L'Orient mystérieux et lointain, l'Orient complexe, qu'il soit moyen ou extrême... Le premier de tous les mystères est que l'Orient vu de l'Europe commence au Maroc, un nom qui dans sa forme locale est Maghreb, ce qui signifie Occident en arabe. D'ailleurs, même par rapport à l'Europe les seuls de ses pays qui soient plus à l'Ouest sont la Grande-Bretagne et l'Irlande, et peut-être l'Islande. Pour les arabophones, il y a trois zones, l'ouest, le centre et l'est ; d'un point de vue géographique ça correspond à-peu-près au classement européen, l'Ouest ou Maghreb est aux même longitudes que l'Europe occidentale, l'Est ou Machreq, actuellement dit Moyen-Orient, aux mêmes que l'Europe orientale, le centre, pas vraiment nommé, qui correspond à-peu-près aux actuelles Égypte et Turquie, aux mêmes que l'Europe centrale. Bref, « l'Orient », cette invention européenne du XIX° siècle, ne correspond à aucune réalité géographique, politique ou culturelle locale (il y a autant de contrastes sur tous ces plans au sud qu'au nord du continuum de mers fermées qui va de la Mer d'Alboran – le « canal » à l'est du Détroit de Gibraltar –, partie la plus occidentale de la Méditerranée, jusqu'à la rive orientale de la Mer Noire), à remarquer que les orientalistes de la vieille école, celle qui poursuit l'œuvre d'orientation scientifique et littéraire commencée pour l'essentiel aux XVII° et XVIII° siècles, travaille surtout sur l'Orient réel, c'est-à-dire tout ce qui, dans cet ensemble composite regroupant le vaste continent eurasiatique et l'Afrique du Nord, se situe à l'est d'une ligne allant au nord de la Finlande à la Grèce, au sud de l'Asie Mineure (en gros la Turquie actuelle) au Soudan. ce que l'on peut dire de mieux de cet Orient dix-neuvièmiste est qu'il fut un bon auxiliaire pour « justifier » les visées colonialistes des deux principaux empires de l'époque, ceux britannique et français, en décrivant cet ensemble hétéroclite comme une masse indifférenciée de pays en pleine décadence ou déshérence, où il était donc légitime d'apporter, manu militari, la Civilisation et les Lumières.

Franchement, « L'Orient mystérieux et lointain », c'est du n'importe quoi, comme si l'Occident était évident et proche... Comme Européen j'ai des doutes sur la limpidité et la proximité de l'Amérique du Nord, comme Français, j'ai tendance à trouver la Grande-Bretagne plutôt mystérieuse et pas spécialement proche, sinon d'un point de vue géographique, comme moi-même, et bien, la France, ouais, j'ai quelque mal à pénétrer toutes ses arcanes et bien que sur place, y a des fois quand on m'en parle dans les médias j'ai l'impression qu'on me donne des nouvelles de Mars... Un autre lieu commun, le Moyen-Orient, censément complexe et impénétrable. Ouais. Même vu de loin, tout ce que j'y vois me paraît assez simple et très pénétrable, à tous points de vue (mentalités, politique, et tout simplement territoire, y a quand même pas mal d'Européens sur place, dont des Français, pour nous raconter tout ça). Disons, tout en ce monde me semble à la fois simple et proche, mystérieux et lointain. Tenez, mon voisin : en un point il est simple et proche, c'est mon voisin, on ne peut guère faire plus proche, il me ressemble beaucoup, vous savez, genre une tête, deux bras, deux jambes, un tronc, qui se lève le matin et se couche le soir, prend trois repas par jour, qui... C'est clair, on se ressemble beaucoup ; en un point il est mystérieux ou complexe, lointain ou impénétrable, ben, un peu comme moi. Non que je me considère tel mais je croise pas mal de gens qui m'ont l'air de penser que je suis un gars un peu étrange et pas trop proche d'eux. Il y en a même qui me le disent. Bref, l'Orient, spécialement le Moyen-Orient ça ressemble beaucoup à mon voisin ou à moi... Et l'Occident aussi.