Dans la réalité réelle c'est comme dans cette chanson d'Étienne Roda-Gil et Julien Clerc, Macumba : le sourd entend, l'aveugle voit. Pas tous et pas toujours, les aveugles et sourds sont des humains comme les autres, ils ont les mêmes manques et défaillances. Quoi qu'il en soit, il n'est de véritable sourd que qui ne veut entendre, de véritable aveugle que qui ne veut voir, de véritable muet que qui ne veut parler. Mais il en va là comme pour bien des choses, notamment la langue, pire et meilleure des choses. Vous connaissez je suppose ce symbole des “singes de la sagesse” : l'un se couvre les yeux, le second se couvre les oreilles, le troisième se couvre la bouche. L'article de Wikipédia cite Confucius expliquant pourquoi aveuglement, surdité et mutisme volontaires peuvent aussi être la meilleure des choses : « De ce qui est contraire à la bienséance, ne pas regarder, ne pas écouter, ne pas le dire, ne pas le faire ». Je dois dire que ma préférence va à cette proposition plutôt qu'à celle placée dans l'introduction, « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal », selon moi s'il faut éviter de le faire il vaut mieux voir et entendre le mal, et le dire, et dire qu'on l'a vu ou entendu. J'ai écrit un texte à propos de la corruption, où je dis cela justement : quand on voit le mal, la corruption, et qu'on la tait, on est autant dans la corruption que qui la commet ou la reçoit.

Depuis quelques temps je souhaite pouvoir rédiger un texte qui devrait censément achever ma contribution à ce site. Je n'aime guère écrire, donc si je pouvais proposer une “conclusion définitive” ça m'arrangerait. Ce n'est pas évident, rapport au fait que si ce n'est pas le cas de tous, du moins en proportion non négligeable mes semblables sont du côté du pire, sont aveugles, sourds et muets pour le pire. Cette conclusion définitive n'étant pas destinée à qui n'est pas dans le pire, à qui je n'ai pas à faire savoir ce qu'elle ou il sait, comment faire voir à qui ne veut voir, entendre à qui ne veut entendre, comment inciter à parler qui ne veut parler ? Du coup je me perds en élucidations infinies et complexes, sans jamais aller à l'essentiel. C'est que, je n'aime guère non plus être directif, dire ce qu'il faut faire, que sais-je de ce qu'il faut faire ? Moi-même je ne sais souvent pas trop quoi et comment faire et suis dans l'erreur plus souvent que je ne l'espèrerais. Alors les bons conseils j'évite sinon pour ce que je sais faire, comme la pâtisserie et les confitures, pratiques où j'ai un certain talent. Je vais tenter ici de rédiger une conclusion définitive mais comme ce sera une pratique nouvelle, je ne certifie rien.


Donc, faux-semblants. Que sait-on de ce qu'on ne connaît pas ? Rien, sinon ce qu'on peut nous en dire. Que connaît-on de certain ? Presque rien. Conclusion provisoire, si on ne souhaite pas savoir ce qu'on ne connaît pas mieux vaut ne pas connaître ce qu'on ne sait pas. Pour le dire autrement, mieux vaut ne pas s'informer sur ce qu'on ne peut pas connaître par sa propre expérience si on ne s'informe pas aussi exhaustivement que possible, et à partir de sources fiables et diverses.

Pour exemple, si on veut avoir idée de l'évolution possible des mouvements migratoires en Afrique dans les trente ans à venir, les pays de départ, ceux de destination, les nombres absolu et relatif de personnes en mobilité, mieux vaut avoir comme source des démographes citant eux-mêmes leurs sources, expliquant leurs méthodes, se basant sur les évolutions en cours et passées de la zone concernée, qu'une journaliste polyvalent spécialisé dans la politique internationale et le reportage de guerre plutôt que l'économie politique et la démographie, dont la source principale sinon unique est un éditorial dans une revue littéraire rédigée par un critique littéraire et concernant un pays n'ayant aucune donnée démographique et économique convergente avec la grande majorité des pays africains, le Mexique – à quoi s'ajoute que, contrairement aux pays Africains, le Mexique a une immense frontière terrestre commune avec la principale économie mondiale, les États-Unis. Comme le propos du journaliste est d'extrapoler sur les migrations africaines en direction des pays européens à partir du cas mexicain, ça pose problème : actuellement, 90% à 100% des migrants mexicains vont aux États-Unis ou au Canada, contre 15% de ceux africains vers les pays européens, et contrairement au cas mexicain la tendance est à la baisse en Afrique, à la fois parce que les pays de départ tendent à s'appauvrir, ce qui réduit les mobilités, et que les principaux pays africains de destination tendent à s'enrichir, ce qui augment encore leur attractivité – pour information, au moins 70% des migrations africaines se font en Afrique.

Je l'admets, cet exemple requiert de beaucoup s'informer pour, disons, discerner le vrai du faux. Je dis que si on ne souhaite pas s'informer pour discerner le vrai du faux, alors on ne s'informe pas puisque s'informer c'est avoir des informations, et qu'une information n'en est une que si elle dit quelque chose de fiable sur la réalité : il se peut qu'une information non vérifiée soit vraie mais pour le savoir il faut la vérifier. Mon conseil ? Ne vous informez pas si vous ne souhaitez pas vérifier vos informations.

Autre exemple, une “information” dans mon actualité. Dans ma conception des choses c'est une “non information”, une nouvelle qui n'a pas de base solide mais qui par la grâce de sa propagation et de sa répétition prend l'aspect d'une information alors que les seules sources disponibles sont pour l'essentiel les précédentes élucubrations sur cette nouvelle. Cette supposée information est la supposée disparition d'un supposé journaliste supposément séoudien et supposément critique du régime séoudien, qui se serait supposément produite après qu'il soit supposément allé à l'ambassade ou au consulat séoudien de je ne sais plus quelle ville de Turquie. Je vous le dis : toute information actuelle (en ce 11 octobre 2018 et probablement encore quelques jours) que vous recevrez concernant cette non information sera fausse parce que, précisément, reposant sur une non information. Conclusion provisoire : quand une nouvelle n'a pas pris le statut d'une information, donc n'est pas vérifiable, ignorez-là, le mal n'est pas d'ignorer mais de ne pas savoir qu'on ignore.


Conclusion définitive : voyez, entendez et dites si vous savez, ne voyez pas, n'entendez pas, ne dites pas si vous ne savez pas – si vous ne savez pas vous informer ni vérifier une information. Rien de pire que les faux-semblants qu'on prend pour des vraisemblances.