Entre moi et ma mère il y a le plus souvent, selon les circonstances, entre zéro mètres et cinquante kilomètres et souvent, entre trois cent mètres et un ou deux kilomètres. Si j'ai idée de lui envoyer un courriel je vais devoir en passer par un serveur de courriel qui se situe à au moins deux cent et parfois plus de cinq cent kilomètres. Ce qui est idiot. Certes, d'un point de vue efficacité ça ne ferait pas grande différence si j'étais reliée à elle en ligne presque directe, au lieu de mettre, je ne sais pas, une à dix secondes, le transfert prendrai cinq à quinze secondes, à quoi s'ajoute cependant le temps pour le serveur de stocker mon message et de le signaler ou transférer au serveur du compte de ma mère. Ce n'est pas très gênant, je veux dire, ma mère n'est pas branchée en permanence sur son serveur à guetter à tout instant l'arrivée de nouveaux messages, donc le recevoir en dix secondes ou en dix minutes, ça n'a guère d'importance, ce qui pose problème est le coût à tous niveaux de l'infrastructure et de la superstructure qui établissent ce genre de transit, notamment le coût énergétique – un serveur ça consomme beaucoup, le transport du signal et surtout son maintien aussi, donc plus les serveurs et routeurs sont massifs, et plus la longueur de parcours du signal est grande, plus mon message aura un coût énergétique important. On ne s'en rend pas compte, d'autant moins que tous les signaux de “l'information”, celle diffusée par les médias, évacuent cette question en parlant des réseaux informatiques comme “virtuels”, alors qu'ils sont on ne peut plus réels, que ce sont des lignes, des routeurs, des serveurs, des antennes-relais, etc., et que tout ça a un coût en ressources matérielles, énergétiques, monétaires, humaines, bref, en ressources sociales. Que penseriez-vous d'un système de transport du courrier où, postant ma lettre dans mon petit village à destination de sa mairie ou d'un résident d'une des communes du canton, on l'envoyait vers un centre de tri à deux cent ou cinq cent kilomètres, qui ferait un premier tri pour transférer des sacs de courrier vers un centre “régional” à cent cinquante kilomètres, qui en transfèrera une partie vers un centre “départemental” à cinquante kilomètres, qui en transfèrera une partie vers un centre “cantonal”, qui en transfèrera une partie vers ma commune, qui le répartira entre ses facteurs. Idiot, non ? Voilà, c'est idiot. Et c'est pourtant ainsi que le réseau de télécommunications électronique fonctionne actuellement. Remarquez, c'est aussi et de plus en plus ainsi que fonctionne le transport de courrier, mais passons...

La toile contre ou avec le réseau ?

J'en parle plus par ailleurs, toute société est constituée à la fois comme une toile et comme un réseau. Reste à savoir quelle forme domine dans l'infrastructure et la superstructure. L'infrastructure est la partie qui transporte et diffuse dans la société, la superstructure celle qui contrôle et répartit. Pour une circulation optimale, la toile doit prendre le pas dans l'infrastructure, le réseau dans la superstructure. Or, tels que le plus souvent réalisés, les réseaux de télécommunications fonctionnent à l'inverse, au niveau de la superstructure on a une toile très peu dense avec un nombre limité de nœuds en charge de la répartition, un réseau très dense et souvent très répétitif avec un très faible niveau de contrôle, au niveau de l'infrastructure on a la même structure mais comme la qualité du transport est tributaire du transport, on a un potentiel de diffusion très élevé avec des nœuds rares, donc facilement engorgés, des “bouchons”. En gros, qu'on réside dans la plus petite commune de France ou dans la plus grande métropole, toutes les voies sont des sortes d'autoroutes et tous les nœuds des feux tricolores ou des ronds-points où le trafic est mis dans des files d'attentes d'autant plus lentes que le trafic est important. C'est sûr, quand les messages partent de ma petite commune ils le font à grande vitesse sur une route très large avec très peu de circulation, mais pour aller juste chez mon voisin il doivent d'abord en passer par le périphérique, entrer dans Paris, en ressortir par le périphérique avant de reprendre la même autoroute qu'à l'aller. Pour prendre un autre exemple, réel celui-là, il en va comme du réseau ferré : quand la SNCF a décidé de mettre tous ses moyens dans le réseau TGV, d'abord elle a laissé se dégrader les autres réseaux par manque de moyens, ensuite elle a délibérément accentué cette dégradation pour tenter inutilement de “rentabiliser” son tout nouveau réseau TGV. Jusqu'à une certaine époque, je pouvais aller de Bourges à Montpellier en ligne presque directe en passant par le Massif Central avec le train Le Cévenol et entre deux et trois changements avec une attente courte, moins d'une demi-heure à chaque fois ; cette ligne a disparu et pour aller d'un point à l'autre j'aurais du en passer, selon les cas et selon ce que m'en proposait le système de réservation de la SNCF, soit par Paris, soit par Lyon, avec un trajet deux à trois fois plus long, entre quatre et six changements et des attentes excédant parfois les deux heures. Inverser le rapport entre réseau et toile a toujours ce genre de résultats.