J'en parle dans d'autres discussions, pour moi les mots n'ont pas de sens. Ce n'est pas une opinion mais un constat. Je donne notamment l'exemple qu'on peut écrire “y a un os” pour exprimer l'idée ou notion ou concept “y a un paradoxe”. J'aurais aussi plu écrire “y a comme un lézard” et tout un tas de choses sans rapport avec la notion “paradoxe”. Le sens des mots ne réside pas en eux mais dans le contexte, dès lors qu'après une déclaration paradoxale on la commente pour dire ce qu'elle est, on peut écrire presque n'importe quoi de pas trop restreint dans sa signification moyenne habituelle, comme ça commente “un paradoxe”, un os ou un lézard signifieront “un paradoxe” parce que le mot est à la bonne place, celle où doit atterrir la signification “un paradoxe”. Le rédacteur comme le lecteur procèdent à un échantillonnage, d'abord de significations puis de lettres ou de sons “formant mots” pour le rédacteur, d'abord de sons ou de lettres “formant mots” puis de significations pour le lecteur. Les divers argots montrent assez la chose, souvent ils reprennent des formes existantes, des mots, pour leur attribuer un sens autre, une même phrase peut alors avoir une diversité infinie de sens selon qu'on la lise au filtre de l'interprétation moyenne ou au filtre de tel ou tel argot.

Cette caractéristique de la langue est importante pour comprendre comment on peut amener des individus a priori capables de raisonnement et de libre arbitre à se comporter comme des chiens de Pavlov qui répondent à la sonnerie pour aller à la soupe ou tuer le voisin : on leur apprend à échantillonner autrement que ne le fait la majorité des locuteurs de la langue qu'ils sont censés pratiquer. Ma petite blague sur les auditeurs de “notre président” dont la moitié comprend “blanc” quand il dit “noir” et “noir” quand il dit “blanc” parle de manière immédiate du comportement panurgique des gens “de gauche” et “de droite” mais là c'est le type conditionnement admissible et prévisible, “normal”. De manière indirecte, il soulève le point plus problématique des personnes à qui on apprend à associer des significations aux mots, aux phrases et aux textes qui sont imprévisibles et peuvent parfois déclencher des comportements dangereux pour eux-mêmes ou leurs semblables et souvent pour les deux.

Je discute de longue date de la question des complots, en disant souvent que je n'y crois pas et que cependant je les constate. Cela signifie précisément qu'un complot ne peut pas être “vrai” mais qu'il peut être “réel”. Il ne peut être “vrai” parce qu'organiser une sorte de société secrète qui agirait de manière coordonnée pour “comploter” est beaucoup trop complexe pour être réalisable, sauf circonstance exceptionnelle (guerre civile, occupation étrangère) ou situation sociale extrêmement critique. Par contre, un groupe réduit, une ou deux dizaines de membres, décidé à détruire la société dans laquelle il vit, peut parfaitement planifier un projet de type complotiste à long ou très long terme dont le groupe de base reste de ce même niveau de dix ou vingt membres et dont les “complices” ignorent en partie ou totalité faire partie de ce complot. J'en discutais il y a longtemps, le “complot juif international” est une réalité sinon un détail mineur : ce n'est pas un complot juif mais (manière de dire) un complot non juif qui se sert de méthodes “juives” de conditionnement dans un tout autre but que celui prévu par leurs inventeurs, au pire pour disqualifier les juifs et induire des ostracismes ou des massacres (pogroms, génocides). C'est le modèle de “l'infiltré”, on place un agent dans un groupe pas spécialement antisocial ou complotiste, ledit infiltré va prendre une position importante dans le groupe, gauchir peu à peu le projet, inciter le groupe à “l'action directe” et à la fin, balancer ses complices en fournissant les preuves de leurs participations à des opérations criminelles et si nécessaire en les fabriquant. Ce seront des complots “communistes” ou “nègres” ou “écologistes” ou “anarchistes” ou que sais-je.

Les motifs pour faire de telles opérations sont multiples, entre autres créer du désordre, réduire l'influence d'un groupe ressenti comme concurrent, disqualifier un groupe et lui retirer tout soutien possible des autres groupes de la société, etc. Ce type de complots est plutôt dirigé ou suscité par la superstructure étatique avec comme visée de renforcer la position du groupe au pouvoir en suscitant un “ennemi de l'intérieur” qui fera plus aisément accepter par la majorité de la population des “réponses à la menace” coercitives pour toute la population sous prétexte de la protéger. D'un sens ils ne sont pas très problématique même si dans certaines circonstances (Allemagne hitlérienne, Russie stalinienne) ça peut être très ou extrêmement problématique. Les complots vraiment problématiques partent “par le bas”. Je dis “vraiment problématiques” au sens où ils sont difficilement détectables et très diffus. On voit ça ces temps-ci avec les “terroristes djihadistes” qui sauf quelques attentats plus structurés sont le fait de supposés “loups solitaires”, un oxymore car les loups chassent en meute, soit ils sont solitaires alors ce sont plutôt des moutons enragés ou des chiens à tête de loup, soit ce sont des loups alors il y a une meute. Mais sauf parfois pour les moutons enragés, il y a quelqu'un derrière, humain ou loup. Et souvent les deux.

Quoi qu'il en soit, quel que soit le schéma, le principe est toujours le même, un humain sera conditionné de telle manière qu'il apprendra à communiquer selon un schéma discordant, autre que le schéma moyen localement dessiné, il apprendra que les Vrais Humains sont ceux qui ceci et cela et ceci encore et que “les autres” sont de faux humains ou des humains détournés du Vrai Chemin qu'il ne faut pas respecter et le cas échéant qu'il faut éliminer. La discordance sera plus ou moins importante et de ce fait plus ou moins perceptible, à quoi s'ajoute que l'humain conditionné subira ou non un conditionnement secondaire pour apprendre à masquer le conditionnement primaire, “faire à Rome comme les Romains”, on voit ça par exemple avec la famille Mehra, une famille “dysfonctionnelle” comme on dit alors qu'elle fonctionnait très bien. Très différemment de la manière considérée normale, mais dans son “écosystème familial” elle était très fonctionnelle. Le contexte l'a transformée en “nid de djihadistes” ou un truc du genre mais ce ne sont que les circonstances, cinquante ans plus tôt la même famille avec le même schéma dit dysfonctionnel aurait très bien pu baser sa discordance sur la Révolution Communiste qui, dans les années 1954 à 1985 environ était un des modèles courants et dans la période 1955 à 1975 environ celui dominant pour constituer un schéma de conditionnement car ce qui importe n'est pas tant la supposée idéologie de base mais la discordance, plus facile à maintenir si l'idéologie sous-jacente constitue un modèle de comportement positif.

Un “terroriste” ne le devient jamais seul parce que pour, disons, s'humaniser et maintenir un lien avec l'humanité il faut être avec d'autres humains. Quand Manuel Vals a dit un truc du genre « Il ne faut pas essayer de comprendre les terroristes car les comprendre c'est déjà les excuser » il avait à la fois totalement raison et totalement tort, totalement raison terme à terme, totalement tort globalement, compte tenu de la glose qu'il fit de son propre discours : pour lui, “comprendre” se limitait à l'acception “prendre avec soi” alors que pour un sociologue, un politologue, un éthologue, un ethnolinguiste par exemple, comprendre c'est prendre son objet d"étude avec son contexte, ne pas faire l'étude de l'individu ou du groupe restreint indépendamment de ce contexte, pour Vals encore, “excuser” est un synonyme de “pardonner” alors que pour beaucoup il y a un lien entre les deux notions mais qu'il ne sont pas des synonymes, “excuser” c'est “comprendre” au sens dit de comprendre comment une personnalité s'est formée pour déterminer un certain comportement défavorable à la société, déterminer les responsabilités de l'individu, de son entourage et de son environnement, et le cas échéant déterminer ou non des “circonstances atténuantes” voire une irresponsabilité de l'individu, qui sera reportée sur la personne ou le groupe ayant procédé au conditionnement à la source de la discordance, “pardonner” est un double mouvement, l'individu auteur des faits qui motivent, disons, sa mise en cause, doit d'abord “reconnaître les faits”, admettre qu'il a en effet agi contre la société, et la société devra alors mettre en œuvre un processus pour tenter de corriger ce conditionnement. Sans certitude que la “reconnaissance des faits” soit sincère ni que la tentative de correction sera réussie mais du moins, le “moment du pardon” ne peut commencer que si l'auteur des faits reconnaît l'être.

Tout ça pour dire ceci : aussi longtemps qu'une société ne fait pas l'effort de comprendre ce qui, dans son fonctionnement normal, habituel, permet que des situations de ce genre aient lieu, elle pourra poursuivre tous les “terroristes” qu'elle veut, que ça n'empêchera pas des périodes de “terrorisme” de revenir régulièrement, toujours différentes dans l'apparence, toujours similaires dans la structure. Entre autres, comprendre qui est à la source de ces comportements discordants et qu'est-ce qui, dans le fonctionnement même de la société, ne permet pas de détecter rapidement ce type de conditionnement. Remarquez, la réponse est assez simple dans le principe, assez complexe dans la réalisation : le principe est qu'il y a trop de cons et de salauds et pas assez d'indéterminés (voir la page « Stases “ pour comprendre mon propos) et la réalisation est de réduire la proportion de cons et de salauds, ce qui n'est pas la plus simple des opérations puisque pour en réduire la proportion il faut que les cons et les salauds reconnaissent être tels et ma foi, un con est souvent trop con pour pouvoir, un salaud souvent trop salaud pour vouloir admettre être tel... Un long labeur, c'est sûr. Mais j'ai bon espoir que les cons et les salauds reviennent bientôt à la raison, disons, entre demain et dans quarante ans. Soit par décision raisonnée, soit du fait des circonstances, et j'aimerais autant le premier cas.