Le centre de la France n'est pas loin de la petite ville où je réside actuellement. Trois ou quatre communes limitrophes les unes des autres le revendiquent, il est donc dans le coin, à quinze ou vingt kilomètres de ma ville. La France a une particularité, ce centre géographique est “naturel”. Manière de dire : la France est une entité culturelle, son état actuel n'a rien de naturel au sens strict, elle a un autre centre, décalé d'environ deux cent kilomètres au nord de son centre géographique, à la fois centre politique, culturel, administratif et économique, sa capitale, Paris, et des nœuds périphériques importants, souvent assez ou très près des frontières maritimes ou terrestres, même si certains nœuds en sont assez ou très distants, comme Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Tours, Limoges, Orléans. Et bien sûr comme certaines communes d'Île-de-France mais elles participent de la conurbation parisienne. Si quelques parties du territoire métropolitain, surtout à l'est, sont d'intégration assez ou très récente (Alsace, Savoie, Comtat Venaissin pour l'essentiel), ça n'a guère modifié le centre géographique, qui depuis le XVI° siècle a peu varié, voir la carte ci-dessous, reprise du site http://www.cartesfrance.fr/histoire/ , qui montre la faible évolution entre 1552 et 1798, année où à peu de choses près le territoire métropolitain actuel est constitué :

Évolution du territoire métropolitain de la France, 1552-1798 (source, http://www.cartesfrance.fr/histoire/).


Depuis le XVI° siècle, le centre de la France est le Berry. Et depuis 1798, sauf bien sûr durant deux périodes, de 1871 à 1918 puis de 1940 à 1944, il se situe vers Vesdun ou vers Bruère-Allichamps, deux communes à une vingtaine de kilomètres de de la ville d'où j'écris ceci. Il y a peu j'ai été, par hasard, dans une commune proche, Pruniers, sur une route où j'ai vu, entre 15h et 18h, un jour de semaine (un mardi), passer chaque minute en moyenne six à huit poids-lourds, donc plus de 3,5 tonnes de poids total en charge et, pour la France, un poids maximal de 44 tonnes. En majorité c'était le genre à pouvoir peser jusqu'à 27 tonnes, et rares étaient ceux qui devaient peser moins que 15 tonnes en poids total. Je ne les ai pas comptés, simplement, dans les deux sens il n'y avait guère plus de trente secondes, en moyenne, entre deux poids-lourds, et plus d'une fois j'en ai vu deux, trois ou quatre à la queue-leu-leu. Ce n'est pas très exact mais ça donne une idée, disons sept à la minute, cela pendant 2h30, soit et pour une seule route au moins mille poids-lourds, cela sur une route secondaire (dans le coin il y a certes quelques anciennes nationales mais toutes les voies traversant ma petite ville ont toujours été des départementales). Comme il y a trois axes importants qui la traversent, ça donne une idée de la quantité de camions qu'on voit passer chaque jour. Cela parce qu'elle se trouve au centre, au carrefour. Les nationales proches, pourtant de petites nationales, l'une d'orientation est-ouest, l'autre nord-sud, voient un trafic au minimum triple, lequel n'est rien comparé au trafic d'une autoroute à environ 25 km. Ce sont pour l'essentiel des transitaires, le Berry n'est pas une province attractive.

Peu importe que mon petit Liré soit le centre ou le trou du cul du monde, comme tout lieu il est un peu les deux, importe qu'il soit une petite ville, presque un village désormais – eh ! Nos campagnes se dépeuplent... – traversé par des voies assez secondaires, et que chaque jour des milliers de camions de fort tonnage le traversent. Beaucoup le font sans la moindre nécessité fonctionnelle. Je suis le genre de gars qui aime bien discuter, comme là où je réside il y a un parking assez large qui permet même aux plus grands véhicules de pouvoir stationner, il m'arrive régulièrement de parler avec les conducteurs, et j'apprends que très souvent ce qu'ils transportent sur des distances parfois très importantes, du genre Grenoble à Dunkerque et inversement ou Lyon à Rennes et inversement, n'a rien de particulier, qu'on trouvera les mêmes denrées sur place ou juste à côté. Quelle logique y a-t-il à transporter des dizaines de tonnes de foin breton en Rhône-Alpes, de foin rhône-alpin en Bretagne ? De convoyer des bovins d'Auvergne vers les abattoirs de la Région Centre et réciproquement ? Du lait pyrénéen dans des fromageries berrichonnes et réciproquement ? Même si pour moi ça ne se justifie pas réellement1, du moins je puis comprendre qu'on transporte des biens produits en tel lieu, la Chine par exemple, parce que d'un coût très inférieur à celui d'un produit local équivalent, ou en tel lieu, la France par exemple, parce que d'une qualité particulière liée au terroir ou à des savoir-faire particuliers. Mais quand deux denrées sont à tout point de vue strictement les mêmes, pourquoi les déplacer du point A vers le point B et du point B vers le point A ?

Je sais bien quelles sont les raisons supposément économiques de ces déplacements inutiles, là n'est pas la question, ce qui me pose problème est le coût social lié à ces trafics.


1. J'en parle plus précisément dans d'autres pages, du moins dirai-je ici que je ne confonds jamais ce qui ressort du réel ou du vrai : la vérité est contingente, la réalité intangible. On peut justifier vraiment certaines pratiques sans que ça puisse réellement l'être. Ressort de la vérité ce qui répond à une logique sociale, laquelle ne converge pas toujours avec la logique effective, celle de la réalité.