Je viens d'entendre parler pour une je ne sais quantième fois du “seuil de pauvreté”. Un seuil un peu étrange parce qu'on peut se retrouver en-dessous ou au-dessus, alors que les seuils de la réalité observable sont horizontaux, il peut certes y avoir un avers et un dévers, un seuil sur une pente, mais le cas général est le seuil des pièces, des maisons, des immeubles, et si même il peut y avoir dans certains cas une différence de niveau ça n'est pas le cas général ni la conception abstraite qu'on en a. Bon. Le seuil de pauvreté. On en parle souvent mais pour en dire toujours la même chose, évaluer le nombre de personnes qui sont « en-dessous du seuil de pauvreté ». Mmm... Et ceux qui franchissent ce seuil dans l'autre sens, c'est toujours le “seuil de pauvreté” ou c'est le “seuil de richesse” ? C'est une question, non ? De ce que j'ai cru en comprendre le monde est divisé en deux ensembles, les riches et les pauvres, si on est sous le seuil on est pauvre, si on est, euh ? “Sur” le seuil ? Non, au-dessus... Ok, si on est en-dessous on est pauvre, si on est au-dessus on ne l'est pas, donc on est riche. Vous savez quoi ? J'aime les bonnes nouvelles, cessons de parler de cette petite frange, ces neuf millions de Français qui sont sous le seuil de pauvreté et parlons plutôt de cette grande masse de Français, ces cinquante-et-un millions au-dessus du seuil de richesse.
Je suis comme vous, il m'est difficile de considérer que par nécessité les “non pauvres” sont riches. Or, c'est la réalité non dite qu'implique cette notion de seuil de pauvreté, si on n'est pas en-dessous du seuil on n'est pas pauvre, donc on est riche. S'il vous plaît, ne tentez pas à cet endroit de “rationaliser”, de croire et après cela de penser que non, parler de “seuil de pauvreté” n'implique pas que qui est au-dessus est riche, d'évidence c'est très clairement ce que ça implique. Ne surtout pas le dire, ne jamais parler de “seuil de richesse” précisément parce que ça ferait se poser une question simple pour l'individu, compliquée pour la société, du moins le type de société qui définit un “seuil de pauvreté” bien rationnel justement, en France c'est un truc du genre la moitié ou les deux-tiers du revenu médian net après impôts, en 2017 et en France, si on a un revenu net de 1014€ on est sur le seuil, s'il est de 1013€ on est en-dessous, s'il est de 1015€, on est au-dessus. Je suppose que vous commencez à comprendre mon propos : la pauvreté n'est pas un seuil mais un état. Par exemple, si je vis en zone rurale, que je dispose d'un jardin même petit et que le suis propriétaire de mon logement, même modeste,si en outre je ne me suis pas encombré d'un véhicule automobile qui me coûte même si je ne l'utilise pas (assurance, contrôle technique, garage...), il se peut que mon propre seuil de pauvreté soit de l'ordre de, je ne sais pas, 600 ou 800€ ; si je suis un Parisien du VIII° arrondissement, il a de bonnes chances, ou plutôt de grands risques, de se situer au-delà de 2200€.
La question que pose ce supposé seuil est très simple : pourquoi ? Oui, pourquoi nos supposés responsables ont décidé de le définir, et que nos médias ont décidé de relayer les discours sur son niveau sans trop s'interroger sur la validité de sa hauteur (si cependant certains commencent à poser la question de ce concept et de sa valeur) ? Pour moi la réponse est tout aussi simple : pour diviser. Pour fabriquer du “eux” et du “nous”. Même si je n'ai pas que de la sympathie pour ce périodique, le mensuel La Décroissance a des rubriques qui font réellement se poser la question, notamment « Simplicité volontaire » qui recense des personnes ayant choisi de vivre en réduisant leur dépendance aux biens manufacturés et aux dépenses non nécessaires. Loin qu'ils soient hors société ou se dirigent tous vers des zones rurales, beaucoup sont citadins, presque tous ont une vie sociale plus riche que la moyenne de leurs voisins, précisément parce qu'ils ont choisi de disposer de beaucoup plus de temps libre, non pas de temps de loisir mais de temps qui n'est pas contraint par la nécessité de disposer de plus de ressources financières. Un temps qu'ils peuvent alors consacrer à eux-mêmes et à leur entourage, leurs voisins. Dans leur grande majorité ces simples volontaires sont des gens actifs, qui font beaucoup de choses diverses et qui s'investissent plus que la moyenne dans des associations. Le temps libre n'est pas du temps d'inactivité mais du temps d'activité librement choisie. La pauvreté, ce n'est pas un seuil mais un état. La richesse n'est pas un taux mais une valeur. Une vraie valeur. Non la valeur qu'on attribue au superflu mais celle qu'on attribue à l'essentiel, une vie aussi libre que possible et des activités aussi peu contraintes qu'il se peut.
Je vous suggère de réfléchir à tous les seuils qui ne sont que de parole, et de décider de quel côté de ces seuils vous souhaitez vous trouver, en-deçà, au-delà ou loin d'eux, loin de la notion même de seuil, quand il ne sert qu'à diviser – pour mieux régner...