Ce long texte décousu en quatre parties intitulé « Un spectre hante les nuages » a ce titre curieux parce que j'ai de la mémoire et que je relie tout à tout. Le second mot, “spectre”, réfère à une “faille de sécurité” dénommée Spectre parce que, d'après ceux qui l'ont nommé, il “hante les processeurs”. Ouais. À croire que même parmi les supposés scientifiques et ingénieurs il y en a qui croient aux fantômes. Ce mot relie en mon esprit à un roman de Fritz Leiber, Un spectre hante le Texas, et secondairement à un texte de Karl Marx, seul ou avec Engels (dont j'ai oublié le prénom) et de toute manière avec Jenny, Un spectre hante [quelque chose]. Je n'ai presque rien lu de Marx et le peu que j'en ai lu, je n'ai pas pu aller au bout, je suis très peu perméable à la propagande mais très perméable à la persuasion, ce que disent les textes de Karl et Jenny et l'autre qui doit avoir un prénom mais désolé, je ne m'en souviens pas, ce que disent ces textes d'eux que j'ai lus pour partie est de la propagande pour je ne sais trop quoi mais du moins, comme toute propagande ils veulent persuader de s'endormir, comme je suis facilement persuadé leur effet soporifique marche très bien avec moi, après quelques pages ils m'endorment et me tombent des mains, raison pourquoi je ne les termine jamais. Et que je retiens mal leurs titres – à quoi bon se souvenir d'une chose qui ne vous est d'aucune utilité et qui ne vous menace pas ? Il doit hanter l'Europe, le texte de Karl et Jenny et, peut-être, du troisième larron. Enfin non, pas leur texte, le sujet supposé de leur texte. Mais par le fait c'est désormais leur texte qui hante. Qui entre autres hante ma mémoire mais comme une trace difficile à délimiter, un fantôme de souvenir. Par contre Un spectre hante le Texas, qui d'évidence réfère au titre du texte marxo-engelsien, ne hante pas ma mémoire, il y est bien marqué, parce que je ne risque pas, aussi longtemps que ma mémoire me sera fidèle, de l'oublier, ni d'oublier ce qu'il recouvre, un roman très drôle et très pertinent.
J'ai le titre, et j'ai la forme, “un spectre hante [quelque chose]”. Les commentateurs de cette fable, “la faille de sécurité Spectre”, font presque tous émerger le “cloud”, souvent graphié “Cloud”, parce que les noms propres sont simplificateurs et que les mots supposés étrangers opacifient ce qu'ils sont censés désigner, parce que mettre en péril le “Cloud” revient à mettre en péril “l'informatique” ou “Internet” ou “le Web”, choisissez l'opacité qui vous convient le mieux, et des vilains “algorithmes” vont bientôt pénétrer la “faille” et faire des choses très très vilaines. C'est dans la nature des “algorithmes” vilains de faire des choses vilaines. La grande majorité des commentateurs de la fable “la faille de sécurité Spectre” n'est pas en moyen ou en désir de passer son opacité et disserte, non sur ce qu'elle pointe mais sur ce qu'ils croient savoir et comprendre des “failles de sécurité” et parfois, des spectres (l'incarnation de la “faille de sécurité” est très secondaire quand on ne peut, ou ne veut, désopacifier), et parmi la minorité des commentateurs qui peuvent et veulent “désopacifier” pour eux-mêmes, une majorité ne veut ou ne peut aider d'autres à le pouvoir. Une minorité de la minorité peut et veut désopacifier la fable, et peut et veut le faire pour d'autres. Ceux qui ne veulent désopacifier pour eux ni pour les autres n'accepteront pas les discours qui désopacifient, ceux qui ne peuvent le faire pourraient les accepter, savoir si certains le feront est secondaire, ce qui importe est d'en avoir l'espoir. Le titre émerge donc par cette interrelation entre un mot et une forme et un autre mot, et ça résulte en ce Un spectre hante les nuages.
Comme j'ai de la mémoire et que je relie tout à tout, chaque mot m'ouvre à d'autres mots et d'autres concepts et d'autres textes et d'autres situations et... Bref, un mot contient tous les mots, il suffit de le déplier. Par exemple et entre autres, peu après qu'ait émergé Un spectre hante le Texas a émergé Un spectre hante (je ne sais plus quoi) et Karl et Jenny et peut-être le tiers au prénom inconnu (il émergea, “peut-être” concerne sa possible participation, ou non, à la rédaction ou à la revendication du texte). Ces trois-là vont me diriger vers la société vue selon une approche idéologique, deux variantes ou plus de ce qui fut étiqueté au XIX° siècle “capitalisme” et plus récemment “libéralisme”, etc., etc., etc. Soit précisé, ces trois “etc.” à la suite sont “incorrects” non au sens de la syntaxe ou de la grammaire mais au sens du “bon usage”, en gros, “ça n'est pas très convenable de dire ou d'écrire plusieurs fois de suite « etc. »”, mais d'une part je m'en fiche d'être ou non convenable, de l'autre c'est une nouvelle relation, en rapport au film Anna et le roi (aux deux versions que je connais du moins, celle avec Yul Brunner et celle plus récente avec Jodie Foster, la première mettant en avant le roi, la seconde Anna), à la scène où le roi “commet un impair” en disant « etc., etc., etc. », ce que relève Anna, qui est là pour apprendre à ses enfants ou/et à lui le bon usage, et à celle bien plus loin où il ne commet pas un impair en disant « etc., etc., etc. » à la même Anna, parce que ce n'est plus un bon ou mauvais usage de la langue mais un bon usage des relations humaines. Sans que cela domine, mes textes sont souvent référentiels, il relient à beaucoup de choses de la réalité, des choses communes au sens de ordinaires et de partagées, “en commun”. Le plus souvent je ne les explicite pas, genre “Comme dit le roi dans (...)”, parfois si mais souvent par dérision envers moi-même, parfois par dérision envers les pseudo-savants qui “réfèrent” pour donner du poids à un propos léger, genre “comme dit va savoir qui va savoir où”, ce qui a comme effet, le plus souvent, de donner de la légèreté à un propos lourd dans la forme ou le fond. Pour qui a les mêmes références culturelles, cet « etc., etc., etc. » fera émerger un de ces films ou les deux, ou le bon usage, pour qui ne les a pas ça sera juste ça, « etc., etc., etc. », qui “signifie” (à un sens équivalent à) « et ainsi de suite », et qui est répété trois fois pour signifier en outre « et beaucoup de suites ainsi ».
La glose est une œuvre infinie, être glosateur de soi-même permet parfois de faire émerger le sens précis qu'on veut donner à une affirmation ou supposition, être glosateur d'autres peut faire émerger l'interprétation précise que l'on fait d'un texte, être glosateur d'autres peut aussi relever du commentaire et viser à rajouter de l'opacité à l'opacité. Le troisième type de glosateurs sont habituellement nommés “gloseurs” (mot que ne reconnaît pas mon correcteur orthographique et pourtant d'usage ancien, alors que “glosateur”, lui aussi non reconnu, est d'usage rare et supplanté par un quasi-homophone, homographe et homonyme, “glossateur”). Un gloseur ou une gloseuse, nous dit le TLF, est « celui, celle qui glose, qui interprète de manière défavorable, qui est malveillant dans ses propos ». Amusant car “gloser” n'a pas qu'une acception négative et désigne le fait d’« éclaircir, commenter un texte par une glose », par un commentaire, sans que l'on préjuge de sa “veillance”, qu'elle soit bien ou mal ou autre. Causer c'est gloser, reste à savoir comment et pourquoi.
Glosons donc un peu sur le titre de cette discussion. Mais glosons tout d'abord sur cette phrase : « Glosons donc un peu sur le titre de cette discussion ». Je suis le seul rédacteur de ce texte, donc cette forme verbale, première personne du pluriel, présent de l'impératif, ne me désigne pas (pour précision, je n'ai pas une “personnalité multiple” même si mon identité est multiple), donc il désigne vous et moi. Certes, vous et moi sommes à distance, à la distance qui sépare le moment de l'énonciation de celui de la lecture, mais dans toute discussion les interlocuteurs sont à distance, à la distance qui sépare le moment de l'émission de celui de la réception, donc même un “nous” où nous serions proches reste une convention qui ne renvoie pas à une réalité, “nous” est un concept qui désigne au moins deux personnes qui sont ou non réunies physiquement mais qui sont réunies comme une personne, un pronom est un mot “pour un nom”, personnel, un mot “pour un nom qui désigne une personne”, la personne conceptuelle “nous”, qui n'a rien de réel. “Nous” va de deux objets réels à tous les objets de l'univers, en général un ensemble fini d'objets, souvent mais non nécessairement des individus humains. Dire « Nous allons gloser sur le titre de cette discussion » institue une personne conceptuelle qui regroupe le rédacteur réel de ce texte qui va gloser immédiatement et un lecteur potentiel, formel, au moins une personne, qui va restituer cette glose un peu ou beaucoup plus tard, et la mettre à sa sauce. Nous produirons vous et moi une glose proche ou distante dans le temps, dans l'espace, dans la forme, dans le sens, mais ce seront bien deux gloses, donc nous allons effectivement gloser vous et moi. Cette tournure, « Glosons donc un peu sur le titre de cette discussion », est ce qu'on appelle de la rhétorique mais une rhétorique vraie, qui ne cherche pas à masquer mais à révéler, qui vise à instaurer une concordance, une harmonisation. Je ne compte pas que mes hypothétiques lectrices et lecteurs vont « éclaircir, commenter un texte par une glose » qui sera identique à la mienne mais du moins,en réunissant vous et moi dans ce “nous”, j'escompte que ça vous mettra dans une position de lecture puis d'interprétation qui soit aussi proche que possible de ma position d'interprétation puis d'écriture. Non que je veuille que vous ayez “mon point de vue” mais je vise à ce que vous en ayez une compréhension assez exacte.
Donc, glosons un peu sur le titre de cette discussion. J'en parle dans d'autres textes, la partie de ce site intitulée « Révélation sur le mont » réfère au dernier texte de la Bible canonique chrétienne, Révélation, souvent donné comme Apocalypse, et à un des lieux mentionnés dans ce texte, Armageddon, qui est un mont proche de Jérusalem. Sans épuiser les multiples relations que j'ai établies avant et après avoir imaginé ce titre et sans relever les relations effectives faites dans plusieurs autres commentaires, ça se relie directement au fait que “apocalypse” et “Armageddon” sont devenues au cours des temps deux mots interchangeables qui ont pris le sens général de “catastrophe”. Non que j'aie eu idée de parler spécifiquement de catastrophe, de catastrophes, en fait j'ai d'abord songé à mon but général en créant cette partie, qui était quelque chose comme “révéler”, ça a fait émerger “révélation”, qui a fait émerger “apocalypse”, qui a fait émerger “Armageddon”, qui ne m'ont pas convaincus en tant que titres possibles mais m'ont incité à plaisanter là-dessus avec ce titre énigmatique, « Révélations sur le mont ». Qui aura fait le lien avec le livre Apocalypse comme qui ne l'aura pas fait, qui retiendra un des mots du titre ou les deux principaux ou tous les mots, qui “interprètera” ou non ce titre, le trouvera mystérieux. Qui aura un peu parcouru les pages de ce site, aura compris le mode d'être de son rédacteur et aura vu le rapport entre ce titre et Apocalypse le trouvera limpide : une plaisanterie de la part d'un rédacteur qui ne se prend pas au sérieux, aime plaisanter et ne déteste pas déstabiliser ses lecteurs et lectrices pour leur éviter d'accepter ou réfuter ses propos sans en faire la glose, sans « éclaircir, commenter un texte par une glose » qui ne doit presque rien au rédacteur et doit presque tout aux lecteurs.
La glose ça sert à ça : se faire sa propre idée, et non pas se faire l'idée de l'auteur ou l'idée d'un tiers qui sert de filtre à la lecture (par exemple, filtrer sa lecture avec les présupposés idéologiques d'une doctrine religieuse ou politique). J'escompte donc par mes ruptures, mes formules intrigantes ou paradoxales, ma manière désinvolte de rédiger, inciter ma lectrice, mon lecteur, à ne pas croire à ce que j'écris mais à croire à ce qu'elle ou il lit, des mots, rien que des mots, qui par circonstance et par hasard s'alignent les uns après les autres pour composer un recueil de mots d'où ne peut émerger qu'une pensée, celle de la personne qui les lit. Perso, je ne pense pas ce que j'écris, je l'écris, tout au plus ai-je la vague intention d'écrire ce que je pense en sachant que ce ne sera qu'imparfaitement le cas et l'intention moins vague de vous induire à ne pas prendre les mots pour des idées et les textes pour des pensées mais les mots pour des mots et les textes pour des textes, dont il peut parfois émerger des idées et des pensées mais les vôtres, ou celles de qui ou quoi vous sert de filtre à la lecture, mais en tous cas pas les miennes. Apocalypse est un mot qui sert de titre à un livre et sert de moyen pour opacifier la réalité à ceux qui décidèrent un jour de donner ce titre à un texte dont le titre initial est Révélation, sens qu'a le mot “apocalypse” a dans la langue de rédaction initiale de ce texte, le grec. Opacifier, ça consiste à placer une étiquette sur un objet qui soit telle que, par après, on lui donnera n'importe quelle acception, selon le contexte et le but qu'on vise. en France et en 2018, le mot “apocalypse” ne signifier rien d'évident, comme, je ne sais pas, “serrure” ou “cheval” ou “année” ou “cimetière” ou “possible”. Affirmer que ce mot “veut dire « catastrophe »” est un non-sens : un mot ne veut rien, et en tout cas pas dire parce qu'un mot n'a pas d'organe de la parole, par contre quelqu'un qui emploie ce mot veut dire que ce dont il parle est une catastrophe, que cela soit réel ou non importe peu, importe surtout de savoir si on s'arrête à l'opacité du terme ou si on va plus loin, si on va vers la réalité opacifiée.
Exemples : « la catastrophe de Tchernobyl », « l'apocalypse de Fukushima ». Le premier terme, “catastrophe”, réfère à une situation inévitable, imprévisible, “naturelle”, le second, “apocalypse”, réfère à une situation inattendue, impossible, “surnaturelle”. Cela en fait des accidents, des “failles”, des événements isolés. Si on soulève le voile épais que ces mots posent sur la réalité on voit des événements imprédictibles mais inéluctables : quand on organise un processus industriel en le faisant reposer sur un matériel instable et très délétère à très long terme, l'impossibilité de garantir qu'un accident industriel ne se produira pas induit nécessairement qu'on accepte la possibilité inéluctable d'un accident de ce type. Tchernobyl et Fukushima étaient imprévisibles mais inéluctables parce que l'accident est imprédictible mais inéluctable, dont l'accident négatif, “catastrophique”. Tchernobyl et Fukushima ne sont pas des catastrophes ou des apocalypse mais un épisode normal quoique non souhaitable dans l'accomplissement d'un processus industriel. C'est ainsi : parfois des processus industriels connaissent des accidents, parfois ils sont importants et délétères, tenant compte de cela, si l'on opte pour une division des réalisations de ce processus avec des moyens peu dangereux on augmente un peu le nombre d'accidents et on réduit beaucoup leurs suites. Il y a un peu plus de risques qu'une éolienne se rompe et s'écroule qu'une centrale nucléaire ne répande son combustible dans l'environnement, mais que vaut-il mieux risquer ? Bref, gloser est salvateur pour comprendre comment les choses se relient réellement.
Ce long texte décousu en quatre parties intitulé « Un spectre hante les nuages » a ce titre curieux parce que j'aime bien plaisanter et dérouter mes possibles lectrices, y compris celles qui seraient des lecteurs, et son contenu n'a pas d'autre but que de donner à penser sans préjuger quant à ce qui sera pensé, qui ne dépend pas de moi.
Glosateur de la langue.
Je comptais ne pas poursuivre ce texte mais la glose étant une œuvre infinie, relisant ce qui précède pour corriger coquilles, oublis, expressions imprécises ou même grammaticalement incorrectes (pour l'incorrection de bon usage je m'en fiche, comme dit), je n'ai pas manqué de gloser in petto des passages, et décidé de gloser ex petto l'une de ces gloses informulées ou à peine formulées1. J'ai mis un certain temps à retrouver le passage exact qui me relança sur cette discussion. Le voici :
Un gloseur ou une gloseuse, nous dit le TLF, est « celui, celle qui glose, qui interprète de manière défavorable, qui est malveillant dans ses propos ». Amusant car “gloser” n'a pas qu'une acception négative et désigne le fait d’« éclaircir, commenter un texte par une glose », par un commentaire
La vie est compliquée, les discours des objets difficiles à saisir, la mémoire un instrument d'une précision relative, les cheminements intellectuels pleins de sentes labyrinthiques. Et les correcteurs orthographiques des outils imparfaits mais pratiques, notamment pour trouver la bonne orthographe d'un mot comme “labyrinthique” quand on a un petit coup de fatigue. De fatigue du corps, je précise, mon esprit ne l'est que rarement. Je ne suis pas un croyant de la dichotomie corps-esprit, simplement la part de soi qu'on peut déterminer approximativement “esprit” ne connaît pas le même type de “fatigue” que celle déterminable “corps”, cela dit, quand “le corps” est fatigué, la vigilance de “l'esprit” est moindre. Disons, “l'esprit” est la part de soi qui permet d'établir et de maintenir son rapport au monde, qui pour partie a une forme “intellectuelle”, “réflexive”, et quand l'autre part de soi, celle qui permet à “l'esprit” de “se réaliser” (d'interagir avec le reste du monde), est fatiguée, la précision de cette réalisation devient approximative. La fatigue de “l'esprit” est antérieure, c'est la difficulté de cette part de soi à se connecter avec sa périphérie, à agir ou sentir, et qui fait qu'on ne parvient pas à interagir par désorganisation de cette part spirituelle. Donc, je suis fatigué et “je bafouille” ou “je m'exprime mal” mais ma faculté d'interaction est d'un niveau honorable. J'en parle en connaissance, ayant connu ce genre de “déréalisation” à l'occasion, le plus souvent suite à l'ingestion de produits psychotropes.
Donc, ce passage. La définition de gloseur, « qui interprète de manière défavorable, qui est malveillant dans ses propos », est modifiable pour exprimer ce que fait une personne qui glose, elle « interprète de manière diverse, qui est “veillante” dans ses propos ». Le substantif “veillant, veillante” n'est pas en usage, ce qui m'attriste, s'il existe des bienveillants et des malveillants, il doit exister des “veillants” qui n'ont ni bonne ni mauvaise intention, ce que ma fréquentation des humains me confirme, un nombre fini mais grand, bien qu'actuellement minoritaire (mais ça évolue) de mes semblables montre par son discours que sa pratique de la glose est “désintéressée” si l'on considère qu'avoir un discours se fait pour son intérêt, pour quelque gain induit par le discours et venant de ses interlocuteurs. On ne fait rien qui ne soit par intérêt mais le “veillant” ne vise qu'un intérêt, le sien, et ne compte que sur une source, lui-même. Discourir, pour lui, est d'abord gagner du discernement en “organisant sa pensée”, le gain secondaire, recevoir d'un auditoire ou lectorat, est une possibilité mais non une nécessité, cela dit on a toujours un gain dans une interaction entre soi et ses semblables, qu'ils glosent ou non à leur tour, le simple fait de l'interaction augmente son propre discernement par acquisition d'une chose qui n'appartient à personne, du savoir.
Je pense spécialement, en ce moment, à une interaction qui a eu lieu sur ma radio, France Culture, ce samedi 20 janvier 2018, entre 9h05 environ et 9h59, dont je n'ai entendu que les 27 ou 28 premières minutes, ma capacité de résistance à l'horreur de l'incompréhension étant usée à ce moment-là. L'interaction concernait le producteur-animateur de l'émission Alain Finkielkraut, et son invité unique (cas rare, en général il y en a deux), Michel Serres. Tel que je crois le comprendre, Michel Serres est comme être une personne bienveillante, comme être social, une personne “veillante”, il suit sa voie, fait ce qu'il croit devoir faire dans la position sociale qu'il occupe et n'a pas pour projet de vouloir le mal ou le bien de qui que ce soit. On, c'est-à-dire la société, lui a offert la possibilité d'observer le monde du mieux qu'il peut selon ses moyens, et d'en rendre compte. Soit on le comprend, soit non. Ce n'est pas en ses moyens de changer les gens, non qu'il n'en ait la capacité, mais il n'en a pas la volonté, grosse dépense et maigre gain, pour lui et pour les personnes qu'il voudrait changer. Alain Finkielkraut c'est presque l'inverse : comme Michel Serres il occupe une position sociale où on ne lui demande rien d'autre qu'observer le monde et en rendre compte selon ses moyens, par contre il a une “veillance” orientée, longtemps je l'ai pensée “mal”, depuis je la pense “bien”, il a “de la bienveillance”. Comme il a compris la différence entre le Bien et le Mal il veut convaincre ses contemporains d'aller “vers le Bien” et constate que ça ne marche pas formidablement, d'où il en déduit qu'ils sont “dans le Mal”, du coup il se sent lui aussi “dans le Mal” mais autrement, “les autres” sont “contaminés par le Mal”, lui et ceux qui connaissent “le Bien” sont plongés dans le Mal mais non contaminés. Comme il a bon fond, il tente avec la plus grande énergie possible de guider ses dissemblables “vers le Bien” et plus il le fait, moins ça réussit. C'est ce dernier point qui me fait supposer sa bienveillance : quand on est “dans la malveillance” il est somme toute facile de se faire entendre, on part du même présupposé, “les gens” sont “dans le Mal”, par contre on se voit comme étant “dans le Bien”, donc on contribue à l'augmentation du “niveau de Mal”, escomptant que ça détruira ceux qui sont trop avancé dans le Mal et que ça sauvera les autres. Dans les faits, les uns comme les autres augmentent le “niveau de Mal” mais les malveillants en sont bienheureux, les bienveillants en sont malheureux.
Rompons là, je m'embarque dans une nouvelle discussion sans fin, autant qu'elle se poursuive sans moi, car je suis avec fin, et revenons sur mon propos précédent avec ces éléments, qui suffiront je pense. Finkielkraut est un “non-veillant”, il réalise une sorte de veille mais décalée, ne portant pas sur l'ici et le maintenant. Le “bien”, il le situe dans le passé, et veille sur ce passé en le lisant dans le présent. D'évidence, dans le présent il ne peut y avoir que des traces du passé, et plus le temps passe plus ce sur quoi il veille se réduit. Le “mal” étant le “non-bien” et le “bien” étant avant tout dans le passé, le “niveau de mal” ne cesse d'augmenter et le “niveau de bien” ne cesse de baisser. Serres veille sur le présent sans oublier le passé et sans le mythifier, ni en bien ni en mal. Serait-il un “non-veillant” qui veille sur le futur, il aurait l'opinion inverse de Finkielkraut, le “mal” serait avant tout dans le présent, le “bien” dans le futur, voulant que le futur advienne dans le présent il désespère de ne jamais en trouver assez de traces et souhaite la disparition du présent pour que le “niveau de bien” augmente significativement. Serres n'oublie pas le futur mais ne le mythifie pas, le futur n'est pas dans le futur mais dans le présent, le passé n'est pas dans le passé mais dans le présent. N'étant pas malveillant, ni bienveillant, du moins dans ses interactions sociales, comme essence c'est une personne malveillante, car malveillance et bienveillance sont des composantes de tout individu et notamment de tout humain, chacun veut, comme je l'énonce dans plusieurs textes, persévérer dans son essence et dans son être.
Persévérer dans son essence et dans son être.
Mon essence c'est moi. Mon être c'est mon passé et mon avenir. Mon présent commence vers le 10 août 1958, à quelques jours près, et se termine à date indéterminée mais du moins, après maintenant et avec bon espoir alentour de 2060, à une ou deux décennies près, plutôt dans la décennie 2040 je suppose, on verra... Tant que je suis dans le présent, dans mon présent, je suis, avant je ne suis pas, après je ne suis pas. De ce fait, une seule chose m'importe en tant qu'être, le présent, le seul moment où je puis être. Pour mon essence, et bien, c'est compliqué. Je n'ai pas demandé à être et je regrette fort que la seule perspective pour mon être est sa fin inéluctable. Imprévisible mais inéluctable. Je ne dois rien à celles et ceux qui ont concouru au long des générations à mon advenue, sachant cela, et ne dois rien de plus et de mieux à celles et ceux qui adviendront après moi, dont le seul sort de se trouver dans la même situation que moi, leur fin inéluctable, le mieux pour eux serait de ne pas advenir. De l'autre côté, la vie ça n'est pas mal. Ça n'est pas bien non plus, disons, quelque chose entre les deux. Pour le savoir il m'a fallu la connaître et qui aurait-il eu de pire que de ne pas le savoir ? Les générations antérieures m'ont évité le pire, je ne souhaite pas le mieux à celles postérieures. Voilà mon essence : ni le mieux ni le pire, pas trop de mal et pas trop de bien, et autant que possible l'ataraxie. Les bienveillants veulent le pire et cela par le moyen du mieux, les malveillants veulent le mieux et cela par le moyen du pire.
Alain et Michel ne sont pas dans un bateau.
L'émission citée est disponible en ligne sur le site de France Culture, je vous y renvoie pour vérification de mes propos : Michel Serres y parle de la réalité actuelle et dit que dans l'ensemble c'est plutôt moins mal aujourd'hui qu'il y a quelques décennies, ce qui est de l'ordre de l'évidence ; Alain Finkielkraut y parle de la réalité passée, dont ne subsistent que des traces, celles qu'il privilégie sont de l'ordre du “mieux”, ce qui n'est pas advenu dans le présent, qui est le passé. C'est triste à dire pour les passéistes mais le passé est le passé et le chercher dans le présent est vain. Raison pourquoi Finkielkraut ne cesse d'expliquer à Serres que le présent n'est pas le passé en s'énervant tout seul et en reprenant encore et encore le même argument qui se résume en, le présent n'est pas le passé, Serres ne cesse de lui dire calmement que c'est exact, le passé n'est pas dans le présent et donc qu'il faut considérer le présent en tant que présent, ce que Finkielkraut ne parvient pas à comprendre. On a donc un discours évolutif qui s'appuie sur les arguments avancés par l'interlocuteur et un discours statique qui se nourrit de ses propres arguments. Serres est admirable de bonhomie, à sa place j'aurais été assez méchant avec Finkielkraut en faisant en partie comme lui, reprendre ses arguments, mais sans les modifier et en essayant de lui faire expliciter les données objectives et vérifiables qui les étaient. Non pas en lui opposant gentiment des arguments vérifiables, ça n'a pas d'intérêt en ces cas si on veut démolir les arguments de l'interlocuteur, ce que ne visait pas Serres mais que j'aime pratiquer parfois, surtout dans ce genre de situations. De l'autre côté, Serres était plus cruel que j'aurais pu l'être (ce qui n'est pas certain, il m'arrive d'apprécier l'être) en se contentant de dire à Finkielkraut quelque chose comme, vous me donnez des exemples très locaux et très rares pour en faire des généralités, reste que les généralités ne sont pas les particularités et n'ont pas de valeur pour décrire la réalité dans son ensemble. Ce que Finkielhraut admettait du bout des lèvres pour généraliser de nouveau avec une particularité de plus.
Le moment le plus amusant est celui sur, disons, “l'antisémitisme”, d'où il résulte que du point de vue de Finkielkraut l'antisémitisme passé, qui imprégnait une majorité des Français et des Européens, qui était jugée acceptable et même positive, et déboucha sur le massacre de millions de Juifs entre la fin du XIX° siècle et 1954, fut globalement moins grave que celui actuel, minoritaire et, pour l'essentiel, de discours et sans portée réelle. Enfin, amusant, faut le dire vite, 28 minutes de ce débat entre un type raisonnable et un autiste social, ça lasse. Je n'ai rien contre les autistes par circonstance mais beaucoup contre les autistes par décision, ceux qui refusent par choix d'accéder à la réalité, ils m'empêchent de respirer à l'aise et ça, je n'aime pas du tout, pas du tout...
Pour tous les bienveillants et malveillants qui croient que le Mal est ici et maintenant et le Bien ailleurs, une petite histoire, qu'un curé raconta à mon père, Mustapha Hammam, athée impénitent, incroyant définitif et excellent ami de ce curé plaisantin. Mon père me la conta et je vous la conte à mon tour.
Un brave homme, bon croyant et pieux fidèle, meurt de sa belle mort et monte au paradis où on l'admet sans questions, son nimbe immaculé parlant pour lui. L'ange de service l'amène à son nuage personnel où il s'installe à l'aise pour contempler la Face de Dieu pour l'éternité et dans la béatitude. Après un petit bout d'éternité, il se dit, j'aimerais voir à quoi ressemble l'enfer, depuis le temps que j'en ai entendu parler...
Il descend de son petit nuage, parcourt les allées embaumées du paradis, arrive à sa porte où il explique son projet à Saint-Pierre.
— Ah ! Non, mon brave, en Vérité ce n'est pas possible, une fois admis au paradis on ne peut en partir qu'à la fin de l'éternité.
— Je comprends bien, Saint-Pierre, mais je ne veux pas quitter le paradis, je désire seulement voir un peu à quoi ressemble l'enfer.
— En Vérité ça ne peut se faire, désolé mon brave.
Notre homme discute encore un peu la question et Saint-Pierre, de paix lasse (et oui, il n'y a pas de guerre au paradis), lui dit l'aller voir Qui de Droit. Le brave homme expose sa requête à Qui de Droit qui confirme les propos de Saint-Pierre puis, après quelques moments de discussion, songeant qu'il n'avait pas envie d'en débattre jusqu'à la fin de l'éternité, il accepte de laisser le brave homme descendre en enfer une journée.
L'homme arrive en enfer et là, c'est l'enfer ! Ou le paradis, ça dépend du point de vue : un fête sans fin, des plaisirs sans nombre, for-mi-dable ! À la fin du jour notre homme remonte au paradis et s'installe de nouveau sur son petit nuage pour contempler la Face de Dieu. Un autre bout d'éternité plus tard, il se dit qu'il aimerai vérifier si l'enfer est vraiment l'enfer ou si c'est l'enfer. Enfin, vous voyez ce que je veux dire. Il retourne voir Saint-Pierre et renouvelle sa requête.
— Ah ! Non, mon brave, en Vérité vous exagérez, ce n'est pas possible, je vous l'ai dit, vous devez rester au paradis jusqu'à la fin de l'éternité.
— Je comprends bien, Saint-Pierre, mais je ne veux juste vérifier ma première impression.
— En Vérité ça ne peut se faire, désolé mon brave. Allez voir Qui de Droit.
Il va auprès de Qui de Droit qui dans sa Patience Infinie s'agace tout de même un peu. Ça discute, ça négocie, et de paix lasse il lui concède une dernière visite, d'une semaine. L'homme s'y rend et là, c'est l'enfer ! Ou le paradis, ça dépend du point de vue : aussi plaisant que la première fois mais jamais la moindre fatigue, toute une semaine de plaisirs sans fin. La semaine finie, il remonte au paradis et – vous connaissez la suite. Un bout d'éternité plus tard notre brave homme se dit que Woody Allen avait tort, l'éternité c'est long même au début. Il descend de son petit nuage et cette fois va directement voir Qui de Droit pour lui demander de l'envoyer en enfer pour une dernière visite.
— Tu es sûr ? Ça ne te convient pas de contempler la Face de Papa ?
— Si si, c'est très bien, mais j'apprécie aussi les changements.
— Je peux t'envoyer en enfer mais cette fois ce sera définitif.
Le brave homme hésite d'abord, puis après moult réflexions accepte. Il descend en enfer, et là c'est l'enfer ! Je veux dire, l'enfer qu'on lui avait raconté, les diables rouges, les fourches, les flammes, l'huile bouillante, tout le fourbi ! Il s'adresse au diablotin qui garde la porte de l'enfer.
— Mais, je ne comprends pas ? Ça ne ressemblait pas à ça les autres fois !
— Eh ! Mon gars, faut pas confondre tourisme et immigration...
Ah oui ! L'autre, ça m'est revenu en me relisant pour voir s'il y avait des coquilles (et il y en a, c'est ainsi..), l'autre là, dont je cause plus haut, son prénom c'est Frédéric ou Friedrich ou un truc du genre – un truc genre prénom.