J'en parle ailleurs en creux, dans je ne sais plus quelle discussion de cette partie, le “cas Ghosn”, que j'hésite à nommer “l'affaire Ghosn” tellement c'est une autre affaire que celle qui est mise en scène, où Carlos Ghosn ne figure que comme marionnette (cela dit, je le soupçonne d'être plus un marionnettiste qu'une marionnette, on verra bien), le cas Ghosn donc, est l'indice d'une tout autre affaire. En creux parce que je dis seulement que tout ce que l'on reproche aujourd'hui à Carlos Ghosn n'avait rien de secret, on me dit qu'il a dissimulé je ne sais combien de millions ou milliards (selon qu'on parle d'euros ou de yens) au fisc nippon, qu'il a fait de fausses déclarations de revenus, qu'il a fait de l'abus de bien social, etc., alors que toutes ces opérations furent publiques. Sans même parler du supposé abus de biens sociaux, s'il y a un dirigeant d'entreprise qui ne pouvait en aucun cas dissimuler sa rémunération comme PDG, ici de Renault et de Nissan, et comme président de la structure chapeau qui réunissait ces deux entreprises et quelques autres, c'est bien Carlos Ghosn, surveillé par trois conseils d'administration, deux gouvernements, deux administrations, le plus transparent des présidents de multinationales. Si donc ça n'avait rien de secret, pourquoi avoir attendu plusieurs années avant de le mettre en cause ? Pour ne pas rire le premier.
Il y a plusieurs départs à cette histoire mais le plus notable fut la récente mise en cause de Ghosn en France, qui n'eut pas de suites administratives ou judiciaires mais le mit en avant comme personne pas très fréquentable donc pas très défendable. La cause initiale eut lieu bien avant, au début du millénaire, quand Renault prit une part majoritaire à vil prix dans Nissan qui, à l'époque, était en pleine déconfiture industrielle et financière. Depuis ce moment, il se passa une chose assez curieuse, puisque Renault a presque systématiquement favorisé la progression de Nissan, la renforçant dans les marchés où elle était déjà assez présente, lui laissant le marché et l'implantation d'usines dans les nouveaux marchés, lui permettant de lui faire concurrence là où Renault était au départ très présente, résultat, la croissance de Nissan fut énorme alors que dans le même temps les parts de marchés, le nombre d'usines et d'emplois, la production, la conception se sont réduites chez Renault. Sur les quelques dix millions de véhicules produits par l'ensemble huit millions sont des Nissan et un peu plus d'un million des Renault, le reste étant des productions secondaires, Dacia et autres marques ex-“Pacte de Varsovie”, plutôt bas de gamme et bas prix. En général c'est le contraire, l'acheteur qui devient actionnaire principal s'appuie sur les capacités de la société rachetée pour se renforcer et au bout d'un moment s'en débarrasse ou l'intègre dans sa structure. Là non, les deux structures restent bien séparées et celle vassale semble en tirer le plus de profit et se renforce pendant que la maison mère stagne.
Entre autres choses la vie est un jeu. Un jeu curieux où le joueur qui gagne apparaît le plus faible peu avant la fin d'une partie. Pour exemple, il y a environ soixante-cinq millions d'années le “gros joueur” était le phylum dinosaurien, celui des mammifères, pourtant à-peu-près aussi ancien, végétait, s'était peu diversifié, ses rares espèces étaient petites (de la taille d'une musaraigne à celle d'un gros rat) et discrètes. Quand fut sonnée la fin de la partie, les dinosauriens disparurent presque pour ne voir durer qu'une branche mineure, celle qui forme le phylum actuel des oiseaux, et quelques millions d'années plus tard les mammifères avaient investi les places laissées vacantes avec une aussi grande diversité d'embranchements que les défunts dinosauriens. Dans d'autres textes je parle du jeu de la vie en le nommant jeu du chat et de la souris, disant qu'à ce jeu, à la fin la souris gagne. La logique en est simple : quand se produit une crise (une vraie, bien sûr, pas les pseudo-crises qui reviennent cycliquement dans les discours médiatiques), mieux vaut être petit et mobile que gros et statique si on veut se mettre à l'abri. En plus il y a des avantages secondaires : un seul œuf de tyrannosaure nourrira des dizaines de musaraignes, même des milliers de musaraignes ne nourriront pas un tyrannosaure, pour autant qu'il puisse les capturer. C'est ainsi.
Si vous avez un peu de vigilance vous savez que l'automobile c'est fini. Pas complètement, mais ça va devenir autre chose. L'hypothèse la plus vraisemblable est le partage d'usage pour les gros véhicules, les “voitures sans permis” pour les usages ordinaires et les vélos à moteur électrique pour les petits déplacements. Ce qui implique une très forte décroissance dans la production automobile. La fausse bonne idée pour la suite est la voiture hybride, le véhicule de demain est la voiture électrique à condition qu'elle soit partagée, et la petite voiture à petite cylindrée pour les véhicules à moteur thermique. L'autre fausse bonne idée est la “voiture autonome”, sauf s'il y a beaucoup moins de véhicules circulants et si elles sont réellement autonomes, non dépendantes d'un serveur centralisé. Bref, tant les fabricants de véhicules du passé que les concepteurs de véhicules de l'avenir sont dans l'erreur, le seul véhicule envisageable à court terme est celui du présent. Quant à la voiture hybride, c'est à-peu-près aussi vraisemblable que la locomotion mixte hippomobile et moteur thermique — remarquez, certains y ont songé, il y a un peu plus d'un siècle, comme quoi concevoir des solutions idiotes est un sport indémodable. Dès lors, que vaut-il mieux, être le plus gros vendeur de véhicules du passé et le concepteur de voitures du futur, ou être le petit producteur de véhicules du présent ? M'est avis que Nissan rira le premier. Renault n'appréciera pas, donnera une petite tapette et dira “Je reprends mes billes, je veux récupérer mes 43%, brisons-là et séparons-nous”. Ne jamais vexer le plus gros actionnaire, même quand il est petit, d'autant s'il est petit, vu que les petits sont très susceptibles.
Ah oui ! Un détail : Nissan ne pourra pas payer. Du fait Renault proposera une solution de compromis : vous gardez les usines et leurs employés, nous gardons les plateformes et les centres de recherche. Ou alors vous payez.