J'affine mon histoire, et aussi l'Histoire, de la Mésopotamie comme lieu d'où tout part et où tout revient, cela par cycles, et par cycles chaque fois plus amples et plus brefs. Pour des détails concrets, je renvoie à certaines émissions récentes de Carbone 14, le dimanche soir 20h30 sur France Culture, notamment celle de ce 4 février 2018. Le constat initial évident est le fait que les humains se sont répandus dans le monde à partir de l'Afrique il y a longtemps, tel qu'on peut l'estimer désormais, il y a environ 500000 ans pour les plus récentes branches de l'espèce homo, celles qui vont résulter, il y a environ 60000 ans, en quelques sous-espèces qui pour certaines d'entre elles vont, au cours des environ 40.000 ans suivants, se rencontrer, se croiser et fusionner pour, il y a environ 20000 ans, constituer l'espèce actuelle et rapidement après (il y a environ 10000 ans) désormais seule espèce homo.
L'espèce actuelle est probablement déjà dominante en nombre d'individus au début de la période mais sur une zone restreinte, qui sera la même par la suite avec l'autre pôle, discuté dans une autre page, vers la Chine actuelle. Je nomme le pôle occidental Mésopotamie même si ça ne correspond pas strictement à la zone ainsi nommée aujourd'hui, c'est plutôt la zone dite Moyen-Orient, la Mésopotamie se trouvant en son centre et, selon les périodes, figurant le point de dispersion ou le point de convergence. C'est dans cette zone que démarra l'évolution néolithique d'il y a environ 12000 ans dans cette partie du monde, la Chine étant un autre foyer majeur. Comme le dit l'invité de l'émission citée, on ne peut parler de révolution, bien plutôt d'évolution, et en outre d'évolution lente et erratique, comme il le dit, arythmique. Après une phase longue de stabilisation et de faible expansion, environ 1000 ans, les inventeurs de cette évolution l'étendent vers le sud et le nord, moindrement vers l'est mais non vers l'ouest, l'Égypte, qui ne l'acclimatera que 2000 ans plus tard. Par des évolutions ultérieures à époque proto-historique et historique on peut comprendre la première phase comme un changement “inconscient”, non que ses acteurs n'aient pas conscience de faire ce qu'ils font mais ça doit leur apparaître plutôt comme “la même chose en plus gros”, ils sont chasseurs-pêcheurs-cueilleurs et modifient un peu leur environnement pour faciliter leur activité, et ce n'est qu'en cours de route qu'ils “réalisent”, qu'ils voient cela comme une autre manière d'être, non plus la cueillette mais l'agriculture, non plus la chasse mais la domestication et l'élevage.
Comme le dit, avec prudence, l'invité de Carbone 14 (je connais son nom et ne le donne sciemment pas ici), l'expansion différée vers l'ouest est assez probablement due au fait que les locaux, d'une part sont comme tout le monde, conservateurs, de l'autre ne voient pas l'intérêt d'adopter des méthodes qui compliquent l'existence alors que les ressources sont abondantes et aisément disponibles. Entre le moment de première expansion et l'extension la plus large dans cette zone, à 4.000 kilomètres vers l'est et l'ouest, il se passe 4000 ans, mais l'expansion n'est pas linéaire, un kilomètre par an sur la période mais plusieurs pauses dans la progression, parfois très longues. Écoutant l'émission où l'invité est donc prudent, vous reconnaîtrez dans ces pauses des frontières encore présentes, des frontières culturelles ou civilisationnelles. J'en parle largement par ailleurs, les liens entre ensembles humains ont une double structure, que j'appelle toile et réseau, chacune a deux aspects, la toile a une infrastructure de type textile, trame et chaîne, une superstructure de type radial avec un centre principal relié à des centres secondaires en chaîne, de type toile d'araignée. On compare souvent le français et l'anglais on constatant que très souvent, là où le français dispose d'un mot (ici, toile) l'anglais en a deux (ici canvas et web). Il y a une raison simple à cela, l'anglais est un pont entre deux ensembles, “latin” et “germanique”, une part significative de l'ensemble latin ayant transité par le français. Pour des raisons explicables les mots latins s'appliquent souvent, pour le mot français correspondant, à l'aspect statique du concept, le mot germanique à son aspect dynamique on le voit bien avec les mots qui désignent les animaux domestiques, le mot français désigne l'animal mort, sa viande, celui germanique l'animal vif, par exemple bœuf est beef pour la viande, ox pour l'animal, mouton est mutton pour la viande, sheep pour l'animal. La raison ? Langue du maître, langue de l'esclave.
Même l'Histoire des vaincus est faite par les vainqueurs.
On peut supposer que cela commence bien avant mais du moins, on peut à-peu-près tracer cela depuis les premières évolutions de type néolithique. Il y a certainement d'autres points de départ mais du moins, le plus ancien est celui mésopotamien, celui un peu plus récent qui aura par la suite une importance équivalente est en Extrême-Orient, du côté de la Chine, les autres principaux foyers (Afrique subsaharienne, sous-continent indien, Amériques centrale et australe) auront et ont encore un rôle non négligeable mais secondaire en ce sens que, par les circonstances de l'Histoire, les pôles extrêmes du continent eurasiatique intégreront en partie ces civilisations mais les pôles eurasiatiques imposeront une large part de leur fonds culturel au reste du monde, et l'un à l'autre de manière variée. Toujours est-il, lorsque deux bassins culturels, y compris du même bassin civilisationnel, se rencontrent et à cette occasion se confrontent, celui des deux qui prend l'ascendant sur l'autre, même quand c'est sur une période brève, va modifier fortement la culture de celui mis en infériorité — lequel va bien sûr modifier en retour celle de l'ascendant, moindrement au départ, après, et bien, ça dépend des circonstances et aussi, du point de vue. Quoi qu'il en soit, l'Histoire de ces dominés sera doublement transformée à l'instant même de leur domination, alors que celle des dominants le sera avec délai.
La rupture que crée la domination oblige le dominé à chercher les sources de son abaissement, de sa défaite, dans le passé, et sa solution dans le futur. De ce fait, selon l'explication dominante, source chez soi ou chez l'adversaire, la forme de la solution variera même si elle s'appuie dans tous les cas sur les modèles sociaux des deux ensembles : si l'explication de la cause interne domine on mettra de l'autre en soi, si c'est la cause externe on mettra du soi en l'autre. Le titre de cette partie ne dit donc pas, comme le peut faire croire une lecture rapide, que les vainqueurs écrivent l'Histoire des vaincus à leur manière et les forcent à l'accepter et à la diffuser, mais que les vaincus bâtissent leur “roman national” à l'aune de cette défaite, on ne se croit jamais auteur de sa propre défaite ici et maintenant, raison pourquoi on en cherche les responsables dans le passé. La réponse dépendra de qui sera vainqueur, l'agresseur ou l'agressé, et de la manière dont le vainqueur se comportera. Il y a plusieurs possibilités :
- L'agresseur est vaincu et le vainqueur
- impose la structure politique, ou
- laisse le vaincu décider de cette structure, ou
- annexe le vaincu, ou
- détruit toute structure politique ;
- L'agressé est vaincu et le vainqueur
- impose la structure politique, ou
- laisse le vaincu décider de cette structure, ou
- annexe le vaincu, ou
- détruit toute structure politique ;
- Aucun adversaire n'est vainqueur.
Le dernier cas est possible mais non effectif en ce sens qu'une fin de conflit sans vainqueur revient pour l'agresseur à une défaite et pour l'agressé à une “paix armée”, manière de dire un motif de se doter des moyens de pouvoir le vaincre en cas de nouveau conflit. À cela on peut ajouter que la guerre est un jeu, un jeu cruel, où il doit nécessairement y avoir un vainqueur et un vaincu, et un jeu qui se joue rarement en une seule manche.
Le problème ancien, cause des tendances guerrières des humains, est leur mémoire. Non pas la mémoire des individus mais celle des groupes, des sociétés, et in fine de l'humanité. Si tous ne connaissent pas Marx, Bouddha, Jésus, Confucius, Lincoln, Gandhi, Abraham, Gilgamesh, Martin Luther, Martin Luther King, Mao Dzedong, Gengis Khan, du moins il n'est de société où une part de la population n'en ait entendu parlé, et certains ont une très large réputation, bien au-delà de leur bassin culturel ou civilisationnel. Quoi qu'il en soit, voici la chose, et elle est simple : lors de l'expansion universelle des humains, bien avant que l'espèce actuelle devienne seule représentante de cette branche, tous ont du passer par cette zone que je nomme ici Mésopotamie.