L'inégalité entre humains est un fait évident et durable. pourquoi ? La logique la plus élémentaire serait que l'égalité règne, l'inégalité crée la rancœur, la rancœur la jalousie, la jalousie la haine et la haine la rupture. Le sentiment le plus élémentaire est celui de l'égalité, personne ne veut être “inégal” dès lors que l'inégalité crée un risque de rupture et l'inégalité crée nécessairement un risque de rupture. L'aspiration la plus élémentaire est celle de l'égalité, de l'égalité vers le haut, l'harmonie entre pairs pour monter ensemble évite la rupture. La réflexion la plus élémentaire amène à souhaiter l'égalité, sans égalité pas de réciprocité donc pas de solidarité (qui voudrait, qui pourrait être solidaire de qui n'est pas un égal ?), ce qui crée la rupture ou la prépare. Et pourtant, comme dirait l'autre (ou plutôt, le même, en ce cas), « l'inégalité est la chose du monde la plus partagée », ce qui semble un paradoxe et qui pour une fois dans mes discours l'est (en général, quand j'écris “ce qui semble un paradoxe” j'ajoute juste derrière “mais ne l'est pas” mais là oui, c'est un paradoxe, une proposition « surprenante en son fond et/ou en sa forme, qui contredit les idées reçues, l'opinion courante, les préjugés » – le TLF d'où je tire cette définition, fait comme tout un chacun et parle de quelque chose qui pourrait être « surprenant[...] en sa forme » littérale, or rien de ce qui se dit en respectant la syntaxe ne peut être surprenant dans sa forme, un supposé paradoxe qui serait surprenant dans sa forme ne serait pas un paradoxe mais un propos incompréhensible, or un paradoxe doit être compréhensible dans sa forme pour être paradoxal). Et aussi un oxymore, une sentence où deux termes ou deux propositions sont contradictoires : ce qui est inégal ne peut être “le mieux partagé” puisque tous nous serions “également inégaux”. Les intérêts les plus élémentaires requerraient l'égalité car la rupture menace les intérêts de tous.

L'inégalité entre humains est un fait évident et durable. pourquoi ? Parce que c'est aussi l'intérêt immédiat évident de chacun et que chacun de nous “ne voit pas plus loin que le bout de son nez”, ne peut faire autrement que de faire primer toujours son intérêt propre. Ce qui est vital : le seul être au monde dont je suis certain qu'il a légitimité à vivre est moi. Et c'est le cas de tous et de chacun. La question alors est de savoir ce qui permet à chacun de préserver son intérêt propre. Or il est très difficile de comprendre intimement que ce qui favorise sa propre préservation est l'égalité, difficile de croire et admettre que le partage réel, la division égale de tout entre tous, est ce qui la favorise le plus. Raison pourquoi l'inégalité se préserve au cours des temps.


Pourquoi, comme dit en présentation, « on est toujours “la femme de l'autre”, la “femme” d'un “autre” » ? Parce que l'inégalité fondamentale et dirai-je même, fondatrice, est celle entre “femmes” et “hommes”. C'est antérieur même à l'humanité, c'est ancré dans les comportements de tous les simiens sociaux, les “femmes” et les “hommes” (on peut dire si on le veut “les femelles” et “les mâles” pour les simiens autres qu'humains mais savez-vous ? ça ne changera rien : une femme est une femelle et un homme est un mâle, ergo une femelle est une femme et un mâle est un homme, ce qui fait la différence entre les humains et les autres espèces ce n'est pas les mots, c'est la différence entre espèces, la différence féminin/masculin étant intraspécifique et non interspécifique) sont “différents” (comme dit) et la différence est le germe fécond de l'égalité et de l'inégalité. Il se trouve que les humains ont de longue date, ont dès avant leur apparition opté pour l'inégalité et malgré un long travail sur elle-même l'espèce a du mal à revenir sur ce choix ancestral. Il faut dire, l'inégalité n'est certes pas la chose la plus préférable mais comme c'est la chose la mieux partagée, difficile de décider tous les membres de l'espèce à se séparer de la rare chose qu'ils ont universellement en commun avec le bon sens et deux ou trois bricoles.

Qu'est-ce qu'une femme au regard de l'espèce ? Un humain de second rang, à peine au-dessus de l'enfant et de l'esclave, “prolétaire par nature”. Dans l'antiquité romaine, nous dit le TLF, un prolétaire est un « Citoyen de la dernière des six classes du peuple, sans droit et sans propriété, et qui était exclu de la plupart des charges politiques ». Cette citation va vous expliquer pourquoi les femmes sont “prolétaires par nature” :

Dans l'antiquité romaine, le prolétaire était le citoyen de la dernière classe déterminée par le cens ; exempt d'impôt, n'ayant d'autre bien que sa personne il tenait cette dénomination du fait que son seul espoir de richesse était dans les enfants qu'il pouvait procréer.

Ça c'est le “prolétaire par culture” et c'est nécessairement un homme car dans l'antiquité romaine seuls les hommes, et seulement certains d'entre eux, sont citoyens, pour autant qu'on puisse dire d'un homme qui n'a d'autre droit que le “droit de cité”, le droit de résider en homme nominalement libre dans l'espace de la cité, et aucun autre, soit un citoyen au sens où on l'entend aujourd'hui et où on l'entendait aussi à l'époque, sauf pour les prolétaires, un membre de la cité ayant le droit de donner son avis sur la marche de la cité. Quand on n'a de droit que de résidence et de possession que soi-même, est-on citoyen ? Factuellement, la situation de prolétaire par culture est pire que celle de prolétaire par nature et même que celle d'esclave et de l'enfant, car pour assurer son “statut social” il doit donner une partie de ses biens à la cité pour conserver son unique droit, et comme il n'a qu'un bien il doit donner sa personne à la cité sans contrepartie. Un prolétaire est un citoyen qui n'a pas de biens puisqu'il doit céder son seul bien à la cité, dit autrement il n'a que des dettes et aucun moyen de les rembourser. Même un esclave a moyen de “racheter sa dette”, d'acquérir la liberté en devenant un affranchi, et il en sera quitte. S'il réside encore après cela dans la cité, comme le prolétaire il devra lui concéder une partie de ses biens, et en général a des biens autres que lui-même. S'il le peut et s'il le veut il peut parfois acquérir le statut de citoyen mais comme un esclave affranchi est rarement un imbécile il ne le fera que s'il a la quasi-certitude d'accéder durablement à une classe plus élevée que la cinquième. Pour le prolétaire c'est râpé, il est dans sa classe et sa classe ne lui donne aucun droit, dont le droit de changer de classe. Reste les enfants.

Savez-vous ? Les citoyens, quelle que soit leur classe, ne font pas d'enfants. Cela dit, pour avoir des enfants on n'a pas nécessité d'en faire, on peut les adopter. Mais c'est un droit, et pour les enfants de citoyens un droit réservé aux citoyens. De toute manière ça ne résoudrait pas la question : si même on donnait ce tout petit droit aux prolétaires par culture, et bien ils transmettraient leur statut à ce enfants, ce qui n'est pas le but. Ça se passe dans l'autre sens : le prolétaire peut monter dans l'échelle sociale à travers sa descendance en la faisant adopter par un citoyen d'une classe supérieure. D'où, une femme est un prolétaire par nature puisque la seule possibilité d'un prolétaire citoyen pour avoir des enfants est d'en passer par une femme, qui est la seule véritable richesse du prolétaire par culture, les enfants sont potentiellement l'instrument de la progression sociale mais les femmes en sont le moyen réel. Raison pourquoi la femme romaine doit par nécessité ne pas être égale à l'homme romain et doit lui être inférieure.

Très longtemps dans la plupart des sociétés humaines et aujourd'hui encore dans pas mal d'entre elles, la “classe” ou quelque nom qu'on lui donne (par exemple, la “caste”) est la base d'organisation de la société, quand il s'agit d'une société hiérarchisée, la faible perméabilité d'une classe à une autre le cas le plus courant, l'existence de deux classe “hors classe” vers le bas et vers le haut, celle qui n'a que des droits et aucun devoir et celle qui n'a que des devoirs et aucun droit, étant elle aussi très courante. Régulièrement des sociétés changent les règles et suppriment les classes, et avec la même régularité les classes finissent par se reconstituer, sous une forme un peu différente et souvent sous un autre nom mais en gros toujours la même structure, deux classes oxymoriques (deux classes “hors classe”) et au moins trois, souvent cinq ou sept classes intermédiaires. Avec ceci que la classe inférieure est une classe hors classe et celle supérieure une non classe qui classe. Plus on est haut dans la hiérarchie, plus on a de droits et moins on a de devoirs. Le but général de l'inégalité est de répartir inégalement les ressources sociales, l'idée étant en gros de diviser ces ressources en autant de parts qu'il y a de classes, exception faite des classes hors classes, celle d'en bas n'a d'autre ressource qu'elle même et doit tout à la société, celle d'en haut n'a d'autre obligation que d'être et ne doit rien à la société.