Si vous avez parcouru quelques pages de ce site vous aurez probablement lu dans l'une d'elles au moins que de mon point de vue les mots n'ont pas de sens. Étant un usager de la langue je ne doute pas de sa capacité à, disons, transmettre du sens, j'écris, vous lisez, nous nous comprenons. Plus ou moins complètement mais il y a de bonnes chances que l'intercompréhension entre nous soit assez correcte, à compétence linguistique comparable (en gros, un locuteur du français de niveau “équivalent natif” avec un niveau de maîtrise tel que supposé – mais non toujours avéré – pour un élève de troisième ou de seconde) et saufs cas particuliers, ce que vous comprendrez de ce texte correspondra en gros à ce que je souhaite exprimer. Bon. On en peut déduire que mon assertion, les mots n'ont pas de sens, est inexacte. J'illustre donc, pour que l'on me comprenne mieux. Soit la phrase

De mon point de vue les mots n'ont pas de sens


En français, le mot “sens” n'a pas un sens précis et stable, il est polysémique et prendra selon les contextes une acception variable, parfois peu décidable, l'ouïe, la vue, l'odorat son des sens, aller dans tel sens c'est aller dans telle direction, avoir du sens c'est avoir du jugement, le bon sens est... hem... en ce sens, le bon jugement, la capacité de juger de la bonne manière, le sens des mots c'est leur signification, etc. Sans compter les homonymes et homophones, à l'écrit il n'y a pas de différence entre les première et deuxième personne du singulier du verbe sentir au présent de l'indicatif et le substantif sens, à l'oral “cens” ne se distingue pas du substantif “sens”. De même, “point” et “vue” on diverses acceptions et le syntagme figé “point de vue” s'appliquant à autre chose que le point de vue qu'on peut avoir depuis un lieu d'observation de type panorama ou belvédère est difficile à relier aux diverses acceptions de “point” et de “vue” et correspond plutôt à “opinion” ou “conception” (en un sens abstrait, non au sens de “gestation”). Et bien sûr des mots comme “de”, “les”, “mon” et “ne pas” n'ont pas de sens propre, on peut en décrire l'usage (article, pronom, particule marquant la négation) mais ils ne prennent leur valeur d'usage que dans une phrase, “mon” n'a pas de sens en soi et signifie aussi bien pour vous que pour moi “ce qui est à moi ou que je m'attribue”. Bien sûr, lisant “mon” et attribuant alors l'énonciation du mot à moi vous comprendrez “ce que mon interlocuteur possède ou s'attribue”, ce qui montre bien que ce mot n'a effectivement pas de sens propre et n'en prend que par l'usage, “mon point de vue” dit ou écrit par moi n'est pas votre point de vue mais le mien, vous lisez effectivement “mon point de vue” mais vous comprenez “le point de vue de mon interlocuteur”.

Un cas que j'aime utiliser est celui du mot “chien” : si on demande à quelqu'un ce qu'il signifie, il dira probablement que ça désigne une race d'animaux, si on le pousse un peu il va développer plus ou moins, animal, mammifère, canidé, quadrupède, domestique, etc. Mais c'est aussi une pièce mobile de certaines armes à feu, un fenêtre d'une certaine forme, un membre des forces de police (sens vieilli, très courant au XIX° siècle), etc., et in fine n'importe quel humain dont on a une piètre opinion, ou un instrument de vengeance (en ce cas, un “chien de ma chienne”, expression qui ne rapporte à nul être animé, animal ou humain, ni à quelque autre réalité sensible). On peut en dire de même pour n'importe quel mot de n'importe quelle langue autre que ceux qui n'ont pas proprement de sens, comme “de” ou “mon” : on peut leur attribuer un sens dit dénotatif, celui qui désigne une certaine réalité, concrète ou abstraite, mais dans leur usage effectif leur sens se dégage du contexte d'énonciation et non d'un sens préalable, fixe et constant.

Génétique du langage.

À peine écrit le titre de cette partie, je me suis fait la réflexion que ça n'allait pas, dès qu'on use de comparaisons tirées des sciences de la nature ça réduit le discours, ça le rabat vers autre chose que ce qu'on veut vraiment exprimer. Ma réflexion initiale par de ce fait, les langues humaines participent du vivant et comme telles, répondent au même schéma que tout ce qui en participe : leurs parties élémentaires préexistent à la vie, leurs composés de base ont une fonction définie mais sans destination précise, ce n'est que l'assemblage de ces composés de base qui permet de déterminer une destination à l'ensemble, un sens, un lot de composés disposé de deux manières différentes aura deux destinations différentes, deux lots différents disposés de deux manières différentes peuvent avoir la même destination. Le titre de cette partie part d'une réflexion pour l'instant informulée que je me fis un peu plus tôt ce jour, qui est qu'on peut considérer une langue comme ayant une structure générale et une fonction assez similaires à celles des gènes : les parties élémentaires, molécules de base des gènes, sons des langues, existent en soi, des phénomènes physiques, naturels, la matière vibre, les atomes s'attirent et s'apparient ; le travail de la vie comme de la langue est de créer des formes qui sont des fonctions, elles puisent dans les structures disponibles, les assemblent, combinent, restructurent pour obtenir des ensembles qui permettront de remplir certaines fonctions dans un enchaînement d'actions, de réactions et de rétroactions, ce qui se traduit en retenir de l'énergie, transférer de l'énergie, dissiper de l'énergie.

La relative validité de la comparaison entre le langage et la génétique