En toute société il y a trois pouvoirs et au moins deux contrepouvoirs. Les noms actuels des pouvoirs on les connaît, le législatif, l'exécutif, le judiciaire : le premier fixe les règles, le second les effectue ou les contrôle, le troisième les sanctionne. Les deux contrepouvoirs, on peut les nommer l'opinion et, pour reprendre sa formulation dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la résistance à l'oppression. Ils sont doublement des contrepouvoirs, les trois pouvoirs reposent sur eux et le cas échéant ils s'opposent aux pouvoirs quand ceux-ci dévient de leur fonction.
La déclaration citée va nous permettre de comprendre comment ces pouvoirs et contrepouvoirs s'articulent :
Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.
Article 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
Article 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.
Article 5 - La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.
Article 6 - La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ces yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Article 7 - Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant; il se rend coupable par la résistance.
Article 8 - La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
Article 9 - Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Article 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.
Article 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
Article 12 - La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.
Article 13 - Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.
Article 14 - Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.
Article 15 - La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
Article 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.
Pour mémoire, les articles introductif et conclusif, qui ne sont pas des droits humains très évidents, le premier est une déclaration générale, le dernier placé là par raccroc :
Article premier - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
[...]
Article 17 - La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.
La langue s'use, pour un contemporain, “association politique” peut apparaître un équivalent de “parti politique”, or les partis sont d'invention ultérieure, ils se mettent en place au long du XIX° siècle et pour la France par exemple, restent longtemps des cercles de réflexion plus que des organisations politiques, ce n'est qu'après la première guerre mondiale qu'un peu partout les partis deviennent dans de nombreux pays des structures par lesquelles on doit passer pour accéder à des fonctions électives, et seulement après la seconde que ça devient une quasi nécessité, en 1789 “association politique” est l'équivalent de “société” dans son acception actuelle.
Excursus : usure de la langue.
Les mots s'usent, ils changent de sens avec le temps, et ce temps peut être court, il y a peu “très” ne valait jamais “trop”, et “trop” ne s'employait que rarement de manière intransitive sinon dans quelques expressions figées, en peu de temps l'usage de “trop” au sens de “très” ou de “beaucoup” et non plus au sens de “excessivement” s'est diffusé, régulièrement je dis à ma jeune nièce, « Bon ben si c'est trop bien je t'en donne moins » ou équivalent, et tout de suite elle corrige en « C'est très bien » — c'est mon truc pour corriger ce que je perçois comme incorrect, non pas affirmer “on dit” ou “on ne dit pas” mais indiquer plaisamment, « quand tu t'adresses à moi, emploie “très” pour “beaucoup” et “trop” pour “à l'excès” ». Fut un temps, quand mon neveu qui à l'époque avait à-peu-près le même âge que celui actuel de ma nièce, employait des termes malséants, j'avais l'habitude de lui dire, non pas « Ça ne se dit pas » puisque ça se dit, mais des trucs du genre, « Ça tu peux le dire avec tes copains dans la cour de récré mais pas quand tu me parles », il me semble plus pertinent et plus efficace d'apprendre aux enfants à bien distinguer les contextes que de leur assener de fausses vérités, comme de prétendre que ce qui à l'évidence peut se dire ne se dit pas.
Les mots s'usent, d'où l'intérêt de les replacer en contexte : en 1789, “association politique” équivaut à “société” dans son emploi actuel et non à “parti politique”, le savoir permet d'éviter les fausses interprétations ; de même, à l'époque “nature” ne s'oppose pas à “culture”, les “droits naturels” sont plutôt ceux qu'on dirait aujourd'hui “culturels” car en 1789 comme aujourd'hui un droit est nécessairement culturel, ce sont proprement les droits sans lesquels une société ne peut fonctionner harmonieusement, les acceptions actuelles de “nature” et “culture” sont largement influencées par leur emploi en allemand ou en anglais, qui par le biais de la philosophie, notamment la philosophie politique, se sont importés en français au cours du XIX° siècle. Une lecture, disons, correcte, de l'article premier serait donc quelque chose comme, « Le but de toute société est la conservation des droits fondamentaux et imprescriptibles des humains. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». Au passage, “sûreté”, vient qu'étymologiquement lié, ne signifie pas dans ce contexte “sécurité” en son acception actuelle, il s'agit de la sûreté dans ses droits, ce que l'article 2 commente ainsi, « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ».
Fin de l'excursus.
Passons, sinon pour dire qu'il faut un certain effort pour lire cette déclaration en ce qu'elle dit en son temps et non en ce qu'elle semble dire en le nôtre. Je vous y invite.
Quel rapport avec l'écologie punitive ? Et bien, la loi sanctionne, et le juge, tantôt déclare qu'il y a non-lieu, que la loi ne s'applique pas en la circonstance, tantôt récompense et tantôt punit, l'écologie dit punitive est plutôt sanctionnante, elle punit qui l'enfreint, récompense qui la respecte, ne s'occupe pas de ce qui ne la concerne pas. Pour exemple, le code de la route : il établit des règles et, selon qu'on les respecte ou non, récompense ou punit. Est qu'on doit se passer de code de la route parce que “punitif” ? Ces derniers temps, certains semblent le croire, mais je ne crois pas qu'ils forment le plus gros des citoyens et résidents en France, je ne crois pas que la majorité des utilisateurs des voies de circulation souhaitent revenir à un temps où le droit de la route était le droit du plus fort et qu'on supprime les panneaux et feux de signalisation. Donc, quand un idiot (ou une idiote) vous déclare être “contre l'écologie punitive”, demandez-lui si on doit aussi renoncer à toute législation “punitive” et cesser de sanctionner les autres infractions en tout domaine, histoire de lui faire prendre conscience de son idiotie.