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J'ai souvent le projet, quand j'écris, de me faire comprendre – ce qui n'est pas le cas le plus courant, ce me semble, mais je me trompe peut-être. Me faire comprendre... Un projet un peu et même beaucoup vain, difficile souvent de se comprendre soi-même, alors se faire comprendre par d'autres ! Mais je ne désespère pas. Toujours est-il, un de mes sujets ce sont les complots. J'en ai une conception assez simple, qui correspond presque à la seconde acception donnée par le TLFi :
Projet quelconque concerté secrètement entre deux ou plusieurs personnes.
La première acception, qui sous-tend la notion discutée le plus souvent, soit pour dénoncer un complot supposé ou avéré, soit pour dénoncer une supposée “théorie du complot”, est :
Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté.
Celle-là est trop restrictive car même pour un complot visant, comme dans la définition, à « nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution », l'intention même des possibles comploteurs est souvent autre. Par exemple, les détracteurs de la Révolution française de 1789 – ou de celles qui suivirent – ont tendance à la percevoir comme un dessein secret et concerté de cet ordre, alors que ses défenseurs la voient plutôt comme un “anti-complot”, une lutte contre le complot des privilégiés de l'Ancien Régime, les observateurs distants ayant tendance à ne pas voir de complot dans l'événement même si l'on peut considérer que plusieurs complots se sont opposés ou fédérés lors de la période la plus cruciale – en gros, entre 1787 et 1805, à un ou deux ans près – pour aboutir à un résultat qui n'était envisagé par aucun des possibles complots qui s'affrontent ou se coalisent. De mon point de vue, le seul complot certain de la période est celui qui permit l'avènement du Consulat, mais là encore le résultat final, la conséquence de ce complot, c'est-à-dire la mise en place des institutions qui vont aboutir au Premier Empire, ne correspond pas au projet initial des comploteurs fédérés par Sieyès. Disons, rares sont les complots effectifs, et quand ils ont lieu, rare est le cas où le résultat obtenu est celui espéré.
Donc, un complot est selon moi quelque chose comme un « projet quelconque concerté secrètement entre deux ou plusieurs personnes » sinon un terme : “secrètement”. Non qu'il n'y ait de complots secrets mais celui-ci n'est pas nécessaire pour définir un complot. Pour reprendre le cas de la Révolution française, même la considérant résulter d'un complot on ne peut pas vraiment dire que les supposés comploteurs ont agi secrètement, tel que je le conçois et tel qu'exposé précédemment c'est plutôt la fédération de plusieurs projets plus ou moins formulés, plus ou moins concertés et plus ou moins secrets, et bien sûr plus ou moins concordants. On ne peut pas trouver de projet antécédent, secret et concerté, correspondant à ces deux événements, la révolution initiale de 1789, qui trouve son inspiration principale dans celles du Royaume-Uni et des États-Unis puis, après la tentative de fuite de Louis XVI, la révolution de 1791, beaucoup plus radicale en ce qui concerne la réforme des institutions, par contre on peut trouver plusieurs projets, certains “complotistes”, d'autres non, certains publics, d'autres secrets, certains concertés, d'autres informels, qui l'ont inspiré. Tel que je le comprends aussi, ce qu'on peut parfois lire a posteriori comme une sorte de complot est souvent quelque chose de circonstanciel, rarement secret et rarement concerté, et c'est plutôt une lecture téléologique, donc fausse, des événements qui y voit un complot. Ce qui, pour le redire, n'empêche les cas de complots réels, comme le coup du 18 brumaire.
Après cet exposé aussi bref que possible, allons à la réalité – et à la fiction.
Réalité et fiction du complot.
Tout discours est fiction car tout discours ne rend compte que d'une partie de la réalité et de manière partielle, souvent partiale. Raison pourquoi l'on peut dire que le complot comme objet défini ou comme récit d'événement est nécessairement une fiction. De l'autre côté, il existe des situations dont on peut dire qu'elles correspondent assez à l'idée de complot, et certaines sont proprement des complots, des actions concertées en vue de réaliser un projet allant contre un certain état de la société et visant un individu ou une institution. On ne peut proprement retenir les aspects de dessein secret et d'intention de nuire, ils peuvent exister mais comme dit, ce que lu a posteriori par certains, y compris les comploteurs supposés ou avérés, comme un dessein ne l'est pas toujours, comme secret l'est rarement, et pour l'intention de nuire c'est délicat : elle n'apparaît telle que si l'action échoue ou quand le récit est fait par les opposants à cette action. Sans discuter le fond, il n'y a pas de différence formelle entre l'action des supposés terroristes de la période 1940-1944 en France et celle des supposés terroristes de la période actuelle en France, dans les deux cas il y a une action (plus ou moins) concertée visant des personnes, avec comme but nuire à une institution et si possible la détruire. D'un point de vue subjectif j'estime légitime le projet général des terroristes de la seconde guerre mondiale, illégitime celui animant les terroristes de notre époque, d'un point de vue objectif il n'y a pas de différence formelle, d'un point de vue, disons, historique, ce qui fait la légitimité a posteriori de ce type de desseins est sa réussite ou son échec.
Le complot comme fiction.
Entre, en gros, 1785 et 1965, on peut dire que la France a connu une lutte continue, parfois ouverte, souvent, disons, secrète, entre deux ensembles opposés (lesquels, cela dit, ne formaient pas des blocs homogènes), qu'on peut décrire comme la lutte entre “républicains” et “monarchistes”, entre partisans d'un régime où le détenteur du pouvoir est le peuple et ceux d'un régime où c'est le chef de l'État. Sans affirmer que la question est vraiment résolue, du moins peut-on dire que, pour des raisons internes et des raisons plus globales (insertion dans certaines entités supranationales), il n'est en tout cas plus envisageable, comme ce le fut encore vers le milieu du XX° siècle, de voir s'établir en France un régime qui, même si différent, se calque sur l'Ancien Régime quant à sa structure générale, ou qui à l'inverse se calque sur les régimes “communistes” ou “fascistes” du XX° siècle. Même si, pour des raisons diverses que je discuterai peut-être un peu plus loin, il y a encore bien des options entre un régime assez ou très autoritaire et un régime assez ou très libéral ou réformiste, on peut du moins supposer que sauf événement majeur d'ampleur internationale, voire mondiale, genre troisième guerre mondiale par exemple, la structure générale des régimes à venir en France restera dans l'orientation générale “république démocratique”, avec tantôt plus de république et tantôt plus de démocratie. Reste ceci : la lecture rétrospective désormais dominante de la période d'un peu plus d'un siècle et demi entre les prémisses de la Révolution française et la consolidation de la V° République est circonstancielle. Même si j'ai idée que ça ne pouvait de toute manière pas arriver, ce qui transforma les terroristes de 1944 en résistants de 1945 n'est pas la justesse de leur combat mais la réussite du projet antagoniste à celui des “puissances de l'Axe” comme à celui du “bloc communiste” quelques décennies plus tard. Comme l'on dit, l'Histoire est racontée par les vainqueurs1, si donc j'ai la conviction que les opposants actifs à l'Occupation et au Régime de Vichy avaient un projet général souhaitable, par le fait c'est la réussite de leur camp qui, donc, les a retenus dans l'Histoire comme résistants et non comme terroristes. On peut par exemple avoir une opinion assez défavorable à l'encontre de l'Union soviétique et de son régime, reste qu'au moins de 1921 à 1991, dans cette région du monde, et ailleurs parmi les partisans d'une révolution communiste marxiste-léniniste, le “bon camp” était celui de l'URSS et ses opposants et détracteurs étaient dans le mauvais camp.
Considérant cela, on peut lire tout récit sur un complot comme une fiction, le récit d'un événement ou d'une série d'événements par ceux ne partageant pas les convictions d'un certain groupe et luttant contre lui ou s'en estimant (à bon ou mauvais droit) victimes. Cela bien sûr indépendamment de l'existence d'un complot réel, mon exemple de la Révolution française montre assez je pense que la supposition de l'existence d'un complot contre l'ordre établi de l'époque ne dépend pas de la démonstration d'un complot réel mais dépend des positionnements sociaux, politiques et idéologiques des commentateurs de l'époque – et de ceux actuels aussi, d'ailleurs, même si à un moindre degré. Qu'il y ait ou non une action concertée en vue de renverser l'ordre établi à l'origine d'un certain événement importe donc peu. On peut dire que la supposition d'un complot découle d'une propension assez partagée, une conception de l'Histoire d'ordre téléologique. Il n'est pas évident pour les acteurs d'un événement comme pour qui le considère rétrospectivement d'admettre qu'un mouvement qui modifie rapidement et considérablement la société soit le résultat de circonstances fortuites : les acteurs, qu'ils soient du côté des vainqueurs comme de celui des perdants, auront souvent tendance à, comme je dis, rationaliser, à donner un sens à ce qui n'en a pas toujours, les vainqueurs ne voudront pas paraître opportunistes ni partisans du compromis voire de la compromission, et de ce fait donneront du sens à leur action, le sens d'un enchaînement raisonné et nécessaire d'actions par un groupe cohérent, et bien sûr les perdants tendront à supposer que l'ordre ancien était solide et pertinent et que son écroulement ne peut avoir pour cause leur propre impéritie, donc qu'une action concertée et secrète explique cet écroulement.
Le complot comme réalité.
On peut considérer tout groupe partageant un projet comme d'ordre complotiste en ce sens que le plus souvent ce projet induit de s'opposer plus ou moins fortement à d'autres groupes qui ont un projet équivalent ou antagoniste, en ce sens aussi que dans le cadre même de ce projet il y aura assez souvent des antagonismes internes, des groupes secondaires – des factions – qui s'estimeront les plus aptes à mener le projet et “comploteront” contre d'autres factions pour imposer leur propre point de vue sur la manière de le réaliser, ou simplement occuper les meilleures positions dans le groupe. Sauf rares cas (les actions concertées sans autre projet que, disons, “prendre le pouvoir”, occuper une position sociale la plus avantageuse possible, sans projet social particulier) même un groupe qu'on peut voir de manière objective comme d'ordre complotiste ne se considèrera pas lui-même tel : un parti politique, une association professionnelle (syndicats de travailleurs ou d'employeurs, corporations, ordres, etc.), une Église, ne se verront pas complotistes, mais d'évidence leur projet va contre le projet d'autres groupes antagonistes (projet opposé) ou concurrents (projet similaire), de ce fait ils développeront des actions concertées à la fois pour tenter d'imposer leur projet au plan de la société et pour affaiblir ou éliminer des groupes qui vont contre ce projet. Et bien sûr, dans le courant des choses de nombreux groupes sont en concurrence, qui doivent de ce fait développer des stratégies pour “éliminer la concurrence” : on ne peut pas dire, par exemple, qu'une entreprise de travaux publics complote strictement contre les autres entreprises de leur secteur mais d'évidence si deux entreprises ou plus répondent à un même appel d'offre et que leur propositions sont très semblables, elle devront trouver des moyens secrets pour imposer leur projet, donc agir contre les projets concurrents.
Dans l'ordinaire des choses tout groupe en concurrence avec d'autres emploiera des moyens secondaires tantôt loyaux, tantôt déloyaux, tantôt publics, tantôt secrets, pour s'imposer. Hors cas de paranoïa ou autres types de délires psychotiques ou névrotiques et hors cas de moyens criminels (prévarication, corruption, délit d'initié, voire menaces de morts ou même assassinats) c'est dans l'ordre des choses, je veux dire, sinon tous du moins une bonne part des groupes en concurrence ont ce genre de pratiques. Disons, il y a une tolérance à ce type de procédés tant qu'ils restent dans des limites raisonnables – considérant que la notion de limite raisonnable varie dans le temps et l'espace : dans mon jeune temps, les années 1960 et 1970, et même encore dans les années 1980, on considérait acceptables des affrontements entre groupes de colleurs d'affiches tant qu'il n'y avait pas dommages graves, aujourd'hui ça ne semble plus de bonne pratique en France métropolitaine ; de même, au cours des années certaines pratiques déloyales ont basculé du côté des pratiques illégales, notamment avec une extension importante de la notion de corruption. De ce fait, même si certaines pratiques sont formellement peu distinguables d'actions complotistes, le fait que tous les groupes emploient ces procédés les distinguent des complots. On peut dire que la notion de complot est surtout une conséquence de la perte d'influence de certains groupes ou de leur incapacité à imposer leur projet, et tributaire aussi de changements sociaux importants. Pour reprendre le cas des bagarres entre colleurs d'affiche et celui de la corruption, dans le premier le contexte plus large de l'opposition globale entre deux ensembles antagonistes, fédérés autour de l'URSS et des USA, à quoi s'ajoute que les Français et résidents même parmi les plus jeunes, ceux nés avant 1965, ont une proximité à la guerre et à la violence directement ou par leurs parents et leurs aînés – la dernière guerre ayant mobilisé une large part de Français, même si elle n'était pas censé en être une, s'acheva en 1962 et eut encore des conséquences sur le territoire métropolitain au moins jusqu'en 1964 avec les attentats de l'OAS –, font que la tolérance à la violence était beaucoup plus grande que par après, pour le second, et bien, j'ai quelques doutes quant au processus général dénommé mondialisation mais il a quelques avantages cependant, entre autres l'intégration de presque tous les pays à un même ensemble économique fait que ce qui apparaissait acceptable il y a peu encore, disons, il y a encore trois ou quatre lustres, c'est-a-dire la corruption d'agents économiques ou administratifs d'un pays tiers, ne l'est plus quand le pays en question n'est plus seulement un marché, un débouché, mais un des éléments de son propre système économique – il est amusant d'ailleurs de constater que ce qui était vu comme impossible à réguler au début de ce millénaire, les paradis fiscaux, commence de l'être car nécessité fait loi et comme ça devient toujours plus nécessaire, et bien on trouve moyen de faire des lois réputées il y a peu infaisables.
J'ai une théorie sur la propagande, c'est le mode normal de fabrication des humains, on part d'un singe nu et à force de conditionnement et de bourrage de crâne on obtient un être sinon civilisé du moins socialisé. Ce que l'on nomme proprement propagande est plutôt la déviation de ce processus normal qu'une pratique anormale, antisociale, les propagandistes ou, dans une forme relativement atténuée, les communicants et publicitaires, ne font rien d'autre qu'user de méthodes habituelles d'éducation et d'information en les détournant. Des complots on peut dire la même chose, mettre en place un « dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire » à des groupes considérés antagonistes est quelque chose de normal pour autant que ce soit dans des limites raisonnables – même remarque que précédemment, la notion de limites raisonnables varie selon l'époque et le lieu. Ce que l'on peut proprement nommer complot est, soit le fait vouloir imposer un projet à une population qui n'en veut pas, soit celui de poursuivre un projet autre que celui supposé, de rechercher une position sociale pour des motifs personnels où cette position est un moyen et non une fin – je veux dire, rechercher cette position non pour la fonction sociale qu'elle remplit mais pour réaliser un projet sans utilité sociale, par exemple chercher à devenir président de la République non pour diriger l'exécutif mais pour satisfaire son égo, ou favoriser sa fortune personnelle, ou voyager gratuitement et confortablement, ou que sais-je...
Le piège des mots.
J'explore la question dans plusieurs pages de ce site, avec cette proposition, apparemment paradoxale dans des écrits tissés de mots, textes auxquels j'attribue un sens, les mots n'ont pas de sens. Le mot de sens doit être pris ici dans son acception spatiale, comme dirait un linguiste, même si l'emploi du terme est autre, dans son acception déictique, le sens en tant qu'il sert à montrer, qu'il désigne une réalité concrète ou abstraite : un mot ne sert pas à désigner, à montrer. On doit de ce point de vue séparer les termes de sens et d'acception appliqués à un mot, le sens supposé d'un mot s'applique donc au fait qu'il est censé désigner une réalité, son acception est la manière abstraite dont on peut décrire une réalité d'ordre strictement langagier, par exemple le TLFi définit ainsi le mot “chien” dans son acception de base, « Mammifère carnivore très anciennement domestiqué, dressé à la garde des maisons et des troupeaux, à la chasse ou bien élevé pour l'agrément ». Il en existe d'autres définitions qui le donnent comme quadrupède ou/et du groupe des canidés, etc. Peu importe, la question ici est le fait que cette acception ne rend pas compte d'une réalité autre que linguistique, il n'existe aucun objet concret qui soit un modèle de chien, il me semble que cette définition-ci est l'une des plus exactes que j'aie rencontrées, à comparer par exemple à celle du Petit Larousse illustré de 2005, « Mammifère domestique, caractérisé par un excellent odorat et une course rapide, dont il existe plus de 340 races plus ou moins liées à une fonction spécifique : chasse, garde, agrément, trait », ou celle du Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert, 2005, « Mammifère domestique (Carnivores ; Canidés ), d'une espèce dont il existe de nombreuses races sélectionnées pour remplir certaines fonctions auprès de l'homme ou pour lui servir de compagnon », ou celle du Grand Littré de 1877 (réédition de 2001), « Quadrupède domestique, le plus attaché à l'homme, gardant sa maison et ses troupeaux, et l'aidant à la chasse »2.
Le principal problème d'une définition est de retenir des traits invariants ou, dans le cas de traits variants, de proposer une description invariante non contradictoire à la variété effective. Par exemple, dire d'un chien que c'est un quadrupède élimine de la description tous les membres de l'espèce qui, de naissance ou par accident, ont moins ou plus que quatre pattes, le donner comme domestique et non, comme dans la définition du TLFi, « très anciennement domestiqué », en élimine tous les membres non domestiques. En revanche, tout animal du type chien est un mammifère carnivore. Sans vouloir médire, la définition Larousse est très défectueuse car au-delà du premier terme elle ne retient que des caractéristiques circonstancielles que ne vérifient pas tous les individus, un chien souffrant d'anosmie, ou privation / perte de l'odorat, n'a pas un excellent odorat, un chien vieux ou invalide ou d'une certaine conformité (bouledogue, basset...) ne court pas rapidement, le nombre de races est très variable selon les nomenclatures, la mention « races plus ou moins liées à une fonction spécifique » est contradictoire à la réalité (telle race est sélectionnée et élevée originellement pour une certaine fonction qui n'est pas spécifique, c'est-à-dire propre à l'espèce, et non nécessairement réalisée, et n'est pas une caractéristique de la race mais le résultat d'une éducation, exception faite de races d'agrément entièrement dépendantes d'un environnement humain pour leur survie, comme le pékinois ou le carlin). Il ne s'agit pas ici de faire un palmarès mais de constater qu'il est difficile de définir même ce qui semble le plus simple, ce que disait Augustin du temps, on le peut dire du chien, « Si personne ne me pose la question, je le sais ; si quelqu'un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus »'' : sinon pour des objets manufacturés ou des lieux communs il n'existe pas dans la réalité concrète ou abstraite d'objets toujours identiques et descriptibles de manière uniforme et valable pour tous.
Bien sûr, plus la réalité concernée est polymorphe et informelle plus sa définition a de chances, ou de risques, de ne pas bien en rendre compte. C'est le cas des complots, il y a un modèle abstrait dont la première définition donnée, « Projet quelconque concerté secrètement entre deux ou plusieurs personnes », rend à-peu-près compte, mais nombre de cas de complot, disons, réels, n'y correspondent pas, et nombre d'activités humaines qui ne sont pas estimées former des complots y correspondent, en tout premier, comme relevé, il n'y a pas nécessairement de caractère secret à ce qu'on peut considérer un complot, et comme non encore relevé ainsi même si mentionné, nombre d'événements estimés par certains constituer des complots n'en sont probablement pas. Enfin, comme exposé l'étiquette répond aussi à un contexte : un coup d'État qui échoue ou dont le résultat n'est pas celui escompté sera vu comme un complot, un coup d'État qui réussit et donne le résultat prévu sera autre chose, un retour à l'ordre, une révolution, une réforme des institutions. Bien sûr, les perdants et leurs partisans vont avoir une autre perception des choses mais sauf rare cas, le nouvel état des choses sera assez vite au pire équivalent à l'ordre ancien, souvent meilleur, du fait les perdants perdront aussi rapidement une large part de leurs partisans. Bref, les complots sont plus souvent une affaire d'opinion que de fait ou plutôt, l'analyse d'un événement comme un complot ou non est principalement subjectif.
Le complot comme accélérateur ou frein de la société.
Même si un complot peut concerner tout groupe, du plus restreint, famille par exemple, au plus large, le Grand Complot International des Maîtres du Monde par exemple – idée douteuse bien qu'en partie fondée –, et tout secteur, ceux qui m'intéressent le plus sont ceux qui concernent des entités politiques et sont d'ordre politique ou idéologique. Comme je suis un esprit simple mes catégories sont très larges et ne segmentent pas inutilement la réalité, de mon point de vue l'économique ou le social sont aussi politiques que l'institutionnel ou l'administratif, le religieux n'est pas moins idéologique que le politique au sens restreint, celui des opinions et associations politiques, disons, tout groupe dont le projet requiert d'intervenir sur l'infrastructure d'une entité politique pour favoriser ses projets est un groupe politique, tout mouvement dont le projet est de modifier sa superstructure en vue de transformer la société est idéologique, les deux choses pouvant se combiner. On peut aussi parler de complots matérialistes, l'action sur les institutions étant alors un moyen pour une fin qui ne concerne que le groupe de comploteurs, et de complots idéalistes où cette action est la fin du projet. In fine l'action de comploteurs sur la société est similaire, quel que soit leur but supposé, pour exemple on peut faire du culturisme pour gagner des concours ou le faire comme un but en soi, sans intention autre, dans les deux cas, que le travail sur son corps soit un moyen ou une fin le corps sera également transformé et on sera également en position de gagner un concours. Agir sur l'infrastructure modifiera la superstructure, et modifier la superstructure agira sur l'infrastructure.
Pour compléter la comparaison avec la propagande, les complots sont un mode de fonctionnement nécessaire à la vie sociale, ce qui apparaît ou semble un complot n'est que la mise en œuvre d'un processus social habituel dans un but inhabituel, “non social”, cela entre guillemets en ce sens que des actions de type complot n'ont de validité que dans le cadre d'une société, le caractère inhabituel, “anormal”, venant de ce que la société sur laquelle on agit ou que l'on veut modifier n'est pas celle pour laquelle le groupe de complot met en œuvre son projet.
La lutte de chacun contre et avec chacun, de tous contre et avec tous.
Le but de tout individu, du plus humble virus à l'organisme le plus complexe, est d'assurer sa propre survie et si possible sa continuité ou, selon ma formule, de persévérer en son être et en son essence. Une société, humaine ou autre, est une sorte d'individu, avec ceci qu'elle se compose elle-même d'individus – à considérer que c'est aussi le cas des organismes ou autre forme de pluricellulaires, sinon qu'ils ont une autonomie restreinte voire nulle, une société se composant d'individus assez ou très autonomes. Il y a des degrés, les formes de pluricellulaires les plus amorphes, que je nomme pour mon compte des colonies, sont formées d'individus assez autonomes qui ont l'opportunité de survivre indépendamment du groupe alors que les cellules d'un organisme sont dépendantes du groupe pour cette survie, et du côté des formes sociales, l'autonomie d'un polype du corail est à-peu-près nulle, celle des insectes sociaux est très faible, à l'opposé les individus des sociétés d'organismes très complexes, spécialement chez les mammifères et chez certains oiseaux et céphalopodes, ont une capacité de survie autonome assez ou très grande.
J'en discute largement ailleurs, et cela me semble de toute manière assez évident, la vie est un phénomène précaire, tant au niveau global qu'individuel. L'intérêt de l'individu est donc de se préserver et si possible de se perpétuer, pour cela il doit alterner entre opposition et collaboration avec des individus de son espèce ou d'autres. Dans mon appareil conceptuel, je nomme le phénomène collaboratif “conspiration”, celui oppositionnel “complot”.
Excursus. Les concepts.
Gilles Deleuze est un philosophe parmi les plus idiots, domaine où pourtant ils sont légion. Pour bien des raisons mais en premier ceci : « La philosophie est l'art de former, d'inventer, de fabriquer des concepts ». Tout mot de la langue est un concept, ergo l'art de former des concepts est intrinsèque au langage. S'il a voulu signifier par cette formule que la philosophie est l'art de parler, cela souvent pour ne rien dire, d'accord ; s'il a voulu signifier que les philosophes se singularisent en formant des concepts, alors on dira que les politiciens se singularisent en agissant pour la société, autant dire qu'ils se singularisent en faisant ce que fait tout être social... Un concept en tout cas me pose bien des problèmes, celui de philosophie. Je ne suis pas un ami de la sagesse, au mieux et parfois je peux me percevoir comme un sage mais selon circonstance, disons, je suis un usager de la sagesse quand nécessaire et seulement en ces cas, non son ami mais son utilisateur. Je pense qu'il vaut mieux, autant que possible, agir avec sagesse mais je ne la considère pas avec amitié ni avec inimitié, c'est pour moi un moyen, non une fin, je ne vise pas à la sagesse, si du moins je tente autant que se peut de la pratiquer.
Il en va des concepts comme de la sagesse, désireux de communiquer avec les autres humains j'en use mais m'en méfie et tant que se peut évite d'en former, préférant user de ceux disponibles. Ceux que je me fabrique je le fais le plus souvent à partir de termes courants, par exemple “con” et “salaud” font partie de mon appareil conceptuel, non pour désigner de “vrais” cons et de “vrais” salauds, si ça existe, mais désigner simplement des modèles de comportement. Dans cet appareil conceptuel, “complot” et “conspiration” ont leur place pour désigner une forme d'action telle que décrite, dans les deux cas il s'agit de désigner des coalitions, les unes tendant à la conflictualité, les autres à l'harmonie. Comme on ne peut être tout conflit ou tout harmonie, la question permanente est de trouver un juste équilibre, le plus favorable possible à sa préservation et sa continuation comme être, individu, membre d'un groupe, d'une société, d'une espèce, enfin comme élément du phénomène global que l'on nomme la vie. La conspiration, c'est agir au mieux des intérêts de cette multiplicité, le complot, agir pour une partie seulement de ces intérêts, un individu, disons, raisonnable, visera à opter le plus souvent possible pour l'harmonie, pour autant que celle-ci ne mette pas en péril sa préservation comme individu, être social ou être humain.
Fin de l'excursus.
Les fameuses (pour les amateurs de science-fiction) “lois de la robotique” d'Isaac Asimov ne sont pas, comme le croient certains, des lois pour les robots mais, d'une part un bon moyen pour inventer des situations où elles se révèlent inapplicables, de l'autre une manière fine d'illustrer le fait que la vie est contradictoire, spécialement la vie en société. Voici ces lois, dans leur traduction la plus admise :
* un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger ;
* un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
* un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.
Remplacerait-on “robot” par “être humain” que ça conviendrait très bien, sinon la deuxième loi qui suppose un statut de subordination obligée, en changeant « doit obéir aux ordres qui lui sont donnés » et « sauf si de tels ordres entrent » par « ne doit obéir à des ordres qui lui seraient donnés » et « que si de tels ordres n'entrent pas ». J'ai entendu plusieurs personnes, dont des roboticiens et des programmeurs, dire que ces lois de la robotique sont inapplicables aux robots, apparemment ils croient vraiment que la science-fiction est de la prospective scientifique, pas mal de gens croient que les étiquettes indiquent toujours ce que contient la boîte... Les auteurs eux-mêmes, conscients de l'inadéquation du terme, penchaient pour “fiction spéculative” dans les années 1960 mais le terme n'a jamais vraiment pris. Le problème principal de ces lois est qu'elles supposent une forme quelconque de conscience réflexive chez les robots, or Asimov, qui par ailleurs fut un scientifique de bon niveau, ne pouvait vraiment imaginer ça, le but de ces lois est donc bien plutôt de mettre en évidence qu'on ne peut requérir d'un robot, disons, un niveau moral du même ordre que celui d'un humain, et la grande majorité des récits sur les robots qui ont ces lois en arrière-plan, sinon tous (en fait, tous il me semble) ont pour but de proposer des situations où elles se révèlent donc impossibles à respecter.
Ces lois sont une adaptation des principes les plus communs régissant la vie en société, la première partie de la première loi est cette règle nécessaire, donnée sous la forme « tu ne tueras point » – entendu comme tu ne tueras point l'un de tes semblables – dans un texte assez célèbre, la seconde partie est un principe général, l'assistance à autrui, ce qui concerne aussi les règles de l'hospitalité ; la deuxième loi concerne la vie en société, ses contraintes et ses limites, vivre en société implique de consentir à sacrifier une partie de sa liberté, pour autant que l'obéissance au groupe n'induise pas l'accomplissement d'actes allant contre le groupe et ses membres ; la troisième loi dit une chose simple : dès lors qu'on consent à vivre en société on consent à faire passer la survie du groupe au-dessus de sa propre survie. L'ensemble est un bon guide pour déterminer ce qui est pertinent quand ces principes peuvent entrer en conflit : la préservation de la société prime celle de ses membres mais le possible sacrifice de soi ne vaut que s'il contribue à la préservation de la société. C'est même un des principaux motifs d'invention de situations problématiques dans les récits d'Asimov : contrairement à ce que semble dire la troisième loi de prime abord, un robot ne doit pas nécessairement mettre en péril son existence pour la sauvegarde d'un être humain, si cette mise en péril de soi est induite par un ordre interdit par la deuxième loi. Eh ! La vie en société ça n'est pas simple...
Je ne sais si la notion de “lutte pour la vie” telle que la propose une certaine conception de l'évolutionnisme est valide, par contre je sais que vivre est une lutte, l'univers entier conspire contre soi et – cela dit sans lui prêter d'intention – tente par tous les moyens de faire cesser cette incongruité, un objet qui ne respecte pas la deuxième loi de la thermodynamique et tend localement, pour un temps plus ou moins long, à réduire le niveau d'entropie d'un système fermé. Je ne m'étendrai pas ici sur le sujet, j'en traite largement par ailleurs, toujours est-il qu'on ne peut en aucun cas faire cela, au mieux peut-on maintenir mais nullement réduire ce niveau d'entropie, ergo ce que l'on voit n'est pas ce qui advient. Ce que fait un être vivant est ce que fait tout système auto-correcteur mais par sa propre action : il intègre ou expulse de l'énergie, la dirige vers des points précis, convertit de la matière en énergie, de l'énergie en matière, de telle manière qu'il contrôle et réduit le niveau d'entropie du système fermé qu'il forme. En fait, un système auto-correcteur n'est pas un système fermé, ni un système ouvert, on peut le décrire comme un système perméable où les points d'ouverture sont répartis de manière à maintenir la structure de ce système en en faisant varier sa composition ou sa conformation. Un tel système répond à la Première loi de la thermodynamique, souvent paraphrasée par la formule de Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Je cite ici l'article de Wikipédia :
Dans le cas des systèmes thermodynamiques fermés, il s'énonce de la manière suivante :Au cours d'une transformation quelconque d'un système fermé, la variation de son énergie est égale à la quantité d'énergie échangée avec le milieu extérieur, par transfert thermique (chaleur) et transfert mécanique (travail).
Souligné par moi. La question est celle-ci, celle des systèmes thermodynamiques fermés, tenant compte de ce que le seul système qui soit possiblement tel est l'univers qui, autant qu'on puisse le savoir, est un système fermé – en tous les cas, pour ses résidents animés ou inanimés il apparaît tel, sinon que ceux inanimés n'en ont pas conscience. Factuellement il n'existe pas de système second, interne à cet univers, qui soit strictement fermé, l'énergie et la matière circulent et tout système est soumis à ce flux, donc en reçoit ou en émet. Les “systèmes thermodynamiques fermés” dont parle cet article sont des systèmes tels que ce qui circule en eux, matière ou énergie, ne modifie pas considérablement leur état même si en interne il peut y avoir des recompositions importantes. Considérant de l'extérieur un être vivant ou une automobile en mouvement on peut supposer d'importantes modifications internes qui expliqueraient leur mobilité ; les observant de l'intérieur on constaterait que leur mobilité propre (non provoquée par l'environnement) n'est pas due à des modifications très grandes, globalement la structure reste la même et la motricité supérieure à ce qu'on en peut attendre. Seul une étude fine du système fera comprendre comment il parvient à un rendement moteur supérieur à celui apparent : la part proprement motrice de l'énergie mobilisée est canalisée pour agir sur une petite partie du système, qui va tirer partie de l'environnement pour augmenter le rendement de l'énergie interne et, en interne, des restructurations assez limitées et pour un faible coût énergétique vont tirer partie de l'inertie de l'ensemble pour augmenter encore la mobilité du système. Si on considère l'ensemble concerné, le système et son environnement, le niveau global d'entropie est constant ou augmente peu mais, comme dit précédemment, l'entropie propre du système est très faiblement augmentée voire réduite en reportant son entropie propre vers l'environnement.
Quel rapport avec les complots et conspirations et avec le titre de cette partie ? La vie est une lutte, une lutte contre l'entropie. De ce point de vue tout ce qui, pour un individu, apparaît comme du “non soi”, participe de cette volonté apparente de l'univers de le détruire en tant qu'entité animée, qu'être vivant. Le sentiment premier que peut avoir un individu est que l'univers entier complote contre lui. Mais s'il se constituait en un système réellement fermé il perdrait toute capacité motrice et se verrait menacé par un danger inverse, sa fin par réduction totale d'entropie et, de cet autre point de vue, l'individu doit considérer que l'univers conspire de quelque manière à sa préservation. On peut dire que pour l'individu cet univers est un pharmakon, selon les cas un remède ou un poison : trop de mouvement ou d'ouverture et c'est la mort, pas assez et c'est la mort. Vivre et survivre c'est chercher et trouver le juste équilibre entre le trop et le trop peu. Cela dit, désolé de vous l'annoncer si vous l'ignoriez, cet équilibre est intenable à terme, viendra toujours le moment, pour un individu, où il cessera par excès ou insuffisance de mouvement – où il mourra. C'est ainsi.
La lutte de chacun contre et avec chacun, de tous contre et avec tous, est un fait, un fait indépassable : depuis environ trois milliards d'années, la quantité totale de vie (de biomasse) varie peu, sa réalisation varie sans cesse. D'un point de vue global la vie est une vaste conspiration, l'existence de chacun dépend de l'existence de tous et sous cet aspect la vie est une lutte de chacun et de tous avec chacun et tous, nous concourons tous ensemble, du plus petit virus au plus énorme cétacé, au maintien de la vie sur la Terre. D'un point de vue local (écosystèmes) ou transversal (espèces) et pour les individus la vie est un tissu de complots, ma propre préservation et l'augmentation de mon autonomie induisent nécessairement la mort d'autres individus (proies ou concurrents) et la réduction d'autonomie d'autres êtres vivants, de mon espèce ou d'autres espèces, une lutte de chacun contre tous et de tous contre chacun. Voici les trois lois de la vie :
* un individu ne peut porter atteinte à un individu, ni, en restant passif, permettre qu'un individu soit exposé au danger ;
* un individu doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un individu, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
* un individu doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.
La première loi est inapplicable parce que la troisième, qui prime les deux autres, requiert de porter atteinte à d'autres individus pour protéger son existence. La troisième loi n'est pas réalisable si les individus ne tentent pas, dans la mesure du possible, de respecter la première. Finalement, la deuxième loi est un guide pour la réalisation des deux autres, sinon une petite correction, non pas « si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi » mais « si de tels ordres entrent en conflit avec les deux autres lois ». Ce qui oblige à une reformulation mineure de l'ensemble :
* un individu ne peut porter atteinte à un individu, ni, en restant passif, permettre qu'un individu soit exposé au danger, sauf si cela entre en conflit avec les deux autres lois ;
* un individu doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un individu, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec les deux autres lois ;
* un individu doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec les deux autres lois.
Tout individu participe de la Grande Conspiration, pour le dire avec moins de grandiloquence, tout être vivant participe de la vie. Tout individu complote contre tout individu, donc et à un certain point, contre lui-même. La question est alors celle de la proportion. Il me semble l'avoir déjà écrit, même si un peu différemment, c'est une question de gestion des priorités, et donc une question de proportion, jusqu'où dois-je préserver ou augmenter mon autonomie, et en quels cas dois-je la réduire ou y renoncer ? La question fondamentale étant alors le rapport de l'individu à lui-même et au monde : trouver son propre équilibre entre complot et conspiration, entre excès et insuffisance d'individualité. Se fondre dans le Grand Tout me semble un noble but mais bon, je ne suis pas spécialement pressé de le faire, cela adviendra de toute manière, comme qui dirait, c'est sûr que je cesserai comme individu un de ces jours mais rien ne presse... Tout pour ma pomme et que les autres crèvent me semble un vil but, je ne m'y adonne pas plus qu'à la recherche du Grand Tout mais je peux comprendre, certes ça ne change rien mais je peux comprendre, l'individu croyant se préserver en augmentant infiniment son autonomie fait une double erreur, agir systématiquement contre les autres ne donne que l'illusion de gagner en autonomie, et de toute manière on ne peut que gagner marginalement en préservation, donc beaucoup d'efforts pour beaucoup de peine et peu de gain.
Remarquez bien, j'ai de la moralité, je ne trouve pas moralement acceptable qu'un individu n'ait aucun égard pour les autres, cela dit je constate le phénomène et ne compte pas tenter d'empêcher tous ceux parmi les humains qui s'y adonnent, même si je tente à mon petit niveau de réduire un peu les conséquences de ce genre de comportement. S'il m'arrive de tenter de corriger directement un comportement c'est plutôt dans l'autre cas, les aspirants au Grand Tout, rapport à un constat : ne rien vouloir ou en vouloir trop est peu souhaitable pour les tiers, reste qu'il faut déployer de grands efforts pour réduire de peu les excès, alors qu'il faut peu d'efforts pour corriger les défauts (au sens pratique d'insuffisances, non au sens moral) même si modérément.
Le moteur de la société.
Un individu, une société, un écosystème et in fine la biosphère même sont des systèmes thermodynamiques fermés, et aussi la Terre, le système solaire, la galaxie et in fine l'univers entier mais bon, en-deçà ou au-delà de la biosphère ça ne m'intéresse guère ici, comme indiqué la notion de l'univers complotant ou conspirant est l'analyse subjective d'un individu confronté au problème de sa préservation, par contre tout ce qui participe de la biosphère complote et conspire de manière volontaire. Ces systèmes biotiques sont aussi homéostatiques. L'homéostasie est la « tendance de l'organisme à maintenir ou à ramener les différentes constantes physiologiques (température, débit sanguin, tension artérielle, etc.) à des degrés qui ne s'écartent pas de la normale », nous dit le TLFi. La notion a depuis pris un sens plus étendu et désigne, dit l'article de Wikipédia, « un phénomène par lequel un facteur clé (par exemple, température) est maintenu autour d'une valeur bénéfique pour le système considéré, grâce à un processus de régulation », une fonction de ce que je nommais précédemment un système auto-correcteur. Cette définition est inexacte sur un point, une homéostasie s'obtient par la régulation d'au moins un facteur mais peut dépendre de plusieurs facteurs, par exemple une “chambre blanche”, une pièce où, dans l'industrie, on manipule des objets requérant certaines conditions, doit réguler la température, l'hygrométrie, le taux de poussière en suspension, la pression, avec pour certains facteurs un plafond, pour d'autres des valeurs plancher et plafond. On peut aussi parler, donc, de système auto-correcteur ou de système cybernétique, suivant que l'on considère le but à atteindre, la manière de l'obtenir ou le processus de régulation.
Il y a au moins deux types de systèmes de ce genre, ceux passifs et ceux actifs. Pour les seconds, pas de mystère, il faut un moteur. Les systèmes biotiques sont actifs (même si un système vivant comporte souvent des sous-systèmes ou des systèmes secondaires passifs où la régulation est obtenue par inertie et par action extérieure) et ont donc un moteur, et comme tout moteur il nécessite une circulation d'énergie générée en interne, donc un carburant. Un être vivant n'est pas une machine, ou alors si, mais alors une machine n'est qu'une idée de machine, une idée d'être vivant, ce que je pense être le cas d'ailleurs, ou plutôt, ce que je sais être le cas. Quoi qu'il en soit, un être ou tout système vivant n'est pas un artefact et de ce fait n'est pas construit de cette manière séquentielle dont le sont les artefacts, il n'y a pas de différence dans un système biotique entre moteur et carburant ni entre énergie et matière. J'en parle assez par ailleurs, d'un certain point de vue l'univers est énergie, on peut ainsi considérer la matière comme un cas particulier d'énergie, ce dont tire partie un être vivant : pour lui la matière est un potentiel énergétique et l'énergie une forme pertinente de, que dire ? État de la trame de l'univers ? Quelque chose de ce genre. Bref, une forme pertinente de cette trame pour mouvoir celle de forme matérielle. Avoir de l'autonomie c'est quelque chose comme jouer au billard sinon qu'il n'y a pas de limite nette entre le joueur, la queue, le tapis, les billes et la salle de jeu et que selon la manière de jouer on déplacera n'importe quel segment de l'ensemble, voir on convertira une boule en élément du tapis, un joueur en salle de jeu, ou que sais-je, pour la raison presque dite qu'avec ce type de machine qu'est un système biotique on a un système holistique.
Une société est un système biotique, une sorte d'individu. On peut à injuste titre croire que ce qui compose une société humaine, ce sont les humains qui en participent, ce qui a autant de sens que de prétendre une chose aussi invraisemblable, que sais-je ? Que ce qui fait l'humain est son esprit. Ah oui ! Certains l'affirment. Bon, disons, pour évoquer une idée qui ne s'éloigne pas trop de la réalité et peut être acceptable par une majorité de lecteurs, qu'un humain se singularise par l'ensemble des cellules issues de celle originale, fruit de la fusion d'un ovule et d'un spermatozoïde : sans la présence de l'air, sans celle de son microbiote, sans celle du sol sous ses pieds, sans celle de tout ce qui lui permet de naître, de croître, de prospérer et de vivre et survivre, qu'est un humain ? La limite de ce qui fait un humain dépasse largement ce qui compose ses cellules. Sinon et pour donner un exemple moins sujet à réfutation encore, une part non négligeable de ce qui compose un humain et que l'on nomme milieu intérieur n'est pas proprement sa substance, c'est une partie de son milieu intégrée dans les limites de son organisme. Une société c'est son territoire, son espace, sa superstructure, son infrastructure et tout ce qui le compose, artefacts, cultures et plantes sauvages, animaux d'élevage ou de capture, bref, tout ce qui permet à cette entité de naître, croître, prospérer, vivre et survivre. Enfin, c'est un esprit.
Excursus. Qu'est-ce qu'un esprit ?
Voilà une question. Pour moi, la réponse est simple : ce qui permet à un individu ou à un groupe d'individus de se relier à soi et au reste de l'univers. En un certain sens, on peut dire que l'esprit est partout, de la plus humble particule à l'univers entier, mais pour ce qui concerne cette discussion seul l'esprit conscient m'intéresse, donc celui propre à la vie et aux entités qui la constituent. Esprit est un autre nom pour énergie, corps un autre nom pour matière, d'où il ressort que l'esprit est un cas du corps, le corps un cas de l'esprit.
Question réglée, revenons à la discussion principale. Pour plus de détails je renvoie aux articles de ce site ou d'ailleurs qui approfondissent le sujet. Par exemple j'invite qui voudrait des lumières sur ce qu'on peut déterminer “l'esprit” vers l'ouvrage de ((wpf:Gregory Bateson|Gregory Bateson) intitulé en français Vers une écologie de l'esprit, qui donnera aussi une appréciation intéressante quant à ce que peut désigner le terme “écologie”, qui est autre chose que l'étude et la protection de la nature, tout autre chose...
Fin de l'excursus.
Une société est un individu comme les autres, pour se maintenir elle doit à la fois lutter et collaborer, lutter contre l'univers et le reste de la biosphère et collaborer avec eux. Pour y revenir, c'est une question d'équilibre et aussi de visée. Sans dire que tout fut harmonie avant cela, du moins l'action des humains sur leur milieu n'a pas eu d'incidences nocives irrémédiables3 sur la biosphère jusqu'à une date récente, en gros jusqu'au XVIII° siècle. Le problème depuis est assez simple : ce qui jusque-là était de l'ordre de l'abstraction et non de la réalité, la séparation entre les humains et le reste de l'univers, a commencé de se réaliser.
Incidente.
Un impondérable, suite à une coupure de courant j'ai perdu une partie de cette discussion, et comme j'écris au fil du clavier, avec moi ce qui se perd se perd. Dommage, il me semble que c'était assez bien venu mais bon, ce qui arrive arrive et ce qu'on croit n'est pas toujours ce qui fut ou est ou sera...
Fin de l'incidente.
Je ne me rappelle plus guère comment j'avais développé cette partie et à dire vrai ça ne m'importe guère, je me souviens notamment avoir inséré cette image :
Il s'agit d'un taìjítú, usuellement nommé symbole yin-yang ou tao, ce qu'il n'est pas, son nom signifie « figure du faîte suprême » parce qu'elle est placée au sommet d'une hiérarchie formelle de figures, qu'elle résume et qui en découlent, les deux symboles yin et yang puis quatre paires de figure combinant les deux symboles, puis huit tierces combinant aussi les deux symboles, les fameux trigrammes du Yi King ou Yi Jing, du Livre des mutations ou changements ou transformations. J'en donne une version animée pour permettre aux personnes qui ont tendance à croire que les choses ont un sens que ça n'est pas évident, surtout dans ce cas. Je vais ci-après faire un commentaire sur cet ensemble de figures, c'est-à-dire une chose sans valeur, une chose qui masque au lieu d'éclairer. D'où il ressort que ce ne sera pas un commentaire mais mon discours propre dont ces figures ne seront que le support. Pour le dire mieux, ne voyez pas ce commentaire comme quelque chose de vrai sur elles, la seule vérité que je connaisse est la mienne, et elle ne vaut que pour moi. Voici ces symboles tels que présentés sur une image reprise de Wikiédia :
Ce que j'ai à en dire ? Des lieux communs (j'en avais d'ailleurs rédigé un que je viens de supprimer). Du coup je vais discuter de ma conception générale de la vie, en m'appuyant sur ces figures en tant qu'illustrations de mon propos. D'un sens, ces figures sont une sorte de “commentaires par anticipation”, ce qui me va bien : de mon point de vue tout commentaire ne parle pas de ce que discuté mais parle de soi ou de rien ; de ce fait une lectrice a intérêt à lire cette association dans l'ordre inverse à celui chronologique, le discours du commentateur n'apporte pas grand chose à la chose commentée, sauf rares cas, par contre cela permet aux lecteurs, partant eux-mêmes de leur propre compréhension de cette chose, de tenter de discerner ce qu'elle peut éclairer du propos du commentateur.
L'unité dans la diversité.
Il y a une unité profonde, contingente et nécessaire, de la vie. Rien de mystique ou de moral ici, c'est un fait, les êtres vivants sont à la fois concurrents et complémentaires. Je ne discuterai pas ici du processus initial sinon pour dire que je ne crois pas au mythe adamique du DACU ou LUCA, du « Dernier ancêtre commun universel » ou « Last Universal Common Ancestor » mais ça n'a pas tellement d'importance, disons que ça n'est que la version la plus récente de cette quête ancienne, la recherche de l'origine de tout, une version sophistiquée de la génération spontanée, voire, chez certains auteurs, du “dessein intelligent”. En science comme ailleurs il y a ce qui ressort de la connaissance et ce qui ressort de la croyance, l'hypothèse DACU est de l'ordre de la croyance, partant de l'idée d'un ancêtre commun ultime on dirigera ses recherches vers les faits qui la valideront et on fera sortir de son champ toute autre hypothèse de validité équivalente. Tant qu'on ne trouve pas les méthodes et instruments permettant de valider des hypothèses plus économes (“rasoir d'Occam”) celles de type “génération spontanée” sont plus vraisemblables car plus simple à penser même si elles sont plus complexe à démontrer...
Bref, je ne discuterai pas ici du processus initial mais d'un état des choses qui eut lieu... Et bien, il y a un certain temps. Au moins 3,3 et au plus 4 milliards d'années, probablement à-peu-près entre ces deux époques, donc un peu plus de 3,5 milliards d'années. Tel qu'on peut le comprendre, le niveau global de biomasse est à peu de choses près le même depuis cet état des choses. Comme dit, le phénomène de la vie est précaire et comme dit l'univers entier complote – passivement certes mais puissamment – pour qu'il cesse, rapport au fait que son maintien va contre le mouvement général dudit univers. Partant de là, il faut trouver pour les êtres vivants une manière de préserver leur propre mouvement, voire de l'augmenter en quantité et qualité – plus de mouvement à coût énergétique constant ou moindre.
J'ai une théorie sur la conscience : elle se prouve par ses conséquences. Comme le dieu des chrétiens ou comme les détergents universels, la conscience est du trois-en-un : elle consiste en la conscience de soi, de l'univers et des autres, qu'on peut aussi nommer les semblables. Je ne sais pas ce qu'est la conscience d'un virus ou d'un procaryote ou d'un eucaryote, pas non plus celle des formes élémentaires de pluricellulaires, même si je peux en avoir une petite idée, j'ai une vague compréhension de celle des organismes peu complexes, et ne commence à mieux la comprendre que pour ceux dont l'organisation générale est assez ou très similaire à la mienne, en gros, les vertébrés et un groupe restreint d'invertébrés, les céphalopodes, mais du moins je constate chez tous les êtres vivants une forme de conscience qui se prouve par leur capacité à faire de leur mieux pour se préserver et se perpétuer, donc une conscience de soi pour se maintenir comme entité vivante, une conscience de l'univers pour s'en protéger et en tirer parti, une conscience des autres par les interactions entre êtres vivants, soit pour la collaboration, soit pour l'opposition.
Comme la conscience, le dieu des chrétiens et certains détergents, l'unité du vivant est une seule chose mais a trois aspects. Il y a l'unité globale : la biosphère est un écosystème et comme telle forme un ensemble indivisible, la quantité globale de biomasse varie donc peu mais elle se transforme sans cesse, c'est ce mouvement même qui maintient cette quantité. Il y a l'unité structurelle et formelle : tout être vivant a la même structure fondamentale, une enveloppe, un noyau et un “milieu intérieur”, et tous les êtres vivants mobilisent les mêmes atomes et les mêmes mécanismes de composition pour constituer, modifier, diviser les mêmes molécules. Il y a l'unité fonctionnelle : aussi diversement le fassent-ils, tous les êtres vivants agissent de manière similaire pour se préserver et se perpétuer. Là-dessus, il existe une autre unité mais de l'ordre de la croyance : bien que n'étant pas antispéciste je considère cependant que tous les êtres vivants sont de la même espèce. Ce n'est ni vrai ni faux mais du moins ça peut aider à guider son action dans le monde. Je dis ne pas participer du mouvement antispéciste car pour moi ça n'est pas un dogme, je n'en tire aucune conclusion du genre “droits des animaux” ou “droits des plantes”, bref, “égalité des droits entre tous les être vivants” ou un truc du genre. Je ne les connais que de loin mais de ce que j'en sais les antispécistes ne se supposent pas une parenté avec les virus et bactéries, pourtant la logique veut que nous en soyons bien parents : un eucaryote est un composé d'éléments et d'entités qui étaient à l'origine des virus, des bactéries ou des parties ou segments de virus et de bactéries ; un organisme est une collection d'eucaryotes, donc un composé de composés, les éléments fondamentaux venant comme dit de virus et de bactéries.
Pour me répéter, je ne me préoccupe pas trop de morale ou d'éthique dans cette discussion, étant humain j'ai une morale et une éthique, que je respecte autant qu'il se peut, c'est une nécessité pour pouvoir vivre et agir en société, tout un tas de gens, à commencer par mes parents, ont passé un temps assez long à me les inculquer, parfois en m'en expliquant les motifs, parfois non, l'éducation est un mixte entre l'apprentissage et le conditionnement, pour exemple j'ai appris à contrôler mes fonctions d'excrétion et à ne plus pisser et chier quand je veux et où je veux bien avant qu'on m'ait donné des raisons pour cela, raisons plus ou moins recevables mais peu importe, dans le cadre d'une société on ne chie pas n'importe où et c'est ainsi, ça se passe d'explications. Chaque société a ses règles propres mais du moins dans aucune société on ne peut agir autrement qu'en respectant ces règles dans des contextes où, ne les respectant pas, on en subirait la sanction. Là non plus rien de singulier, une société est un système biotique et comme dans tout système de ce genre, ne pas respecter les règles met en cause sa participation à l'ensemble, donc sa préservation. Je suis un gars de bonne moralité, de ce que j'en perçois, mais ça n'entre pas en ligne de compte ici, ce que je vise ici est la manière la plus sûre de se préserver, et d'évidence ma propre préservation repose sur la préservation de l'environnement qui la favorise.
Finalement, je ne vais pas commenter les figures proposées précédemment.
Constitution d'un complot.
D'accord, l'unité dans la diversité, très joli... Dans la réalité ordinaire on doit sans fin faire des choix et on a tendance à privilégier la troisième loi de la vie. Pour mémoire, les trois lois :
* un individu ne peut porter atteinte à un individu, ni, en restant passif, permettre qu'un individu soit exposé au danger, sauf si cela entre en conflit avec les deux autres lois ;
* un individu doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un individu, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec les deux autres lois ;
* un individu doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec les deux autres lois.
Il y a un usage abusif du terme loi, en tant que fait irréfragable, les lois de la physique par exemple, usage que j'aime pratiquer, voir le cas des « lois de la thermodynamique » dans ce texte, qui renvoient vers des articles de Wikipédia parlant des « principes de la thermodynamique ». Je le fais à double raison, le terme le plus usuel quand on en parle dans les médias, ou parmi les connaisseurs distants de ces principes, est celui de loi, et en outre il ne me déplaît pas d'user sciemment d'un terme qui manque d'exactitude, je sais que les supposées lois dans les domaines scientifiques et techniques n'en sont pas et donc, ça me plaît d'en parler sous ce nom, c'est ainsi, j'aime plaisanter. Une loi n'est pas irréfragable au sens didactique (cf. l'article « irréfragable » dans le Wiktionnaire), « qu’on ne peut contredire, qu’on ne peut récuser », au contraire, depuis l'invention de ce qu'on peut nommer la voie démocratique (la démocratie au sens où on l'entend aujourd'hui ou même au sens classique ne sont que deux des moyens d'aller dans cette voie), les lois sont précisément ce que dans la cité on peut contredire ou récuser, le lieu même du débat contradictoire, alors qu'un principe en physique est irrécusable tant qu'on ne peut démontrer un principe qui le contredit, et en ce cas il devient invalide, alors qu'une loi même récusée lors d'un débat ne perd pas sa validité.
Qu'est-ce qu'une loi ? C'est, nous dit le TLFi, une « règle générale impérative ». Sauf peut-être les deux plus récents, qui ne sont pas admis par tous, les principes de la thermodynamique, ne sont pas des lois parce qu'ils ne ressortent pas de la règle. C'est toute la différence entre la prédiction et l'anticipation : les principes de la thermodynamique prédisent des évolutions dans des contextes donnés, et chaque fois qu'on rencontrera ces contextes ils s'appliqueront ; les lois anticipent sur un devenir sans le prévoir, ce sont des conseils d'action ou d'abstention, dans tel contexte la société requiert de faire de telle manière, ou de ne pas faire. La seule prédiction est antérieure à la loi, « Tu ne tueras point » n'est pas un principe comme ceux de la thermodynamique, la règle est certes impérative mais ne se vérifie pas immanquablement, la prédiction d'ordre général qui préside à toute loi est que les humains tendent à ne pas se conduire selon les règles formelles ou informelles qui régissent les sociétés, il faut donc les informer que certaines pratiques sont obligatoires et certaines sont interdites sauf conditions spéciales (“Tu ne tueras point” n'est pas une règle absolue, dans certains contextes on peut avoir une sorte de permis de tuer, mais à user avec modération), et le cas échéant, s'il se révèle que telle règle n'a pas été respectée on encourt une sanction sociale. Comme je le disais, les êtres vivants semblent ne pas respecter la deuxième loi de la thermodynamique mais ce n'est qu'apparence, ils jouent avec, sans plus, un truc d'illusionniste... Tuer, en revanche, est toujours de l'ordre du possible, énoncer « Tu ne tueras point » n'a aucun effet sur le réel autre que de devenir une vérité pour qui accepte le précepte mais les tribunaux sont pleins de personnes pour qui, au moins un court moment, cette vérité s'abolit.
Sans épuiser le sujet, une conspiration vise à renforcer ou modifier les règles sociales, un complot à les contourner ou s'en affranchir. Ça n'induit rien quant à leur qualité et leur valeur, disons, un complot peut agir contre des lois injustes et une conspiration viser des règles absurdes. Comme dit, les membres de la Résistance n'étaient pas moins des terroristes que ne le sont les partisans actuels de L'État islamique ou d'Al Qaïda, par contre les uns luttaient contre un occupant et contre un régime usurpateur, les autres luttent contre, et bien, je ne sais pas trop et eux non plus, ils luttent contre eux-mêmes et contre leurs siens en croyant agir pour eux-mêmes et contre des ennemis. La Résistance complotait contre l'État et l'occupant, les terroristes d'aujourd'hui complotent contre leur peuple même.
Sans préciser plus, les membres d'un complot ont donc pour but d'agir contre les règles d'un ou plusieurs groupes auxquels ils sont censés participer, donc dont ils sont censés admettre et tenter au mieux de respecter les règles, que celles-ci soient formelles ou non. La vie est un jeu, ou alors les jeux sont la vie, ça revient au même : de longue date maintenant les chercheurs et penseurs qui s'intéressent à la question expliquent assez que les jeux sont des instruments pour apprendre et renforcer des modèles de comportement et d'interaction, du fait il n'y a pas de séparation formelle entre activités sociales ludiques et non ludiques. Entre autres apprentissages, les joueurs se font expliquer en acte comment “jouer avec la loi”. Car les lois ne sont pas toujours à respecter strictement, sont toujours négociables et bien sûr, toujours discutables. Une société, de la plus restreinte à la plus large, est en constante évolution. Dans ma typologie, et d'ailleurs selon la loi française, une société comporte au minimum trois membres, quant au maximum ça dépend du point de vue mais pour se limiter au membres de l'espèce elle peut comporter et, d'un sens, comporte l'ensemble de l'humanité. Les lois humaines sont instables parce que les sociétés le sont : au moment de la naissance de mes parents, dans les années 1930, la France est un territoire immense de près de treize millions de kilomètres carrés répartis sur tous les continents, y compris l'Océanie (qui est nominalement seulement un continent) et l'Antarctique ; au moment de la naissance de mon frère aîné, en 1955 elle vient de se réduire significativement, non tant en superficie (moins d'un million de km²) qu'en population (22 millions, 1/5° de la population de l'Empire) ; à ma naissance, en 1959, rien de changé sinon la perte de deux protectorats, la Tunisie et le Maroc, par contre dans les trois ans qui suivent elle passe de quelques douze millions de km² à quelques six cent mille km² (compte non tenu de ses eaux territoriales, ses possessions en Océanie sont petites en territoire, sinon la Nouvelle-Calédonie, énormes si on y ajoute ces eaux territoriales). On en connaît les raisons, pour diverses causes qui ne m'intéressent ici les empires coloniaux constitués par certains États européens aux XVIII° et XIX° siècles pour l'essentiel se sont assez vite disloqués après la seconde guerre mondiale et dix-sept ans après la fin de ce conflit la partie métropolitaine, qui comptait pour 1/34° de sa superficie en 1936, en représente plus de 80% en 1962, environ 90% trente ans plus tard. L'intéressant dans tout cela est que presque toutes les lois, y compris une partie de sa Constitution, qui portent sur la part non métropolitaine de la France, pour l'essentiel formée de colonies, ne sont plus valides dès lors que ce pays n'a plus de colonies.
Une loi ou une règle, sauf à l'intégrer dans sa formulation4, est le plus souvent du genre “toutes choses égales”, ergo n'est plus applicable quand les choses changent, et l'on doit alors l'amender ou l'abroger. Les membres d'une société sont censés “jouer le jeu”, c'est-à-dire respecter les règles et ne tenter de les contourner, le cas échéant, que dans des limites raisonnables et discrètement, dans tout jeu il est interdit de tricher mais il est surtout interdit de se faire prendre à tricher ou de le faire à outrance. C'est à cet endroit que les complots peuvent se constituer.
Dans un de ses films, Pickpocket, Robert Bresson décrit très bien comment un complot doit se déployer pour réussir. Il faut “former société” pour envisager sérieusement et durablement de réaliser un complot, dit autrement être trois, qu'on nommera l'auteur, le comparse et le receleur. Trois fonctions qui bien sûr peuvent être réalisées par plus de personnes réelles, ou par moins mais c'est plus difficile. Un complot est un numéro d'illusionniste, il s'agit de faire croire que les choses se passent autrement qu'elles ne se passent réellement. Lors de la réalisation d'une action complotiste un seul de ces acteurs est bien visible, qui ne peut pas être le receleur. Il s'agit d'un système simple : le comparse est censé figurer du côté de la cible et l'auteur se trouver à l'opposé, quant au receleur il recevra quelque chose qui vient de la cible et transite par l'auteur ou qui vient du comparse, ou rien et en ce cas la cible recevra ce rien en échange de quelque chose. Dans Pickpocket, le schéma est le suivant : le comparse attire l'attention de la cible ; l'auteur, qui est le pickpocket du titre, profite de ce moment pour dérober quelque chose à la cible et transmet aussi vite que possible cette chose au receleur, qui disparaît aussi rapidement qu'il peut. Du fait, quand la cible s'aperçoit du vol, si même elle a détecté l'auteur et le comparse ils ne disposent pas de la chose et elle n'est plus sur les lieux de l'action. Tout l'art de la chose repose sur la durée : les comploteurs vont s'arranger pour que pendant l'opération la cible ait toujours un temps de retard, que sa durée propre soit apparemment un peu décalée de la leur, elle prendra ainsi conscience des événements après leur advenue et sans pouvoir en reconstituer le déroulé réel.
Dans une telle situation l'attention est sur le comparse car celui-ci n'agit pas et ne se trouve pas en situation d'avoir procédé au larcin : si la cible n'identifie pas l'auteur elle va se reporter sur le comparse qui aura beau jeu de dire que, donc, il n'était pas en moyen de le faire ; si elle identifie l'auteur mais considère le comparse comme un témoin, celui-ci dira que selon lui l'auteur n'a rien fait ; si la cible suppose une complicité entre l'auteur et le comparse, ils nieront se connaître et nieront le larcin, d'autant plus facilement que l'objet du larcin n'est pas sur eux ni sur les lieux. Un exemple où l'auteur est mis en avant, le bonneteau (pour une description du bonneteau je renvoie à l'article de Wikipédia) : dans ce schéma la cible verra le comparse comme un même, quelqu'un auquel il peut s'identifier. Une sorte d'appât. La cible sera amenée à croire qu'il est possible de gagner à ce jeu, pour cela au moins un comparse gagnera une somme importante, et la cible elle-même gagnera un peu dans ses premiers essais, puis ne gagnera plus. Dans ce schéma la cible donnera et donnera encore pour tenter d'obtenir quelque chose et n'obtiendra rien. Remarquez que ce schéma correspond assez ce que font les casinos : dans les jeux que l'on y pratique, le seul gagnant possible est le casino, qui tire partie d'une tendance de nombre d'humains à supposer pouvoir influer sur le hasard et du fait qu'il y aura toujours suffisamment de gagnants du côté des joueurs pour entretenir l'espoir d'un gain.
Clairement, il y a deux principales sortes de complots, ceux qui vont contre la loi et ceux qui la contournent. Je parlais d'illusionnisme, ce qui ne concerne proprement que la seconde sorte de complots, les autres ressortent plutôt de la prestidigitation. Je les classe sous l'étiquette d'illusionnisme en ce sens que dans les deux cas on doit créer une illusion, une image déformée ou fausse de la réalité. On peut décrire les choses ainsi : dans un complot qui va contre la loi les comploteurs agiront réellement et directement mais à l'abri des regards, ils vont donc créer une diversion pour fixer l'attention de possibles observateurs ailleurs que là où ils agissent en escomptant créer une situation de fait dont ils seront les bénéficiaires sans qu'on puisse leur attribuer la cause de cette situation ; dans le cas d'un complot qui contourne la loi ses membres vont produire une illusion qui induira des tiers à consentir à se dessaisir en leur faveur de ce qui leur appartient – leurs biens ou leur liberté d'action par exemple – sans qu'ils aient à agir eux-mêmes.
S'il vous est arrivé de voir des séries télévisées où les acteurs principaux sont des escrocs ou des sortes d'escrocs, ça donne le modèle de constitution d'un complot, certaines s'axant plutôt sur la prestidigitation, d'autres sur l'illusionnisme, les plus intéressantes mêlant les deux modes. Je pense notamment à deux séries assez connues, Mission impossible et Agence tous risques, et à quelques autres plus récentes où un ou plusieurs personnages principaux sont des escrocs en activité ou repentis (par conviction ou par nécessité), ou des personnes utilisant de trucs d'escrocs, je pense notamment à des séries comme Mentalist ou Lie to Me pour d'anciens escrocs ou des quasi-escrocs, et à quelques autres dont j'ai oublié le nom pour des escrocs en activité. J'entends régulièrement des personnes discourir sur les séries télévisées, spécialement celles produites par les États-Unis, et une chose m'étonne pour celles-ci, on en parle souvent pour vanter leur réalisme, y compris quand il s'agit de séries fantastiques ou de science-fiction, ou des thrillers situés dans un contexte assez éloigné de situations vraisemblables. Les séries télévisées sont des fictions, seules celles proposant des régularités courtes (quotidiennes, hebdomadaires) sur une durée assez ou très longue, plusieurs années à plusieurs lustres, peuvent parfois donner un spectacle assez proche de la réalité, les séries les plus discutées sont assez loin de ça. Passons...
Les séries citées ou évoquées ici sont intéressantes précisément parce que non réalistes, des fictions dont la seule visée est de proposer des modèles abstraits de situations concrètes. Quoi que j'en aie dit, il n'y a pas opposition nette entre illusionnisme et prestidigitation, le prestidigitateur veut donc prendre quelque chose à sa cible à son insu, l'illusionniste amène sa cible à lui donner “de son plein gré” cette chose. Dans tous les cas il faut une préparation mais le but est opposé, on peut dire que le prestidigitateur agit “sur l'esprit” pour prendre quelque chose “sur le corps”, l'illusionniste au contraire agit “sur le corps” et capte quelque chose “de l'esprit” de sa cible. Manière de dire, il n'y a pas pour moi de distinction claire entre corps et esprit. Disons, dans tous les cas il s'agit de capter l'attention de la cible mais avec la prestidigitation de la focaliser vers un lieu autre que celui de l'action, l'illusionnisme la focalisant au contraire vers l'action, dans un cas il faut éviter que la cible voie se qui se passe effectivement, dans l'autre la persuader qu'il se passe quelque chose là où il ne se passe rien. Une série comme Mission impossible est basée principalement sur l'illusionnisme mais très souvent, en cours d'épisode, les choses ne se déroulent pas exactement comme prévu ou bien à un moment on doit intervenir en un lieu où il était impossible de préparer une illusion, intervient alors un numéro de prestidigitation, généralement réalisé par les membres de l'équipe qui dans le cadre de l'illusion sont plutôt des comparses, ceux visibles et jouant un rôle. À l'inverse, une série comme Mentalist, du moins dans ses deux premières saisons, reposait avant tout sur la prestidigitation, le héros principal tire partie de l'environnement et du contexte pour créer une illusion qui est avant tout de geste et de parole, pour dérober un objet ou des informations, et dans nombre d'épisodes les numéros d'illusionnisme interviennent vers la fin, simplement pour valider ce que les informations ou objets dérobés ont fourni comme indices sur la cible.
Les complots ne sont pas des numéros de magie ou des escroqueries mais ces activités donnent donc de bons modèles pour les comprendre. Cela dit, pourquoi comploter ? Parce que les cibles sont des adversaires ou des ennemis ou des traîtres.
Les vraies gens et les simulateurs.
Dans la série Les Envahisseurs on propose un bon modèle de la société : qu'est-ce qui différencie les “vrais” des “envahisseurs” ? Rien. Ah si ! Ils sont incapables de plier un de leurs auriculaires. Enfin, ils l'étaient. Puis ils ont trouvé un truc pour pallier à ce problème et du coup David Vincent est fort ennuyé, ça devient encore plus difficile qu'avant de convaincre les Vraies Gens et de repérer les Simulateurs. Enfin, un bon modèle, faut voir. Disons, un bon modèle pour les sociétés qui divisent les humains entre Nous et Eux, entre les Vraies Gens et les Autres, qui sont des Simulateurs : ils essaient de faire croire à Nous qu'ils sont des pareils, des semblables, des non Eux. On peut voir cette série comme beaucoup le font, la représentation fictionnelle de l'anticommunisme de l'époque, ou on peut la voir comme une figuration de la forme normale de socialisation dans certains contextes : David Vincent voit des complots partout parce qu'on l'a éduqué ainsi, il ne souffre pas de paranoïa avec poussées de délires schizoïdes et hallucinations, il regarde la société “de la bonne manière”, il y a nous, il y a eux, on doit se méfier d'eux et s'en protéger, raison pourquoi tout au long de son périple il tente de monter un complot en vue d'éliminer les simulateurs, les étrangers, les pianistes de bar, les envahisseurs, les ennemis, les comploteurs...
Une chose à bien saisir, une société ne forme pas un bloc, chacun de ses membres, chacun de ses groupes élémentaires, chacune de ses sociétés restreintes ou larges a ses propres visées et sa propre compréhension de ce qu'est cette société, des buts communs, et sa propre manière de déterminer qui fait partie de “nous” et de “eux”. Pour exemple, certains (hélas bien trop nombreux) parlent sans problème d'immigrés de troisième (et bientôt de quatrième) génération, ce qui va apparemment contre le sens puisque, par nécessité, une personne née sur le sol de France est réputée de nationalité française sauf libre décision, à sa majorité, de décliner ce droit automatique, ergo un immigré ne peut l'être que de première génération, y inclus celui qui, né en France, décide de ne pas prendre la nationalité, il ne devient proprement un immigré que ce jour-là, avant cela il était un natif, un non immigré. Autre cas, celui des statistiques “identitaires” pratiquées notamment aux États-Unis. Dans le recensement, il y a deux classements “identitaires”, celui des lieux et celui des personnes : les lieux sont divisés en territoires “natives”, c'est-à-dire les parcelles de territoires concédées aux autochtones (Amérindiens, Inuits, Hawaïens...), “New England” (les treize États fondateurs) et, par défaut, autres, ni “natives” ni “New England”, les personnes en races, chacun des recensés pouvant opter pour une à six races et ne pouvant pas opter pour “non race”, bien que le sixième choix, “quelque autre race”, soit un peu le choix de la non race. Disons, il y a six races, dont une non listée ici, et “les autres races”, autant dire la race des personnes qui ne sont pas, ou pas seulement, de ces six races reconnues. La sixième race, et bien, n'en est pas vraiment une, c'est celle des « hispaniques et latinos », les second étant des hispanophones américains, dont étasuniens, non hispaniques. Dont étasuniens, puisque durant leur expansion, pour l'essentiel dans la première moitié du XIX° siècle, les États-Unis ont annexé de nombreux territoires précédemment détenus par l'Espagne et, ce faisant, annexé les populations locales, en majorité “hispaniques et latinos”.
Je trouve cette classification raciale très intéressante. Pour un Français, et j'ajouterai, même pour un Français raciste, cette classification est aberrante. La voici :
- Hispanique ou Latino,
- non Hispanique ou Latino,
- Blanc,
- Noir ou Africain-Américain,
- Indien Américain et Natif de l'Alaska,
- Asiatique,
- Natif Hawaïen et autre Insulaire du Pacifique,
- quelque Autre Race.
L'identité territoriale concerne donc positivement la Nouvelle-Angleterre et les portions de territoire concédées aux divers “natives”, exception faite des hispaniques et latinos, qui pour partie au moins (en Floride, au Nouveau-Mexique, en Californie, au Texas notamment) sont pourtant des “natives”, des personnes déjà présentes sur le territoire lors de l'annexion, un certain nombre étant doublement “natives” puisqu'en outre d'ascendance amérindienne. En toute hypothèse, les concepteurs du recensement aux États-Unis doivent considérer qu'il y a une certaine validité à leur classification alors qu'elle ne résulte que de faits historiques qui ont conduit à cette curieuse nomenclature.
Au départ, le recensement a le même but que dans les autres États où, dès l'Antiquité mais, dans sa phase récente, entre la fin du XVI° et le début du XIX° siècles pour l'essentiel, se sont élaborées des méthodes de recensement : les impôts et l'estimation de la population totale. Le tout premier recensement a lieu dès 1790, assez vite après la fondation officielle des États-Unis, donc. Dans le contexte du nouvel État, seules deux “races” sont recensées, les blancs et les noirs, ceux-ci étant répartis en libres et esclaves, les natifs (au début les seuls Amérindiens) n'étant pas recensés sinon comme “blancs” (donc libres et non noirs) pour les rares qui sont assujettis à l'impôt. Implicitement, la seule catégorie à-peu-près définie est celle des noirs (ce qui intègre tous les mulâtres), non tant parce que noirs que parce que susceptibles d'être autre chose que des humains, l'esclave étant un bien meuble en contexte esclavagiste ; du fait, tout “non noir” est un “blanc”. L'évolution des classes de races est tributaire de plusieurs faits : comme dit, l'annexion de territoires où des populations sont présentes et qui n'ont pas connu l'acculturation des populations des États fondateurs et des premiers territoires annexés, pour l'essentiel des migrants européens qui doivent s'américaniser (c'est-à-dire acquérir la langue et la culture des États fondateurs) pour devenir Américains – Étasuniens ; l'arrivée, notamment en façade pacifique, en tout premier en Californie, de populations asiatiques, principalement Chinois et Japonais ; la fin de l'esclavage, d'abord partielle (États du nord et de l'ouest) puis globale après la guerre de sécession, qui conduit à la fin de la division entre noirs libres et esclaves et un affinement des catégories en mulâtres, quarterons, octavons ; la longue période, du milieu du XIX° au milieu du XX° siècles, de l'élaboration du racisme “scientifique” puis de son intégration dans la gestion des populations, qui amène à une définition plus fine des races, puis l'évolution des mentalités dans les décennies qui suivent la seconde guerre mondiale qui au contraire va conduire à les réduire et dans le même temps à les diversifier, notamment en matière de populations “non allogènes”, je veux dire, populations autochtones ou d'ancienne implantation, d'où la nomenclature actuelle qui réduit la diversité pour les populations qui se définissent de race exogène (en gros, “caucasienne”, asiatique et “africaine”, c.-à-d. d'Afrique noire, plus “autre race”, c.-à-d. d'autres races que celles autochtones ou prévues par la nomenclature, à quoi s'ajoute bien sûr la possibilité de ne pas répondre, ce qui en creux dessine une “non race”) mais l'augmente pour les autochtones ou anciens implantés.
Deux catégories sont spécialement notables, celle “Hispanique ou Latino” pour les personnes et celle “Nouvelle-Angleterre” pour les territoires. Le fait de singulariser les parties du territoire de la Nouvelle-Angleterre autres que celles concédées aux “natives” ne semble pas avoir de valeur pour le recensement au XXI° siècle ; dans une situation antérieure, celle de l'expansion des États-Unis, ça pouvait avoir un sens, puisque les territoires des États fondateurs n'avaient pas le même statut que ceux acquis ou conquis par après, les populations autochtones (je veux dire, autochtones au moment de leur intégration au territoire national, qu'elles soient natives ou coloniales) pas nécessairement le statut de citoyens, de ce fait il pouvait être intéressant pour le fisc comme pour la gestion des populations de déterminer si c'était la Nouvelle-Angleterre ou non ; dès après la première guerre mondiale et plus encore à partir des années 1960, où presque tous les territoires étasuniens et en tout cas tous ceux métropolitains ne connaissaient plus cette diversité de statut administratif, il n'y a plus de raison objective de continuer à déterminer si un territoire est dans l'un des treize premiers États ou non, en toute logique seuls les territoires lointains sous statut particulier (possession, protectorat, dominion...) et ceux métropolitains hors cadre légal de droit commun (les territoires concédés aux autochtones) semblent devoir être répertoriés car, entre autres, ayant formellement une gestion administrative autonome. Intéressant d'ailleurs de noter que pendant longtemps les résidents des réserves indiennes ne furent pas recensées, car non assujetties à l'impôt. Quand à la catégorie des hispaniques et latinos, elle pose problème aux organismes de recensement, précisément parce qu'elle ne décrit pas grande chose sinon que ce sont des populations qui de quelque manière ont un rapport avec l'Espagne ou le Portugal. Pour citer l'article de Wikipédia sur les « Latinos » qui lui même cite le Bureau du recensement, « l'origine [latino-américaine] peut être vue comme l'héritage, le groupe de nationalité, l'ascendance, le patrimoine, ou le pays de naissance de la personne ou des ancêtres de la personne avant leur arrivée aux États-Unis. ». D'où la nécessité, à un certain moment, de séparer les “hispaniques” et les “latinos” : les uns ont un rapport à la langue espagnole, quelle que soit leur origine (Europe, Asie, Afrique ou Amériques ou autre, les autres un rapport avec l'Amérique latine, quelque langue que l'on y parle, à l'exclusion des francophones étasuniens ou canadiens. Ces deux catégories expliquent quelque chose sur le recensement, le fait qu'il existe du point de vue de l'administration plusieurs nations, la “vraie”, formée par la Nouvelle-Angleterre, celles territorialement de second ou troisième rang, enfin, transversalement, des populations formant des citoyennetés de premier, second, troisième rang par leur relation avérée ou supposée à d'autres ensembles ethnoculturels qu'anglo-saxons, protestants et blancs – les fameux WASP.
De quoi nous parlent ces catégories raciales et spatiales ? D'une hiérarchie. Les humains ne sont pas égaux : il y a la population “au-dessus”, celle de Nouvelle-Angleterre, les États fondateurs, la population “en-dessous”, celle des natifs, qui l'est probablement parce que supposée “inférieure” mais qui l'est surtout parce qu'autochtone et parce que, pendant assez longtemps, “hors société”, ce qui justifie la mainmise des colons sur la terre, enfin celle intermédiaire, supérieure aux autochtones puisque coloniale, inférieure aux Nouveaux Anglais puisque n'étant pas parmi les États fondateurs ; et pour les catégories raciales, ça donne une bonne image de la hiérarchie sociale liée aux origines supposées, la finesse de la catégorie est d'autant plus haute que la “race” est située bas. Cela posé, les États-Unis ne se singularisent pas par cette hiérarchie qui combine le territoire et la généalogie mais par leur usage explicite et décomplexé de cette hiérarchie. Autant que je le comprenne, c'est lié à leur histoire.
Les fondateurs des colonies qui formèrent les États originaux des futurs États-Unis (ne pas oublier que la révolution de 1776 n'était pas pour tous l'amorce d'une sécession, il fallut au cours la décennie suivante régler les conflits entre insurgés avant que l'avantage soit aux indépendantistes) n'étaient pas contre le Royaume-Uni et au contraire figuraient souvent parmi les plus radicaux soutiens à l'évolution religieuse, politique, économique et sociale de l'Angleterre, les plus fervents partisans du puritanisme qui, comme le dit l'article de Wikipédia, fut « un courant religieux du calvinisme qui désirait “purifier” l'Église d'Angleterre du catholicisme à partir de 1559 et en Nouvelle-Angleterre à partir de 1630 ». Comme dit aussi dans l'article, « selon Alexis de Tocqueville, il s'agit tout autant d'une théorie politique que d'une doctrine religieuse », et selon moi beaucoup plus politique que religieuse : du point de vue doctrinaire les divers courants réformés ou protestants, et plus encore les courants “anglicanistes”, se séparent peu de la dogmatique catholique, un peu plus pour les luthériens, un peu ou beaucoup moins pour les calvinistes et anglicans (au départ, l'anglicanisme est un schisme politique et d'un point de vue doctrinaire reste fidèle au catholicisme, sinon la reconnaissance du Pape, c'est ensuite, sous l'influence de courants qui s'inspirent d'autres églises schismatiques, que la doctrine évoluera un peu). Fonctionnellement, les colonies britanniques de Nouvelle-Angleterre sont encore plus radicales dans l'application des réformes politiques et économiques en cours à la même époque, notamment en matière de hiérarchie sociale. Le mouvement insurrectionnel de la deuxième moitié du XVIII° siècle, qui se concrétise en 1776, n'est pas en rupture idéologique avec la “mère patrie”, il vise à poursuivre plus avant le processus, il s'agit avant tout de consolider le groupe de pouvoir émergent des colonies, le même que celui qui s'installera aux commandes de beaucoup de pays européens le siècle suivant, la bourgeoisie. Sans dire que tous les révolutionnaires du tournant des XVIII° et XIX° siècles furent des opportunistes prêts à s'emparer d'un pouvoir dans l'impasse et incapable de s'adapter aux changements structurels en cours, reste que, comme souvent dans ce genre d'évolutions sociales, ce qui ont le mieux réussi furent souvent ceux qui ne souhaitaient pas de changement trop radical. On représente souvent les révolutions ou les mouvements de réformes profondes de cette époque comme des changements vers la démocratie, la suite montra assez que ce n'était pas le projet pour une large partie de leurs animateurs puisque dans aucun de ces pays il n'y eut l'installation durable d'un régime à tendance démocratique avant la fin du XIX° siècle, dans beaucoup ça n'eut qu'après la seconde guerre mondiale, parfois assez longtemps après, et pour certains ça n'est même pas encore advenu.
Pour revenir vers les États-Unis et conclure cette partie, la division des territoires et des populations et la hiérarchie de ces classes sur critère de résidence et/ou d'ascendance, qui est probablement l'une des choses du monde les mieux partagées, est poussée aux extrêmes dans ce pays car faisant partie de sa substance, c'est le projet même des “pères fondateurs“ de la première heure, des colonies, comme des fondateurs de la République de 1787, “séparer le bon grain de l'ivraie” en quelque sorte, sinon que contrairement à la parabole, pour les uns et les autres la séparation se fit avant l'heure de la moisson – et autant qu'il m'en semble continue de se faire ainsi. Moins facilement mais toujours assez.
Séparer le bon grain de l'ivraie...
Une parabole fort intéressante, de mon point de vue :
Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla. Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi. Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? Il leur répondit : C’est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent : Veux-tu que nous allions l’arracher ? Non, dit-il, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier. (Matthieu, 13, 24-30, traduction Louis Segond, 1910)
On peut dire que nous humains avons fort tendance à vouloir faire cela, séparer le bon grain de l'ivraie. On peut aussi dire que souvent nous agissons plutôt comme veulent le faire les serviteurs que comme le recommande le maître, n'attendons pas de voir le fruit et prenons le risque d'arracher l'orge avec l'ivraie5 avant que vienne le temps des moissons. À rapprocher d'un autre passage. Dans le contexte, “l'Éternel” explique au prophète Jérémie, dans un rêve, comment le peuple d'Israël devra réaliser son alliance avec lui, ce qui consiste en gros à faire ce qu'il faut quand il faut, et
en ces jours-là, on ne dira plus : Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées. Mais chacun mourra pour sa propre iniquité ; tout homme qui mangera des raisins verts, ses dents en seront agacées. (Jérémie, 31, 29-30, trad. Segond, 1910)
Le proverbe est cité de nouveau dans un contexte similaire, en Ézéchiel, 18, 2, où le même “l'Éternel” explique que si sa loi est respectée ou violée, chacun recevra son dû, le bons seront récompensés et les méchants punis, et que la faute ne retombera pas sur les enfants, donc qu'on ne dira plus « ce proverbe dans le pays d’Israël : Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées ». L'idée générale est que bien faire c'est certes faire la bonne action, mais au bon moment. Bref, dans la Bible on ne propose pas une conduite telle que la propose cette sentence, c'est l'intention qui compte, au contraire c'est l'action qui compte ou plus exactement les deux vont de paire, l'action est bonne si l'intention l'est, l'intention si l'action l'est.
Séparer les vraies gens des simulateurs...
La vie tient à peu de choses, en faire trop ou trop peu, agir trop tôt ou trop tard, ou au mauvais endroit, ou dans la mauvaise direction, peut la mettre en péril, la sienne propre ou celle d'autres êtres vivants, et comme toute vie tient aux autres vies, dépend d'elles, agir contre d'autres, par erreur ou volontairement, ça peut se retourner contre soi. Il y a ces généralités de bon aloi et il a ce qui concerne chacun : mon but dans la vie est de vivre, donc de me préserver et si possible de me perpétuer, de ce fait je n'ai pas la même attention envers tout dans cet univers et fais des hiérarchies et des séparations, la question étant alors de les faire aussi judicieuses que possible. Judicieuses pour moi.
Le processus général et son application particulière ne comptent pas, ça revient toujours à séparer le bon grain de l'ivraie, “faire la part des choses” – et des êtres – ; compte d'abord, compte toujours, de séparer à bon escient. La chose est simple : comme dit, et comme chacun peut le constater, il y a cette tension permanente entre nécessité de favoriser la vie en général, et d'agir pour sa propre vie et survie, qui se fait pour partie contre d'autres vies singulières, la lutte de tous et chacun avec et contre tous et chacun. À quoi s'ajoute la lutte de chacun contre mais avec le reste de l'univers – si je veux me préserver, je dois m'opposer au mouvement général de l'univers mais dois aussi en tirer parti. Le cœur de la question est l'énergie. J'en parlais ailleurs à propos d'autre chose – à propos de la vision, pour être précis –, la vie terrestre est réglée pour tirer partie d'une énergie qui, traduite en terme d'ondes électromagnétiques, se situe dans une frange étroite, cela dans un contexte particulier. L'énergie dont elle tire partie est pour l'essentiel dans la zone de fréquences allant, en gros, de 350 à 800 nanomètres, à quelque chose près (selon les espèces et les individus ça peut aller un peu en-deçà ou au-delà). C'est la frange qui correspond à ce qu'on nomme la lumière, qui de fait est la part du spectre électromagnétique perceptible directement par un humain – et par une large part des êtres vivants, considérant que, donc, certains perçoivent visuellement en-deçà (ultraviolet) ou au-delà (infrarouge) en fréquence, et considérant que les ultraviolets et infrarouges sont nécessaires mais à petites doses pour réaliser certaines opérations vitales.
La raison pour laquelle les êtres vivants tirent partie de cette énergie et la perçoivent est circonstancielle, ça correspond au spectre de fréquences électromagnétiques massivement les plus disponibles, celles qui nous parviennent tout droit du soleil, notre soleil serait-il un poil plus chaud ou un poil plus froid, ça aurait pu se décaler d'autant. Le fait de “voir” la lumière, donc cette frange d'ondes électromagnétiques, est directement lié au fait que notre survie dépend de notre capacité à la détecter. Factuellement, nous ne la voyons pas, nous la ressentons et, par une série complexe d'opérations, transformons cette sensation qu'on peut dire, en un sens, tactile, en autre chose. Je ne vais pas trop m'étendre sur le sujet, pour qui voudrait avoir quelque chose de plus détaillé je renvoie vers un autre texte de ce site, partie « Révélations sur le mont », au titre un peu curieux qui correspond assez peu à son contenu, « Bonjour, je suis Louise Machinchouette et je vous appelle... », qui au départ devait se limiter à discuter des appels téléphoniques intempestifs mais qui a quelque peu débordé, au point que j'ai trouvé pertinent de le scinder en deux. Je ne me rappelle plus si la partie qui traite de la lumière et de la vision est dans la première partie ou dans la seconde partie, désolé. Cela dit, nul besoin de consulter ces pages, ou les articles divers qu'on trouve sur Internet qui traitent de la lumière ou de la vision, pour suivre cette discussion-ci, j'en parle avant tout pour indiquer que mon propos n'est pas évanescent, genre “spirituel”, la discussion en cours, déjà assez longue, n'est pas le lieu pour en parler plus que nécessaire mais si vous souhaitez vérifier les fondements, disons, scientifiques de mes propos, je vous donne des pistes pour le faire – soit précisé, dans « Bonjour, je suis Louise Machinchouette », je renvoie vers des articles “sérieux” qui m'ont servi pour discuter le sujet.
Nous ne voyons pas la lumière, nous ne voyons aucune frange du spectre électromagnétique, car nous ne pouvons pas nous voir nous-mêmes, comme tout le reste de l'univers nous sommes fait d'énergie, et nous ne pouvons pas voir la forme la plus courante d'énergie disponible, l'électromagnétisme. Nous percevons des différences, qui se traduisent en fréquence ou en longueur d'onde. Et comme les seules qui, localement, nous sont vitales ou létales par leur absence ou leur excès sont dans la frange 350-800 nm, à 50 nm près, et bien nous cherchons à estimer la présence et l'intensité de cette frange, par divers moyens indirects. Sans trop développer (pour les détails, voir le texte cité), il s'agit, en ce domaine comme en d'autres où il faut estimer des “forces”, de disposer de senseurs qui nous informent sur ce qui nous entoure et peut constituer un allié ou un adversaire, mais indirectement. Quelle que soit sa fréquence une onde électromagnétique est déstabilisante pour ce qui est la matière, mais est aussi le moyen de constituer, de modifier et de déplacer cette matière.
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