Les illusoires leçons de l'Histoire.

Je prends au sérieux le récit de l'Histoire universelle tel qu'il existe sous les différentes versions existantes, dans l'espace comme dans le temps. Par exemple, une Histoire de la France rédigée en 1872, en 1922, en 1943, en 1963 ou en 2006 est exacte. Chacune diffère et à coup sûr elles sont contradictoires en bien des points mais chacune est une tentative de rendre compte aussi fidèlement que possible cette Histoire, avec les limites des moyens et conceptions de l'époque, des moyens et conceptions de l'auteur. Je ne peux pas savoir si tous les auteurs de ces différentes versions sont assurément soucieux d'exactitude et de véracité mais ça n'a pas tant d'importance, de toute manière une Histoire est par nécessité la sélection d'un fragment très limité de la réalité décrite, elle est toujours vraie en tant qu'elle rend compte de la vérité des auteurs, toujours fausse en tant qu'elle ne peut donner qu'une vision fragmentaire de la chose contée. Tout récit est une fiction car tout récit ne peut rendre compte que de manière très limitée de ce qu'il raconte, que ce soit réel ou imaginaire. D'un sens, un récit d'imagination a plus de vérité qu'un récit documentaire puisqu'il rend compte de la totalité du fragment de vérité propre à l'auteur que celui-ci veut nous présenter. Maintenant, il y a les témoins. Ce n'est pas fiable, les témoins. Or, l'Histoire doit se baser sur des témoignages pour rendre compte des événements.

Il existe un type de comportement que je nomme reconstruction, qui consiste à réélaborer une séquence que l'on ressent être en sa défaveur pour la tourner en sa faveur ou en défaveur d'un tiers, voire pour l'annuler, affirmer qu'elle n'a ps eu lieu. Nous le faisons tous un peu mais certains le font beaucoup. De ceux-là, on peut dire qu'ils vivent dans une réalité qui diffère de celle la plus consensuelle. Je me souviens d'un cas particulièrement marquant, une personne rencontrée à Vénissieux, dans un centre AFPA où je suivais une formation, et dont j'avais observé qu'elle le faisait presque en permanence, qu'elle ne pouvait jamais rapporter un événement sans le transformer, aussi peu que ce soit, pour qu'elle y figure toujours sous un jour favorable, ou un contradicteur sous un jour défavorable. C'était si prévisible qu'un jour ou un stagiaire me rapportait un de ses propos où justement elle avait « assaisonné » un autre stagiaire, et lui ayant dit que c'était probablement faux, lui ne pouvant y croire, je lui ai proposé d'assister à une interaction entre elle et un tiers, et de lui demander juste après de lui raconter cette interaction, et à sa grande surprise elle fit un récit qui ne concordait pas avec ce à quoi il avait assisté. Le problème avec ce genre de témoins est leur sincérité, ils sont convaincus de rapporter fidèlement.

Bien sûr, ces cas limites sont rares mais il y a beaucoup de témoins, disons, honnêtes, qui sans en avoir conscience reconstruisent. Pas beaucoup le plus souvent mais suffisamment pour que leur récit soit faux. À quoi s'ajoute un autre phénomène : rares sont les témoins qui rendent compte fiablement d'un événement, et quand plusieurs témoins confrontent leurs lectures ils vont élaborer une version commune qui résout les contradictions en faveur d'une version qui leur semble la plus vraisemblable et qui est souvent inexacte. À quoi s'ajoute encore que certains témoins, pour des raisons qui les concernent, rapportent sciemment un événement de manière inexacte ou fausse. C'est la raison même pour laquelle les historiens chercheront le maximum de documents ou de traces rapportant un certain événement, de manière à en rendre compte de la manière la plus fiable. L'Histoire est une science révisionniste (terme trop souvent confondu avec « négationniste »), c'est-à-dire qu'on ne cesse de réviser le récit des événements en fonction des nouvelles données, pour en obtenir peu à peu une image de plus en plus fiable. C'est plus large d'ailleurs, la justice par exemple est une pratique révisionniste, la raison pour laquelle on y multiplie les enquêtes et les recueils de témoignage est précisément d'obtenir une version aussi fiable que possible. Et pour les sciences, elles le sont toutes, elles ne cessent d'interroger leurs hypothèses. Karl Popper a nommé cela « falsifiabilité » ou « réfutabilité », et le processus la « réfutation ». Je n'éluciderai pas, consultez l'article de Wikipédia mis en lien pour plus de précisions, si nécessaire.

Vraisemblance d'un récit historique.

En un point, j'ai tendance à supposer que la plupart des événements rapportés concernant l'Histoire universelle sont assez exacts dans leur factualité observable. En un autre point, j'ai tendance à considérer que la logique dite du rasoir d'Occam dans sa reformulation actuelle, « les hypothèses suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables ». Donc, si on me fait récit d'une séquence invraisemblable dont je ne réfute pas la factualité observable il me faut chercher une hypothèse vraisemblable.

Prenons un cas, la tentative d'extermination des Juifs d'Europe entre 1942 et 1945, qui a commencé un peu plus tôt mais dont la phase « solution finale » est dans ces dates. Je ne puis que croire que l'extermination en question a bien eu lieu, il y a trop de preuves bien établies pour qu'elle soit contestable. En même temps, il y a un paradoxe : si je suis Juif et si je vis en Allemagne ou dans un des pays qu'elle occupe, est-il vraisemblable que je consente sans résister au processus allant de mon arrestation à mon arrivée dans un camp d'extermination ? Savez-vous ? Je ne suis pas un animal qu'on puisse conduire à l'abattoir sans que je résiste et lutte, et ne préfère mourir en brave que mourir ou vivre en lâche. Serais-je ce Juif, je serais libre ou mort avant même qu'on m'embarque dans un wagon à bestiaux. La logique me dit alors que cette extermination n'a pas eu lieu. Donc, s'il y eut bien massacre de six millions de personnes, ce que j'admets, ce n'étaient pas des Juifs. Ou du moins, pas le genre de Juifs que l'on dit. Vous connaissez la fameuse phrase de Jean-Paul Sartre, « C'est l'antisémite qui fait le Juif ». Son interprétation courante, que je reprends d'une page Internet, est « Sartre y affirme le poids du regard d'autrui, qui façonne le Juif ». Il y en a une autre, plus directe : celui que vous voyez, là, que l'on envoie à l'abattoir dans un wagon à bestiaux, ce n'est pas un Juif, c'est un antisémite qui « fait le Juif », qui joue un rôle, celui du Juif tel qu'il se le représente. Moi, des Juifs, des vrais, j'en connais, et vous savez quoi ? Ils sont comme moi : plutôt mourir libre que vivre esclave. Et des musulmans, des vrais, j'en connais. Et vous savez quoi ? Ils s'entendent très bien avec les Juifs. Enfin, pas de manière générale, les Juifs et les musulmans sont des personnes ordinaires, ils ont leur affinités, mais pour avoir vécu pas mal de temps à Belleville j'ai pu constater que les Juifs et les musulmans travaillaient ensemble, commerçaient ensemble, vivaient ensemble, et que ça ce passait très bien.

De quelque manière, les événements historiques ont bien lieu comme on nous les raconte, sinon que les étiquettes collées sur les acteurs ne sont pas toujours les bonnes. Un exemple dans l'actualité, DAESH. Ça existe. Maintenant, est-il vraisemblable que les gens qui s'engagent dans cette organisation soient des musulmans ? Non. Je le redis, j'en ai fréquenté beaucoup, des musulmans. Dans l'ensemble ce sont des personnes normales, paisibles, polies, serviables, plus ou moins intéressantes comme individus mais c'est comme tout le monde, je n'ai rien contre personne mais j'ai mes affinités, et qu'une personne soit juive, musulmane, chrétienne, bouddhiste ou agnostique ou athée ou que sais-je, ça ne va pas déterminer mes affinités. Philosophiquement je suis athée et de gauche, socialement je suis en affinité avec les personnes qui m'aiment comme elles-mêmes. Et bien, un athée de gauche qui ne s'aime pas, il y a de bonnes chances que je ne l'aime pas, un chrétien de droite qui s'aime, il y a de bonnes chances que je l'aime. Bref, mes affinités ne se basent pas sur un fait circonstanciel, la philosophie personnelle, mais sur un fait essentiel, l'amour. J'aime, non pas celui qui aime la même chose que moi mais celui qui aime comme lui-même.