Paradoxe des paradoxes, les complots n'existent pas, sauf quand ils existent. J'explore ça longuement dans d'autres textes, ici je vais tenter de faire court.

Tout ce qui est dit existe.

Ce principe tient compte d'un fait simple, la manière spécifique des humains de se relier à la réalité en passe par le type de langage qui leur est propre, le langage articulé. Dans cette expression, “articulé” ne renvoie pas au mode de prononciation, dit “articulation”, mais à un trait interne aux langues humaines, qu'un des émules du linguiste Ferdinand de Saussure, André Martinet nomma la double articulation du langage. Soit dit en passant, cet article est lamentable mais peu importe. En revanche j'aime la longue partie sur les considérations de Jacques Lacan à propos de cette double articulation. J'ai de longue date pensé que Lacan était un vrai con, ce que me confirme cette longue citation. J'appelle ce genre de personnage un “illusionniste”. Que fait un illusionniste pour réussir ses tours ? Il induit ses spectateurs à ne pas regarder là où se font les choses. Pour cela il a divers moyens qui ont tous trait à la communication, que ce soit par le geste, la parole, l'attitude ou les moyens matériels qui, en quelque manière, sont des sortes de miroirs car ils servent à donner l'impression que les dimensions d'un objet qu'on regarde sont autres que leurs réelles dimensions. Je dois dire que je n'apprécie pas trop les illusionnistes à effets spéciaux, ils mobilisent de gros moyens pour réaliser des illusions certes spectaculaires mais qu'on peut réaliser avec des moyens très limités, le fameux « rien dans les mains, rien dans les poches » qui est assez souvent vrai. Je reviendrai probablement sur le sujet un peu plus loin.

Les langages humains ne sont pas doublement mais triplement articulés, à quoi s'ajoutent les articulations entre ces paires d'articulations. Saussure, dont on ne connaît l'œuvre sur ces questions qu'indirectement avec la mise en forme par ses élèves de leurs notes de cours, nécessairement imparfaites (tributaires de leur niveau de compréhension des cours au moment de la prise de note), semble avoir songé à une triple plutôt que double articulation, or par le fait ses élèves, et notamment ceux qui occupèrent par après des positions éminentes dans l'univers académique sur les brisées d'un collègue, élève et successeur de Saussure, Antoine Meillet, étaient, plutôt idéalistes alors que Saussure apparaît plutôt nominaliste, raison pourquoi, bien qu'en ayant un peu rendu compte dans le Cours de linguistique générale, ils ont négligé la troisième articulation, celle entre la langue et la réalité. Du côté de ce qu'on peut nommer la part conceptuelle il y a le référent, le signifié et le sens, du côté de la part effective il y a le signifiant, la phonation et les formants. Sens et phonation sont ce que Saussure nomme la parole, la réalisation ou actualisation ; référent et formants sont extérieurs à la langue, du côté conceptuel la réalité pointée, du côté effectif les sons produits ; sens et phonation sont la partie réalisée de la langue, la phonation est l'organisation des sons, leur part significative, porteuse de sens, lequel sens se dégage de cette phonation, la « chaîne parlée ». Comme le disait Saussure, qui de ce point de vue se révèle bien nominaliste ou plus précisément conceptualiste, c'est-à-dire tenant d'une théorie qui postule qu'il n'y a pas de relation nécessaire entre les mots et les choses et qu'en outre il n'y a pas de relation nécessaire entre les concepts, les « idées », et leur réalisation, les mots, il y a un arbitraire du signe, ce que confirme l'existence de plusieurs langues et donc de plusieurs manières de réaliser un même sens, “voici mon père” et “here is my father” sont un même sens sous deux formes, et que confirme la possibilité à l'intérieur d'une même langue de réaliser différemment un même sens (“notre planète est une sphère” a le même sens général que “la Terre est ronde”) ou d'attribuer deux sens à une même réalisation, trait dont tirent parti les inventeurs de « vers holorimes » tels que

Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l'arène à la tour Magne, à Nimes.

Signifiant et signifié sont les parts abstraites de la langue, que Saussure paraphrase en “image mentale” pour le signifié et “forme” pour le signifiant1. Le signifié est en lien, hors de langue, au référent, à la réalité extérieure (concrète ou abstraite) pointée, dans la langue avec le sens, le signifiant en revanche est en relation avec le signifié et la phonation, donc deux éléments de la langue, la phonation étant elle reliée aux formants.

Mis à part mon goût pour la linguistique, je raconte ça pour mettre en évidence le fait que les langues humaines sont des objets complexes qui ne sont pas de compréhension immédiate, il y a nécessité d'un long apprentissage, au moins deux ans, souvent trois ou quatre, pour acquérir les bases permettant d'élucider cette complexité et de commencer à produire de manière assez fluide, « automatique », de la parole. En outre il y a quelque chose d'important à considérer, le processus de production diffère beaucoup de celui de réception de la parole, dans le premier cas on part du signifié pour construire un signifiant et le convertir en une réalisation portée par des formants, dans le second on reçoit des formants qu'on doit en un premier temps analyser pour en déduire une phonation qu'on analysera à son tour en signifiants desquels on infèrera un signifié. L'exemple donné des vers holorimes montre clairement qu'il n'y a rien d'évident là-dedans.


1. Dans le Cours il y a une indétermination, pour des raisons circonstancielles Saussure hésite en un premier temps à user de la paire abstrait / concret parce qu'à son époque le terme “abstrait” est connoté négativement, du fait il utilise en un premier temps la paire forme / substance héritée de la scolastique, opposition abandonnée par la suite.


(à suivre.)