Le rapprochement de ces termes, “canne” et “broche”, est aussi une manière de décrire les possibilités des deux méthodes. Ma plaisanterie sur la canne moins lourde réfère à une réalité, et multiple : en argot de théâtre “la canne” est “le canevas”, “la broche”, “la brochure”, donc “la canne” est plus légère, un thème peu développé, quelques indications de poursuites possibles, une ligne générale (tonalité, tempo, “accords”, “mélodie”), ça tient en une, deux, trois pages, “la broche” est plus lourde, elle comporte tout le texte à prononcer, souvent une note d'intention et des didascalies, et compte beaucoup ou énormément plus de pages. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients.
Un inconvénient de la canne est la “phase de préparation”, pour le comédien comme pour la pièce. Le comédien doit savoir improviser, et (hi hi !) improviser ne s'improvise pas. C'est assez proche de la musique improvisée, jazz ou maqâm pour les formes que je connais le mieux, on doit apprendre longtemps avant de savoir improviser d'une manière fluide, aisée et complexe, et savoir pallier à ses insuffisances les soirs où on est fatigué et moins efficace, savoir donner quelque chose de plaisant en accord avec les autres musiciens malgré ces insuffisances. Quelque chose de pas très brillant ni original mais de plaisant. Préparer une pièce à la canne requiert un équilibre délicat, répéter assez pour que les comédiens soient en accord mais assez peu pour que ça soit pas une routine, prévoir des “chevilles”, des départs de scènes assez fixes, qui seront la base d'une séquence improvisée, mais ne pas trop en prévoir, ni trop fixes, sinon ça tourne à la broche.
Le principal inconvénient de la broche est la mémorisation, là aussi il y a des techniques pour remédier aux possibles trous de mémoire mais bon, c'est un travail long et astreignant. Autre problème, elle est plus sensible à la fatigue des comédiens, comme presque tout est fixé et pour le texte, tout, si on n'est pas au rythme des autres l'ensemble s'en ressent, alors qu'avec la canne si l'un est moins en forme tel ou tel compensera en développant sa part d'improvisation. L'avantage principal de la canne est la réactivité, selon l'humeur des comédiens et des spectateurs ont peut, constatant que ça n'évolue pas comme espéré, changer l'orientation du moment pour l'adapter au contexte. Le principal avantage de la broche est qu'elle requiert moins de compétences, une bonne mémoire, une bonne technique vocale et gestuelle et une bonne compréhension des indications de jeu et voilà, pas besoin de savoir inventer ou s'adapter au contexte, le cadre crée ce contexte.
J'ai une bonne mémoire, une technique vocale acceptable et une bonne gestuelle, et s'il le faut je peux entendre et comprendre des indications de jeu précises mais pour mon compte je préfère de beaucoup la canne à la broche : quand on sait improviser correctement ça évite certes d'avoir à trop mémoriser, mais c'est pour moi, pour mon propre plaisir : quand j'improvise je me surprends souvent et la surprise, il n'y a rien de plus plaisant.
Vous le découvrirez en les parcourant, dans cette partie du site il y a principalement des cannes et deux ou trois broches (deux, il me semble). Eh ! Je pense à mes lecteurs, s'ils veulent se servir de ces textes autant qu'ils se fassent plaisir ! Et pour les amateurs de broches, et bien, dans les autres parties du site, spécialement la partie intitulée « Machins » (ou « Nouveau !!! », selon le qu'on en veut retenir), il y en a pas mal (pas mal en quantité, pour la qualité ça se discute...).
Ah oui ! La canne est une broche et la broche est une canne : une “canne” bien conçue fait une “broche” acceptable, par exemple le texte « Dr. Machin et Mr Truc » est construit comme une “broche”, il y a une note d'intention, des didascalies et un texte qu'on peut mémoriser et restituer tel que. En annexe il y a une “canne”, la version informelle qui m'a servi à imaginer une improvisation, j'ai été la tester en la racontant deux ou trois fois, les réactions de mes auditeurs m'ont montré les points faibles par leurs réactions et à chaque nouvelle improvisation les réactions étaient meilleures (je veux dire, meilleures selon l'axe choisi, “histoire drôle”), du coup j'ai pu, en revenant chez moi, construire et rédiger une “broche” acceptable et utilisable telle que. Mais cette “broche” reste une “canne”, pour moi je continuerai à improviser à partir du canevas en utilisant certains trucs sans utiliser la forme littérale, par exemple le truc du “running gag”, la répétition d'une même séquence à trois reprises, effet comique garanti, mais sans reprendre nécessairement la forme exacte de la version “broche”. Il en ressort qu'une “broche” fait aussi une “canne” acceptable quand elle n'est pas trop développée, si l'on peut utiliser la version “broche” telle que, un “canneur” peut n'en reprendre que le squelette et lui donner de la chair.
Pour terminer, une dernière précision : une canne est aussi une broche parce qu'avec plusieurs “cannes” on peut fabriquer une seule “broche”, exemple : l'ensemble des textes de cette partie-ci du site, titre, « Ringard » ou « Élucubrations » ou « Ce millénaire sera celui de Cléopâtre » (sous-titre, « Ce le semble – mais le précédent fut-il celui d'Antoine ? »), qui pour l'essentiel sont des “cannes”, peuvent constituer une “broche” si on les réunit dans l'ordre prévu par l'auteur (dans la liste telle qu'elle apparaît, du dernier au premier, et en tout cas du plus ancien au plus récent), ou dans l'ordre donné automatiquement par le logiciel, du premier au dernier ou du plus récent au plus ancien, ou dans l'ordre que privilégiera toute personne intéressée à les réunir en un ensemble. Ce n'est pas prémédité, cela dit, je n'ai pas rédigé ces textes en ayant l'idée d'un ensemble cohérent, mais comme je suis assez cohérent ce que j'écris a tendance à me ressembler. Et comme je suis assez brouillon, mes textes ont aussi tendance à me ressembler en cela mais ça tombe bien, les cannes sont aussi des brouillons...