Je n'y songe que de loin en loin mais du moins, je me rappelle sans regrets de l'époque assez lointaine où je volais, je tombais dans des puits sans fond et je traversais les miroirs, l'époque extraordinaire où je faisais de la télépathie, où je savais traverser les murs et être présent dans plusieurs lieux simultanément. San regrets mais avec nostalgie. Un jour, on m'a dit que c'étaient des rêves, de l'imagination, que ce n'était pas la réalité. Au début j'ai fait semblant d'y croire. Et quoi ! Je savais faire la différence entre le rêve et la réalité... Le temps passant et à force de me le faire dire, j'ai fini par y croire, et à un moment j'ai cessé de pouvoir accéder à l'autre réalité, celle dont on me disais que c'était du rêve. Mes parents qui étaient de bonnes personnes m'ont cependant permis de pouvoir la contempler par un petit trou, comme un trou de serrure ou un trou de souris, la littérature, plus spécialement les contes, la science fiction et les romans policiers – et la bande dessinée bien sûr. On pouvait aussi l'entrevoir parfois au cinéma ou, un peu plus et un peu mieux, à la radio. Les bonnes personnes ont une grande confiance dans leurs méthodes, mes parents savaient que si je pensais le mériter, le jour venu je pourrais librement accéder de nouveau à l'autre réalité, c'est-à-dire la vraie. Ça m'a pris du temps, je dirai, et bien, pas loin de soixante ans, mais ça n'est pas grave, mon accès partiel à la réalité réelle m'a permis de ne pas être trop trompé par la réalité irréelle et d'y agir presque aussi librement que dans la réalité réelle. Ce qui n'induit pas que tout alla pour le mieux dans le meilleur des réels, dans le monde irréel tout ne va pas pour le mieux puisqu'il est irréel. Après coup, je comprends la raison de tout ça : pourquoi agir dans et pour le monde quand la non action est la meilleure récompense en cette vie ? Il ne l'ont pas fait pour ou contre moi mais pour leurs ancêtres, qui en firent autant, et pour leurs descendants, qui en feront autant. Car si on est dans la non action on n'offre pas l'opportunité à d'autres êtres de profiter de cet humble et transitoire miracle : vivre.
Ah oui ! Et bien sûr la musique. Comment rester réel sans musique ?