Le titre de cet article s'inspire de celui d'un film vu par hasard il y a quarante-cinq ans environ, lors d'un voyage avec mes parents entre chez eux et chez ma grand-mère maternelle, un long voyage, considérant la distance, environ dix jours pour environ mille kilomètres. Une de nos stations fut Avignon durant la période du festival et ce film, Des Christs par milliers, était à l'affiche. Je pense qu'il n'a pas du être beaucoup projeté à cause de sa forme, inspirée de celle d'un ou deux films d'Abel Gance, trois écrans diffusant trois films différents en même temps. De loin en loin, les trois écrans proposaient une même séquence ou composaient un panoramique, le plus souvent chaque écran diffusait une séquence différente. Je n'ai qu'un souvenir imprécis, je crois me souvenir que de temps à autres il y avait une voix off qui ne commentait rien, qui proposait un discours autonome, le reste du temps le son des trois séquences se mêlait, sans superposition de voix. En tous les cas, les voix off n'étaient pas des commentaires de ce qu'on voyait. On peut donner un faux sens à ce film, du genre, “il parle des troubles dans le monde, de la guerre, des souffrances”, alors que ce qu'il visait était, disons, une expérience du monde. Si vous recherchez avec le titre vous verrez qu'on propose un synopsis mais pour l'avoir vu je vous certifie que ça n'a pas de sens, pour preuve le fait que, selon le réalisateur-scénariste même, l'auteur original est Jean-Sébastien Bach et l'œuvre originale La Passion selon saint Matthieu. Je dis que ça n'a pas de sens à propos du supposé synopsis, c'est tout-à-fait le genre de trucs qu'on rédige pour pouvoir obtenir l'avance sur recette, ce qu'on voit n'est pas “l'histoire d'un gars qui...” mais un oratorio multimédia, musique, chant, voix, sons, bruits, images fixes et mobiles. Le sens de ce film n'est pas un récit linéaire, c'est le film même, c'est l'objet dans sa totalité. On se laisse prendre, on ne comprend rien de chaque partie mais à la fin on comprend tout, et ce tout est la diversité infinie du monde.
Donc, des christs par millions. Des christs ou des martyrs ou des témoins ou des rescapés ou des résistants, bref, ceux qui se lèvent et agissent quand le temps est venu de se lever et d'agir. Après cela, ils laissent la place à ceux qui recherchent un vaine gloire mais vont de nouveau se lever et agir si les temps reviennent. Et chaque fois, la récolte de bon grain est plus belle, la moisson suivante plus grande. Toujours autant d'ivraie parmi le bon grain mais toujours plus de bon grain au temps de la moisson.
Bon ben voilà, cette fois j'en reste à la parabole, ça fait une bonne base de discussion.