J'explore dans plusieurs pages ces deux sujets. Surtout les complots d'ailleurs. J'en dis à plusieurs reprises que je n'y crois pas mais que je les constate. Voilà je crois le cœur même des diverses discussions de cette section du site que je maintiens, intitulée « Révélation sur le mont », et sous-titrée « Faut savoir rire un brin, même avec les choses sérieuses... ». J'aime rire et aussi sourire, quand je marche dans les rues de la petite ville de mes parents, ou dans celles de ma plus grande ville, à vrai dire, dans quelque rue où je marche et même hors des rues et hors des villes, je souris souvent. Une attitude à la fois volontaire et involontaire, je veux dire, je ne souris pas pour présenter un certain visage, dans une petite route de campagne et loin de tout humain je souris aussi, il ne s'agit donc pas d'une posture, d'une manière de me présenter aux autres, disons, un sourire de politesse, je le fais parce que j'ai grand plaisir à le faire et parce que, pensant à diverses choses, j'ai souvent tendance à les considérer avec distance et avec une certaine ironie, mais croisant mes semblables ce sourire change un peu, il passe d'une, disons, transcription d'un certain état intérieur à la réaction d'un humain envers un autre humain affichant le plaisir de rencontrer un de ses pairs. Je dois le dire, je préfère la petite ville de mes parents, où en majorité les gens me rendent mon sourire et répondent à mon salut, qu'ils me connaissent ou non. Dans ma moyenne ville il n'en va pas toujours de même, voilà une chose certaine, et dans de grandes villes comme Paris ou Lyon beaucoup de personnes croisées ainsi, au mieux ne me regardent même pas, parfois semblent offusquées par mon sourire et mon salut.
Je me rappelle d'une mienne réaction, il y a une vingtaine d'années : j'habitais depuis trois ans environ à Nijmegen, en français Nimègue, une ville moyenne à l'est des Pays-Bas, assez proche de la frontière allemande, et revenais pour la première fois en France depuis le début de cet exil (de travail, je précise). Arrivant à Paris, je fus saisi par la figure des passants, triste ou énervée, presque coléreuse parfois, les gens avançant rapidement sans prêter attention à rien ni personne, souvent la tête un peu courbée, comme pour fuir ou éviter le regard des autre. J'avais l'impression d'arriver dans un pays en guerre. Trois ans dans une ville où les gens avancent vivement mais tranquillement, le regard droit mais sans manquer de regarder les passants croisés, et se saluant souvent d'un bref hochement de tête au passage, ça vous désintoxique des vos habitudes. Non que, vivant à Paris comme je l'avais fait pendant quelques années avant mon émigration néerlandaise, je m'étais alors départi de mon habitude de sourire “sans raison”, par contre je m'étais accoutumé à croiser ces mines renfrognées et ces regards fuyants. Là, je subis un choc.
Je souris aussi, et parfois ris, parce que je suis joueur. Pour exemple, tout en écrivant ce qui précède, disons, avec sérieux, je me livrais à un petit jeu qui m'a fait assez sourire et parfois rire : ne pas utiliser le verbe “être” sinon comme auxiliaire. C'est ce que l'on nomme ordinairement mais assez faussement une contrainte littéraire. Faussement car ça n'a rien de contraignante, au contraire ça libère. Celle-ci n'avait rien de prémédité, j'avais débuté mon texte et, constatant durant la rédaction de la troisième phrase que jusque-là je n'avais pas utilisé ce verbe, je me suis lancé le défi de m'en passer au moins jusqu'à la fin de mon anecdote sur ce « retour dans un pays en guerre », alors que, vous le verrez si vous parcourez les autres textes de ce site, j'en use et en abuse, il me sert moins comme un verbe à proprement parler que comme une cheville indiquant quelque chose comme une rupture dans le discours, ce qui suit “est ceci” ou “est cela”.
S'obliger, en le préméditant ou en le décidant durant la rédaction d'un texte, à une contrainte d'écriture permet à la fois de se détacher de ses automatismes de rédaction et d'avoir plus d'acuité sur l'organisation de son discours, de le resserrer sans même devoir se relire et se corriger. Du fait, ça induit une fluidité certaine dans l'expression, dit autrement, la supposée contrainte, un artifice s'il en est, donne au lecteur une impression de “naturel du discours”, et quand on se prive d'une de ses facilités d'écriture, le premier usage de ce dont on se prive, comme je viens tout juste de le faire, rend toute sa densité à un mot éculé à force d'usage récurrent. Je ne sais pas comment Georges Perec procéda pour rédiger La Disparition, probablement le plus long texte en français qui n'utilise pas la lettre “e” sans que ce soit un exercice de style (les lecteurs de ce roman qui ne connaissent pas la contrainte employée ne le trouvent en rien étrange dans sa forme, il se lit comme un roman “normal”), mais selon moi, ça ne dut pas lui causer de difficulté importante, on veut exprimer une certaine pensée, on commence à, disons, la “réaliser en pensée” et, très rapidement, presque instantanément, la formulation première se transforme en une autre, qui a exactement le même sens mais une autre forme. Pour exemple, depuis que je vous ai révélé cette contrainte de proscrire l'usage d'un certain verbe j'ai décidé de ne plus m'y plier mais ce qui fut contrainte au début devient un confort d'écriture, j'ai utilisé depuis de verbe, mais très peu et avec toute sa densité.
Tout ce qui précède n'avait pas pour but, car il ne s'agit pas d'une chose préméditée, mais aura je l'espère comme résultat de faire apprécier ceci : les seules contraintes qui apportent une réelle liberté sont celles que l'on s'impose, et ni celles qu'on nous impose, ni celles que nous imposons à d'autres, ne peuvent augmenter notre degré de liberté. Le maître qui enchaîne l'esclave s'enchaîne tout autant lui-même, ce n'est pas parce que l'on est “du bon côté de la chaîne” qu'on n'y est pas attaché...
Donc, les complots et conspirations... Avant d'y venir, un petit “dévoilement”, la raison de ce titre et de son sous-titre. Le sous-tire commente ma réaction en concevant le titre, ça me fit rien un brin, et je comptais en effet parler de choses sérieuses. En tout premier, ce titre vient d'un agacement, la confusion entre “apocalypse” et “Armageddon”, le premier mot ne signifie nullement “catastrophe” ou quelque chose de ce genre mais “révélation” ou “dévoilement”, et “Armageddon” ne signifie pas plus “catastrophe”, il s'agit d'un nom de lieu, d'une montagne en Palestine, où la révélation se déroule, la suite du récit n'étant pas une prédiction mais une manière poétique de décrire notre réalité ordinaire, faite de petites et grandes catastrophes, qui ne le sont qu'à notre aune. Pour l'investisseur en Bourse la chute de tous les cours apparaît une catastrophe, pour tout autre humain, donc la majorité, elle apparaît un non incident. Une question simple se pose alors : y a-t-il la moindre raison de faire payer à tous l'erreur de quelques-uns ? La réponse me semble évidente...
Désolé, lectrice, ou lecteur (s'il y a une différence), je compte reprendre par après ma sale habitude d'user et d'abuser du verbe être. C'est ainsi... Remarquez, il y a une raison à cela mais si vous souhaitez la connaître il nous faudrait nous rencontrer, les explications de vive-voix sont toujours plus simples que celles par écrit. Disons, ça concerne la structure même des langues humaines et partant, des discours qu'elles permettent.
Usage local des mots “complot” et “conspiration”.
Les buts généraux d'un complot et d'une conspiration sont les mêmes, favoriser la réalisation d'un certain projet. Il arrive même que des complotistes et des conspirationnistes visent au même projet mais de manières différentes, celles des complotistes étant, dans l'ensemble, peu efficaces, voire contre-productives. Disons, si je parviens à un certain résultat après trois ou quatre opérations simples ou si j'y arrive après sept ou huit opérations complexes, le résultat sera le même mais non le coût de sa réalisation. Les conspirationnistes sont de ce point de vue les partisans du moindre effort, ils peuvent passer un temps parfois long à imaginer la manière la plus simple de réaliser leur projet. Entretemps, ils se servent des instruments imparfaits conçus par des complotistes mais les bricolent pour autant que se peut éliminer, et au moins désactiver tout ce qui leur paraît inutile ou dangereux. Exemple.
Un CMS / SGC réellement modulaire.
Depuis que je crée et maintiens des sites du genre que l'on nomme personnels, je suis à la recherche d'un instrument qui me permette de créer aussi simplement que possible les contenus que je souhaite y placer. Étant avant tout intéressé par le texte et l'image statique, je souhaite donc quelque chose de très dépouillé pour mon propre usage. Au départ, il y a une quinzaine d'années, j'avais conçu une forme un peu trop complexe à mon goût mais où la partie variable, les contenus même, était séparée de la partie statique (titres, menus...), mais l'ensemble était assez rigide. Suite à des remarques sur cette rigidité, j'ai décidé de changer mon site (unique à l'époque). J'ai alors conçu des petits programmes qui traitaient chacun un aspect particulier, l'un générait une page qui récupérait les éléments statiques dans une petite base de donnée à ma façon et me permettait d'insérer rapidement le titre et une brève présentation, et de sélectionner la rubrique et la sous-rubrique où la page allait s'insérer, un autre permettait de recenser toutes les pages (anciennes et nouvelles) et de construire des “index” (des pages d'accueil pour chaque rubrique et sous-rubrique) très rapidement, un autre me permettait d'une manière vraiment simple de différencier les pages modifiées des autres, en ajustant la date de création des pages déjà transférées sur le site au O1/O1/2001, ergo toute page plus récente avait été modifiée donc devait être mise à jour, etc. D'une certaine manière, j'avais inventé un CMS/SCG (“content management system”, “système de gestion de contenu”) avant que la notion ne se répande et bien avant qu'elle se mette en place de manière presque universelle. Efficace mais très sommaire cependant.
Assez récemment, j'ai cherché pendant un temps trop long à mon goût un CMS prêt à l'emploi qui réponde à ma conception de la chose : la modularité intégrale. Dans mon esprit, ça consistait à quelque chose de très élémentaire, un “noyau” simplissime, juste l'aspect, et bien, “système”, la page d'accueil et les éléments de base de gestion des utilisateurs et d'ajout ou suppression de modules, la gestion de contenu étant dévolu aux modules, avec un nombre très limité de modules de base. Je n'ai jamais trouvé ça. Tantôt le noyau était trop limité en fonctionnalité et l'ajout de composant se révélait alors très compliquée, tantôt au contraire les modules, même si on n'en avait pas l'usage, étaient nécessairement installés et souvent, impossibles à désactiver. Il y a peu j'ai trouvé presque ce que je souhaitais, le système Tikiwiki ici utilisé : à mon goût on doit installer sur son site beaucoup trop d'éléments de base, obligatoirement présents même si on ne les utilise pas, par contre on peut ne pas les activer et pour ceux automatiquement activés, on peut presque tous les désactiver. Restait un problème pour moi, les “thèmes”, la présentation du site, censément simple mais bien trop complexe à mon jugé.
Sans vouloir médire, les concepteurs de CMS et plus largement les concepteurs de logiciels ont tendance à croire savoir mieux que les utilisateurs ce qui leur est nécessaire, et sont tendanciellement paranoïaques, ce qui fait qu'ils bourrent leur programmes de fonctions inutiles et encombrantes et de “sécurité” assez illusoires parce que “automatiques”, or tout automate a ce défaut que son utilisateur naïf, “non spécialiste”, n'a pas vraiment moyen de le contrôler, si même il a conscience que c'est un automate, alors que les techniciens ont tous les moyens matériels et intellectuels pour “trouver la faille”. Pour le dire crûment, la “faille de sécurité” est consubstantielle à l'automatisation de la sécurité. De toutes ces réflexions, j'en suis venu à la conception formelle d'un CMS réellement modulaire et sûr, qui part du principe que la seule réelle sûreté repose sur la conscience par l'utilisateur de la manière de la mettre en œuvre. Comme je le dis dans une récente page, la sécurité à trop haut niveau tend à réduire la sûreté pour les individus, c'est-à-dire à réduire leur autonomie de décision donc leur liberté, ce qui les met à la merci de qui a moyen de prendre le contrôle des instruments de sécurité à l'insu de leurs utilisateurs. D'où il ressort qu'on doit élever un peu, très peu, le niveau de complexité de mise en œuvre du CMS pour l'utilisateur, mais en revanche fort élever le niveau de conscience de l'utilisateur des tenants et aboutissants de la sûreté, qui est alors laissée à sa libre décision. Pour le dire autrement, la personne doit savoir clairement pourquoi il est intéressant d'avoir un accès sécurisé à son site, mais on doit le laisser libre de déterminer par lui-même ce niveau de sécurité. Le problème, en ce domaine comme en tout autre, n'est pas le risque mais la conscience du risque : quelle que soit la “sécurité” mise en place, si elle réduit la prise de conscience des risques elle entravera la liberté des personnes par leur inconscience du risque.
Du simple au complexe ou du complexe au simple ?
On peu avoir bien des manières d'envisager le monde, tout de même deux approches me semblent dominer, l'envisager d'abord globalement, puis réduire, ou localement, puis étendre. Par mon expérience je privilégie la seconde manière. J'ai vécu dans plusieurs pays, dans ces pays j'ai connu divers contextes, de la plus grande ville à la plus petite, des milieux les plus privilégiés aux plus démunis, et toutes sortes de groupes sociaux, j'ai agi dans ou côtoyé des associations, entreprises, partis, syndicats, “églises” (y compris des églises laïques ou anticléricales – ça existe) de toutes sortes et de toutes dimensions, et j'ai fait partout ce constat : rien ne ressemble plus à un humain qu'un autre humain. Rien ne ressemble plus à un groupe humain qu'un autre groupe humain. Rien ne ressemble plus à une société humaine qu'une autre société humaine. Ça n'a rien d'évanescent, il s'agit d'un constat immédiat et constant, où que j'aie pu aller, qui que j'aie croisé, partout les gens ont une même vie, des mêmes rêves, un même quotidien. Je le disais dans un autre texte, j'ai même vécu dans des pays en guerre et savez-vous ? La vie quotidienne d'un pays en guerre – je veux dire, un pays en guerre internationale, j'ai opinion que le seul cas où précisément rien ne ressemble à du connu, ce sont les guerres civiles, où même le frère peut être l'ennemi du frère – ressemble beaucoup à celle d'un pays en paix. Sauf dans les zones de combat bien sûr, mais elle sont rares relativement au territoire à protéger. On sait à quel point les soldats de la guerre de 14-18 parlaient avec condescendance, mépris ou rancœur de “ceux de l'arrière”. Et oui, à l'arrière le quotidien était très quotidien...
Les complots, une affaire de salauds et de cons, les conspirations, une affaire de moyens et de cons.
Fondamentalement, tout humain est à la fois moyen, con, salaud, extrême et rien. Au départ, on fait l'hypothèse qu'un humain n'est rien, mais il peut être rien, moyen ou extrême. Par le fait il importe peu de le savoir, disons, on peut constater qu'il est probablement extrême ou moyen mais de toute manière il s'agit, au bout d'un processus parfois très long, de le faire passer par plusieurs phases, qu'on nommera ici des conversions, à-peu-près au sens physique, une révolution et une inversion, on “pivote de 180°” et on est “en miroir de soi-même”. Bien sûr ça ne se passe pas réellement ainsi mais perceptivement et, disons, intellectuellement, ça y ressemble beaucoup. Le processus se déroule à-peu-près ainsi : pendant un temps, on va peu à peu “transformer” un individu qui, arrivé à un certain état, va “se retourner sur son passé” et constater la transformation, le retournement est la conversion première, cette demi-révolution dite, le constat est l'inversion, la transformation était en grande partie “inconsciente” et devient quasi-instantanément consciente mais “vue dans l'autre sens”, de maintenant au début de la période. L'individu se constate “autre” et “différent”.
Pour schématiser, la toute première phase vise à faire de l'individu un “con”, une personne qui adopte de manière quasi-automatique les comportements et compétences de base des membres de l'espèce, la suivante en fera un “salaud”, une sorte de Narcisse qui se prendrait aussi pour Hercule, la troisième en fera un “con salaud”, une sorte de surhomme intime mais une sorte de sous-homme extime, une sorte de Maître du Monde contraint de se comporter comme “n'importe qui” ou comme “tout le monde”, ensuite il sera un “salaud con”, qui agit en public comme un Maître du Monde mais se voit intimement comme n'importe qui, comme “personne” au sens de “aucune personne”. À la fin cette phase, et bien, l'individu est censé se percevoir comme “moyen”, ni un con ni un salaud, mais apte à agir si besoin et selon les circonstances comme un con, ou un salaud, ou un con salaud, ou un salaud con, si besoin et pour un temps aller vers l'extrême ou n'être rien mais, en toute circonstance, demeurer pour lui-même un individu moyen, et en toute circonstance voir les autres individus de l'espèce comme des semblables, des personne de la même sorte que lui.
Il y a un problème bien sûr, ça ne se passe pas toujours ainsi. En soi ce n'est pas un réel problème, la société vise avant tout à intégrer le maximum d'humains, même “non finis”, même n'ayant pas accompli le processus décrit de la manière décrite, pour autant que l'on puisse déterminer si en effet ça n'a pas été un accomplissement, où il y eut ratage et à quel point. Factuellement tous les humains sont des moyens, effectivement ça ne sera pas toujours le cas, pragmatiquement ça ne réduit pas toujours leur utilité sociale. Dans un texte, non publié encore il me semble, j'évoque le cas de la mise en place de Wikipédia. Dans ce processus on a trois acteurs principaux, Jimmy Wales, Ben Kovitz et Larry Sanger, le premier est une sorte de salaud, le second une sorte de con, le troisième une sorte de moyen. Ne les connaissant pas je n'ai pas d'opinion sur eux, il ne s'agit pas d'une caractérisation psychologique mais fonctionnelle, le premier “fait fonction de salaud”, le second “fait fonction de con”, le dernier “fait fonction de moyen”. Idéalement, ce sont tous des moyens, concrètement ça a peu d'importance sinon qu'un humain tendanciellement salaud ne fera pas un très bon con, ni un humain tendanciellement con ne fera pas un très bon salaud, en revanche n'importe qui fera un moyen acceptable.
Fonctionnellement, le salaud est la personne (physique ou morale) qui va permettre au projet de disposer de ressources suffisantes pour qu'il ait possibilité de se réaliser, le moyen la personne qui va concevoir et planifier la manière de le réaliser, et le con la personne qui va effectivement réaliser les instruments à même de le réaliser. Un projet est un projet, il s'agit toujours d'un pari et à la réalisation effective imprévisible. Bien sûr, il y en a de très vraisemblables, d'autres presque invraisemblables. Si par exemple, considérant une personne physique unique assumant les trois fonctions, moi par exemple, j'ai projet de faire un pain, il me faut disposer de farine, d'eau, de levain ou de levure, d'un peu de sel, et si j'ai idée de faire un pain aromatisé, les ingrédients nécessaires, enfin d'un instrument pour le cuire. Ça c'est la partie “salaud”, réunir les moyens du projet. La partie “moyen” peut être entièrement automatique, une recette existante, ou comporter une part plus ou moins importante d'improvisation, la partie “con” est l'application de la recette avec les moyens disponibles. Même si on ne peut jamais vraiment garantir la réussite d'un projet, d'évidence la fabrication d'un pain a une haute probabilité de réalisation. Avec le projet qui permit la réalisation de Wikipédia on se trouve dans un cas inverse : les moyens disponibles sont “insubstantiels”, des ressources financières, le projet “informe”, créer une encyclopédie collaborative en ligne. Un projet informe en ce sens qu'une telle entreprise n'a pas de précédent, qu'il faut tout inventer pour sa réalisation. Bien sûr, on ne part pas de rien, il existe des encyclopédies et il existe des entreprises collaboratives en ligne. En première intention on va tenter de concilier les deux choses. Dans ce cas ça ne donna pas le résultat espéré, les personnes habituellement sollicitées pour réaliser une encyclopédie n'ayant ni la pratique, ni le désir de travailler de cette manière. Le ”moyen” de l'histoire, Sanger, fait le constat que ça ne peut pas marcher de cette manière et du fait cherche une méthode plus adaptée au contexte. Kovitz lui parle du système wiki, et Sanger y voit un instrument qui pourrait se révéler plus adapté pour former la structure du projet, en parle à Wales qui lui donne l'autorisation d'employer une partie au moins des moyens disponibles pour concevoir et mettre en œuvres les conditions de réalisation de cette méthode. J'abrège, à la fin on se retrouve avec un projet qui n'a rien de semblable formellement à un projet encyclopédique “à l'ancienne”, mais qui dans le cadre nouveau d'Internet a bien la même fonction.
D'évidence, la réalisation d'un projet sans précédent est beaucoup plus aléatoire que celle d'un processus connu et éprouvé, et on a pu le constater pour tous les projets d'encyclopédie en ligne, celles qui n'ont fait que transposer des modèles anciens dans un contexte nouveau ont toutes échoué et vivotent dans leur coin sans drainer un public significatif, celles qui ont repris une forme assez proche de la forme Wikipédia mais sans en retenir tels ou tels éléments essentiels (notamment la possibilité pour n'importe qui d'intervenir librement sur n'importe quelle page, l'anonymat des rédacteurs1 et la libre diffusion des contenus) ont toutes échoué et au mieux vivotent, le plus souvent sont mortes, celles enfin qui n'ont fait que reproduire le modèle sans rien y apporter sont invisibles, sauf pour les parodies d'encyclopédie les plus réussies ou les plus vulgaires, mais même celles-là n'ont qu'un succès temporaire, celui du scandale : une blague, même mauvaise, ça fait rire la première fois, et même bonne ça ne fait plus trop rire les fois suivantes.
La réussite d'un projet inédit est aussi sa fin. Dès lors que Wikipédia prouva sa capacité à réaliser le projet d'encyclopédie en ligne elle était condamnée, à plus ou moins long terme, à changer ou disparaître. Savoir comment elle changerait, aucune idée, par contre j'ai une claire idée de la manière pour ce projet de disparaître réellement, de cesser en tant que la structure Wikimedia/Wikipédia : tenter de continuer sous la même forme au-delà du point où cette forme se révèle inadaptée. Ayant participé activement au projet depuis onze ans, j'ai pu constater la dégradation progressive de sa réalisation, non parce que le projet a échoué mais au contraire parce qu'il a réussi. Vers le moment où j'ai commencé d'y participer, les premiers signes de l'épuisement du modèle apparaissaient déjà. À l'origine l'idée d'une encyclopédie universelle unique était concevable, car les initiateurs du projet (créateurs de la structure, premiers participants) avaient, disons, une approche classique de l'objet, une encyclopédie du genre de celles réalisées entre la fin du XVII° siècle et la fin du XX°, or assez vite les contenus n'ont plus rien eu de classique, et de longue date la plus grande part des articles concerne des domaines “vulgaires”, ceux de la culture populaire. Or, il y a au sein du projet des contributeurs ayant des parcelles de pouvoir qui veulent que le projet soit beaucoup plus classique et qui agissent, ouvertement il y a dix ans de ça, “occultement” depuis (occultement entre guillemets, rapport au fait que n'importe qui peut constater leurs vains efforts à “manipuler l'encyclopédie”, pour “garder le contrôle”. Dans les faits, comme ils ne s'intéressent pas à la partie qu'ils estiment “vulgaire”, le seul effet de leur action est de déstabiliser la partie “noble” et de freiner son développement, alors que celle qu'ils désapprouvent prolifère librement. Conclusion, si l'on veut vraiment que ces emmerdeurs ne nuisent plus, il faut changer la structure et l'organisation du projet.
Les complots, c'est ce que décrit sommairement pour Wikipédia : pour des motifs divers et parfois contradictoires des personnes se coalisent de manière, pensent-elles, à “préserver l'existant”, et dans les faits ne préservent rien puisque l'existant n'est déjà plus celui qu'elles croient devoir et pouvoir préserver. Le temps passant elles dépensent toujours plus de temps et d'énergie en vain et par leur action accélèrent la destruction de ce qu'elles croient préserver : la “structure de pouvoir”. Les conspirations, et bien, ça n'existe pas ou du moins, pas de la manière dont les complots existent. Les membres d'une collectivité qui veulent agir pour préserver ce qui est destiné à disparaître sans que pour cela disparaisse ce qui l'unit, doivent se coaliser, former une sorte de société dans la société, qui a son propre but. Les membres de cette collectivité qui n'ont d'autre projet que de concourir au but commun, celui qui l'unit, et bien, n'ont pas à se coaliser, ils le sont de naissance, tous les membres de la collectivité participent de la même coalition, celle même que forme cette collectivité. Prenez mon cas : je participe de cette collectivité dont le nom actuel est “République française” ; au départ je n'ai pas eu le choix, c'est ainsi, je suis né et j'ai grandi dans le cadre de cette collectivité ; à la fin du processus décrit plus haut, de conversions successives, on, c'est-à-dire la collectivité, estima que j'étais en capacité de décider pour moi-même de participer ou non à cette collectivité ; ayant de fait décidé de rester dans son cadre je signalais ainsi mon consentement à y participer. Dès lors, peu importe que je me considère subjectivement en être, effectivement j'en suis et, soit je me soumets à la règle commune, soit en m'y soustrayant je perds le droit à son soutien. Comme la collectivité en question est très résiliente elle tolère un écart assez large à la norme, à la règle commune, mais par le fait moins je l'accepte et plus je m'y soumets puisqu'elle s'applique à moi sans que j'y consente réellement. Disons, d'autant j'accepte la règle commune, d'autant la société favorise mon autonomie, donc ma liberté. Ne pas commettre de crimes ou de délits, par exemple, n'est pas une contrainte mais une liberté, celle de rester dans le cadre de la loi commune ; en commettre c'est préparer le moment où la société demandera des comptes et payer à terme cette fausse liberté par une contrainte réelle.