Je me posais une question, au tournant d'un propos en rapport avec l'élection présidentielle française de 2017, question un peu rhétorique à dire vrai : la prestation de Marine Le Pen lors du supposé débat de second tour n'avait-elle pas pour but volontaire de couler sa candidature, de s'assurer définitivement de ne pas risquer de l'emporter ? Rapport au fait que tout au long de sa campagne elle avait très bien démontré sa capacité à ne pas se faire piéger et à paraître raisonnable, bref, à s'assurer de minimiser le risque de ne pas figurer au second tour. Sa dernière conférence de presse confirme mon impression : elle y est calme, pondérée, raisonnable, claire, posée, bref une gentille personne très présentable.
Comme je l'explique par ailleurs, contrairement à ce qui se racontait pendant cette campagne l'élection de Marine Le Pen ne faisait courir aucun risque au système actuel, les mouvements d'extrême-droite n'arrivent jamais au pouvoir par la tête, un chef d'État ça se contrôle très facilement. On nous faisait tout un tas de sketches sur les conséquences effarantes qu'une élection de Le Pen aurait sur la France, alors qu'une analyse raisonnée était que si cela arrivait, en quatre jours c'était réglé : lundi les députés décidaient d'une session extraordinaire, mardi ils votaient presque à l'unanimité une modification de la Constitution qui retirait l'essentiel de ses prérogatives au président, et prévoyait la possibilité d'une procédure de destitution, peut-être même (mais la je rêve...) la fin de l'élection directe du président, mercredi le Sénat votait le texte dans les mêmes termes, et l'Assemblée confirmait un peu plus tard, jeudi le Congrès se réunissait et votait la modification. Clairement, cette élection de Le Pen aurait même été profitable.
Je soupçonne Marine Le Pen de pas mal de choses, mais sans doute pas d'être une imbécile, je conseille donc aux commentateurs qui ont estimé que lors de ce supposé débat elle aurait supposément « montré son vrai visage », d'essayer plutôt d'élucider pourquoi, au contraire, elle a montré un faux visage ce jour-là, ça serait plus intéressant que de répéter sans fin les mêmes lieux communs. Non que j'aie quoi que ce soit contre les lieux communs, mais un peu d'originalité parfois ne nuit pas.
Petit complément. Il faut s'entendre, en une certaine façon Marine Le Pen a bien montré quelque chose qu'on pourrait nommer « son vrai visage » et pourtant ce ne l'était pas. Sauf rares cas, une personne publique n'a que des masques, mais il y en a toujours un qui la représente telle qu'elle souhaite qu'on l'identifie. Pour exemple, quelqu'un comme Gérard Depardieu apparaît comme un être complexe, subtil, fin, si on le considère dans sa totalité, puis il y a le personnage Gérard Depardieu, grossier, vulgaire, agressif qu'on voit le plus souvent, puis le personnage très différent qu'on entend pendant 2h30 dans À voix nue sur France Culture, et plus proche de l'être complexe de sa totalité, puis bien sûr l'acteur capable de toutes les métamorphoses. Y a-t-il un « vrai » Depardieu qui serait l'un de ces aspects, ou est-il tous ces aspects, ou seulement certains, les autres (hors films) étant des rôles ? Je ne sais pas, mais je sais du moins quel personnage il privilégie comme personne publique « grand public », on peut donc faire l'hypothèse que ce que Gérard Depardieu souhaite privilégier comme son « vrai visage » est cet aspect.
Pour Marine Le Pen on peut faire une inférence similaire : elle présente plusieurs aspects selon les circonstances, certes moins divers mais néanmoins contrastés, il se peut que l'un de ces aspects soit quelque chose comme sa « vraie personnalité », quelque chose de proche de la manière dont elle se représente pour elle-même (je veux dire : vous comme moi et comme n'importe qui avons une auto-représentation, qui peut ou non coïncider avec un des aspects que nous présentons à des tiers, variables selon les contextes), il se peut que non, que tous ses aspects de personne publique soient toujours des rôles. Quel que soit le cas, du moins va-t-elle, à l'instar d'un Depardieu, privilégier l'un de ces aspects dans le cadre de son activité principale de chef de parti, et de ce que j'en comprends, le visage qu'elle a montré lors du débat de second tour y correspond assez.
Cela posé, doit-on dire, en tant que commentateur médiatique, que c'est là « son vrai visage » ? Je crois que non. Je crois même qu'on doit précisément faire ce travail de montrer que Marine Le Pen ne montre jamais un « vrai visage », mettre en contraste la gentille dame posée qui fait son autocritique en annonçant se présenter aux législatives, la tribunicienne aux propos changeants selon le public auquel elle s'adresse, la débatteuse très acceptable d'avant le premier tour, enfin celle très inacceptable d'avant le second tour, et de poser cette question : y a-t-il une « vraie » Marine Le Pen ou n'avons-nous affaire qu'à une habile comédienne qui n'expose jamais son réel projet politique ?
Addendum au 17/08/2018. Me relisant plus d'un an après la rédaction de ce texte, je souhaite préciser ceci : selon ce que j'en comprends, Marine Le Pen pas plus que son père ne me semblent avoir ou avoir eu de réel projet politique au sens restreint, genre “prendre le pouvoir”, de ce que j'en comprends il s'agit avant tout pour eux de profiter d'aspects qui peuvent sembler secondaires dans le cadre du système électoral français, le fait qu'un parti peut constituer un « centre de profit ». De ce point de vue, ce qui pour un parti plus classique est un but, obtenir une position éminente dans les structures de pouvoir, apparaît pour des partis périphériques un problème, puisque que le rapport coût-bénéfice est inversé, un parti minoritaire mais significatif (en moyenne plus de 12,5% des votes exprimés) est un centre de profit, un parti “de gouvernement” est un centre de perte.