La rançon du succès, ou : une téléologie non téléologique.
Un jour, la vie est apparue sur cette terre. Depuis qu'elle prit conscience d'elle-même de manière clairement explicite, soit avec les humains (on peut faire l'hypothèse pour l'heure non vérifiée et non vérifiable de cas antérieurs de “conscience de soi” mais bon, le cimetière des idées est plein de certitudes que des hypothèses invérifiables ont enterrées quand on put les valider, quoi qu'il en soit on peut certes faire cette hypothèse de cas antérieurs mais pour nous, ici et maintenant, la longue histoire de cette conscience de soi explicite commence avec les humains), donc, depuis ce moment elle tente comme entité de créer à son niveau global l'unité perdue de la première étincelle de vie, avant que celle-ci, se reproduisant, se divise, se divisant se sépare et se différencie, créant d'un même mouvement l'amour et la haine, la détestation de sa naissance et de son origine, le regret de l'unité perdue et le désir de la destruction de la diversité.
Très joli, ce début, très poétique. Je me vante rarement mais là, c'est bien tourné. J'ai comme dans l'idée qu'il va me falloir aller vers le prosaïsme pour explorer ce début. Je n'aime guère donner dans le prosaïsme mais bon, il faut penser aux personnes hermétiques à la poésie, lesquelles sont légion il me semble. Du moins pour l'instant.
La vie extra-terrestre ou la vie intra-terrestre ?
Un bout de temps qu'a émergé cette question de l'origine extra-terrestre de la vie, sans la dater précisément je la situe comme question explicite alentour de 1500, à un siècle près. Avant cela c'était uniquement de l'ordre du symbolique. L'équivalent antérieur de l'origine extra-terrestre est “la terre des origines”, ce n'est qu'après que les humains commencèrent à prendre clairement conscience de la finitude de leur espace de vie, de la sphéricité de la Terre, donc au temps des premières circumnavigations ayant eu publicité, vers 1500, que “la terre des origines” ne put plus être “plus loin vers l'horizon”, donc elle devait être “plus loin sous la terre” (origine chtonienne) ou “plus loin dans l'espace” (origine céleste). Pendant longtemps la seule réponse admissible par les sciences et la politique fut l'origine chtonienne, l'origine céleste étant réservée aux arts et à la théologie. Non parce que ce fut réellement la seule possible mais parce qu'une hypothèse ne devient scientifique ou politique que si l'on a les outils conceptuels et les instruments de mesure qui puissent donner de la consistance à une hypothèse. Je passe sur les étapes mais il fallut la conjonction de toutes les sciences exactes et pondérales (physique, chimie, biologie, géologie, astronomie...) pour que puisse émerger une hypothèse consistante de l'origine extra-terrestre de la vie. Comme lesdites sciences ont une fâcheuse tendance à ne pas s'intéresser à leur passé sinon pour les résultats, les acquis, et comme de toutes façons cette manière de faire progresser le savoir est inévitable, en un premier temps, dès lors que l'hypothèse céleste devint vraisemblable émergea “la querelle des anciens et des modernes”, partisans exclusifs de l'une ou l'autre théorie, les rares “unificateurs” n'ayant pas encore les moyens intellectuels et matériels pour “scientifiser” leurs hypothèses, les outils et instruments nécessaires à cela. Ce n'est qu'après la double validation scientifique des deux hypothèses que peut réellement émerger une hypothèse fédératrice qui postule de manière consistante puis qui vérifie que la seule théorie valable est celle de la double origine. Mais ça prend du temps...
Beaucoup de raisons font que les choses se passent systématiquement ainsi, certaines “bonnes” (« ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, qu['on] ne la connusse évidemment telle »), d'autres “mauvaises” (“secret des affaires”, “avantage compétitif”), et l'une ni bonne ni mauvaise mais du moins qui constitue un frein : la routine, l'habitude, le confort. Des raisons bonnes et mauvaises entre guillemets parce qu'elles ne le sont pas intrinsèquement mais le deviennent quand elles sont dominantes, quand la prudence devient le refus de ce qui innove, quand l'émulation devient la compétition. La prudence est a priori bonne mais en excès devient mauvaise, secret et avantage sont a priori mauvais mais deviennent bons dans la modération. Toujours est-il, le processus “théorie chtonienne” puis “théorie céleste” puis “théorie unificatrice” est inévitable, pour des questions instrumentales : quand une théorie unificatrice émerge puis se consolide, celle antérieure devient obsolète et un cycle nouveau de “recherche des origines” démarre ; la théorie chtonienne arrive en premier car il faut en un premier temps se servir des instruments disponibles, lesquels ne permettent une étude certes plus fine et plus précise que de ce qu'on pouvait déjà étudier, donc ce qui est de disponibilité immédiate ; pendant un temps plus ou moins long s'inventent de nouveaux instruments qui permettent d'étudier au-delà des limites, et qui à un moment permettent de valider des hypothèses d'origines distantes, célestes au sens où ce qui se trouve au-delà des limites du connu est “au-delà des limites des terres” – les nouvelles terres sont toujours à la fois le pire et le meilleur, “l'enfer” (chtonien) ou “le paradis” (céleste) et comme on préfère le paradis à l'enfer, on privilégiera les hypothèses célestes. L'enfer est chtonien car il est “ici et maintenant”, le paradis est céleste car il est “ailleurs et demain”.
La logique veut que ce qui valut hier et à plusieurs reprises vaudra demain de nouveau. En ce début de XXI° siècle on a deux hypothèses promues théories pour l'origine chtonienne ou celle céleste de la vie, en termes actuels “terrestre” (donc intra-terrestre, “née de la terre”) et “extra-terrestre”. La réponse est, comme toujours : l'union du Ciel et de la Terre, bref, en termes “scientifiques” « à l'interface entre l'espace et la planète ». Avant d'en arriver là, il fallut le long chemin prouvant dans toutes les sciences établies qu'il y a une unité profonde de tout ce qui constitue l'univers, que tout ce qui existe apparaît comme cas particulier de deux états, en premier la part “céleste” apparaît un cas particulier de celle “chtonienne”, puis l'inverse, et à la fin les deux apparaissent non plus un cas particulier l'un de l'autre mais deux états d'un même cas. En termes actuels les deux cas sont étiquetés “matière” et “énergie”, il apparaît depuis la validation expérimentale des théories estimées prépondérantes dans l'ordre des théories, celles de la physique, que la relativité générale et la mécanique quantique sont à la fois valides et incompatibles, et c'est là qu'intervient la routine : quand les résultats confirment la théorie, l'habitude pousse à faire “la même chose en plus gros”, on peut difficilement renoncer à ce qui fonctionne pour tenter d'abord d'imaginer, puis de réaliser, d'autres outils et instruments. De ce fait, depuis près d'un siècle les “relativistes” comme les “quantiques” ne cessent d'affiner la connaissance de ce qu'ils connaissent déjà sans vraiment songer à chercher autrement, et cela radicalement. De chercher sérieusement la racine commune aux deux hypothèses. Ce qui est à leur interface.
Revenons aux origines.
Retour au pays natal ou : en étrange pays dans son pays lui-même.
J'aurais aussi pu prendre pour titre de cette partie celui d'un roman d'André Dhôtel, Le Pays où l'on n'arrive jamais. Partant du fait que tous les humains ont une origine commune et que cela commence quelque part en Afrique, et partant du fait que, comme lors de toutes les évolutions significatives antérieures, ils sont à la fois des vivants comme les autres et des vivants différents, singuliers, il se passa ce phénomène que leur particularité en tant qu'espèce, qu'on peut nommer “communication médiate différée”, leur permit à la fois de voir des “différents” comme des “semblables” et des “semblables” comme des “différents”. Jusque-là l'identification d'un semblable était inscrite dans l'individu même, son odeur, sa forme, son comportement, sa manière de communiquer l'identifiaient comme “du même groupe”. Les humains ont inventé une nouvelle manière d'être au monde, pour précisions les autres pages de ce site ou les ouvrages de spécialistes de l'évolution et du comportement, toujours est-il, depuis un temps plus ou moins situable mais de l'ordre de trois à six millions d'années ils devinrent capables de conserver la mémoire de leurs prédécesseurs et d'échanger, disons, des pensées, et des pensées assez complexes. On peut dire que jusque-là l'identification d'appartenance était “dans le corps” et qu'avec les humains (et quelques autres espèces, notamment chez les corvidés et les céphalopodes, et à moindre degré chez certains mammifères) elle se fit “dans l'esprit”. Cette capacité eut des effets secondaires imprévisibles, entre autres et “pour le bien” la capacité de reconnaître comme “même” un “autre”, et “pour le mal” d'identifier un “même” comme un “autre”.
Du fait que pour partie l'évolution d'un groupe se fait “entre ses membres”, quand un groupe se divise, généralement parce que son territoire exploitable, son “espace social”, ne peut pas assurer la survie de tout le groupe, très vite chacun devient “autre”, en une ou deux générations la “culture de groupe” diverge assez pour qu'ils ne s'identifient plus comme “du même groupe”. À l'inverse, si deux groupes se rencontrent dans une espace social qui assure aux deux groupes la subsistance ils peuvent aisément, dira-t-on, “s'harmoniser” pour leur profit mutuel et très vite, après une ou deux générations, c'est “le même groupe”. Là-dessus, la “mémoire ancestrale” portée par la langue, par les récits de l'histoire du groupe, garde la trace des origines, du “pays natal”. Un jour ils y reviennent et découvrent des étrangers occupant le sol natal ; en réciproque les autochtones voient arriver des étrangers qui parlent une langue étrange et ont un comportement “anormal”, et qui semblent vouloir occuper leur espace social. D'où le titre de cette partie : le retour au pays natal vous fait vous trouver en étrange pays dans votre pays même.
Sans dire que ce fut toujours merveilleusement merveilleux, du moins pendant longtemps les conséquences de ces rencontres ne furent que rarement extrêmes parce qu'il y avait toujours un ailleurs possible, où certes on rencontrait des “autres” mais comme le plus souvent l'un des groupes était très minoritaire les deux finissaient par se fondre. Depuis 1500 environ c'est effectivement terminé, depuis 1850 environ (je date plutôt ça de la décennie 1860-1870) c'est réellement terminé, il n'y a plus d'ailleurs possible, quelque endroit où l'on se rende il est occupé par des humains “du même groupe”. Il fallut deux catastrophes, les deux guerres mondiales, et une longue période d'ajustement, en gros de 1948 à... dans quelques temps (la période est en cours mais ça tire à sa fin), pour parvenir à la prise de conscience d'une part significative de l'humanité que la vieille méthode de régulation des problèmes internes, envahir le voisin, à l'occasion du conflit réduire une part significative de la population, laisser les membres les plus perturbant sur place pour “coloniser”, dit autrement, laisser en paix les autres membres du groupe et faire leurs conneries ou saloperies ailleurs, ça ne peut plus se faire, parce que désormais tout trouble dans tout lieu occupé par des humains aura des conséquences néfastes sur l'ensemble des humains. La “mondialisation” ou “globalisation” n'est pas un phénomène nouveau, elle a eu lieu vers 1500 dans son aspect actuel, par contre il fallut tout ce temps pour qu'elle émerge à la conscience de “l'esprit social”, que ça devienne un fait connu et reconnu par une part significative des humains.
Ne reste plus qu'à régler quelques problèmes mineurs, du genre faire revenir à la raison ceux qui se croient “au-dessus” et ceux qui se sentent “étrangers”, pour l'heure et pour encore quelques temps – disons, jusqu'à ce qu'on se mette à coloniser les autres planètes, ce qui ne me semble pas une solution à court terme, une solution à moins de quelques millénaires avec optimisme –, ce ne sont plus des comportements socialement admissibles. Les conquérants et les rebelles c'est très bien si on a l'opportunité de les envoyer ailleurs quand ils sont plus des problèmes que des solutions, c'est très mal quand on doit les garder à la maison passée cette limite du tolérable...