Il y a un problème quand on veut convaincre que ce qui est vrai est vrai, la relativité. La vérité, quelle qu'elle soit, ne concerne qu'un et un seul individu. Nul ne détient la même vérité que quiconque autre. Voilà où gît le premier problème : les vérités d'évidence ne sont pas très convaincantes, à preuve, chacun sait que sa vérité est unique, très peu en tirent parti en refusant de considérer toute autre vérité comme vraie. Accepter la vérité d'un autre c'est commencer à renoncer à sa propre vérité. Et voilà où gît le second problème : dès que l'on commence à renoncer à sa propre vérité, on renonce à sa propre liberté. Ces deux premiers problèmes n'en sont pas intrinsèquement, ils en deviennent avec le troisième problème : quand on renonce à toute vérité. Passé un certain niveau de renonciation, variable selon les individus, il devient impossible de discerner le vrai du non vrai, que cela découle de sa propre vérité ou d'une autre, et passé un autre niveau il devient impossible de discerner le vrai du faux. Arrivé à ce point il devient très aisé à un tiers qui comprend comment cela se produit d'amener un individu à prendre le vrai pour le faux ou le faux pour le vrai, et assez aisé de le fixer sur le faux et dès lors de lui faire négliger le vrai. Arrivé à ce point, il devient en revanche difficile de fixer un individu sur le vrai, ou de lui faire considérer que le vrai n'est pas le faux, ou que le faux n'est pas le vrai. Ma description pour tout ça, je lui ai collé l'étiquette “illusionnisme”, en ce sens que tout s'articule sur des pratiques qui ressortent de l'illusionnisme matériel, la construction de machines qui trompent sur ce que l'on voit, de celui immatériel, la prestidigitation, de l'escroquerie, qui est une forme uniquement verbale d'illusionnisme immatériel, et de la révélation, qui est une forme verbale de l'illusionnisme matériel. En théorie, le quatrième cas n'est pas de l'illusionnisme, en pratique c'est moins évident...


Ce qui constitue la limite de la quatrième forme est simple : les individus, tous les individus, ici spécifiquement tous les humains, ont une fâcheuse tendance à devoir voir pour croire, c'est mon cas, c'est le vôtre, c'est le cas de tout un chacun. Lutter contre cette tendance est un travail de tous les instants. Un travail aisé à réaliser mais qui requiert un très haut niveau de vigilance, ce qui n'est pas très difficile non plus mais qui n'est par contre pas aisé à maintenir. Exemple concret : vous et moi savons que si l'on se frotte à une ortie ou si l'on est piqué par un insecte (puce, abeille, guêpe), pour peu que ce ne soit pas massif ou qu'on n'ait pas de réaction allergique le mieux est de ne pas en tenir compte et de ne pas tenter de réduire la douleur ou l'inconfort, dit autrement, de ne pas frotter ou gratter le point douloureux : plus on frotte, plus la toxine ou le venin pénètre dans la peau, plus la douleur augmente, plus on frotte, plus... Bref, ne pas frotter est la vraie méthode pour que cesse le plus vite possible la douleur. On le sait mais souvent on n'en tient pas compte et on frotte ou on gratte, ce qui soulage un peu, toujours un peu moins à chaque fois, alors qu'après le répit la douleur est plus intense. Un jour, il y a longtemps, vers mes vingt-cinq ans, je me suis fait la réflexion que c'était idiot de faire ce que je savais ne pas devoir faire, et j'ai décidé de ne plus frotter ou gratter (dans mon cas, les piqûres était celles de moustiques). Au début ça ne fut pas évident, gratter là où ça fait mal est un réflexe et lutter contre un réflexe ça demande beaucoup de vigilance. En moins de trois mois mon nouveau réflexe fut de ne pas frotter. Depuis, “je n'y pense plus”, en réalité “je pense à ne pas y penser” mais de manière réflexe, de même qu'auparavant “je pensais à y penser” de manière réflexe, je pensais à me gratter “sans y penser”.

Dans mon exemple, “voir pour croire” consiste à “voir la douleur”, qui est une réalité on ne peut plus réelle, alors que le nouveau réflexe consiste en “croire sans voir”, croire que si l'on néglige ce que l'on constate, ce que l'on constate deviendra réellement négligeable, ce qui est vrai. Après quelques mois le constat répété de la réalité du fait devient une vérité, c'est-à-dire une évidence qui ne demande pas de vérification, un réflexe. La vérité, le vrai, n'est pas toujours de l'ordre du réflexe mais du moins, le processus général est toujours le même : ne pas se précipiter pour agir ou réagir, prendre la mesure de la réalité immédiate et des conséquences possibles à court, moyen et si besoin long terme de son action, ne pas agir en fonction du seul contexte, réfléchir même brièvement à quoi faire et comment.


Partant de là... Et bien, partant de là tout est dit.


Enfin, presque tout. Si je ne suis guère partisan des étymologies fantaisistes je ne déteste pas relever les rencontres formelles, en ce cas, après avoir songé au titre de cette page je n'ai pu m'empêcher de songer que dans bien des cas convaincre c'est “vaincre les cons” – et en cas de victoire, vaincre les salauds. Non que je considère réellement que l'univers humain est peuplé de salauds et de cons, à l'instar de ce que je développe dans plusieurs pages. Il s'agit d'un modèle de comportement – cela dit, des “vrais” cons et salauds il y en a mais ça n'est pas le cas le plus courant. Le “con” est dans cette modélisation la personne qui tend à ne pas se projeter dans les conséquences de ses actes, y compris les actes de parole, à ne prendre en compte que l'ici et le maintenant, le “salaud” est celui qui peut se projeter mais ne tient pas compte des conséquences dont il suppose qu'elles ne le concernent pas pour se focaliser sur celles qui auront probablement une conséquence pour lui, et qui tentera autant que possible de diriger la situation vers celles qu'il suppose favorables ou de l'écarter de celles défavorables, non en soi mais pour lui. les “salauds” dans ce modèle sont ceux qui, considérant leur intérêt propre et forts de leur avantage sur les “cons”, vont pratiquer les trois premières formes d'illusions, choisissant l'une ou l'autre forme suivant l'hypothèse qu'ils ont quand au caractère fondamental des personnes visées, “cons”, “salauds” ou, que dire ? Neutres ? Indéterminés ? Oui, quelque chose de ce genre. On ne sait pas à tout coup qui est qui, si le salaud a une bonne hypothèse pour la connerie il optera pour la prestidigitation, s'il suppose un salaud pour l'illusionnisme, s'il ne sait pas ou suppose un indéterminé, pour l'illusionnisme immatériel, qui n'est pas strictement immatériel. Parfois je parle de ventriloques ou de marionnettistes en ce sens que l'escroquerie se fait toujours à deux, un “con” et un “salaud”.

Formellement “le salaud manipule et contrôle le con”, le seul à agir. Cette technique permet d'éviter au salaud d'être mis en cause, et au con d'être responsable. Ce sont des rôles, on peut avoir deux salauds ou une paire con-salaud (on peut avoir aussi deux cons mais là, c'est rarement efficace), le but étant de mettre la responsabilité sur un “irresponsable”, or un “irresponsable” ne peut être “responsable”, ce qui réduit ou annule les risques. Bien sûr si c'est une paire con-salaud le salaud peut ne pas trop tenir compte des conséquences pour le con : tromper un complice con est un faible risque, un complice salaud un gros risque. La raison de ce scénario de ventriloquie est lié au risque que fait courir la victime : un con n'en fait courir presque aucun, un salaud ou un indéterminé fait courir un risque au niveau de la responsabilité, donc plus on réduit le niveau de responsabilité plus on réduit le risque – car il est dangereux de prendre un salaud ou un indéterminé pour un con.