Il y a quelques temps (sans le jurer, probablement 2002 ou 2003) j'avais commencé un texte intitulé – ah ! Je ne me rappelle plus. Je cherche ça... Voilà : intitulé « Le néo-libéralisme, stade ultime du soviétisme ». Non daté, dommage, mais je le situe vers le moment dit. Donc, « Le néo-libéralisme, stade ultime du soviétisme » ou, en version courte, « Ultra-soviétisme » (lisible ici). Je le mets en lien ici pour anecdote.
Allons bon ! Je viens de relire ce texte et je suis surpris de son contenu. Pour moi il s'agissait d'une amorce, je comptais le développer puis bon, on fait des trucs et des machins et souvent certains autres machins et trucs restent en déshérence. Le relisant, je le vois autrement, rien de parfait loin de là, mais rien à ajouter. Après une phrase introductive, le début traite brièvement de l'opposition entre deux conceptions de la société, des rapports entre humains et de la liberté, une approche “déiste” et “transcendante” contre une approche “a-déiste” (qui sans la rejeter nécessairement ne se pose pas la question d'un dieu) et “immanente”, approches divergentes qui se révèleront plus nettement par après. La partie qui traite proprement de l'“ultra-soviétisme” est brève et conclut le texte :
L'ultra-libéralisme n'est pas le libéralisme, ni politique, ni économique. Il s'agit plutôt du “stade final du lénino-stalinisme” : une immense bureaucratie proliférante s'appuyant sur l'armée et la police et travaillant pour une nomenklatura indéboulonnable.
Soit précisé, le titre est inexact puisque, comme l'indique ce passage, le texte traite plutôt de l'ultra-libéralisme, ce qu'on appela originellement “néo-libéralisme” étant plutôt l'approche de l'économie illustrée particulièrement par John Maynard Keynes, le courant qui déboucha sur l'ultra-libéralisme se séparant à la fois du néo-libéralisme et du libéralisme classique. On peut dire que l'ultra-libéralisme a deux sources d'inspiration principales, ce qu'on peut nommer de manière générique le “fascisme”, et d'autre part le “stalinisme”. Non que l'ultra-libéralisme soit fasciste ou stalinien selon la manière dont ces deux courants idéologiques se réalisèrent historiquement (bien que, et la période 1960-2000, en gros, le démontra assez, l'ultra-libéralisme fonctionne beaucoup mieux dans des régimes autoritaires ou dictatoriaux, qu'ils soient dans une généalogie fasciste – Chili de Pinochet, Argentine péroniste – ou stalinienne – Chine communiste, Russie post-soviétique), il s'agit plutôt de la reprise d'un schéma général de méthodes de contrôle de la population.
La base de ces méthodes est, et bien... Est vieille comme le langage ou à-peu-près, c'est la maîtrise du langage et de la langue, précisément. Par contre, chaque époque voit évoluer les méthodes pour assurer cette maîtrise. On ne peut strictement parler de maîtrise de la langue, il s'agit plutôt de maîtrise de la communication. La parole en tant que vecteur de la langue, du langage, intervient peu. Pourtant elle est nécessaire mais comme musique, les propos mêmes ont une importance modérée, il faut de loin en loin prononcer certains mots qui forment comme un thème, un leitmotiv, pour le reste importent la mélodie, les intonations, les harmoniques, le tempo et le rythme. Interrogez n'importe qui ayant assisté à un meeting politique, vous aurez toutes les informations possibles sur l'ambiance, sur les prestations scéniques les plus marquantes, sur les sentiments que cette personne a éprouvé ; interrogez-la sur ce qui a été dit, vous n'aurez le plus souvent rien de précis, elle se souviendra vaguement des thèmes abordés, y compris quand ils ne le furent pas, non tant parce qu'elle s'en souvient vraiment mais parce que c'est de l'ordre du prévisible, on ne va pas voir un orateur par hasard, on sait ce qu'il dira et de quelle manière, on y va pour se mettre en harmonie avec la foule assemblée, l'orateur étant avant tout une sorte de résonateur, qui à la fois capte et amplifie un signal. Ce qu'il capte est, disons, une émotion, et il la retourne à la foule, qui alors se reconnaît en lui, collectivement et individuellement. C'est la raison même pour laquelle les mots importent peu, collectivement les auditeurs sont en partie harmonisés, ils sont par avance “sur la même longueur d'onde”, et individuellement chacun entend et reconnaît dans le discours son propre discours, quel qu'il soit.
Le cas des fascismes et des stalinismes est directement lié à l'évolution récente, dans les années 1830 à 1930 en gros, des modes et moyens de communication, spécialement entre 1860 et 1920, l'avant-dernier élément de l'ensemble étant la radio comme vecteur de sons humains (musique, parole), le dernier, le cinéma parlant. La méthode est donc toujours la même, qu'on peut nommer harmonisation, il s'agit de faire qu'un groupe se sente comme un seul être. Avec l'évolution achevée vers 1930 les groupes humains concernés excèdent de beaucoup ce qui fut possible auparavant, et le temps d'harmonisation est presque instantané – potentiellement, on peut dès cette époque harmoniser tous les humains avec un délai inférieur à la seconde entre les plus distants, sinon que les moyens techniques ne sont pas universellement disponibles ni les voies de communication très fiables. Entre 1830 et 1860 environ, apparurent des moyens de communication qui permirent, à la fin de cette période, de contacter potentiellement en un temps très bref (moins d'une seconde à quelques heures) tout lieu habité sur un territoire contigu ; à partir de 1860 environ l'installation de câbles sous-marins de télécommunication permirent de relier des territoires non contigus, d'abord assez proches (quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres) puis vers 1875 n'importe quel continent à n'importe quelle distance, avec la limite d'une relation terrestre physique (fils et câbles). Ce n'est qu'avec le développement de la TSF (au départ, “télégraphie sans fil”, par la suite “téléphonie sans fil”, ce qu'on nomme depuis “radio” au sens de “radiophonie”) qu'on put s'affranchir de cette première limite, mais ce n'est qu'après 1958 avec le lancement du tout premier satellite artificiel, et plus spécialement après 1962 et le premier satellite de télécommunication, que put commencer à se mettre en place un système de communication réellement universel, finalisé alentour de 1995, permettant nominalement de contacter n'importe qui n'importe où en moins de trois dixièmes de seconde, puisque tout point du monde est accessible par des relais d'une longueur de moins de cent mille kilomètres. Pour diverses raisons le délai réel peut être de plusieurs secondes mais du moins il est proche de l'immédiateté, du “temps réel”.
Les conditions réelles de mise en œuvre d'un projet politique de type fasciste ou stalinien requièrent l'existence d'un système de communication de ce genre, qui permette de diffuser un mot d'ordre en direction d'un très grand nombre de personnes en un délai très bref, quelques secondes à quelques heures. Il en va de même de l'ultra-libéralisme. Au fond, quel est le but de ces projets ? D'un sens je le sais, d'un autre non. Je le sais en ce qui concerne la finalité : prendre ou conserver “le pouvoir”. Je ne le sais pas sur deux points : quel projet et quelle représentation de ce pouvoir.
L'illusion de la puissance.
Demandez-le à n'importe quel “puissant”, quelle est ta puissance ? S'il est honnête, il vous dira, ma puissance est la tienne.
Encore une fois, je souhaiterais que ça se poursuive autrement que par un procédé médiat, la seule et réelle manière de communiquer est de vous à moi, et que vous et moi soyons en relation directe et effective, en vis-à-vis. Je ne suis pas, loin de là, platonicien, cela dit j'accorde à Platon cette lucidité : toute réponse en toute question est en soi.