Ouais, je sais, prédire c'est toujours à l'avance. Pour le redire, ça réfère à une parole que l'on dira malheureuse, au moins imprudente et surtout malvenue pour un grammairien et amateur de littérature, Georges Pompidou, lors de ses derniers vœux présidentiels à la fin décembre 1973. Parlant de l'année à venir, il émit ce « Je puis vous prédire à l'avance ». Il ne pouvait en tout cas prédire à l'avance son décès, trois mois plus tard et bien avant la fin prévue de son mandat. Dans les pages de ce site j'ai fait quelques prédictions, en général à l'avance, sinon les prédictions deviendraient trop aisées, et comme tout bon oracle, je me suis planté au moins une fois sur deux – mais à la différence des oracles professionnels j'admets sans réticences ces impairs. Une prédiction, donc. À l'avance.

Ce jeudi 18 octobre 2018, à 22h20, je prédis que le dénommé Jamal Khashoggi, journaliste me dit-on et Séoudien me dit-on (en fait, on me dit “Saoudien” mais bon, je me tiens à la forme qu'on m'a apprise en mon jeune temps), euh... Et bien, je ne sais trop quoi prédire tant les options sont nombreuses... En tout cas, je peux prédire la chose la plus évidente, très vite apparaîtra que l'actuel dirigeant officieux de l'Arabie séoudite n'a pas commandé ou requis l'assassinant du dénommé Jamal Khashoggi, et notamment pas dans un bâtiment officiel sis dans un État avec lequel il a quelques problèmes diplomatiques. Même le plus idiot responsable politique, catégorie à laquelle ce dirigeant n'appartient pas, sait qu'un tel bâtiment est sous surveillance, même dans un “pays ami”, et probablement sous écoute. Je ne sais pas quels sont les éléments réels de toute cette histoire, si à mon avis Jamal Khashoggi n'est pas si certainement mort mais cette prédiction me paraît douteuse – remarquez, ce ne serait pas le premier journaliste qui ressusciterait cette année et ne ce serait pas le premier de l'année qui aurait suscité une levée de boucliers médiatiques et politiques (boucliers virtuels et tout de paroles) à partir d'une non information, d'une nouvelle invérifiable –, à coup sûr le dirigeant officieux séoudien n'aura rien à voir avec cette mort si elle est finalement avérée.

Je ne voudrais pas sembler désobligeant envers le nommé Jamal Khashoggi mais dans l'article anglophone de Wikipédia il apparaît tardivement comme critique du régime séoudien, précisément en juillet 2018, avant ça son départ d'Arabie séoudite semble plus être reliée à la purge anti-corruption où figure son principal employeur de l'époque, mais du mauvais côté de la purge. Quant aux articles le concernant dans d'autres langues, ils sont le plus souvent apparus après le 6 octobre 2018. Disons, un type un peu douteux et pas très notable, avec des amitiés curieuses – un “démocrate” et “libéral” qui, allez savoir pourquoi, a semble-t-il beaucoup d'accointances avec les milieux islamistes. Moi, la politique, plus ça va et moins je comprends... Enfin bref, je ne vois vraiment pas pourquoi le dirigeant même officieux d'un État du Moyen-Orient aurait nécessité à faire assassiner un plumitif qui écrit des articles dans un quotidien qui n'a qu'une audience confidentielle dans son pays. Cela dit, il se peut qu'on lui ait fait subir le sort atroce qu'on me dit, mais alors pour d'autres raisons que ses écrits dans le Washington Post.

Bref, et pour conclure cette prédiction, en ce 18 octobre à 23h23, je sens qu'on ne va pas tarder à entendre un tout autre son de cloche que celui actuel. Juste ceci à ajouter : une “information” provenant des services secrets turcs, et “confirmée” par un périodique turc pas vraiment d'opposition, acceptée par tous les médias occidentaux comme vraie sans pouvoir la vérifier ? Vous auriez cru ça possible le 2 octobre 2018 ? Moi non.


Reprise le 20 octobre 2018 à 11h40.
On peut bien sûr raconter une autre histoire sinon sur un point, l'assassinat sur ordre du dirigeant officieux d'Arabie séoudite : en 2018, sauf quelques rares États on ne procède plus aux assassinats ciblés hors territoire national, et même ceux qui s'y adonnent encore ne le font plus dans des bâtiments leur appartenant, la discrétion est désormais devenue un espoir encore plus vain qu'il y a ne serait-ce que deux décennies...

L'autre son de cloche a eu lieu mais on se trouve là dans un cas similaire au précédent, avec une seule source, celle de ce que mes médias nomment “les autorités séoudiennes” (toujours la même correction, ils me disent autre chose et parlent d'autorités saoudiennes), ce qui pose problème de nouveau car on ne sait pas trop ce qu'elles sont. On me raconte une chose assez douteuse à propos de ce pays, il serait aux mains d'un dictateur régnant sans partage et dirigeant tout d'une main de fer. Bon. D'accord. J'ai mon opinion sur les dictateurs : ils sont beaucoup plus responsables morts que vivants. Manière d'exprimer deux choses, soit qu'on ne les décrète dictateurs qu'à leur mort, soit que morts ils deviennent responsables uniques des exactions commises en leur nom. Je parle des dictateurs au sens contemporain, à-peu-près synonymes de tyrans, non des dictateurs antiques. Remarquez, le dictateur de la Rome antique était aussi bien plus responsable qu'il n'agissait mais c'était dans la fonction, un contrat avec la cité, si tu prends la fonction, le cas échéant tu prends la gloire comme l'infamie.2

L'Arabie Séoudite est une entité politique ordinaire, nulle personne n'y fait, n'y décide et n'y dirige tout, il y faut la participation active d'une forte minorité et le consentement d'une large majorité, ce n'est que dans les discours qu'il en va ainsi. Cela vaut au loin ou chez soi. Prenez par exemple le cas de notre dirigeant actuel (je ne sais pas dans quel pays vous vivez, donc prenez-le pour votre dirigeant, ça fonctionnera très bien), si on écoute ses opposants, les commentateurs ou les conversations de café du commerce, on croirait qu'il fait tout ce qu'on répute faire l'État, décide de tout et dirige tout, d'ailleurs il y a de fortes chances qu'on décrive notre dirigeant actuel ainsi hors-frontières, une sorte de dictateur tenant tout d'une main de fer, accomplissant toutes ses volontés sans freins ni retenue, sans contrôle et sans secours, maître des âmes et des corps. Bon. D'accord. Dans la réalité réelle ça ne se passe pas ainsi, personne n'agit seul pour réaliser une telle entreprise, quel qu'il soit, votre dirigeant s'appuie sur un groupe qui lui fournit les moyens de sa position, un groupe qui assure le contrôle de la population, et le consentement passif ou actif des autres groupes. Je ne fais là que répéter ce qui se sait et dit de longue date, très admirablement par Étienne de la Boétie dans « De la servitude volontaire ». Un peu à la serpe mais admirablement, constatant le consentement de tous au profit de quelques-uns et au nom d'un seul : le tyran ne trouve sa puissance que dans, non pas l'impuissance mais la puissance de tous. Par après bien d'autres, par d'autres moyens ou par les mêmes, ont redit cela. Prenons le cas du dirigeant officieux séoudien.

Qui est cet homme ? Personne, n'importe qui, le fils de sa mère mais surtout de son père, dans le contexte, un parmi dix frères et je ne sais combien de sœurs (pour information, quand on parle des membres de la famille Séoud il n'y a que des fils et des frères, on sait qu'il y a des mères parce que les frères et fils en sont issus mais on ne sait rien d'elles, et on ne sait pas s'il y a des sœurs et des filles, sauf parfois lors d'un scandale qui a trait aux comportements ou aux mœurs, généralement hors d'Arabie séoudite), un parmi deux mille et plus “princes”, tous sur la liste d'attente pour la succession du dirigeant officiel. Ce pays est structurellement comparable aux modèles sociaux les plus courants dans des temps pas si lointains, toujours présents sous les structures apparentes de beaucoup d'entités politiques actuelles, et qui tendent à se reconstituer d'autre manière mais avec les même fins dans des entités qui parviennent à les défaire pour les voir revenir un peu différentes : une « famille » gouverne, des « obligés » les soutiennent et les servent, une classe formelle de « clients » en dépend, une classe informelle de « non citoyens » leur est soumise. Que la “famille” le soit par le sang ou par l'affiliation (ce que le mot le dit bien, “se faire fils ou fille de”, affiliatio signifiait en latin “adoption”) elle forme bien un groupe endogène et endogame