possible qui le renforcent.
La cléricature des médias.
Bien sûr, aucun système de contrôle n'est parfait, à l'époque comme aujourd'hui (cf. le cas du Figaro) les médias doivent aussi diffuser des contenus qui plaisent au public, et ce qui lui plaît ne va pas toujours dans le sens de ce qui plaît au pouvoir, il y a donc des interstices à l'intérieur même des médias favorables au pouvoir pour des producteurs qui lui sont défavorables, le cas le plus évident étant celui des feuilletonistes qui, par malheur, avaient une fâcheuse tendance à être républicains ou socialistes et faisaient passer leurs idées subrepticement dans leurs écrits. De même, quelques enragés n'hésitaient pas à braver cette censure quitte, comme par exemple Auguste Blanqui qui passa près de la moitié de sa vie en prison (36 ans sur 76) sous tous les régimes, dont une part non négligeable de ce temps pour ses publications ou ses déclarations publiques. Et bien sûr il y a aussi cette question déjà évoquée, les groupes minoritaires ou opprimés sont généralement plus réactifs quand des nouvelles méthodes de diffusion de l'information se développent. À quoi s'ajoute ce qu'on pourrait nommer « la trahison des clercs », pointée par Julien Benda dans un sens négatif, de son point de vue, mais qui fonctionne en deux sens.
Les « clerc » selon Benda, sont ceux que l'on nomme aujourd'hui (mais que l'on nommait déjà ainsi alors, en 1927) les intellectuels, « les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison ». De son point de vue, donc, ils trahissent cette fonction. Dans sa préface de 1946 il fustige « leur mobilisation au nom de l’ordre, laquelle s’est traduite chez les clercs français par leurs assauts, redoublés depuis vingt ans, contre la démocratie, celle-ci étant posée par eux comme l’emblème du désordre » (souligné par lui) et « leur applaudissement aux fascismes mussolinien et hitlérien en tant qu’incarnations de l’antidémocratisme, au franquisme espagnol pour la même raison, leur opposition, dans l’affaire de Munich, à une résistance de leur nation aux provocations allemandes en tant qu’elle eût risqué d’y amener une consolidation du régime ». Pour lui, « une telle posture constitue une apostasie flagrante aux valeurs cléricales, attendu que la démocratie consiste par ses principes [...] en une affirmation catégorique de ces valeurs, notamment par son respect de la justice, de la personne, de la vérité ». Sans lui donner tort quant aux faits, pour moi il se leurrait quant à la fonction des clercs, ils n'en ont aucune de définie quant au fond. Bien sûr, on peut souhaiter qu'ils aillent dans le sens que lui souhaitait mais à la base la fonction d'un clerc est de produire des formes, des discours qui répondent à certaines règles (essai, étude, théâtre, article de journal, roman, memorandum, rapport, poésie, scénario, projet de loi, etc.). Il n'y a pas de raisons objectives de croire qu'un clerc, parce que formé intellectuellement, doit nécessairement produire ces formes en y défendant ou illustrant « les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison ». Je n'ai pas une estime formidable pour quelqu'un comme Florian Philippot mais le fait qu'il mette son intelligence au service d'une cause qui ne me convient pas ne le constitue pas comme traître25, je regrette certes que des personnes plutôt intelligentes mettent, par conviction ou par opportunisme, leurs talents au service d'une telle cause, sans que ça en fasse des « traîtres à la cléricature ».
La trahison des clercs, ça marche donc dans les deux sens. On peut supposer que, pour une bonne part d'entre eux, ces clercs produisent des objets médiatiques dont ils estiment que le contenu ou la forme est en accord avec leurs convictions, et en outre qu'ils travaillent dans une entreprise de médias dont ils approuvent le projet. Que leur adhésion soit le fruit d'un aveuglement ou d'un consentement éclairé ils ne trahissent rien et sont sincères, même quand ce qu'ils produisent est de la propagande, c'est ici la question de la fin et des moyens : si l'on juge la fin bonne on peut estimer qu'un mauvais moyen se justifie s'il concourt à la réaliser. Pour mon compte je ne le crois pas mais peu importe. La trahison a deux formes, dans le cas des médias : mettre ses talents au service d'une cause à laquelle on n'adhère pas ou réaliser des productions allant à l'encontre du projet pour lequel on est censé œuvrer. Pour le décrire en bref, le « collabo » ou la « taupe ». J'ai mon opinion aussi sur ces manières d'agir mais peu importe pour l'instant.
Un collabo est le plus souvent un acteur passif. Pour prendre le cas du contexte où le terme a émergé, quelle qu'ait été l'opinion de la majorité des Français en juin 1940, à coup sûr une bonne part d'entre eux n'avait pas une opinion favorable concernant la « politique de collaboration » du Régime de Vichy après décembre 1942 avec l'occupation de fait de la « zone libre », encore moins après octobre 1943 avec son occupation officielle et le renforcement des troupes d'occupation. Cependant, leur consentement tacite à la situation en faisait des collaborateurs, passifs au sens où ils n'adhéraient pas à l'idéologie mais actifs de fait puisqu'apportant leur contribution à la « bonne » marche du pays. Il ne s'agit pas ici de juger la chose mais de la constater, il y avait bien des bonnes raisons pour être des collabos passifs à l'époque, en premier sa préservation. Par contre, et toujours sans que ce soit un jugement, il n'y a que de mauvaises raisons d'être un collabo passif en France et en 2017 dans un média dont on ne partage pas l'idéologie implicite ou explicite. Et il y a beaucoup de bonnes raisons d'y être une taupe.
Le Complot de la Présidentielle.
On a donc cette structure : un groupe restreint, peut-être cinq ou dix mille personnes en France, qui détient des positions de pouvoir tributaires de l'organisation actuelle de la société et ont donc nécessité à ce qu'elle perdure ; un groupe d'obligés qui lui est lié directement et qui doit aussi sa position éminente à cette organisation, peut-être cinquante à cent mille personnes ; les dirigeants de groupes périphériques qui doivent, à leur niveau, leur position de pouvoir à l'existence de ce pouvoir, n'ont pas pour leur compte un intérêt particulier à ce que l'organisation actuelle perdure mais ont intérêt à ce que la société soit organisée d'une manière similaire et ont intérêt à la stabilité du système politique et économique, quels qu'ils soient, donc à conforter celui actuel, peut-être trois ou quatre fois plus nombreux que le premier, donc quinze à trente mille personnes, avec lui aussi ses obligés en même proportion, donc cent cinquante à trois cent mille membres ; au total, entre un peu plus de deux cent mille et environ quatre cent cinquante mille personnes qui ont pour diverses raisons un intérêt direct à ce que rien ne change. Sur la population totale de la France, ça fait peu de monde ; considérant qu'ils forment un groupe cohérent aux intérêts convergents et contrôlent l'essentiel des moyens de communication, et que le reste de la population, qui a peut-être (qui a probablement) des intérêts convergents mais n'en a pas la claire conscience et en tout cas, ne forme pas un groupe cohérent et contrôle une faible part des moyens de communication, ça fait du monde, et suffisant pour préserver l'organisation actuelle de la société.
Dans cette organisation, les médias composent l'instrument permettant au groupe de pouvoir (celui proprement de pouvoir, ses obligés, ses auxiliaires et leurs obligés) de préserver l'organisation sociale. Lesdits médias ont bien sûr une organisation globale et, au sein de la plupart des unités qui la composent, une organisation propre, similaire à celle de la société globale, avec cependant une différence importante : il n'y a pas nécessité pour chaque unité de respecter en interne les principes de fonctionnement de la société globale, ce qui pour la France signifie : pas de nécessité d'avoir un fonctionnement démocratique. Comme le relèvent beaucoup de sociologues du travail, il y a un certain paradoxe dans le fait qu'une société démocratique accepte que ses citoyens, y compris ceux en devenir, entre six et dix-huit ans, passent une part significative de leur vie active dans des structures qui ne sont pas démocratiques et dont les responsables peuvent légalement agir en dictateurs. Pour moi et pour ces sociologues, et pour beaucoup de personnes qui réfléchissent à la chose, il y a une certaine logique au fait qu'une large part des citoyens d'une démocratie consente à ce que le fonctionnement réel de la société ne soit pas effectivement démocratique puisque pour l'essentiel ils ne vivent pas dans un contexte immédiat démocratique.
Les médiateurs qui, pour leur plus grande part, ne participent pas du groupe de pouvoir de leur entreprise ni du groupe de pouvoir de la société globale, sont dans le cas du citoyen de base, ils sont soumis à un pouvoir non démocratique dans le cadre de leur activité de médiateur et doivent agir non en conformité à leurs convictions, quelles qu'elles soient, mais en fonction des convictions de leur employeur ou du moins, en fonction de l'idéologie, implicite ou explicite de leur média. Le médiateur ordinaire est un travailleur de base, quoi qu'il pense de la valeur de son travail et des conditions de son exécution, s'il compte conserver son emploi il doit se plier aux consignes. Et comme tout travailleur de base, il va souvent « rationaliser », donner à son acceptation de cette situation une explication qui légitime son consentement. Peu importe la manière dont il se l'explique, positive (contribuer au bien de la société) ou négative (les contraintes sociales), ce qui compte est de réduire la dissonance entre ses convictions et sa conception d'une tâche gratifiante et valable, et la réalité de son travail.
Le complot médiatique de la présidentielle est représentatif du problème général qu'induit l'organisation interne des entreprises, ces contextes de travail allant contre ce que la société globale définit comme souhaitable. Autant que je sache, une large part des médiateurs pense que la manière dont se déploie l'objet médiatique « élection présidentielle » n'est pas satisfaisante. Pourtant, chacun apporte sa petite contribution à la construction de l'objet26. Comme tout travailleur de base, même s'ils estiment leur travail dévalorisant et inutile, voire nocif, ils mettent en balance leurs convictions et les traites de la fin du mois et privilégient les secondes. Raison pourquoi tant de médiateurs et de fournisseurs de données, nouvelles et informations, tant de clercs, contribuent à créer et diffuser cette non information récurrente « l'élection présidentielle » sans pour cela considérer qu'elle soit valide ou pertinente.
Constitution du complot.
J'ai déjà donné, de manière éparse, les éléments constitutifs de cette non information. La constitution même de l'objet se fait de manière continue et progressive. De fait, entre deux élections présidentielles l'objet « élection présidentielle » est toujours présent, de manière diffuse une moitié de la durée du mandat environ, compacte entre un tiers et un quart de cette durée. Juste après l'élection et durant plusieurs mois l'objet reste compact, en un premier temps sous l'assaut des, avec les guillemets qu'il faut, « analyses » et des «prospectives ». Puis vient la deuxième phase, contemporaine de la première quand elle débute, celle, que dire ? De l'erreur de casting ? Un truc du genre. Là encore les sondeurs jouent leur rôle car cette phase s'appuie sur une donnée vitale désormais pour nourrir le bruit médiatique, la « cote de popularité du président », et de pas mal d'autres personnalités politiques mais dans cette discussion, de celle du président. Cette cote est mauvaise. Toujours. Même haute elle est mauvaise car jamais assez haute et de toute manière rapidement descendante, donc si ça baisse ça n'est pas bon. Je ne le jurerai pas mais dans mon souvenir la présence constante de l'objet médiatique « la cote du président » date du second mandat de François Mitterrand, époque où commencent aussi à s'imposer les sondages et statistiques en tant qu'outils prépondérants de description de la réalité. Non qu'on les ignorât auparavant mais ils n'avaient pas la même place ni le même rôle. L'objet « cote du président » contribue notablement à entretenir et augmenter la présence de l'objet « élection présidentielle » ainsi qu'à raccourcir le délai entre deux périodes de compacité : dès lors que « la cote du président » est mauvaise et de plus en plus mauvaise à chaque nouvelle enquête, commence à se poser la question de la pérennité du mandat actuel, donc les supputations sur le prochain président.
L'objet « élection présidentielle » devient diffus environ six mois après le début du mandat, remplacé par d'autres non informations en rapport à la politique, et même parfois par des informations, pour se compacifier (j'utilise ce néologisme plutôt que « compacter » pour pointer que c'est un processus d'opacification, l'objet devient progressivement compact, « prend de l'épaisseur »), acquérir une apparence de complexité vers la mi-mandat désormais (pour mémoire, à l'époque du septennat cette compacification arrivait plus tard, plutôt dix-huit mois que trente mois avant l'échéance) et devenir compact au moins un an avant l'élection suivante. Tout au long du processus, les sondages forment le socle solide qui autorise les médiateurs à parler de cet objet sous la forme d'une information. Les mêmes médiateurs qui ne cessent de nous expliquer qu'il faut « prendre les sondages pour ce qu'ils sont : une photographie de l'électorat, en aucun cas une prédiction du vote » (dixit France-Info mais on trouve cette sentence presque inchangée un peu partout) et qui pourtant ne cessent de les commenter en tant que prédictions. À quoi s'ajoutent, ou plutôt se combinent, deux traits antidémocratiques : l'élection vue comme une compétition sportive et la décision vue comme le choix du meilleur candidat en tant que lui. Enfin, l'élément qui permet d'éliminer définitivement tout possibilité de débat démocratique, le traitement du sujet à haute vitesse et à fréquence de répétition élevée.
Un complot qui n'est pas un complot est-il un complot ?
Je pose la question sans avoir de réponse, ce qui reste encore le meilleur moyen d'ouvrir un débat et de tenter d'en trouver une qui ne soit pas celle d'un seul.
Pour des raisons que j'ignore, une histoire se raconte à propos de la France et des Français, selon quoi le pays et son peuple sont dans l'attente d'un Homme Providentiel, serait-il une femme. Or, son histoire au cours des 150 dernières années donne une tout autre idée du pays et des attentes de ses citoyens. De la fin du Second Empire aux débuts de la V° République, soit quatre-vingt-cinq ans, la France n'a connu réellement que trois moments où en effet elle eut un Homme Providentiel à sa tête pour une durée totale de huit ans et six mois, à quoi on peut à la rigueur ajouter les débuts de la V° République même si c'est douteux, disons, dix ans d'Homme Providentiel. Depuis les réels débuts de la V° en novembre 1962, avec la réforme instituant l'élection du président de la République, aucun scrutin n'a donné lieu au choix d'un Homme Providentiel : la toute première, où Charles de Gaulle se présenta, fut une grande déception pour lui, il fut mis en ballotage alors que quelques semaines seulement avant le premier tour on le donnait à plus de 60%, et il descendit si vite dans lesdits sondages qu'il en vint, contre son intention initiale, à faire campagne à la toute fin pour enrayer la descente (pour mémoire, le résultat réel fut, pour les trois premiers, de Gaulle à 44,65%, Mitterrand à 31,72% et Lecanuet à 15,57%, à se demander si, sans Lecanuet, de Gaulle n'aurait pas terminé second au premier tour...). Les autres scrutins de la V° n'ont vu aucun candidat passer au premier tour et sauf peut-être en 1981 le candidat élu ne figura jamais comme Homme Providentiel. On peut même dire qu'au moins quatre fois, en 1974, 1988, 2002 et 2012, le candidat élu fut un choix par défaut, plutôt lui que l'autre...
Considérant les périodes Homme Providentiel, celles certaines, les quatre fois la cause en fut une situation critique, les deux premières à l'occasion d'une guerre internationale, la troisième lors d'un conflit mixte, partie guerre internationale, partie guerre civile, la quatrième lors d'une crise interne qui fit craindre une guerre civile. Sur ces quatre cas, un seul correspond réellement à une situation Homme Providentiel, le premier, le gouvernement de Georges Clémenceau, même si le suivant en eut au départ le caractère formel avec les pleins pouvoirs dévolus au maréchal Pétain, mais il se révéla n'être pas cet Homme providentiel que l'on attendait. Les deux cas suivants sont équivoques. D'un sens de Gaulle figure assez bien l'Homme Providentiel en 1944 mais son accession au pouvoir (comme chef du gouvernement et non comme président de la République) n'eut rien de la réponse à une attente du peuple, il y vint en tant que chef de file du gouvernement provisoire mis en place pendant la Libération et prolongé un peu après ; moins de deux ans après il quittait le pouvoir et la politique parce que le peuple avait désigné une Assemblée constituante qui n'avait pas du tout les mêmes vues que lui quant à ce que devait être une République démocratique. En 1958, bien que là encore sa désignation n'eut rien d'une réponse à l'attente du peuple, il apparut cependant assez proche de l'Homme Providentiel, même si ça ressembla beaucoup, pour son malheur, au cas Pétain avec dévolution des pleins pouvoirs pour préparer et soumettre au peuple une nouvelle Constitution, avec la différence qu'il le fit bien sûr, et qu'en outre il remplit l'office initial qui motiva son élection, remettre de l'ordre.
Le cas Pétain sort du lot, il resta au pouvoir grâce aux circonstances et surtout, grâce au soutien d'une puissance étrangère, l'abandonna à cause des circonstances, on ne peut donc pas vraiment déterminer s'il fut ou non un Homme Providentiel pour le peuple, néanmoins c'est douteux, spécialement après décembre 1942, comme déjà dit. Je crois que Clémenceau, comme tout bon chef de guerre, apparut bien tel et je crois aussi que ce fut le cas pour de Gaulle en 1958, où on était au bord de la guerre civile. La guerre ça se termine un jour, et un chef du gouvernement ou de l'État qui fait un bon chef de guerre ne fait pas nécessairement un bon chef de paix. En janvier 1920 Clémenceau n'était plus tout frais (79 ans) mais aspirait cependant à la « législature suprême », ce que ses anciens alliés ne souhaitaient pas (après la guerre, l'Union nationale tombe vite dans l'oubli), et il renonça. On peut comparer son cas à celui de Churchill, remercié lui aussi un peu plus d'an après la fin de la guerre (je veux dire, la fin des hostilités touchant directement son pays, son mandat s'acheva quelques mois seulement après l'armistice de 1945. Il revint au pouvoir en 1951 mais, sans vouloir blesser sa mémoire, plus comme vieille gloire que comme réel chef du gouvernement, d'autant qu'à mi-mandat il se trouva fort diminué et plus très actif, suite à un AVC).
Le cas de Gaulle est singulier. En 1944 son accession au pouvoir est donc liée à sa position prééminente dans la coalition qui mit en place le gouvernement provisoire mais une fois les choses à-peu-près réglées, soit comme après la première guerre mondiale environ un an après la fin de la guerre en France (comme pour la Grande-Bretagne, elle précède l'armistice de quelques mois) les choses reviennent à la normale et il devient encombrant, pour le peuple comme pour les élus : les Grands Hommes, on les adore au Panthéon et on les admire dans leur Tour d'Ivoire, on les apprécie parfois en position de pouvoir mais pas trop longtemps. À son retour providentiel (pour lui...) en 1958, il y eut beaucoup de doutes, on craignait, surtout à gauche et au centre, le retour d'un militaire à la tête du gouvernement, d'autant qu'il avait lié son acceptation au fait de se voir concéder le pleins pouvoirs, et la fois précédente, en 1940, ça n'avait pas été une grande réussite... On peut dire que, grâce à ses talents réels dans de telles circonstances, une période troublée qui requérait des capacités de réaction et d'action rapides, il apparut assez providentiel, au point que tout ce qu'il soumit au peuple fut accepté jusqu'à la fin de 1962. Retour à la normale. Prestige intact mais figure moins clairement Homme Providentiel. Première élection au suffrage universel direct avec mise en ballotage imprévue, et par la suite beaucoup moins de réussite jusqu'à la période délicate qui va de mai 1968 à avril 1969 où il subit quelques revers jusqu'à celui final du référendum perdu alors qu'il avait mis en jeu son maintien au pouvoir. Bref, quand on leur donne le choix et quand la situation ne le requiert pas, les Français ne semblent pas spécialement à la recherche d'un Homme Providentiel, surtout quand il l'ont sous la main.
Ceci pour expliquer pourquoi, depuis au moins le second mandat de Mitterrand, la fameuse « cote de popularité » du président élu chute assez vite : depuis lors, les seuls candidats qui semblent n'avoir pas été un choix par défaut furent ceux du second tour de la présidentielle de 2007, sauf en 2012 tous les candidats du second tour des autres scrutins recueillirent moins du quart des suffrages exprimés et, en 2012, leurs niveaux sont un peu illusoires car les deux candidats n'ont pas vraiment de concurrence dans leur propre camp, Mélenchon et Bayrou sont trop à gauche ou trop au centre dans le contexte d'alors, d'où leur niveau assez bas. Les médiateurs nous bassinent ces jours-ci avec « la configuration inédite » de quatre candidats susceptibles de figurer au second tour parce qu'ils sont dans la boucle, pour eux, c'est une « configuration inédite » relativement aux non informations des boucles antérieures. Je veux dire : ils ne mettent pas la configuration telle que donnée par les éléments de la boucle en rapport aux précédents scrutins mais en rapport aux autres configurations données par la boucle. En 2002 il y eut trois candidats en position de se qualifier au second tour mais la boucle a systématiquement sous-évalué l'un d'eux ; en 1995 il y en eut aussi trois et un quatrième pas loin mais la boucle a surévalué deux d'entre eux et sous-évalué les deux suivants. Vu de la boucle c'est inédit d'avoir un second tour non prédictible, vu de la réalité la boucle n'est pas bonne en matière de prédiction ; vu de la réalité les sondages sont peu fiables mais sont des indicateurs utiles, vu de la boucle il y a le discours sur leur non fiabilité vite corrigé par le fait que pour valider et « mettre en perspective » la prédiction actuelle les médiateurs se réfèrent à la boucle plutôt qu'à la réalité.
On peut entendre ça comme un discours sur le cas de quatre candidats dans un intervalle qui les met en position de figurer au second tour, pour moi je l'entends comme un propos sur un second tour imprédictible en soi. Les médiateurs n'ont plus l'habitude, depuis 1988, d'une situation où le résultat d'un premier tour est imprévisible en tant que non information (pour rappel, les résultats de 2002 étaient prévisibles en tant que non information : Chirac et Jospin au second tour, Jospin président). C'est un problème. Parce que les médias ont leurs candidats27. Et que certains de ceux susceptibles de passer au second tour ne sont pas leurs candidats. Et que dans un cas précis, aucun des candidats présents au second tour ne fera partie de ceux qui ont leur préférence. Ou plus exactement, aucun des candidats présents au second tour et susceptibles de l'emporter ne font partie de leur liste préférentielle. Pour être clair, si par hasard on a un second tour opposant Le Pen à Mélenchon, l'élection de Mélenchon sera problématique. Pas irrémédiable mais problématique.
Nul ne l'ignore, Marine Le Pen sera présente au second tour de l'élection présidentielle de 2017. C'est inscrit dans les astres, euh ! Pardon, dans les sondages depuis toujours. Ou presque : les tous premiers sondages de 2013, le candidat socialiste (à l'époque « le candidat naturel », Hollande) était devant elle ou à égalité mais ça changea assez vite. De tous les candidats supposés seule Marine Le Pen est constamment donnée comme présente au second tour de fin avril 2013 à aujourd'hui, et depuis 2014, quel que soit le scénario de premier tour envisagé, jamais elle n'est estimée à moins de 25% avant le 21 mars 2017. Pour un média, Marine Le Pen est un candidat confortable, sa présence assurée au second tour a de nombreuses vertus, ça permet d'agiter la peur, le « risque du Front national » (ou en langue de boucle « un nouveau 21 avril »), certes inexistant (je veux dire, le risque, ni en fait le « nouveau 21 avril » puisque ça ne serait pas une surprise 28 mais peu importe, la non information se nourrit de non commentaires et de fausses anticipations ; ça permet de ne pas se soucier, malgré le discours sur la peur, du résultat du second tour puisque quel qu'il soit le candidat qui lui sera opposé l'emportera, enfin ça permet de mettre en place tranquillement « le meilleur candidat » quand il sera identifié : si c'est une personne attractive, tant mieux ; si c'est une personne au goût des médias et de bonne réputation c'est bien aussi ; sinon, c'est bien de toute façon, il y aura toujours un candidat qui fait l'affaire des médias et qui est susceptible de passer le premier tour.
D'une certaine manière Macron a été fabriqué mais pas nécessairement comme l'imaginent les complotistes sincères (ceux qui croient réellement que tout ce qu'ils ne comprennent pas et qui ne va pas dans leur sens est le fruit d'un complot). Il est possible que ce soit une fabrication au sens strict, que certaines personnes en situation de contribuer à la création d'un candidat se soient dites, tiens, il est bien ce petit Macron, il pense comme il faut, il est présentable et en plus il plaît, malgré sa politique, on devrai lui demander si ça ne le tenterait pas de briguer la présidence de la République ? C'est possible mais ça n'a pas d'importance car ce n'est pas nécessaire, si même il décida de lui-même en voyant précisément combien il était haut dans les sondages sur la popularité des politiciens alors même qu'il contribuait de près à une politique impopulaire, dès lors qu'il entra dans le circuit et à mon avis un peu avant, il a trouvé tous les financements nécessaires pour monter sa com', et en outre il y a toujours un candidat média-compatible susceptible passer au second tour, donc pas de nécessité d'en inventer un.
Je me rappelle des premières interventions publiques de Macron : très mauvais. Je ne parle pas de sa période ministérielle, là c'était la catastrophe, il avait certes la fraîcheur de la sincérité mais quand on fait de la politique on "vite de parler au peuple comme quand on travaille dans les hautes sphères de chez Rothschild ou du ministère des finances, avec une condescendance bienveillante teintée de mépris. Sa maladresse initiale est la raison même qui me fait penser qu'il s'agit d'une candidature spontanée, visiblement il n'avait alors pas encore été pris en main par des conseillers en communication compétents. À noter que la boucle médiatique est très efficace, je suppose que, comme moi, vous avez le sentiment que sa cote comme bon candidat est assez ancienne, or elle ne s'établit à un niveau de « second-tourable » qu'en janvier 2017, et chez un seul institut, et en 2016, après une entrée fracassante en janvier (19% à 22% selon le scénario) il connaît plusieurs éclipses et une cote très variable quand évalué, de 12% à 26% selon le moment et le scénario retenu (il a quand même été « second-tourable » en avril pour pratiquement disparaître jusqu'en septembre et ne connaître qu'une lente et erratique progression jusqu'en janvier 2017). La montée de Macron est consécutive à la chute du premier préféré des médias, Alain Juppé (il y en eut aussi à... disons, à gauche, mais jamais vraiment soutenus rapport au fait que dans le schéma prédictif de la boucle, la majorité sortante sera sortie...) et surtout, à la brusque descente de Fillon après l'apparition de la boucle « Penelopegate » ou, selon les cas, « Fillongate ».
À remarquer qu'il n'y a pas eu de principe de vase communicant, la régression de Fillon n'a pas immédiatement, et pas considérablement, profité à Macron, au moment de son plus haut, quand il était assuré, selon la boucle, de figurer au second tour et même pendant un moment (de la dernière semaine de novembre 2016 à l première de janvier 2017) en première position, Macron a d'abord stagné, sa plus forte progression est consécutive à la primaire socialiste, et il ne gagne que deux ou trois points d'intentions de vote au moment où Fillon en perd cinq à huit (et encore, seulement pour l'institut qui le donnait déjà plus haut que les autres, chez qui la progression ultime de Macron a lieu un peu plus tard). Au départ la seule raison pour laquelle il est donné comme un des deux candidats de second tour n'est pas due à sa progression mais à la très forte régression de Fillon. Si elle est réelle (entendons-nous, réelle en tant que donnée de sondage, pour le reste je n'en sais rien) sa progression est somme toute mineure sinon pendant une quinzaine de jours où certains instituts le donnent à plus de 27%, la plupart le donnant plutôt entre 25% et 26%, voire moins. Avant il ne figure que rarement parmi les touristes en second, après il régresse en intentions de vote.
Macron est à l'évidence une construction des médias, un « bon client » comme on dit (en fait ce que les médias désignent ainsi serait mieux nommé « bonne marchandise »), un tellement bon client qu'il attire beaucoup la presse people et se prête complaisamment à tout, y compris donc aux sollicitations de Voici ou de Gala. C'est typiquement une candidature basée sur la communication. Non que ce ne soit le cas des autres candidats mais pour eux il s'agit de communication au service d'un projet, aussi peu pertinent puisse-t-il sembler ; celle de Macron en vise un seul selon toute apparence, poser ses fesses sur le trône. Je vous conseille son article sur Wikipédia pour voir que ce n'est pas exactement le plus doué des êtres humains, ni le plus fiable (pour être méchant, je me dis qu'un gars qui se fait pousser par plusieurs pontes pour intégrer la banque Rothschild et qui après deux ans se voit obligé de retourner dans son administration n'est peut-être pas si compétent qu'il le prétend en matières économiques, et qui se fait prendre la main dans le sac à jouer double jeu lors d'une simple opération de conseil, pas trop fin stratège...). Une construction médiatique précisément pour ça : le manque de curiosité des médiateurs pour sa réelle personnalité et ses compétences prouvées.
François Fillon n'a pas tort en ce qui concerne une chose, le fait qu'il a été l'objet de ce que l'on peut nommer un acharnement des médias à son encontre. Il a bien sûr tort en disant que c'est un plan concerté conçu et dirigé depuis un « cabinet noir de l'Élysée ». Le principe général de ce genre d'objet médiatique est plus simple, une personnalité politique éminente qui n'a pas ou n'a plus l'agrément des médias, si une « affaire » sort, le mécanisme normal du scoop se met en place, qui crée une boucle que toute information ou non information apparemment liée à « l'affaire » sera reprise, disséquée, commentée, mise en perspective avec les autres. Fillon n'a jamais trop été apprécié des médias, passé sa toute première médiatisation quand il fut le plus jeune député d'opposition. Après ça, son côté pète-sec et son attitude tranchante ne lui permit jamais de réaliser un projet pourtant ancien, et qui finalement lui échut récemment, être le candidat de son parti pour l'élection présidentielle. Il eut son « moment de grâce » juste après la primaire de droite parce que les médias aiment les surprises et les success stories et là c'était parfait, les sondages ont commencé très en amont, dès juin 2014, de ce moment au mitan de la campagne officielle il n'a été donné que deux fois à 15% ou plus, sur toute la série il n'a été donné que trois fois en position de figurer au second tour, dans les trois derniers sondages, mais en position faible (les trois les mieux classés alentour de 30%). Et il est choisi avec une avance écrasante, l'un des deux favoris des sondages, et des médias, figurant huit points en-dessous du deuxième qui figure lui-même plus de 15 points en-dessous de Fillon. Loin que les médiateurs se soient mis à l'aimer, par contre c'était une configuration formidable pour permettre les discours les plus exaltés sur « la surprise »
Ça n'a pas duré mais, je le concède, principalement à cause de Fillon : ça n'est pas la même chose de se faire élire député dans une circonscription où un âne (je parle de l'animal, non de l'humain ainsi nommé) avec un brassard UMP serait élu au premier tour, ou d'occuper une place éminente dans un parti ou un gouvernement parce qu'on est un bon apparatchik, et de participer à la présidentielle, dans ce dernier cas il faut savoir composer avec les médias. Il n'a pas su. Ce n'est pas un problème en soi, ça le devient quand on n'a pas toujours eu des pratiques très rigoureuses ou claires durant sa carrière politique. Je ne sais pas si ces pratiques furent délictueuses, du moins elles ne furent pas très probes ce qui est suffisant pour nourrir une boucle médiatique dépréciative. L'exemple de Fillon permet par contraste de comprendre comment un Macron (ou un Hamon, qui n'est pas si clairement le « frondeur » quasi-gauchiste qu'on présente dans les médias) peut ne pas se voir reprocher les casseroles qu'il traîne, pourtant nombreuses, et comment cela ne ressort pas strictement du complot.
Une boucle médiatique se nourrit pour l'essentiel d'éléments disponibles dans la boucle même, la grande majorité des médiateurs se contentant de chercher ses informations, ses nouvelles et ses données dans un autre média ou chez un fournisseur (agence de presse, institut de sondage) voire dans une source qui n'est pas réputée fiable, et dans tous les cas ils les vérifient rarement. Pour Macron comme pour tout candidat supposé pouvoir figurer au second tour de l'élection à venir, immanquablement des nouvelles ou des informations qui lui sont défavorables vont entrer dans la boucle. L'incidence de ces éléments sur sa campagne dépendra surtout de la manière dont les médiateurs les traiteront. Clairement, dans le cas Fillon ils vont être maintenus assez longtemps dans la boucle, répétés souvent, très commentés, et les médiateurs tendront, sinon à douter, du moins à ne pas prendre pour argent comptant ses explications et justifications. Pour Macron c'est l'exact opposé, ces éléments auront une durée limitée dans la boucle, seront peu commentés, et les accepter aveuglément, du moins les médiateurs n'exprimeront pas trop de doutes sur ses explications et justifications. Si les médiateurs ne participent pas réellement à un complot, mais par leur conditionnement quant à l'attitude adaptée selon qu'on traite d'un bon ou d'un mauvais client, ça y ressemble. Je ne crois pas que le groupe de pouvoir en France et ses affidés ait eu jamais le désir de voir Fillon hors jeu29, je crois même le contraire, comme dit implicitement en note ça me semble plutôt la conséquence d'une « querre des chefs » au sein de son parti. Quoi qu'il en soit, dès lors que la machine à dessouder du Fillon se mit en place elle devait conduire à une boucle contre lui, vu le peu de goût des médiateurs pour ce client là, alors que l'attractivité de Macron ne permet pas la création durable d'une telle boucle.
Prenez ce fait indéniable relevé dans Wikipédia30 : « Enseignante [...] au lycée jésuite La Providence, à Amiens, Brigitte Auzière y anime aussi un atelier de théâtre, où se produit en 1993 Emmanuel Macron, alors âgé de quinze ans [...]. Celui-ci, de vingt-quatre ans son cadet, tombe bientôt éperdument amoureux d'elle. Malgré l'opposition de ses parents et le scandale qu'il provoque dans la famille de Brigitte, leur idylle se poursuit plus discrètement à Paris où il est parti suivre sa terminale ». Dans la France de 1969 une telle affaire?, rendue publique, vous conduit devant les tribunaux et vous accule au suicide ; dans celle de 1993, beaucoup plus laxiste, elle provoque la réprobation, sans plus ; dans celle de 2017, tout autant nourrie à la moraline que celle de 1969, elle devrait susciter l'opprobre et mettre sinon Emmanuel, du moins Brigitte devant le tribunal de l'opinion (soit dit en passant, en 1993 elle aurait censément du l'amener au minimum devant le tribunal correctionnel puisqu'il s'agit d'un des cas où la relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 à 18 ans est illicite). Vous avez déjà entendu des médiateurs soulever ce sujet délicat ? Moi non plus. Le favori des médias a cette vertu de ne pas autoriser les questions qui fâchent réellement. Pour avoir vu ou connu quelques cas de ce genre, j'ai mon opinion là-dessus mais peu importe31, par cotre je trouve intéressant que les médiateurs, si souvent prompts à soupçonner l'abus sur mineur (en général inexactement nommé « détournement de mineur ») et d'accord avec l'idée d'un allongement de la durée avant prescription pour ces infractions (certains étaient même d'accord avec la proposition récente qu'il n'y ait plus de prescription en la matière), n'aient rien dit de tel sur ce cas précis et réel.