Je rêve d'un monde normal, moyen, ordinaire. Et il semble que nous soyons nombreux, mais c'est trop difficile de convaincre les partisans si nombreux d'un monde anormal, hors de la moyenne, extraordinaire, que nous nous décourageons souvent.


Je vis dans un monde, hum !, “extraordinaire”. Tu parles... Il est extraordinairement ordinaire pour moi, “ordinaire de chez ordinaire” eut dit mon neveu il y a quelques années. Je regarde le monde et le trouve donc remarquablement ordinaire dans l'ensemble. Cela dit, il y a tout de même quelque chose d'extraordinaire dans ce monde : les mêmes qui vous diront à un moment qu'on vit dans un monde de merde avec des objets extraordinaires supposeront l'instant d'après que demain on vivra dans un monde extraordinaire avec des objets de merde, ou le contraire, ou diront “hier” au lieu de “demain”, bref, avant ou après c'est différent sauf que demain ou après il y a la même proportion de merde et d'extraordinaire mais pas au même endroit. Ouais. En gros ils me disent que hier et demain ressemble à aujourd'hui, un monde qui change peu en sa substance avec tout un tas de gens qui travaillent à déplacer la merde sans qu'on sache trop pourquoi ils font ça. Eux moins que quiconque.

Après cette sortie de philosophie positive, un peu de sérieux. Imaginons un moyen qui nous permette de pouvoir prouver en tout lieu et tout temps que l'on est qui l'on est, un identifiant universel disponible toujours et partout, une clé dont la serrure est unique et que l'on a toujours avec soi, ça serait pratique pour se déplacer librement, non ? Je me réponds en espérant que vous en serez d'accord : oui, ça serait pratique. Très pratique. Et bien, cette clé et cette serrure existent : la clé c'est vous et la serrure Internet. Par contre, il y a une condition : pour que ça soit réel il n'y a qu'une manière, que vous soyez le propriétaire de la serrure et le gardien de la clé. Ou l'inverse, c'est selon vos projets dans cette vie (pour ceux dans une hypothétique autre vie je n'ai pas d'opinion mais si même il y a “une autre vie”, m'est avis que les règles y seront les mêmes). Dès lors qu'on laisse à la fois la propriété et le contrôle d'un des éléments à des tiers, et bien, ça ne marche plus. La base de la confiance est la réciprocité, nominalement on est propriétaire et gardien des deux et pour soi-même, factuellement il est plus intéressant de partager la moitié de chaque partie mais en proportion inverse. On appelle ça la démocratie.


Je cause, je cause, et chaque fois j'oublie un élément essentiel : la réciprocité est par nécessité violente car la vie est violente, elle viole les deux principes de la thermodynamique, ce qui est une violence. Refuser la réciprocité violente c'est dire que l'on préfère la mort à la vie. La question n'est pas de savoir si l'on consent à la violence, si on consent à la vie on doit consentir à la violence, la question est de savoir comment et où diriger sa violence. Refuser la violence c'est refuser la vie, tourner sa violence contre la vie c'est vivre une vie de mort-vivant.