Donc, “Être Humain Universel” contre “Humain Universel” : dans le premier cas il s'agit d'un être humain ordinaire, un semblable parmi les semblables, un pareil parmi les pareils, dans le second il s'agit d'une image, d'un non être, une construction généralement basée sur une personne réelle qui a la vertu de ressembler à n'importe qui. Le cas actuel qui motive la création de cette discussion est celle de Jair Bolsonaro en tant que un cas exemplaire mais il n'est que le dernier (à cette date) d'un très longue série, certains autres “Humains Universels” figurant dans d'autres États – ai-je besoin de citer Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdoğan et Donald Trump ? Considérant qu'ils ne sont pas tous semblables.
Le Diable en personne ou Dieu en personne ? Les deux.
Le “diviseur” et le “rassembleur” en un seul ? Voilà une chose impossible.
En guise de conclusion provisoire.
La réalité est plus forte que la fiction, toujours. Pour être plus précis, la “fiction réelle” est plus forte que la “fiction fictive”. Toute société est une fiction, des humains décident de “faire société”, pour cela ils fixent des règles, certaines intangibles, d'autres modifiables sous certaines conditions. La question est alors celle du consentement : si une majorité de ses membres accepte comme “fiction réelle” l'ensemble des règles intangibles, toute personne ou tout groupe qui prétend vouloir les changer n'y parviendra pas, si même une minorité suffisante se constituant provisoirement en majorité le place en situation de le faire. Donald Trump comme Jair Bolsonaro sont parvenus par circonstance à se trouver en position de mettre en œuvre leur “fiction fictive”, mais à partir d'une illusion de majorité, si l'on compte ceux qui les ont choisis non pour leur projet mais contre celui opposé, ceux qui se sont prononcés pour le projet opposé ou contre le leur et ceux qui ne se sont pas prononcés, on comptera plus de quatorze personnes sur vingt ne soutenant pas leur projet, et sur les six restantes au moins la moitié ne le soutenant que très partiellement. Bolsonaro n'a pas recueilli 55% d'adhésion parmi les Brésiliens mais moins de 45% des exprimés, moins de 35% des inscrits, et parmi eux environ la moitié de “tout sauf le PT”. Trump quant à lui a recueilli environ 45% des voix des exprimés, environ 25% des inscrits. Selon moi, en-dessous de 30% des membres d'une société et à condition qu'aucune alternative ne rassemble une proportion égale de soutiens, aucun projet politique n'est réalisable.
L'opinion des sans-opinion.
Les lieux communs, en tout premier les proverbes, en disent beaucoup sur la réalité. Comme “qui ne dit mot consent”. Ne pas choisir, ne pas se prononcer, c'est choisir qui sera choisi. Mais le consentement se construit. Souhaite-t-on qu'une certaine partie de la population accepte l'inacceptable ? Il faut lui ôter le moyen de choisir, donc choisir d'accepter son sort, quel qu'il soit. Environ un tiers des Brésiliens n'a pas voté à cette présidentielle – le taux d'abstention officiel est de 21%, une proportion déjà énorme dans un pays où le vote est obligatoire, mais 12% des votes étaient blancs ou nuls, une autre manière de s'abstenir. Aux États-Unis c'est pire, selon les années, depuis 1972 l'abstention va de 45% à 50%. À quoi s'ajoutent les non-inscrits, plus de 10% de la population majeure.
Ne pas se prononcer revient à consentir. Mais il y a diverses manières de le faire. En tant que citoyen de mon pays – la France, pour préciser, mais je suis aussi citoyen d'un État plus large que mon pays puisque citoyen de l'Union européenne – j'ai renoncé à voter sans choix. Si nul candidat, nulle liste ne me convainc je ne pratique plus ce faux choix, voter pour “le moins pire”. Je déteste cette sentence qui se donne les apparences d'un lieu commun sans en être un, “au premier tour on choisit, au second tour on élimine” : quel intérêt, de voter pour une personne dont on suppose qu'elle n'agira pas comme on l'espère ? Je consens à ma société, mais ne consens pas nécessairement à certaines de ses pratiques et pour cela j'agis dans la société afin de proposer des pratiques alternatives. À l'opposé, le consentement sans adhésion à la société, qui se cristallisera par l'abstention, par le choix d'un candidat ou d'une liste qui propose de “détruire la société”, par le retrait, par le repli sur soi ou son groupe d'appartenance.
Il existe des formes de consentements “non consentis”, du fait de l'organisation des espaces sociaux : un individu ou un groupe ne peut pas faire sécession de sa société s'il reste sur un territoire que la société considère appartenir à son espace. Depuis la diffusion du modèle de l'État-nation au cours des trois ou quatre derniers siècles, le principe qu'on peut nommer la subsidiarité, terme récent dans cette acception mais notion ancienne. L'article de Wikipédia sur le principe de subsidiarité montre bien que la notion de “subsidiarité ascendante” est antique (théorisée au moins depuis Aristote), la “subsidiarité descendante” remontant informellement à la première époque chrétienne (II° au IV° siècles de l'ère commune), formellement à la troisième époque chrétienne (XI° au XVII° siècles de l'ère commune). Leur convergence a lieu au XIX° siècle et sera théorisée à la fin de ce siècle. Pour citer l'article en question, ce principe propose que
[l']action publique, lorsqu'elle est nécessaire, revient à l'entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. Ainsi, lorsque des situations excèdent les compétences d'une entité donnée responsable de l'action publique, cette compétence est transmise à l'entité d'un échelon hiérarchique supérieur et ainsi de suite. Le principe de subsidiarité veille à ne pas déconnecter la prise de décision publique de ceux qui devront la respecter. C'est en somme la recherche du niveau hiérarchique pertinent auquel doit être conçue une action publique.
De manière plus ou moins gratifiante pour les populations concernées ce fut longtemps le mode général de régulation des sociétés, chaque “collectivité territoriale” de base agit par et pour elle-même, ne délègue que la fraction de souveraineté nécessaire au fonctionnement de la collectivité de rang supérieur, jusqu'au plus haut rang, charge à chaque niveau d'agir quand besoin est en coordination avec les niveaux concernés de rangs subsidiaires. L'organisation contemporaine la plus commune, celle de l'État-nation, ne permet pas vraiment cela même s'il y a des gradations. La consolidation récente (principalement aux XVIII° et XIX° siècles, avec une vague plus tardive dans la deuxième moitié du XX° siècle, lors de la longue période de décolonisation, entre 1947 et 1999 pour l'essentiel) de cette forme induit une réduction de la subsidiarité, mais les structures de type fédéral la préservent plus, au moins au niveau des entités fédérées. Les rares cas “à l'ancienne” sont les confédérations, sinon qu'il n'en existe plus sous la forme d'entités territoriales même si la Suisse, fédération qui conserve le nom de confédération, en garde beaucoup de traits1. Les rares confédérations actuelles sont des entités non territoriales ou des “archipels”, des territoires autonomes mais séparés dans le cadre d'une entité plus large. Dans la plupart des États, il n'est pas loisible à un collectif de s'établir en territoire autonome lié formellement ou informellement aux autres de même niveau ou de niveau supérieur.