J'ai abordé le sujet des gilets jaunes plusieurs fois ces temps-ci selon divers points de vue, tous justes même quand plutôt inexacts et tous faux, car dire la vérité sur ce que l'on ne connaît pas est tâche impossible. Ce qui n'a aucune importance : je suis un être très singulier, membre d'une des rares espèces dont tous les membres sont des semblables et membres d'une des encore plus rares espèces dont les membres ont la claire conscience de partager ce que l'on peut nommer un esprit, de “respirer de la même respiration”. C'est symbolique mais en même temps c'est effectif, primitivement cet esprit circulait entre humains par le souffle, ce que l'on nomme aussi la parole. Depuis — et cela à date assez ancienne — nous avons transposé cette spécificité, par des systèmes de signes d'abord via moyens matériels (dessin, sculpture, écriture...) puis plus tard via des moyens immatériels, énergétiques peut-on dire, donc plus proches fonctionnellement de la manière originelle. Avec un défaut, ces transpositions sont imparfaites et on y perd une part importante de ce que porte l'esprit. C'est que, d'abord la parole n'est qu'un des aspects du moyen, puis toute transposition est une réduction et une transformation de ce moyen. Comme le disait un penseur intéressant, Marshall McLuhan, « le moyen est le message ».
Le supposé mouvement des gilets jaunes a une origine douteuse et une revendication initiale qui ne l'est pas moins mais se fédère peu à peu sur une tout autre base, échappant aux assez maladroites tentatives de simplification et de récupération, y compris mes tentatives de simplification. Raison pourquoi j'y reviens plusieurs fois en variant les points de vue pour tenter d'en restituer toute la complexité. Jusqu'ici j'ai surtout relevé les aspects liés aux discours médiatiques, ici je m'intéresserai à l'insertion de ce supposé mouvement des gilets jaunes dans le mouvement général de la société. Comme le disait je ne sais plus qui sur ma radio (France Culture, comme toujours), les révolutions débutent presque toujours avec des revendications de type catégoriel concernant un groupe restreint du corps social, mais leur consolidation et leur développement découle de la conjonction des revendications, qui donnent lieu à des débats où émerge ce qui rapproche plutôt que ce qui divise. Le supposé mouvement des gilets jaunes est de cet ordre, il se transforme et suscite le débat pour tendre vers un réel mouvement, qui sera autre chose. Ou qui ne débouchera sur rien, c'est aussi possible.
Ce qui me ramène à ma première proposition, quoi que fasse un membre de la société, ce qu'il fait est bon pour la société, y compris s'il agit contre la société. Le devenir du supposé mouvement des gilets jaunes dépend de la volonté première du corps social : s'il décide de changer son mouvement, ce mouvement changera, s'il décide de ne pas le changer, le supposé mouvement des gilets jaunes s'éteindra au lieu de s'étendre, dans les deux cas ça profitera à la société sans nécessairement profiter à la majorité de ses membres.