Voyez comme son les choses, depuis que j'entends parler de Jean-Jacques Rousseau, et bien, je ne l'ai guère lu, et ce que j'en ai lu est la plus mauvaises part, Les Promenades du rêveur solitaire ou Les Rêveries du promeneur solitaire, je ne sais plus trop, enfin bref une de ses œuvres tardives, probablement la dernière ante mortem ou la première post mortem. Le problème principal de nombre de ce qu'on peut nommer des génies est qu'ils sont aux limites de la folie et tantôt d'une bord, tantôt de l'autre. Pour des raisons diverses, propres à la personne ou contextuelles ou les deux, arrive presque toujours un moment où ces génies s'éloignent des limites mais d'un bord ou de l'autre, “se normalisent” ou “sombrent dans la folie”. Quand on lit ses proses tardives on ne peut que constater que Rousseau à quitté ces limites mais non pour se normaliser. Du fait, lire son œuvre par la fin est un mauvais début, il ne fit pas partie de ces personnes qui, passé le gros de leur œuvre, synthétisent leur pensée, et pour lesquelles il est intéressant de commencer par la fin, mais de celles qui, à un moment, ont fait la rupture avec leur œuvre pour aller vers d'autres chemins. Or, si l'on lit ses premiers textes de réflexion ils apparaissent assez clairs et sensés. Par exemple, Du Contrat social ou Principes du Droit politique. Dans son chapitre 2, intitulé « Des premières sociétés », il dit en gros la même chose que ma phrase d'introduction :
La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. Encore les enfants ne restent-ils liés au père qu'aussi longtemps qu'ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l'obéissance qu'ils devaient au père, le père exempt des soins qu'il devait aux enfants, rentrent tous également dans l'indépendance. S'ils continuent de rester unis ce n'est plus naturellement, c'est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention.
Je ne suis pas entièrement d'accord avec la formulation et les principes mais du moins je suis d'accord sur ceci, passé le moment où un individu acquiert son autonomie, le fait de rester dans un groupe est un choix. Pas nécessairement libre ni délibéré, mais un choix. Il n'y a pas de société naturelle et tout lien social repose sur un contrat, et chez les humains s'il est parfois implicite il est le plus souvent explicite même si non vu comme un contrat.
Il faut s'entendre : à un niveau élémentaire il est dans la nature des êtres sociaux de vivre en société mais ils ont toujours l'opportunité de reprendre leur autonomie, ce qui a un coût. Il m'arrive de présenter les sociétés comme des sortes d'organismes, on peut aussi voir la chose à l'inverse, un organisme est une sorte de société et même, une sorte de fédération, une société de sociétés. J'en discute par ailleurs, les individus poursuivent deux buts, persévérer en son être, se maintenir en vie le plus longtemps possible, et persévérer en son essence, se reproduire. D'un sens, un organisme est un compromis entre ces deux buts.
Sauf certains types de cellules, les « globules » et autres cellules relativement autonomes, leur durée de vie dans le cadre d'un organisme est bien plus longue que chez les unicellulaires mais leur capacité de reproduction est assez ou très limitée. Les cellules libres ont donc une plus grande autonomie que les cellules non libres mais une durée de vie courte, quelques jours, en revanche elles se reproduisent ou sont produites à un bien plus grand rythme que les autres cellules. Je discute aussi de cela par ailleurs, il y a un rapport direct entre degré d'autonomie et degré de préservation ou de reproduction : plus on se préserve, moins on est autonome, plus on est autonome, plus on peut se reproduire. J'en parlais aussi, même si, comme moi, l'on n'est pas un fervent de la téléologie on peut tout de même déterminer un “sens de la vie” par le constat que son évolution indique une tendance à inventer des formes qui, au niveau de l'individu, ou de son groupe pour les espèces sociales, tendent à augmenter à la fois préservation et autonomie : sauf donc pour certaines fonctions les cellules d'un organisme sacrifient une large part de leur autonomie, qu'elles délèguent à l'organisme entier, lequel augmente à la fois son autonomie et sa préservation.
De la cellule à la société : “innéisation” de l'acquis.
L'évolution n'est pas un phénomène si simple qu'on l'a longtemps présenté une fois le rôle du patrimoine génétique mis en évidence, l'idée étant que les causes sont conditionnées mais intrinsèques. l'amélioration drastique, ces derniers lustres, des méthodes d'investigation du vivant à un niveau intracellulaire et moléculaire a permis de comprendre mieux comment cela se passe, notamment on avec deux phénomènes intéressants, les mutations interspécifiques et la transmission des caractères acquis.
On sait de longue date que selon les règnes et les espèces, la spéciation n'est pas un phénomène si évident. Chez les unicellulaires, tant les eucaryotes que les procaryotes, et bien sûr les virus, les échanges de gènes entre individus censément d'espèces différentes n'est pas une chose rare ; de même, chez les organismes, dans les règnes autres qu'animaux et même, si moindrement, chez ceux-ci, les échanges de gènes et les croisements entre individus d'espèces différentes adviennent. L'exemple de croisements forcées entre espèces différentes mais proches, entre ânes et chevaux ou entre tigres et lions par exemple, montre que la « barrière entre espèces » n'est pas si étanche et infranchissable. Bien plus intéressant, on s'est aperçu ces derniers lustres qu'une partie du patrimoine génétique des eucaryotes est, peut-on dire, parasitaire ou symbiotique, par exemple le type de viviparité propre aux espèces placentaires est induit par l'intégration dans leurs gènes du patrimoine génétique d'un virus