Dans plusieurs textes je parle de “supposé réchauffement climatique”, non que je ne croie qu'une telle chose ait lieu mais tant le terme que l'usage qu'on en fait sont faux, le terme parce que restrictif, on devrait parler de changement climatique dont le réchauffement est une des composantes, l'usage parce que rhétorique, contrairement à “changement”, assez neutre voire positif (dans une “société de l'innovation” qui serait contre le changement ?), “réchauffement” est inquiétant – l'enfer sur Terre ? J'ai quelque réticence envers tout ce qui réduit ou gauchit la description de la réalité, ça fausse le discours et le faux, sauf à visée ludique, artistique ou poétique, n'est pas souhaitable. De l'autre bord il arrive, dans certaines circonstances et pour un temps aussi bref que possible, que le faux ait son intérêt, notamment quand on doit agir contre un autre faux.

J'ai récemment rédigé un texte qu'on peut dire “aussi vrai que possible” – je ne détiens pas de vérité mais du moins j'essaie tant que possible de m'en approcher – sous le titre « Le numéro que vous avez demandé n'est pas attribué ». Précédemment et sur le même sujet j'ai rédigé un texte faux car rhétorique, car mon but était d'inciter à l'action. Entre autres éléments rhétoriques, “le réchauffement climatique”. Pour moi, indiquer qu'il y a discordance entre une pratique et un engagement suffit à disqualifier la pratique et à vouloir la faire cesser, ou changer les termes de l'engagement de manière que les deux parties soient égales, que celle à qui l'on destine le résultat de la pratique ne soit pas abusée par une fausse promesse. C'est bel et bien, reste ceci : un nombre significatif de mes semblables n'est pas très sensible à ce genre de discours, et a besoin d'une incitation d'ordre sentimental ou émotionnel pour entreprendre d'agir. La crainte et la peur sont des moteurs efficaces. Mais ce sont aussi de bons instruments pour dissuader d'agir.


Dans plusieurs textes je développe ou je fais référence à une modélisation de la société en tant que « jeu du chat et de la souris ». Mon but général mais jusqu'ici non explicite dans cette modélisation est de mettre en évidence ce qu'on peut nommer comportement de classe ou de caste non comme comportement réel mais comme représentation. Dans cette modélisation, outre quelques classes ou castes périphériques je dessine deux grands ensembles, “carnivores” et “muridés” : les premiers se déclinent en “chats” et “chiens”, les seconds en “souris” et “rats”. Le but de ce modèle est de mettre en avant un aspect assez évident dans ce que je nomme les sociétés larges, celles comptant trop de membres pour pouvoir former un ensemble de pairs ou chacun connaît chacun, une double séparation, horizontale ou territoriale entre groupes similaires, et verticale ou hiérarchique entre groupes différents. J'utilise tantôt les termes de classes, tantôt celles de castes, sans trop les singulariser. On peut dire que la classe réfère à la structure même d'une société et a une base fonctionnelle, tandis que la caste réfère à son organisation et a une base symbolique. On peut aussi dire que d'un point de vue formel les deux se valent, la différence venant de ce qu'un individu n'est censément pas attaché à une classe particulière, alors qu'il est attaché nativement à une caste.

Bien sûr les choses ne sont pas si simples, dans les sociétés actuelles qualifiées de démocraties et qui le sont réellement, pour l'essentiel celles qui ont été vers cette forme il y a deux siècles ou plus (autant que je le comprenne, les toutes premières apparaissent au XV° siècle mais c'est surtout à partir du XVII° siècle et plus encore du XVIII° qu'elles se mettent plus nettement en place) et dont la structure s'est à-peu-près pérennisée après la deuxième guerre mondiale, la structure formelle est celle d'une société de classes, mais les organisations antérieures étaient formellement en castes, et il en reste quelque chose, qui induit une tendance à figer les positions sociales. Quant aux sociétés imparfaitement ou pas du tout démocratiques elles en sont souvent à une situation qu'on voyait dans beaucoup des démocraties actuelles avant la deuxième guerre mondiale ou avant la première, avec une assez grande difficulté à stabiliser la structure. En général j'hésite à user de ce terme mais en ce cas il s'applique assez bien, l'organisation en castes est une tendance naturelle, une tendance inscrite en tout être vivant de chercher à être “au-dessus”, qui induit l'inégalité entre individus et la tentative de ceux ayant acquis des positions “au-dessus” à au moins s'y maintenir, si possible se hausser. Naturel pour une raison élémentaire, tout être vivant est un prédateur et vit en trouvant ses ressources dans son environnement, à quoi s'ajoute que les êtres vivants dits hétérotrophes, incapables de synthétiser les molécules de base leur permettant de vivre par photosynthèse (il y a un équivalent un peu différent chez certaines espèces des grands fonds ne disposant pas d'assez de lumière pour faire de la photosynthèse, mais le principe est le même), qu'ils dépendent d'autres êtres vivants pour leur maintien en vie, y compris comme ressource directe, qu'aliment, pour les “herbivores” et les “carnivores” – les consommateurs d'êtres non animaux ou animaux.

Plus les espèces dépendent d'autres êtres vivants, plus leurs individus tendront à se placer “au-dessus” – entre guillemets en ce sens qu'il ne s'agit pas de position spatiale, ou pas nécessairement – à tout point de vue, au-dessus des autres espèces et au-dessus des autres représentants de leur espèce. En même temps, chaque être vivant a nécessité à être aussi “à égalité” et “en-dessous”, vivre est une combinaison changeante et complexe de moments ou de contextes ou un individu sera tantôt proie, tantôt prédateur, tantôt partenaire d'autres individus, et sera le plus souvent un peu des trois en proportion variable. Je décris là le processus bien connu nommé écosystème, un processus homéostatique adaptable, l'ensemble ne cherche pas un point d'équilibre fixe mais un point variable dépendant des ressources dont dispose le système et des dépenses qu'il peut et doit faire. Certaines espèces, que l'on peut proprement nommer sociales, ont une capacité plus ou moins étendue de créer un écosystème autonome, d'organiser leur territoire de manière à “optimiser la gestion des ressources” ou un truc du genre. Pour y parvenir la méthode générale est la même chez toutes ces espèces, les individus sont spécialisés et hiérarchisés, la proportion de ressources allouée à chacun dépendant à la fois de sa fonction et de sa position dans la hiérarchie. En revanche il y a une grande variété de mise en œuvre de cette méthode, depuis les insectes sociaux où chaque individu a une fonction et une position fixes même si (cas des abeilles par exemple) elles peuvent évoluer pour partie en fonction de l'âge ou des besoins, jusqu'aux humains où il y a indépendance entre fonction et position, et où les individus sont très mobiles. Ou du moins, c'est une des possibilités, qui ne se réalise pas toujours et qui, dans les sociétés larges, ne peuvent se réaliser que partiellement, certaines fonctions plus spécialisées requièrent un niveau de compétence que ne peuvent mobiliser que certains individus.

D'évidence, la spécialisation n'a pas lieu que dans les sociétés larges, d'autant quand le niveau technique progresse vers une plus grande complexité, mais dans une société restreinte ça n'est pas sans risques, on y apprécie peu les individus se singularisant dans des domaines qui ne sont pas accessibles à tous, on les déprécie ou, pire pour eux, on les craint ; si ces sentiments ne sont pas absents des sociétés larges ils y sont le plus souvent atténués. La plus grande différence est l'apparition de “spécialistes non spécialisés”, de personnes qui ont une position stable éminente sans lien à une compétence particulière. La cause de ces situations vient de ce que dit, dans une société la part de ressources allouées à chacun est déterminée par sa position. Toutes les sociétés inventent des procédures censées éviter qu'un tel cas se produise, en obligeant les détenteurs de grandes ressources à les redistribuer (potlatch, aumône), en annulant les dettes, et les obligations liées, à date fixe (jubilé), en établissant un impôt progressif per capita, “par tête”, en faisant tourner les charges entre groupes territoriaux, entre clans, tribus, circonscriptions (démocraties et républiques antiques) ou entre personnes (démocraties et républiques contemporaines), etc. Et toutes les sociétés larges finissent par s'user et par ne plus appliquer avec rigueur leurs procédures.

Les “chats” de mon modèle sont les personnes ou groupes qui occupent les positions les plus éminentes et mobilisent la plus grande part de ressources par tête, de purs carnivores qui comme tels consomment mille “unités de ressource” là où les “souris” en consomme une, les “chiens” en consommant cent, les “rats” dix. Ce qui correspond en gros à ce qu'on peut voir dans une société, une “classe haute” très réduite qui monopolise une part non négligeable des ressources, une classe “moyenne haute” très en-dessous de la première et très au-dessus des autres, une “classe moyenne basse” et une large “classe basse”. Il y a peu, m'intéressant à l'écart en France entre revenu médian (qui sépare les 50% “les plus riches” et “les moins riches” d'une population) et revenu moyen (revenu total divisé par le nombre d'unités, en ce cas les ménages), que je supposais important, j'ai pu constater qu'il l'est : du simple au double. Dit autrement, la moitié des ménages français a un revenu inférieur ou égal à la moitié du revenu moyen. Ce n'est pas un problème en soi, il y a des raisons structurelles, organisationnelles et fonctionnelles à cette répartition. Ça en devient un dans une société de caste, où on appartient à son groupe de sa naissance à sa mort : le temps passant, la plus haute classe thésaurise, accumule des ressources et les redistribue très peu, sinon au sein même de sa classe. Il en va de même dans les autres classes, hormis le transfert de la part globale de ressources allant automatiquement à chaque classe (le modèle de répartition étant celui de l'entreprise industrielle ou commerciale, chacun contribue à-peu-près au même niveau à la “création de richesse” mais ne reçoit pas la même part de plus-value selon son statut dans l'entreprise), la mobilité ascendante entre classes ou castes étant très faible, et dans les sociétés de castes presque nulle, c'est au sein même des classes que se crée une hiérarchie.


Le réchauffement climatique là-dedans ? De longue date il y a une grande difficulté à rétablir une circulation équitable des ressources sociales quand une société connaît depuis un assez long moment une organisation statique et une mobilité hiérarchique faible. C'est lié aux raisons profondes de cette répartition inégale des ressources : les groupes qui en reçoivent le plus sont ceux qui contrôlent la communication, laquelle a un coût élevé. Du fait même de ce contrôle, dans une société à mobilité hiérarchique réduite les classes y ont un accès d'autant plus faible qu'elles sont basses dans la hiérarchie. Or, la communication est le moyen pour chacun de s'enrichir sur tous les plans, y compris matériel. Pour remédier aux réductions de mobilité, la seule manière est une égalisation de l'accès aux moyens de communication, moyens physiques – voies et véhicules – et moyens symboliques – les médias et la culture. L'inégale répartition des ressources est moins une cause qu'une conséquence de cette inégalité d'accès. Mais il y a plusieurs manières d'y parvenir. Le plus efficace à court et moyen terme est la violence, guerres internes ou externes, révolutions, mais elle porte en elle les germes d'un retour somme toute rapide et souvent aussi ou encore plus violent des inégalités, on ne résout pas durablement la violence par la violence. L'autre voie est ce qu'on peut nommer le dessillement. Le thème du réchauffement climatique a cette vertu, bien plus efficace de ce point de vue que celui de la raréfaction des ressources qui a un gros défaut, ou plutôt deux, la “rareté des ressources” est le moyen même qu'utilisent les opposants à la mobilité sociale pour maintenir le plus efficacement leur contrôle des communications, puis, il sera toujours plus facile d'augmenter les dépenses en énergie que de les réduire : les ressources énergétiques se raréfient ? Cherchons-en d'autres ! L'intérêt du “réchauffement” est de pointer là où est le problème, l'excès de dépenses énergétiques. L'argument est un peu spécieux et trop restreint mais aisément compréhensible pour qui réfléchit au monde et à son devenir en termes de causes et d'effets.


Ne pas apprécier les faux arguments n'a rien de moral, sinon dans les cas où l'on utilise de faux arguments pour une fausse fin. Je vais reprendre une comparaison inventée récemment qui me semble à même d'expliquer mon point de vue : utiliser un niveau de maçon “un peu” faux pour faire ses mesures donnera un calcul “un peu” faux et un résultat entièrement faux. Se servir d'arguments “un peu” faux donnera nécessairement un résultat faussé. Et bien sûr, plus l'argumentaire sera faux, plus le résultat obtenu sera autre que celui qu'on dit viser. En ce qui concerne le changement climatique je dirai qu'il y a trois discours assez différents – sans compter bien sûr les discours dubitatifs ou négationnistes. Le premier est celui des spécialistes du domaine qui ont mis en évidence le phénomène il y a déjà longtemps, ici on a un discours technique et scientifique qui part des données et propose des modèles d'évolution du changement tenant compte de nombreux paramètres. Complexe, prudent, peu attractif – ce fut d'ailleurs un élément de propagande des “climato-sceptiques” non scientifiques (et même de certains scientifiques) qui mettaient en avant les divergences entre chercheurs pour donner à croire qu'il n'avaient pas de certitudes, donc que c'était probablement faux. Le second est celui qui utilise cette notion de réchauffement climatique, que je discuterai plus loin, le troisième est celui “apocalyptique”, l'effondrement habillé de vague technicité en inventant une “science” anglo-latine, la “collapsologie”, contreproductif s'il s'agit réellement d'inciter les contemporains à réduire leur empreinte écologique : quand on exagère le risque on ne peut que susciter le découragement, donc l'inaction. Cela dit, certains de ces prophètes du pire ont lisiblement pour but ce découragement, considérant leurs propositions, qui sont d'ordre technologique et assez fantasmatiques. Un truc du genre, la technique nous a fichu dans la mouise ? Utilisons la technique en plus gros pour résoudre le problème.