J'en parle de diverses manières, parfois grossières dans la forme, le fond ou l'expression, parfois subtiles, parfois ramassées, parfois dissertes, reste ceci : ce qui m'intéresse dans ces pages est une seule chose, pourquoi vivre ? La seule réponse qui me semble acceptable se résume en ceci, parce que. Je vis parce que je vis, je n'ai rien fait pour et depuis, je n'ai rien fait contre. Je me pose tout un tas de questions sur tout et sur moi et sur la vie bien sûr mais bon, je vis et je compte poursuivre l'expérience quelques temps, disons, quelques lustres ou même quelques décennies, pas plus. Même si j'espérais plus ça ne changerait rien au fait que l'échéance dernière c'est au maximum quelques décennies. Tel que je vis, je “prends des risques pour ma santé”. Bon, c'est ainsi, je n'en prendrais pas, ça changerait quoi ? Une de mes plaisanteries, en lien aux messages sur les paquets de tabac et de cigarettes, est, vivre tue, à consommer avec modération. Une autre de mes plaisanteries est, vivre nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage. Et de fait, la vie est dangereuse, jusqu'ici tous les humains qui ont goûté à la vie il y a plus de 120 ans en sont morts, et telles que vont les choses ça ne devrait pas changer beaucoup dans les temps à venir...
Une fois cela posé, la seule question pertinente me semble : souhaite-t-on, nous autres humains, que l'odyssée de notre espèce se poursuive ? Si la réponse est oui, alors il faut en prendre son parti, vivre implique de se nourrir et pour des êtres vivants hétérotrophes tels que nous, se nourrir nécessairement au détriment d'autres êtres vivants, la continuation de notre espèce implique que nous prélevions notre pitance dans la vie même, que nous consommions du vivant, et en outre que nous entrions en compétition avec d'autres êtres vivants pour la raison simple que les ressources vitales disponibles sont finies et que tout ce qu'en prélèvent les humains, d'autres vivants n'en disposeront pas. J'en parle plaisamment (donc cruellement) par ailleurs, si les végans étaient cohérents et s'ils croyaient vraiment que les humains, censément “responsables de leurs actes”, une version gentille de “maîtres et possesseurs de la nature” en ce sens que les autres vivants sont des “sujets”, soumis à leur nature, alors que les humains sont des êtres libres, donc responsables de ce qu'ils font pour ou contre la “nature”, doivent s'interdire d'agir contre les animaux d'autres espèces que la leur, la logique est qu'ils doivent disparaître puisque nécessairement vivre se fait au détriment d'autres êtres, directement contre les végétaux, indirectement contre les autres animaux. Tant que l'on se fantasme “hors nature”, y compris quand on prétend “agir en faveur de la nature”, toute supposée solution est un leurre puisqu'on se représente “hors nature”. Vivre c'est être “dans la nature”, et dans cette nature, celle qui nous concerne, celle qui nous permet de vivre et de penser, de parler et d'imaginer, la biosphère, tout être vivant est un prédateur, prédateur du sol, de l'air et de la lumière, prédateur des déchets d'autres êtres vivants, prédateurs d'êtres vivants. Refuser d'être prédateur, au mieux c'est décider de mourir, au pire c'est agir contre la vie, qui ne se préserve que par le constant mouvement des êtres, par leur naissance, leur vie et leur mort, refuser la mort, la sienne ou celle des autres, c'est refuser la vie même.
Jusque-là, les humains ont opté pour la vie. Ce qui n'est pas facile. Notre espèce est d'une redoutable efficacité prédatrice, les humains sont prédateurs de tout, vivant et non vivant, et prédateurs de leur espèce même. Je ne parle pas des fantasmes de cannibalisme, autant que je sache la consommation de viande humaine a toujours et partout été un rituel propitiatoire, manger un parent glorieux ou un adversaire honorable – généralement un grand guerrier – pour absorber ainsi sa valeur ou bien, lors d'un combat, dévorer le foie ou le cœur d'un guerrier pour terroriser l'adversaire puisqu'après cela, tuer un adversaire sera tuer la valeur même de ses propre guerriers, absorbée par lui. Non, les humains sont prédateurs de leur propre espèce puisque jusqu'à nos jours encore les sociétés s'organisent dans leur grande majorité de telle manière qu'une part plus ou moins restreinte mais toujours minoritaire “sur-vit”, a un niveau de vie supérieur à la moyenne, au détriment d'une majorité qui a une “sous-vie”, qui vit selon les critères mêmes de cette société à la limite de l'acceptable ou au-dessous. Dans les pays dit développés on ne pratique certes plus l'esclavage, cela à date récente, soit précisé (sauf quelques cas rares et limités dans l'espace, dans presque tous les pays d'Europe le servage, c'est-à-dire l'esclavage (le mot latin servus signifiait proprement “esclave”, ce mot s'imposa tardivement, à l'époque où la population asservie dans l'Empire romain n'était plus celle locale mais celle razziée chez les “Esclavons”, les Slaves, les personnes étant par après des serfs si locaux, des esclaves si étrangers) dura selon les États au moins jusqu'au milieu du XVIII° siècle et pour certains jusqu'à la toute fin du XIX° siècle. Cela dit, en Europe comme, plus tard, aux États-Unis, la fin de la servitude fut le plus souvent un leurre créant pendant un temps une situation pire que celle antérieure, dans le servage le serf est sujet mais son suzerain a des obligations envers lui, une fois “libre” il n'a pas plus de possessions qu'avant mais n'a même plus la sûreté du gîte et du couvert ni même la protection de son maître. Il en fut ainsi aux États-Unis après la Guerre de sécession et dans certaines de ses parties, jusque dans les années 1960.
Il y a une logique en cela, une logique qui tend souvent à se corrompre mais qui, du point de vue de l'espèce, a sa cohérence : l'auto-limitation. Les humains sont donc des prédateurs universels, prédateur de l'espace même qu'ils occupent : près de deux mille ans après la fin de sa plus grande expansion et solidité, les traces de l'Empire romain peuvent s'observer en vue aérienne, des voies romaines abandonnées depuis plus de mille ans sont discernables parce que là où elles furent le terrain diffère légèrement, les plantes ont plus de mal à y trouver leurs ressources et de ce fait sont moins vigoureuses, plus petites, plus ternes. La différence est mineure mais suffisante pour repérer l'ancien tracé. Remarquez, c'est vrai de toute vie mais pas de la même manière ni a la même vitesse. Grimpez en haut des Pyrénées et tapez un peu la pierre, vous découvrirez des coquillages. La mer à la montagne. Ben non, pas du tout. Mais il y a quelques temps, tout ce gros morceau de rocher qu'on appelle la chaîne des Pyrénées était beaucoup plus bas, genre autant de distance au niveau de la mer mais dans l'autre sens, et que des milliards de milliards de milliards de... Bref, une impressionnante quantité de machins de taille diverse, de quelques microns à quelques mètres, on laissé un peu de calcium sur le fond, et que l'ensemble a créé une couche épaisse de plusieurs dizaines ou centaines de mètres selon la durée et l'endroit. Le monde que nous voyons est dans sa grande majorité un vaste cimetière où les squelettes de nos prédécesseurs forment une couche de quelques mètres à quelques kilomètres et en quelques rares endroits on voit de la roche inorganique, de la roche volcanique, de la roche mère, du granit. cela dit les humains vont beaucoup plus vite et fort pour modifier les choses, imaginez, il y a dans les 4500 ans, avec les moyens du bord, pour l'essentiel beaucoup d'humains et quelques cailloux, un type a fait édifier une montagne pas loin du Nil, une petite montagne. D'accord, une grosse colline, mais solide, et à mon avis le tombeau de M. Kheops va survivre à une ou deux civilisations avant de perdre de nouveau neuf mètres d'altitude, autant dire que même un type seul, avec l'aide de quelques copains et peu de moyens, peut réaliser un truc phénoménal.
C'est ça les humains et leur puissance : un humain seul est faible, mal armé en moyens de défense ou d'attaque “naturels”, surtout frugivore et insectivore, un peu nécrophage sur les bords, et de brève durée, dans les vingt-cinq à trente ans au mieux ; un humain en groupe même restreinte et avec quelques outils rudimentaires, ça peut se faire prédateur d'un gros machin qui n'a pas de prédateurs, le mammouth, et ça laisse des traces qui traversent 30000 ou 40000 ans juste pour dire “j'étais là” (Lascaux, Chauvet...) ; un humain en société, ça peut tripler ou quadrupler son espérance de vie en moins de trois siècles, et en plus avec une espérance de vie en bonne santé à peine inférieure. Leur puissance et leur faiblesse : quand on se sent capable de soulever des montagnes, et bien, on invente des moyens pour le faire, même si c'est inutile et si ça détruit tout habitat humain sur une zone immense.
Bon, j'ai une grosse grippe, ça limite mes moyens, je remets l'histoire des émissaires à plus tard – puis de toute manière j'en ai causé par ailleurs, sous d'autres formes...
Retour sur les émissaires.
Quelques heures plus tard. J'ai une particularité dont je ne suis ni fier ni honteux, c'est une caractéristique, disons, innée, je pense vite. Disons, rien de plus particulier que le rythme cardiaque d'Eddy Merckx au repos, environ 25 battements par minute, en soi ça n'a pas d'intérêt particulier mais pour un cycliste c'est un atout, à même niveau de préparation, on atteint sa limite d'accélération de ce rythme beaucoup plus tard que les concurrents, dont on a plus d'endurance. Mais sans préparation physique, c'est sans intérêt. Je pense vite, mais si ma famille, mes enseignants, ne m'avaient pas induits à me servir de cette particularité pour penser “mieux” et vite, je penserais n'importe quoi, peut-être pire que n'importe quoi, des conneries ou des saloperies, mais vite. C'est en rapport avec ce que dit avant, la grosse grippe dont je souffre actuellement : ça ralentit ma pensée mais comme je pense vite, je me maintiens tout de même à une “vitesse de pensée” normale et même un peu plus haute que la normale là où quelqu'un qui pense à vitesse normale ou lente serait très handicapé en cette pratique. Le “mieux” de ma pensée, je ne lui dois rien, on me l'a longuement enseigné, par contre c'est utile de penser vite dans des situations où on pense moins vite.
Ne pas être normal a ses avantages et ses inconvénients : dans les discussions j'ai assez tendance à interrompre mes interlocuteurs car je pense plus vite qu'eux. Relativement aux personnes qui pensent à vitesse normale je suis comme elles relativement à des bègues : je peux compléter leur “pensée” bien avant qu'elles l'aient elles-mêmes réalisée. Ce qui me fait recevoir régulièrement une remarque de ce genre, « Mais attends ! Tu ne sais même pas ce que j'allais dire ! » Je ne le leur dis jamais et pourtant je le pourrais, si, je sais ce que tu allais dire, de même qu'elles savent ce qu'un bègue va dire avant qu'il ne l'ait dit. Les humains n'ont pas le même rapport à ce qu'ils étiquètent “esprit” qu'à ce qu'ils étiquètent “corps” et tendent à considérer normal qu'un sportif du corps ait un corps plus efficace que le leur, qui leur permet l'aller plus vite, plus fort, plus haut, mais ils considèrent généralement impossible qu'un sportif de l'esprit fasse pareil. Je suis un bon gars, une “bonne nature” comme on dit, alors que non, pas du tout, ça n'est pas ma nature du tout, c'est ma culture, on m'a inculqué avec bonhomie à être bonhomme. Maintenant, si j'étais un mauvais gars ? Si on m'avait inculqué avec malice à être malicieux ? Et bien, je penserais tout aussi vite mais avec malice, j'anticiperais tout autant les pensées de mes interlocuteurs mais me garderais bien de le leur montrer, pour garder un avantage sur eux et conduire leur pensée là où ça m'intéresserait de la voir aller.
Remarquez, je le fais quand nécessaire, confronté à un emmerdeur qui veut me convaincre à tout prix que la Lune est faite en fromage de Gruyère, si on est juste entre nous je vais m'arranger pour que la conversation dévie sur autre chose, je déteste parler pour rien, mais en faisant de telle manière que mon interlocuteur croira avoir décidé de changer le sens de nos échanges, rapport au fait que les personnes vraiment convaincues de vous révéler un Grand Secret de l'Univers ont une fâcheuse tendance à vouloir vraiment vous convaincre, donc si ils ont le sentiment que vous-même déviez le sujet ils voudront à toute force y revenir. Parfois, mais rarement, juste pour le plaisir du jeu et quand il y a des témoins, je vais au contraire poursuivre sur le sujet, le poursuivre à l'excès ou contredire mon interlocuteur avec des arguments plaisants, pour égayer l'auditoire et me faire valoir. Eh ! Je suis comme vous, j'aime briller en société. Le problème avec les gens qui pensent vite mais malicieusement est qu'ils arrivent à persuader ce genre d'interlocuteurs de n'importe quoi, en les amenant à “penser par eux-mêmes” que l'invraisemblable est vrai – à vendre la Tour Eiffel par lots, ou à vendre des billets pour Mars, ou à vendre la Vie Éternelle.
Ouais, tu parles, « retour sur les émissaires ». Bon, j'y viens. Cela dit, mes propos sur la vitesse de la pensée ont leur intérêt dans l'histoire.
Les émissaires. Il y a longtemps, très longtemps, les humains devinrent humains. Comme toute évolution, cela part d'un individu mais dans les espèces sexuées, pour qu'elle se répande il faut un autre individu, et après d'autres individus, bref, l'amorce est dans telle personne mais il n'est pas évident que sa conséquence soit ultérieurement liée à la modification initiale. Passons. Donc, les humains apparaissent. Ce qui fera d'eux ce qu'ils sont ne va pas se déployer d'un coup, entre les mammifères originaux, des sortes de grosses musaraignes, et les multiples espèces passées et présentes qui en découlent on peut dire que leur potentiel est déjà présent mais sa réalisation ne va pas se faire du jour au lendemain, à un niveau l'humain de ce jour est déjà présent dans celui d'il y a trois, quatre millions d'années, à un autre niveau il ne se réalise qu'il y a trois ou quatre cent mille ans. Toujours est-il, les humains apparaissent. Entre le moment initial, non encore déterminé mais qu'on peut pour la discussion dater d'il y a environ trois millions d'années et le moment où l'on peut dire que l'espèce est à-peu-près stabilisée il se passe un long temps, puisque les plus anciens représentants du genre Homo actuellement retrouvés ont environ 400.000 ans. Probable que ça variera un peu dans les temps à venir mais bon, c'est l'habitude, quand on commence une recherche de ce genre, au départ le début est relativement proche, puis il s'éloigne et même de beaucoup, puis il se rapproche de beaucoup et là, ça ne bouge plus trop, le moment proche fut de l'ordre de 100.000 à 150.000 ans, un moment on parla de cinq ou six millions d'années et depuis on certifie environ 350.000 ans et on suppose 400.000 à 450.000 ans. L'espèce se fixe plus récemment, pour simplifier, il y a environ 50.000 ans. Depuis elle a encore assez changé mais ce sont des modifications mineures, à la fois conséquences des conditions de vie et des comportements, des adaptations secondaires au milieu induisant une sélection des individus les mieux adaptés mais aussi les plus conformes aux spécificités, c'est-à-dire aux particularités qui constituent l'espèce. L'évolution est un processus complexe et instable, chaque individu est unique et diverge plus ou moins du standard de l'espèce, certaine de ses particularités sont secondaires au plan génotypique mais peuvent avoir des conséquences assez ou très importantes pour le phénotype ou le métabolisme ou l'éthologie, d'autres peuvent être majeures mais ne se révéler telles que dans certaines circonstances, c'est notamment le cas des mutations dites récessives qui ne se manifestent que si les deux parents ont une même mutation sur des gènes correspondants, que ce soit pour des différences mineures (couleur des yeux, des cheveux) ou majeures et parfois pathologiques (hémophilie, mucoviscidose), mais aussi de mutations qui favorisent certaines formes de diabètes dans certains contextes mais non dans d'autres, où elles peuvent parfois même constituer un avantage pour la survie.
Sans épiloguer sur le pourquoi du comment ni sur le quand et le où, tout cela commence d'être assez bien connu et beaucoup de bons ouvrages en discutent, on part de ce fait, les humains ont la capacité de, peut-on dire, évoluer instantanément et de manière réversible parce que depuis plus de 50.000 ans et probablement plus de 200.000, ils ont “externalisé l'évolution et la croissance” ou un truc du genre, l'espèce n'évolue plus que marginalement dans ses individus et le fait “entre ses membres et ses générations”, ce qu'on peut nommer une société humaine, qui est l'interaction d'un certain type, propre à l'espèce, entre au moins trois de ses membres et un nombre infini, potentiellement et, en cette année 2018 effectivement mais c'est déjà le cas depuis environ 1860 dans une forme primaire, environ 1920 dans une forme secondaire, environ 1965 dans une forme tertiaire, environ 2005 dans la forme actuelle, qui est à la fois quaternaire et primaire, toute l'espèce, est la réunion d'individus qui sont “un seul corps et un seul esprit”. Une société humaine est terriblement efficace. Toute espèce sociale fonctionne de cette manière, “un seul corps et un seul esprit”, mais pour les autres espèces la réalisation effective de la chose nécessite que ses individus soient à portée de sens (ouïe, vue, odorat), les humains peuvent se coordonner sans être à portée de sens et même, sans savoir qui fait quoi et comment à un instant donné, ils peuvent même agir sans être présents, par l'entremise d'individus d'autres espèces, animales ou végétales, ou l'entremise d'individus non biotiques, et même par l'entremise de leur territoire de vie. Ce n'est pas tant ces capacités qui les singularisent, d'autres espèces le font, mais aucune avec cette polyvalence et cette extension dans l'espace et dans le temps.
Je parle dans plusieurs textes et de diverses manières du fait qu'incessamment, entre ce jour et au plus quelques décennies, l'humanité va se “convertir”, se découvrir autre qu'elle ne s'est crue récemment encore et qu'elle se croit encore par certains de ses membres, de ses groupes et de ses sociétés. Pas de miracle, après la “conversion” nous serons tous à-peu-près les mêmes, certes beaucoup d'humains vont, comme je dis, “perdre leurs illusions” mais ça ne pourra que leur être favorables, beaucoup vont changer un peu de comportement, beaucoup même si déjà moins ne changeront pas, cette conversion sera juste la résultante de tous ces plus ou moins grands changements et c'est leur convergence qui la constituera. Or, cela est la conséquence d'un très ancien projet, que je ne daterai pas parce qu'il n'est pas datable mais qu'on peut du moins assez clairement discerner désormais pour les cinq derniers millénaires, quand apparut l'écriture, quelque chose comme “conquérir le monde”. Projet irréalisable mais puissant moteur pour en arriver à la situation actuelle, la société humaine universelle, tous les humains fondus en une seule société. Sans détailler, il y eut de nombreux ratages et il y en a encore même si bien moindres (ce que me contesteraient à bon droit les personnes qui les subissent de plein fouet mais bon, moi aussi je trouve regrettables les situations où pour le profit de tous je subis ce que je considère être des injustices, qui parfois le sont. Disons que contrairement à des ratages antérieurs, certains pas très anciens, ceux actuels sont très localisés et de moindre intensité), toujours est-il, les points de départ symboliques de ce projet sont, l'un du côté de la Chine, l'autre du côté de la Mésopotamie, non que ce furent les seuls mais du moins, le temps passant et les divers projets en cours un peu partout ont fini par se coordonner pour parvenir à situer les deux “points d'origine” en ces endroits.
Le principe général d'une “conversion” est bien représenté par ce symbole dont j'ignorais le nom jusqu'à, et bien, jusqu'à cette minute, le 2 février 2018 à 6h50, parce que je ne suis pas très intéressé par les étiquettes, donc, ce symbole nommé taìjítú ou en version courte, le tao ou dao ou do, taìjítú étant proprement le nom du symbole, tao le nom de ce qu'il symbolise, “la voie”, “le chemin”, que vous connaissez je suppose, celui-ci :
La conversion est la voie de la vie : l'activité et la passivité doivent être séparées et unies, en la passivité il doit y avoir de l'activité, en l'activité de la passivité, si le symbole tel que fixé comme dessin est statique, sa forme indique qu'il est dynamique, la ligne sinueuse entre les deux aspects indique qu'il est en mouvement en lui et par lui, les parties passive et active sont mouvantes l'une par rapport à l'autre et l'ensemble tourne, tantôt la passivité est à droite, tantôt à gauche, tantôt en haut, tantôt en bas, pareil et symétriquement pour l'activité. Conventionnellement, en occident “la droite” et “le haut” sont les positions importantes, le haut “domine” et la droite “dirige”. Ce symbole parle de l'univers à tous les niveaux, de sa plus infime particule à l'univers entier, en toute entité il y a du mouvement et de l'immobilité, il y a toujours de l'immobilité dans le mouvement et du mouvement dans l'immobilité, tantôt l'immobilité, tantôt le mouvement domine et dirige, que l'un ou l'autre domine et dirige son complémentaire a une action contradictoire, et ily a du ralentissement dans le mouvement, de l'accélération dans l'immobilité.
Le compliqué dans l'histoire est que le dominant ne veut pas céder : quand on dort, et bien on n'a pas envie de se réveiller, c'est doux, c'est confortable, c'est apaisant, quand on veille on n'a pas envie de s'endormir, c'est dur, c'est mobile, c'est dynamisant. Mais ne pas le faire, c'est mourir, par excès ou insuffisance de mouvement ou d'immobilité. Le cas du jour, et bien, c'est le moment de se reposer un peu, disons, quelques millénaires ?
Ah oui ! La Chine et la Mésopotamie. Et bien, ça fait un moment déjà que, quand il faut changer de dominance, ces deux points fixent les polarités et les inversent : quand la Mésopotamie est yin la Chine est yang, et inversement ; dans la phase antérieure la Chine fut yang, “passive”, “immobile”, “prévisible” et la Mésopotamie yin, “active”, “mobile”, “imprévisible”, puis pendant environ vingt à trente ans il y eut une inversion, non que le Moyen-Orient fut tout d'un coup havre de paix et l'Extrême-Orient champ de bataille, mais la Mésopotamie apparaissait statique, “rien ne change”, la Chine dynamique, “tout change”. La conversion se fait par le moyen d'une “inversion paradoxale des pôles”, le pôle changeant devient “le moteur de la stabilité”, le pôle statique “le mouvement de l'immobilisme”, dans chaque pôle on a à la fois mouvement et immobilité, mais l'un est “bon”, l'autre “mauvais”. C'est cette difficulté à concilier la perception que “le même est le contraire du même” avec une représentation du mouvement et de l'immobilité comme inconciliables qui est le germe de la conversion,; parce qu'à un moment, soit on consent à la non contradiction, soit on pète les plombs, et presque personne ne souhaite péter les plombs...
La Chine et la Mésopotamie, un développement.
Mon premier lecteur (et pour anecdote, mon frère), m'y pousse, comme d'habitude (eh ! Les frères aînés c'est là pour ça, pousser leurs cadets et si besoin, les tirer, bref, les faire aller plus loin), quelques éléments sur cette question.
Nul ne devrait l'ignorer, si la communication par systèmes de signes est bien plus ancienne, les dessins, gravures et sculptures d'il y a plus de 30000 ans le montrent assez, les formes simplifiées dites “écritures” sont beaucoup plus récentes, environ 5000 ans, à 500 ans près. Jusque-là les humains représentaient ce que j'appelle dans ces pages la pensée, un objet compact en au moins trois dimensions, les sculptures qui sont en volume, et les dessins qui sont plans mais permettent de restituer le mouvement, la durée. L'écriture est la tentative de réduire le système à deux dimensions, charge au décodeur de restituer les deux autres. Ça ne s'est pas fait tout seul, en Égypte par exemple une partie du système est bien en deux dimensions, mais une autre est en trois dimensions, et ça n'est pas toujours simple, plus de 4000 ans après son inscription, de déterminer si tel dessin est en deux ou trois dimensions. Si elles ne sont pas les seules, la Chine et la Mésopotamie (pour simplifier) sont deux lieux où l'on parvint à stabiliser un système bidimensionnel, dans l'un en s'attachant d'abord au sens, une forme statique et plane qui symbolise de manière très abstraite la chose désignée, la Mésopotamie s'attachant d'abord à la forme, une forme dynamique et linéaire qui symbolise le son produit pour nommer la chose désignée. L'encodage chinois est “yang”, statique, celui mésopotamien “yin”, dynamique. Savoir quoi découle de quoi, est-ce que l'option symbolique a influer sur la structure sociale ou l'inverse, toujours est-il que les deux vont de paire, les sociétés, les cultures puis les civilisations qui optèrent vers des écritures de type idéographique sont plutôt statiques, privilégient le développement en interne, sont assez ou très fermées, et leur composante yin est “tournée vers le commerce”, de petits groupes qui installent des comptoirs assez restreints dans des sociétés extérieures, celles aux écritures yin, syllabiques ou alphabétiques, sont plutôt dynamiques, tournées vers l'extérieur, assez ou très ouvertes, englobantes (intégration des sociétés périphériques), et leur composante yang est “tournée vers la conquête”, colonialiste, impérialiste, des groupes qui s'imposent aux sociétés distantes et en prennent la direction.
Bien sûr c'est une orientation générale, toute société est et doit être “tao”, à la fois yin et yang, la Chine n'a jamais hésité, quand le développement interne atteignait ses limites, à intégrer sa périphérie, la Mésopotamie et ses héritiers se confrontent régulièrement au même problème, quand les sociétés conquises, devenues ou redevenues yin, retrouvent une puissance d'agir suffisante, elles se séparent de la métropole qui, ayant grossi au-delà des capacités en ressources de son territoire, est “affamée” et s'effondre – dont la structure s'effondre, s'entend, même si souvent une part non négligeable de la population métropolitaine meurt faute de ressources. Et bien sûr, la Chine (en tant que bassin culturel) a ses composantes yin locales, “mongoles” à l'ouest, “mandchoues” à l'est (le Japon et la Corée étant des cas possibles de la composante mandchoue). Du côté mésopotamien ça marche autrement : par déplacement du centre. À un instant donné, la métropole est dans une des zones possibles (à étudier mais pour figurer comme métropole il faut partir d'un territoire qui ne soit ni trop enclavé, ni trop ouvert, et qui au départ peut produire un excédent en ressources qui sera la base nécessaire pour financer son expansion), puis il se “yanguise”, il se repose sur ses lauriers ; pendant une période intermédiaire somme toute assez brève (un ou deux siècles dans une phase millénaire, ça n'est pas très long) les sociétés annexées les plus dynamiques fournissent des auxiliaires qui soutiennent et renforcent la métropole, laquelle est alors de plus en plus statique, et très vite après (deux ou trois générations) les anciens auxiliaires deviennent les nouveaux maîtres. Sauf qu'entretemps ils ont détruit la structure et qu'il va falloir un certain temps, et même un temps certain, pour en rebâtir une. Tiens, je vous propose la meilleure synthèse du processus, cette partie de Qohelet, dit en français actuel L'Ecclésiaste :
Et oui, il y a un temps pour abattre, et un temps pour bâtir, et celui nécessaire pour bâtir est beaucoup plus long, c'est sûr...
Tout ça est beaucoup plus complexe et dynamique bien sûr, par exemple la construction de la séquence qui succéda à l'Empire romain a ses prémisses à la fois en Europe de l'ouest et dans des confins de la Mésopotamie, là, du côté de la Palestine, si vous voyez, et c'est par le biais des derniers auxiliaires de cet Empire, ceux qui vont un peu plus tard le détruire, et qui comme par hasard venaient tous de la zone entre les deux, les Balkans, que la rencontre qui résulta plus tard en la fusion de “l'esprit” oriental et du “corps” occidental, fut initiée, puis peu après se leva la prémisse de la métropole du vieux centre, là, entre la Perse et l'Empire byzantin, quelque part en Arabie. En outre et Byzance le montre, il n'y a jamais destruction totale de l'ancienne structure, un noyau doit être préservé, qui sera plus tard la source du renouveau des anciennes pensées – chez les humains, les leçons du passé ne se perdent jamais mais elles se transforment. Comme je le dis dans un autre texte, ou dans celui-ci, je ne sais plus, l'homme Bouddha et l'homme Jésus sont morts mais par la mémoire de leurs successeurs leur pensée est toujours vivante. Transformée certes, travestie souvent, mais toujours vivante et toujours renouvelée.