La langue est par essence rhétorique, preuve en est cette séquence, « La langue est par essence rhétorique », sans même considérer le fait que le “vrai” sens est lui-même d'ordre rhétorique, du moins, en français de 2018 “langue” désigne un organe charnu situé dans la bouche, “essence” un liquide volatil et odorant, “rhétorique” est un composé autorisé par les modalités de la langue française à partir de formants issus du grec ancien (en gros le stock de mots disponibles dans cette langue vers le V° ou le IV° siècle avant notre ère dans la forme qu'ils avaient alors, forme modifiée et adaptée aux règles morphologiques et phonologiques du français tel que fixé au tournant des XVIII° et XIX° siècles), le premier formant, “rhétor-”, est lui-même composite et composé des formants “rhé-”, qui signifie originellement, du moins pour cette composition, quelque chose comme flot, flux, écoulement, et “-tor”, en forme francisée quand placé en fin de mot “-teur”, qui signifie quelque chose comme “artisan”, “artiste”, “maître de”, l'ensemble se paraphrasant comme on veut, “maître du flot”, “artiste de l'écoulement”, “artisan du flux”, etc., et le formant “-ique” qui signifiant quelque chose comme “technique” ou “pratique”, le tout pouvant se paraphraser de toutes les manières possibles à partir des possibles significations de chaque formant, l'interprétation courant et stabilisée de longue date (au moins depuis le temps où le mot, qui existait déjà en grec ancien, fut acclimaté en latin, vers le II° siècle avant notre ère je suppose, c'est-à-dire à l'époque où un nouvel art nécessita qu'on le nomme et que ce mot grec faisait l'affaire) est en gros “art de la maîtrise de la parole”, laquelle parole est ici considérée dans un de ses aspects, le flux verbal, disons, la personne qui a un talent certain pour segmenter le flux de la parole de manière à emporter l'adhésion.

Le dernier terme est intéressant à plusieurs titres. Les deux autres, “langue” et “essence” (qui, soit précisé, sont aussi analysables en formants mais si anciens et si modifiés qu'ils sont, en 2018, opaques, non discernables) ont aussi des extensions multiples mais du moins offrent l'avantage d'être, comme dit entre parenthèses, inanalysables, des “atomes” d'un seul formant, en API /lãg/, /esãs/, alors que dans rhétorique, /retorik/, les formants sont encore sensibles, d'abord parce que le mot ne se lie pas au stock “naturel” de la langue, surtout basé sur du gallo-latin tardif et du gotique ancien dans ses dialectes “franc”, “burgonde”, moindrement “ostrogoth” et “wisigoth”, plus d'autres bases mineures quoique non négligeables (grec ancien latinisé ou francisé, dialectes gallo-latino-gotique “anglais” et “allemand”, arabe classique, arabes dialectaux d'Afrique du Nord, dialectes berbères de l'Atlas et d'Algérie-Tunisie, les autres langues composant un stock non négligeable mais chacune étant très mineure, parfois de simples traces, un, deux, trois mots), que sa forme indique qu'il s'agit d'un mot “genre grec”, ensuite parce tous ses formants figurent dans d'autres mots, avec des valeurs équivalentes ou d'autres valeurs, dans “diarrhée” par exemple le formant “-rhée” équivaut au formant “rhé-” de “rhétorique” avec un sens équivalent, “flot”, “flux”, ici “flux du ventre” et non plus “flux de la bouche” – et ne parlons pas du formant “-ique” ou “-tique” (un peu différent en forme et en sens) qui entre dans un nombre fini mais grand et en tout cas instable de mots – il en naît et en meurt tous les jours ou presque, dès que quelqu'un veut signifier “technique de”, “pratique de”, en habillant cela d'un zeste de scientificité ou de, justement, technicité.

Le problème naît au moment où l'on se met à croire que le sens rhétorique (métonymie dans le cas de “langue”, métaphore dans le cas de “essence”, périphrase dans le cas de “rhétorique” même si en français de 2018 cette aspect périphrastique est peu lisible) n'est pas, que le mot employé est “réel”. Exemple, une personne ayant une certaine forme d'être au monde qui entre dans la catégorie fourre-tout “autisme” peut avoir de grandes difficultés à associer un même mot à plusieurs sens, de ce fait le premier sens rencontré sera celui “réel”, les autres seront “irréels” donc incompréhensibles, pour une telle personne “langue” ne peut pas signifier tantôt “parole”, tantôt “organe charnu”,c'est l'un ou l'autre absolument. Il n'est pas impossible, loin de là, de faire accéder ces personnes à la rhétorique de la langue mais pour elles ça sera toujours un effort. Si vous entendez parler une personne dont le mode d'être au monde est définissable “asperger” et dont l'accès à la rhétorique est vraiment très compliqué, vous constaterez qu'elle met un certain temps à répondre à un interlocuteur, non parce qu'elle aurait, comme on dit, “l'esprit lent”, mais parce que ça lui est une difficulté importante de convertir une pensée en flux verbal, en rhétorique, ces personnes ont l'esprit qu'elles ont, certaines l'ont vif, d'autres l'ont lent, toutes ont en commun d'avoir quelque difficulté à communiquer leurs pensées en paroles. Telle qui n'aura pas même la capacité de s'exprimer en parole verbale pourra parfaitement parler en langage gestuel parce que dans cette langue le verbe est exprimé dans l'espace et en volume et qu'elle peut “représenter sa pensée” dans une forme plus proche de ce qu'elle est au départ.

Tiens ben, moi je suis une sorte d'“asperger de l'écrit”, ça n'est pas exactement vrai mais du moins j'ai des difficultés à donner du sens aux mots écrits, pour moi ce sont des dessins et autant un texte m'est perceptible, autant chacun de ses éléments m'est hermétique. Disons, j'ai des procédés, chaque lettre est un point et chaque mot un trait, une phrase est pour moi une surface et un texte un volume, quand je lis je ne commence à “analyser” que quand un trait m'apparaît, puis j'assemble ces traits en surfaces qui donnent un élément de dessin plus ou moins significatif, une séquence donnée formera un dessin significatif, peu à peu je vais empiler ces dessins, en éliminer les parties de peu de sens et à la fin j'aurai une sorte de sculpture, une “pensée”. Remarquez, nous autres humains sommes presque tous des “asperger de l'écrit”, mais beaucoup ne s'en aperçoivent pas.