De quoi peut-on parler ? En gros, de ce qu'on connaît ou croit connaître. Rares sont les auteurs de science-fiction très pointus en matière de sciences, donc ils parlent rarement de sciences, ou à partir des sciences, ou dans une approche d'ordre scientifique. Rares sont les auteurs imaginatifs, or la fiction requiert de l'être, donc en science-fiction comme en tout autre domaine de la littérature, rares sont les récits puissamment fictifs.
Ce que n'est pas la science-fiction.
Et bien, en premier ce n'est pas un genre. Il y a deux domaines de la littérature réputés “de genre” qui ne sont pas UN genre mais une multitude de genres, ou de non-genres, la science-fiction et le “polar”, la littérature policière. Il y a cependant une différence entre ces deux domaines, le polar se constitue pour l'essentiel de romans ou récits ressortant d'un genre dans ce domaine, tandis que la science-fiction s'articule comme une réduction de l'ensemble de la littérature. Même si on y trouve aussi d'autres formes, pour l'essentiel la littérature policière ressort du roman tandis que la science-fiction intègre la poésie, la littérature dramatique, la littérature mainstream, la littérature expérimentale, les essais, les pamphlets et libelles, la propagande, la littérature scientifique au double sens, celle qui produit de la science et celle qui a une approche littéraire étayée sur une ou des sciences, et bien sûr les textes “transgenre” ou hors genre sans être mainstream.
En second, du fait même de sa multiplicité la science-fiction ne peut que malaisément faire l'objet d'une étude transversale consistante, en gros on peut dire que toute étude de cette littérature qui partirait d'une hypothèse “genrée” ne peut qu'échouer si elle s'essaie à une synthèse du genre, puisque donc ce n'est pas un genre. Le mieux qu'on puisse dire est assez sommaire : ressort de la science-fiction à la fois tout ce qui se publie dans des revues et des collections “de science-fiction” et tout ce qui fait appel a des techniques que l'on peut immédiatement identifier comme étant “de science-fiction”. Pour exemple ce qu'on nomme parfois “politique-fiction”, qui n'est pas de la fiction politique à proprement parler mais de la littérature qu'on dira d'anticipation, dont le thème principal est ce qu'on nomme assez improprement “la politique” et qui place son contexte légèrement dans le futur, quelques mois à quelques décennies.
Ce qu'est la science-fiction.
Et bien, une littérature, voilà tout, et comme telle, la science-fiction parle de la réalité, car de quoi d'autre peut parler un écrivain ? Plus précisément, elle parle des réalités, celle de chaque auteur, son approche personnelle de la réalité, celles de ses divers groupes d'appartenance, celles définies par ses philosophies et idéologies, les réalités observées par les divers domaines de connaissance dont il se sert, dont scientifiques, techniques et artistiques, etc. J'ai l'habitude de le dire, de réalité il n'y en a qu'une, en revanche il y a une multiplicité de manières de la considérer et de la décrire, la première je la nomme la réalité réelle, les autres les réalités symboliques. Les humains se singularisant par une approche au filtre de leur lecture symbolique de la réalité, il y a ainsi cette diversité des réalités, toutes parcellaires et partielles, certaines (beaucoup trop même) partiales et très déconnectées de la réalité réelle.
S'il y a manières et manières de parler de la réalité, il n'y a en revanche pas beaucoup de manières de la comprendre, pour moi il y en a quatre principales et trois, quatre ou cinq, guère plus, qui en dérivent. Pour tout humain la réalité est double, “corps” et “esprit”, les quatre principales sont, dira-t-on, “complète”, “hémiplégique” et “totale”. Complète signifie qu'on tient compte des deux aspects et de ce qui les relie, hémiplégique, et bien, c'est ne tenir compte que d'un des aspects, la compréhension totale est plus délicate à définir, on peut décrire cela comme le fait de prendre en compte les deux aspects en les considérant non pas comme liés, reliés, mais comme fondus, “une même chose”.
J'ai l'habitude de dire que je ne crois pas en cette dichotomie corps-esprit, ce n'est pas que je la méconnais que le fait que je suis un incrédule définitif, je sais que ces deux aspects existent et je sais aussi qu'ils sont inséparables tant qu'on vit. Inséparables mais non pas confondus. L'esprit est, au niveau des humains et de leur société, la réalité symbolique, le corps ce qu'on peut nommer l'aspect matériel, l'espace social, les individus comme corps agissants, l'environnement, les ressources disponibles, les artéfacts, etc. L'esprit structure et dirige le corps, le corps supporte et diffuse l'esprit. L'approche totale consiste en la confusion de la réalité réelle et de la réalité symbolique, on ne fait pas de différence entre elles, c'est, peut-on dire, prendre indifféremment la carte pour le territoire ou le territoire pour la carte. Les réalités symboliques sont des simplifications de segments plus ou moins importants de la réalité observable ; tant qu'on ne les confond pas les choses vont, plus ou moins bien mais elles vont. Il vaut certes avoir de préférence une approche complète, ça forme un meilleur guide pour les prises de décision, mais même une approche hémiplégique n'est pas si dommageable, moins efficace certes mais acceptable en ce sens que vient toujours un moment où la réalité réelle amène à prendre en compte, bon gré mal gré, l'aspect qu'on néglige ou qu'on met au second plan. Le problème de l'approche totale est simple : dès lors qu'on ne fait pas de différence entre réalités réelle et symboliques, on appliquera indifféremment une solution “matérielle” à une question “immatérielle” comme une solution “immatérielle” à une question “matérielle”, mais on sera incapable de comprendre ce qui dysfonctionne. On estimera alors que la solution n'est pas de changer de méthode mais de faire “la même chose en plus gros”, ce qui accentuera nécessairement le problème.
Comme toute littérature la science-fiction propose des modèles de comportement. Ma préférence va bien sûr à ceux complets mais je ne déteste pas ceux hémiplégiques, d'autant quand leurs auteurs le font en toute conscience, en tant que moyens d'exploration de “l'esprit social” ou du “corps social”. J'ai en revanche une certaine détestation de ceux totaux parce qu'ils sont nocifs, ils proposent des modèles séduisants mais morbides ou mortifères, ils donnent une fausse vraisemblance à l'invraisemblable en le proposant comme “vrai”, comme réalisable.