Partie I               Partie IIIPartie IVPartie V

De quoi est tissé l'univers ?

Je ne suis pas un scientifique (c'est faux, j'en suis un mais pas très pointu dans la science qui me servira ici, en gros, la physique) donc ma description de la chose ne vise pas à une exactitude scientifique précise, toujours est-il, on peut se représenter l'univers comme un train d'ondes électromagnétiques qui, occasionnellement, forment des concrétions. Partant du principe démontré que la lumière est un cas de l'électromagnétisme, partant du principe, lui aussi démontré, que la lumière est à la fois onde et corpuscule, il en ressort que toute onde électromagnétique est aussi corpusculaire et que ses corpuscules sont les mêmes que ceux qui constituent la lumière, donc les photons. Je suis un être simple et pars de ce principe, ce qui forme une onde sonore est un déplacement d'atomes et de molécules, l'onde n'existe pas en elle-même, elle résulte de la collision de particules de l'atmosphère qui se propage selon une certaine fréquence, vitesse et puissance dépendant de la collision initiale, source de ce son. Si l'on pouvait (probablement on le peut) observer la propagation de ce son, on verrait non pas une onde mais une agitation un peu moins imprévisible mais pas très différente du mouvement brownien, que nos senseurs convertissent en phénomène ondulatoire. On peut voir un organe de sens, naturel ou artificiel, comme une sorte d'interface, à l'exemple de celle que l'on observe entre l'air et l'eau : dans l'air ou sous l'eau les mouvements n'ont pas une direction et une forme précises, mais à leur interface ils se résolvent en ondes. Un senseur fait à-peu-près la même chose avec d'autres moyens, il reçoit des chocs irrégulier, va déterminer dans l'ensemble des régularités et convertir des signaux percussifs en signaux ondulatoires. Considérant une onde électromagnétique il en va comme pour une onde sonore : la source envoie ses signaux dans toutes les directions mais les capteurs de ces ondes sont localisés, ils percevront l'orientation et la fréquence des percussions “photoniques” et traduiront ces perceptions en “ondes”, en signaux continus et réguliers.

Une chose est notable concernant la lumière : entre moi et, par exemple, l'écran devant moi, où je vois ces mots s'inscrire, il y a de la lumière. Or, je ne la vois pas, et de même pour vous je suppose. Pour qu'on ne puisse pas discerner la lumière émise par un écran il faut un niveau de saturation lumineuse important, cas des écrans faiblement lumineux des appareils de type téléphone portable, smartphone ou tablette : l'écran que j'ai devant les yeux actuellement est du type pour appareil fixe et a donc une, que dire ? Une puissance photonique ? Disons cela, une puissance photonique importante. Le smartphone sur ma droite en a une bien moindre, pour diverses raisons. De ce fait, si je tapais ce texte non chez moi et somme toute, assez à l'ombre, mais dehors et en plein soleil, avec l'écran que j'utilise en ce moment je pourrais le “lire”, recevoir de lui une puissance photonique suffisante pour qu'il reste lisible, alors que le smartphone à ma droite serait illisible car sa puissance photonique ne surpasserait pas celle de la lumière solaire. Ceci pour dire, si vous n'en aviez déjà conscience, que ce que vous percevez par vos yeux n'est pas de la lumière mais des “différences”, des perturbations dans le flux photonique qui, à l'instar de l'atmosphère, est partout et n'a pas de direction précise, sinon le flux le plus important localement, venu du soleil, mais que nous ne percevons pas comme flux, ce que nous voyons n'est donc pas une onde mais une série de différences dans le “bain d'ondes”, qui donc ne sont pas des ondes, qui nous entoure, que nous traduisons en ondes auxquelles, selon leur fréquence de percussion, nous attribuons une couleur, une fréquence.

Cela pour dire que l'univers est tissé de, disons, de “photons”. Un terme mieux adapté serait probablement “électrons” mais le mot existe pour désigner autre chose. Quand on comprend que la lumière n'est qu'un cas particulier de l'électromagnétisme, moins même, une frange de l'ensemble du spectre électromagnétique, il en découle que si le photon est une réalité, ce que je suppose vrai, tout électromagnétisme est “photonique”, se propage photoniquement. Ou non, ne se diffuse pas : considérant que l'univers est photonique, comme l'atmosphère est atomique, ce que tend à valider le fait qu'un phénomène électromagnétique est visible quelle que soit la position de l'observateur à sa source, sauf obstacles, l'électromagnétisme n'est pas un phénomène ondulatoire mais est perçu comme tel par l'observateur, comme l'oreille est percutée par des atomes, l'œil est percuté par des photons, et convertit ce signal en onde. Pour celles et ceux qui se souviendraient du thème de cette discussion, les complots, cette partie peut sembler s'en éloigner. Ce n'est pas le cas. J'y reviendrai et ces considérations sur le tissu de l'univers s'expliqueront alors. Je poursuis un peu sur le thème.

Quoi que j'en aie dit auparavant mes compétences en physique ne sont pas négligeables, je ne, disons, je ne suis pas physicien mais j'en connais et comprends assez pour savoir ceci : plus on avance, plus se confirme l'indifférenciation entre énergie et matière. Ou non.

Excursus. La spirale de la science.

La science, les sciences... Ce qui se dit pour une science vaut pour les autres, sauf bien sûr les supposées sciences économiques – c'est ainsi, à chaque époque une fausse science, qui n'est que l'habillage vaguement scientifique de l'idéologie dominante, apparaît. Personne, en ce XXI° siècle, ne supposera que la théologie est une science, ce qu'elle fut longtemps. Bon. La spirale des sciences. C'est un truc idiot : ont ne peut observer à la fois un objet et son mouvement. Du fait, la science alterne sans fin entre l'observation de l'un et l'autre. Pour la lumière par exemple, selon les époques donc selon les théories et selon les moyens d'observation disponibles, on a de longue date fluctué entre la conception de cet objet comme onde ou comme corpuscule ou comme mixte des deux. Sans dire qu'elle a épuisé le sujet, loin de là, du moins la science actuelle permet de comprendre ceci : voir l'univers comme onde ou comme corpuscule est dépendant, à la fois de ce qu'on observe et des instruments qui nous aident à le faire. Le problème actuel des physiciens est celui de l'unification, on a deux théories générales, celle relativiste et celle quantique, qui en partie sont incompatibles, donc il faudrait avoir une théorie qui les réconcilierait. C'est ne pas tenir compte du fait que le cas général, de longue date, est d'avoir deux théories concurrentes et efficaces, qui pour l'une s'applique au distant, l'autre au proche, l'une considérant que la matière est un cas de l'énergie, l'autre que l'énergie est un cas de la matière. De là découlent deux faits, d'une part la question est insoluble, de l'autre ce qui importe est la visée.

La question est insoluble parce sa réponse dans un sens ou l'autre ouvre immédiatement une voie vers des recherches dans le sens négligé, elle importe peu parce que nos moyens limités d'investigation (soit on observe le mouvement, soit la position, dit autrement soit l'onde, soit le corpuscule, soit l'énergie, soit la matière) n'empêchent de valider l'une ou l'autre prémisse, selon le but que l'on se fixe. La lumière est onde si on veut inventer le laser, corpuscule si on veut inventer la cellule photoélectrique, un état temporaire de savoir si on considère le fait que toute théorie est transitoire et valide, soit le temps de trouver une théorie transitoirement plus pertinente, soit selon les contextes. Pour exemple, la théorie newtonienne de la gravitation a été invalidée par celle einsteinienne, mais localement, dans le cadre du système solaire, et sans chercher un degré de précision des positions de l'ordre de celui nécessaire au fonctionnement du GPS, la théorie newtonienne reste pertinente.

La spirale de la science est ce fait indéniable : le temps passant, on voit se développer des théories “statiques” ou “dynamiques” en toute science, des théories qui disent chacune à leur manière que le mouvement va vers la forme ou la forme vers le mouvement, que de loin en loin et parfois de près en près l'une des théories ou les deux sont remplacées par d'autres, plus efficaces, mais qu'on ne se retrouve pas alors au point de départ : l'énergie est une forme de la matière, la matière une forme de l'énergie, selon les capacités du temps on peut étayer cette notion différemment et à coup sûr, provisoirement.

Fin de l'excursus.


Indifférenciation ou non, la question n'est pas tranchée. J'en parle dans plusieurs textes, on peut considérer l'univers comme essentiellement plein ou essentiellement vide sans que ça change grand chose quant à la manière de le décrire, et on peut aussi voir énergie et matière comme deux états d'un même objet ou comme deux objets sans que ça importe tant quand ce dont on parle est très local, ici le système solaire et spécialement, la Terre. Pragmatiquement, voir l'univers comme essentiellement plein, et plein d'énergie, et voir la matière comme un cas de l'énergie, me semble pertinent pour ici et maintenant. Le principe est le suivant : sauf en de rares lieux de l'univers la matière est rare, même dans un lieu où on en trouve bien plus que dans la moyenne, comme le système solaire, sur l'ensemble de son extension il y a beaucoup plus de vide que de plein ; en tout lieu de l'univers l'énergie, sous sa forme électromagnétique, est partout présente ; d'où l'on peut supposer que la matière est un cas particulier de l'énergie. D'où, l'univers est tissé d'énergie.

Les complots : une erreur d'interprétation.

Que les motifs qui le suscitent soient “bons” ou “mauvais”, le fait même du complot ne peut pas être bon pour la société où il a lieu. La question centrale ici est la proportion entre collaboration et opposition et le contexte où ces pratiques ont lieu. Une société est un agrégat de volontés parfois convergentes, parfois divergentes. Structurellement, ça ressemble beaucoup à un organisme : qu'ils y consentent ou non, tous ses individus en dépendent, et elle dépend de ses membres ; certains ont une position sociale fixe, d'autres une position mobile, certains circulent dans tout l'espace social, certains dans une partie de cet espace, certains ne circulent pas ; quelques individus ont une large autonomie, d'autres en ont une restreinte ou nulle. L'intérêt des membres de la société à y participer est le même que celui des cellules d'un organisme : favoriser sa préservation et sa perpétuation. Vivre en société, en organisme, en toute structure réunissant des individus (c'est par exemple le cas d'une cellule eucaryote, rassemblant dans une même membrane des individus – anciennement bactéries ou virus – auparavant autonomes et devenus interdépendants) implique de concéder à la structure une part de son autonomie, ce qui va contre l'un des mouvements de la vie, les individus tendant précisément à vouloir gagner en autonomie. Mais ça va dans le sens de l'autre mouvement, durer et se continuer ou, comme je dis parfois, persévérer en son essence et en son être.

Le passé ne passe jamais, l'avenir n'advient jamais.

N'étant moi-même pas spécialement complotiste, disons, l'étant normalement, vous savez, le niveau nécessaire pour se préserver, je n'ai pas idée des motifs précis amenant tel groupe à planifier et réaliser un complot, par contre j'ai quelque idée du processus qui conduit à comploter : Nous et Eux.

Le titre un peu curieux de cette partie dit en creux qu'il y a un seul temps, le présent, contenant passé et avenir. Il y a deux sortes de temps, temps cyclique et temps linéaire : celui cyclique est la répétition prévisible du même à des moments déterminés par le mouvement de certains objets, l'advenue de certains événements, une répétition prévisible mais non nécessairement fixe dans la durée ; celui linéaire est l'accumulation d'événements non ou peu prévisibles, qu'on peut appeler des accidents. D'un point de vue, chaque jour est pareil à chaque autre jour, chaque lunaison à chaque lunaison, chaque année à chaque année, d'un autre point de vue chaque cycle est unique, un événement singulier qui n'eut lieu qu'une fois et n'aura plus jamais lieu. Le moindre “cycle”, manière de décrire un événement éminemment prévisible et répétitif, est celui déterminé par la constante de Planck, le quantum élémentaire. Un mot bien choisi puisqu'il s'applique à plusieurs faits. Son sens en latin est “combien”, ici on dira plutôt qu'il signifie quelque chose comme “quantité”. Comme l'indique l'article de Wikipédia, il « représente la plus petite mesure indivisible, que ce soit celle de l'énergie, de la quantité de mouvement ou de la masse ». Pour la physique actuelle, relativiste ou quantique, le temps n'est pas une notion pertinente, il apparaît comme une conséquence peu significative du mouvement.

Cela posé, dans le quotidien et même pour un physicien1 le temps existe en tant que durée, que répétition de cycles et accumulation d'accidents. De même, pour vous et moi passé et avenir existent, l'un comme série d'événements révolus, l'autre comme séries d'événements plus ou moins prévisibles : écrivant ce texte, je le nourris de savoir “passé”, acquis par moi au long des jours, des années, des lustres que j'ai vécus, et je suppose sans certitude qu'il existera plus tard, quand j'aurai terminé sa composition et que je l'aurai fixé, enregistré. Cet exemple indique que la notion de présent est approximative et variable : entre le moment où j'ai décidé de rédiger cette discussion et celui où je l'achèverai on peut considérer qu'il n'y a qu'un seul instant, et que sa rédaction est faite “dans le présent”, un présent qui dure déjà depuis treize jours au moment où j'écris cette phrase. Durant cette même période j'ai fait d'autres choses, certaines commencées auparavant et achevées depuis ou toujours en cours, d'autres commencées depuis le 14 mai 2018 à 20h35 et achevées depuis ou toujours en cours. Quelle que soit sa durée, toute action en cours formant un seul événement est “dans le présent”, avant qu'elle commence elle est dans l'avenir, une fois achevée elle est dans le passé. C'est ce qu'on peut nommer le présent inchoatif : comme le dit l'article du TLFi sur ce terme, l'inchoativité, une notion grammaticale à l'origine, « indique le déclenchement ou la progression graduelle d'une action ». Dans les langues latines de ce siècle il n'y a plus de marqueur grammatical de l'inchoatif, qui est rendu par des tournures ou des formules, dire par exemple « je suis en train de » indique bien le fait qu'une action est en cours, commencée mais non encore achevée.. Et bien sûr, si l'action indiquée est dans le passé, dire « j'étais en train de » n'a rien de strictement inchoatif mais restitue le fait qu'un certain événement du passé a pris “un certain temps”, que sa fin ne fut pas immédiate, et que, incidemment, un autre événement a pu se dérouler dans le même laps de temps, avec sa propre durée : « J'étais en train de lire Le Pays où l'on n'arrive jamais quand Hélène a frappé à la porte ».

L'avenir est construit dans le présent à partir du passé, comme chacun a son propre vécu mon passé n'est pas le vôtre ni celui de quiconque autre, donc mon avenir n'est pas le vôtre, ni celui de quiconque autre. Relativement au temps cyclique l'incidence est mineure, certes ma vie n'est pas la vôtre mais au jour le jour elles diffèrent peu, aussi contrastées seraient nos existences : vous et moi sommes nés, avons vu passé des jours, au bout de cela vous et moi mourrons, entre les deux et compte non tenu des accidents nos vies diffèrent peu. Par contre, il y a de grandes chances que votre temps linéaire diffère beaucoup du mien, parce que nous n'avons pas vécu la même vie, fait les mêmes apprentissages, appris la même Histoire ni eu les mêmes projets. La question est alors de savoir à quoi l'on s'attache le plus, temps cyclique ou temps linéaire ? Similarités ou différences ? L'orientation complotiste est liée au temps linéaire, celle conspirationniste au temps cyclique. Les complots “anormaux”, autres que ces petits complots quotidiens qui tissent notre quotidien, lequel alterne, comme déjà dit, entre complots et conspirations, entre actions pour soi et actions pour d'autres, peuvent être compris comme des tentatives pour contraindre des tiers à, peut-on dire, vivre la même vie que soi, pour son propre intérêt et sans tenir compte de ceux de ces tiers, ou à les amener à agir en sa faveur en leur faisant croire qu'ils agissent en leur propre faveur. Cela dit, un complot peut être profitable à sa cible, les comploteurs ne cherchent que leur propre intérêt mais il peut arriver que ceux de leur cible soient convergents, simplement, les comploteurs ne s'intéressent pas aux conséquences de leur projet sur leurs cibles.

Petite remarque au passage : même si j'ai tenté de ne pas donner cette impression, il se peut que ma lectrice ou mon lecteur me suppose un penchant pour les conspirations, ce qui n'est pas entièrement faux mais n'est pas exact non plus : préférer la conspiration est une nécessité, dès lors peut-on parler de préférence ? Si je désire vivre, et bien, je vais “préférer” respirer que ne pas le faire, et ne retenir ma respiration que dans les cas où cela s'avère préférable, pour autant que ça ne dure pas trop longtemps. Ou aussi, si je souhaite me déplacer à la surface de la Terre je vais “préférer” tenir compte de la gravité si j'escompte me déplacer sans trop de problèmes. Cela posé, vivre c'est justement ne pas tenir compte absolument du mouvement général de l'univers. Disons, le plus souvent il vaut mieux conspirer et limiter les complots au strict nécessaire, mais comploter est vital.

Ce qui nous amène à la question cruciale : comploter c'est précisément en faire trop, ne pas se limiter au strict nécessaire. Le problème premier étant que l'énergie disponible pour aller localement contre le mouvement général de l'univers est finie et rare, le problème second, que l'augmentation excessive de la quantité de mouvement contradictoire induit dans la durée une augmentation du niveau d'entropie du système. La Terre étant un système fermé, le niveau d'entropie y est au mieux constant, plus souvent en augmentation ; de ce fait, quand on réduit localement le niveau d'entropie, au niveau global il est égal ou supérieur et après une durée plus ou moins longue la réduction locale devra cesser car, le temps passant, le niveau d'énergie nécessaire à son maintien excèdera les capacités du sous-système local. Comploter peut se décrire comme capter de l'énergie pour augmenter le niveau d'autonomie de son groupe, donc réduire l'autonomie d'autres groupes. Dans une société bien réglée il y a, peut-on dire, une “circulation du complot”, quelque chose d'assez similaire à cette pratique ancienne et pour l'heure proscrite par l'Union européenne, l'assolement biennal ou triennal, quand une parcelle, une “sole”, est mise en culture, une autre parcelle est en repos, en jachère ; en fonctionnement triennal il y une alternance culture d'hiver puis de printemps et enfin jachère, avec souvent alternance de type de culture : emblavement une année, puis légumineuses ou tubercules, puis jachère. Dans une société bien réglée, le groupe favorisé à tel moment le sera moins le moment suivant, puis sera en repos, puis favorisé, puis... Ce que je nomme proprement complot ici désigne un dérèglement, une “dérégulation”.

Les meilleurs et les huiles.

Les huiles c'est un jeu de mots éculé, “oligo” signifie en grec “petit nombre” mais ressemble au latin “oleo”, “huile”, l'aristocratie est en théorie le gouvernement des meilleurs, et l'oligarchie le gouvernement du petit nombre. J'en discute longuement par ailleurs, quand une société devient trop nombreuse la régulation normale, qui consiste en le renouvellement des gouvernants à périodes assez courtes, tend à se réduire puis à cesser, cela quelle que soit la façon dont est conçu au départ ce renouvellement. On peut aussi réguler d'autre manière, cas par exemple du potlatch où les dirigeants doivent régulièrement dépenser les ressources qu'ils accumulent, cas du jubilé, tous les X mois, années ou lustres, toutes les dettes non acquittées sont remises, dans ces deux cas l'accumulation et la thésaurisation n'ont pas de sens puisque la règle oblige à rendre à la société ses acquis. Quoi qu'il en soit, dans une société large arrive presque nécessairement le moment où cette régulation cesse.

Les meilleurs sont ceux qui occupent des positions sociales éminentes par leur talent, le petit nombre ceux qui, sans talents particuliers, ont une situation privilégiée pour les nécessités de la gestion de la cité. Le problème ici est triple : on juge la valeur d'une personne sur ce qu'on connaît de la réalité ; le temps passant, les personnes en position sociale favorable gauchissent les institutions et les règles pour se rendre indispensables et in fine, inamovibles ; les rapports sociaux sont subjectivement d'ordre cyclique, d'où la perception que ce qui est habituel est normal et en quelque manière inévitable.

Temps cyclique et temps linéaire sont des constructions, quand on y réfléchit rien n'est réellement prévisible ni cyclique, et le temps linéaire forme une sélection propre à chacun parmi la suite infinie des événements connaissables passés ou à venir. Dans une autre page j'avais relevé que le tout début de À la recherche du temps perdu rend remarquablement compte de ce processus de construction des deux temps, et de leur inconsistance. La première phrase est connue et sa citation telle que, sans ce qui suit, masque à quel point elle dit le contraire de ce qu'elle semble dire, la répétition cyclique :

Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était plus allumé. Puis elle commençait à me devenir inintelligible, comme après la métempsycose les pensées d’une existence antérieure ; le sujet du livre se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou non ; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible, comme une chose vraiment obscure. Je me demandais quelle heure il pouvait être ; j’entendais le sifflement des trains qui, plus ou moins éloigné, comme le chant d’un oiseau dans une forêt, relevant les distances, me décrivait l’étendue de la campagne déserte où le voyageur se hâte vers la station prochaine ; et le petit chemin qu’il suit va être gravé dans son souvenir par l’excitation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des actes inaccoutumés, à la causerie récente et aux adieux sous la lampe étrangère qui le suivent encore dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du retour.

La première phrase est un absolu, le temps cyclique pur, chaque jour suit chaque jour dans la suite infinie et monotone des jours. Le premier mot de la phrase suivante casse le cycle, ce « Parfois » qui dit que les jours ne se ressemblent pas. La suite dira même qu'ils ne se suivent pas, on ne sait si le narrateur se remémore le passé ou le présent, ou invente, s'il parle de lui ou de quiconque ou personne. La mémoire est infidèle et inexacte, on croit se souvenir du passé alors qu'on invente le présent, un présent qui chaque moment élabore et réélabore le passé, imagine et réimagine l'avenir.

D'un point de vue pragmatique l'expérience est un guide mais non un instrument de prédiction, chaque fois que l'on prévoit de répéter ce qu'on connaît il y a des impondérables, de petites ou grandes variations qui feront que chaque action diffère de toute autre action. Se souvenir c'est filtrer, reconstruire, retenir d'un événement passé des éléments significatifs qui vont permettre d'anticiper une action dont le résultat devrait être proche de celui d'une action antérieure, mais en cours de réalisation nous effectuons des corrections mineures ou majeures quand le déroulement effectif de cette action s'écarte de celui de l'action antérieure. C'est proprement ce qu'on peut nommer un fonctionnement cybernétique.

Pour des raisons que je n'ignore pas le mot “cybernétique” est devenu synonyme d'informatique pour beaucoup de gens alors qu'à l'origine il concerne tout autre chose : la capacité d'un système à procéder à des ajustements lui permettant de se maintenir au plus près d'un certain état. L'informatique et les ordinateurs ne sont pas cybernétiques en ce sens, même si les composants même d'un ordinateur sont en un certain sens cybernétiques, ils ont des systèmes correcteurs leur permettant d'être dans un état moyen calculable, l'ordinateur même et plus encore sa composante informatique, logicielle, ne sont pas cybernétiques, ils sont évolutifs et modifiables dans leur comportement, “non cybernétiques”, par contre ce sont de très bons outils pour diriger et réguler un système autocorrecteur. Pour exemple un pilote automatique peut être entièrement mécanique, quelque chose comme l'organe qui sert aux humains à rester en équilibre, un élément de type gyroscope qui garde un alignement constant relativement au centre de gravité de la Terre, et des senseurs autour qui sont activés quand le gyroscope les touche, ce qui va induire le déplacement d'un organe correcteur pour faire monter ou baisser l'appareil, aller vers la gauche ou la droite, accélérer ou ralentir. L'intérêt principal de l'ordinateur est sa polyvalence, avec le même ordinateur, quelques modifications matérielles mineures, quelques changements dans le programme de gestion, on pilotera n'importe quel engin mobile ou statique. Entre autres choses les êtres vivants sont des systèmes cybernétiques, en outre des systèmes auto-apprenants, chaque nouvelle expérience leur permet d'affiner leurs corrections de comportement lors d'une expérience ultérieure similaire.

L'habitude, c'est de perdre de vue ce processus autocorrecteur, de finir par croire que la modélisation est la réalité, de faire basculer le processus réel du côté de l'inconscient, de cette part de l'expérience qu'on apprend à ne plus voir, percevoir, et bien sûr de cette part des expériences qui ne réalisent pas le projet, la prédiction. Longtemps je me suis levé de bonne heure, sauf les fois où je ne me suis pas levé car pas couché, celles où je ne me suis pas levé de bonne heure, celles où je ne me suis pas levé car malade ou fatigué... Tel qui me dira qu'il se lève tous les jours à sept heures pour aller au boulot, je demanderai, samedi et dimanche aussi ? Euh, non... Les jours de vacance aussi ? Euh, non... Les jours où tu as 40°C de fièvre ? Euh, non... Les jours de grève dans ta boîte ? Euh, non... Les jours de grève dans les transports publics ? Euh, non... Les jours où... Au bout du compte on constatera que sur une année, il se lève à sept heures pour aller au boulot au mieux trois jours sur cinq, voire un jour sur deux, et même ces jours-là ça n'est pas toujours à sept heures, que des fois c'est plus tôt parce qu'il part de plus loin, que son parcours entre sa résidence et son boulot c'est plus ou moins le même, et d'investigation en investigation on va constater que si une journée de travail “normale” est assez similaire à une autre, chaque jour est différent et qu'il y a au moins autant de jours anormaux que de jours normaux quand on part sur la prémisse “je fais [ceci] tous les jours”.

L'habitude amène à l'accoutumance. Il m'arrive irrégulièrement (j'allais écrire régulièrement alors même que ce n'est pas le cas, il m'arrive de loin en loin et aléatoirement) de discuter avec des personnes me disant que ceci et cela est inacceptable, lesquels ceci et cela sont des éléments de leur quotidien. Bêtement, je leur dis, alors ne l'accepte pas, et convainc d'autres personnes de ne pas accepter. Ah mais oui mais tu comprends, “les gens” ne voudront jamais. Au bout d'un temps je parviens souvent, mais pas toujours, à faire comprendre à ces personnes que “les gens” ce sont elles-mêmes, qu'elles sont un de ces “gens” qui ne veulent pas, qui ne veulent jamais. Cela dit, la fin de l'histoire c'est toujours quelque chose comme oui mais tu comprends mais ça n'est pas possible. Et bien sûr, moi de dire, c'est possible, commence, toi, par ne pas accepter, et par en convaincre d'autres de ne pas accepter, et ça repart, oui mais tu comprends, “les gens”... Et justement, je ne comprends pas.

Je comprends, bien sûr : lorsque l'on simplifie le réel, que l'on confond le modèle et la réalité, que l'on ne voit que les régularités et qu'on ne perçoit plus les accidents que l'on doit sans cesse corriger, que la vie devient un long fleuve tranquille et très large, où l'on se trouve à nager ou naviguer dans son mitan et loin des rives, et quand on croit que changer les choses c'est agir sur sa seule trajectoire, il devient difficile d'imaginer une manière simple et directe d'agir sur le réel. Paradoxalement, la rare manière d'imaginer une action possible est celle de la foule, de la masse, faudrait qu'on s'y mette tous ensemble mais tu vois, c'est pas possible. Et là j'admets, ce n'est pas possible : faire ensemble, ça n'est pas possible ; faire de manière coordonnée est en revanche très possible. Les faits se disent aisément, simplement. Je pense à ce refrain d'une chanson célèbre, L'Estaque, en version originale L'Estaca, le pieu, de LLuis LLach, une manière imagée de parler du moyen de lutter contre la servitude volontaire. En voici une traduction :

As-tu vu je lui demandais,
L’estaque qui nous retient,
Si nous ne pouvons le briser,
Jamais nous n’irons plus loin.

Si nous tirons, il va tomber,
C’est sûr ça ne peut pas durer,
C’est sûr il tombe, tombe, tombe,
Il est déjà bien penché.
Si je tire fort par ici,
Et si tu tires fort aussi,
C’est sûr il tombe, tombe, tombe,
Comme un jour la liberté.


Traduction de Jacques-Émile Deschamps, interprétation par Marc Ogeret. Il s'agit non tant de tirer ensemble que de tirer en même temps, si nous sommes enchaînés au même pieu il suffit de s'entendre pour tirer chacun sur sa chaîne, à-peu-près dans le même sens et à-peu-près au même moment, plutôt que de tenter de réunir toutes nos chaînes pour tirer ensemble, nous ne serons plus enchaînés au pieu, peut-être, mais serons enchaînés à la même chaîne... Le pieu, je n'ai rien contre y être enchaîné, j'ai quelque chose contre le fait que ce soit un pieu, la servitude ça n'est pas d'être liés au même objet, c'est que cet objet ne soit plus dans un rapport de réciprocité, faire société c'est sacrifier une part de son autonomie pour que tous ensemble l'on gagne en autonomie, mais si chacun perd et que seuls quelques-uns gagnent ça ne me va plus, une société statique n'est plus une société mais un organisme.

L'habitude amène à l'accoutumance, l'accoutumance au consentement aveugle, à la servitude, à la servitude volontaire. Ce qui lie un individu à un individu, un individu à un groupe, un groupe à un groupe, est le contrat. Lequel forme un engagement réciproque : chacun des contractants s'engage pour une certaine réalisation et tous pour un projet commun. On signe un jour et, l'habitude venant, on se prend à croire qu'on a signé pour toujours, on finit par oublier le contrat pour ne plus voir que l'engagement, bref, on s'attache au moyen et on perd de vue la fin, le projet commun. Ce qui apparaît assez logique, un moyen étant une fin.

Je ne prête pas d'intentions précises aux comploteurs, les personnes participant à un complot sont très probablement et, selon moi, en majorité de bonne foi, ont de bonnes intentions – on sait ce qu'il en est de l'enfer... En matière de complots comme en toute autre matière ce qui importe n'est ni la fin ni le moyen mais l'adaptation réciproque du moyen et de la fin. Si un moyen est une fin, une fin est donc un moyen. On en sait bien peu du passé, on ignore tout de l'avenir et on ne peut tout savoir du présent, chaque projet, et plus encore quand il s'agit d'un projet commun, induit donc le risque de se tromper quant à cette concordance entre moyen et fin, à quoi s'ajoute ceci~: un moyen étant une fin on court donc ce risque de ne plus voir la fin du projet mais la seule fin du moyen même. Si je vais tous les jours au boulot, c'est au départ pour une fin collective, augmenter le niveau global d'autonomie à coût constant ou maintenir le niveau actuel à moindre coût, en espérant pouvoir augmenter l'autonomie globale à moindre coût et en escomptant ne pas augmenter le coût à autonomie constante ou moindre. Le problème permanent de la vie : ne pas contribuer à réduire les ressources énergétiques en maintenant ou augmentant le niveau global d'entropie. Non pas le niveau universel, il est au mieux constant sinon augmentant, le niveau global qui nous intéresse est celui local, celui de la biosphère.

J'en sais peu sur l'avenir sinon que l'inertie de l'univers est indéniable et irrépressible. Par exemple, il est certain que notre système local, le système solaire, a une “espérance de vie”, une durée prévisible, limitée, dans au plus quatre à cinq milliards d'années tout ça finira en apothéose dans un magnifique feu d'artifice où une part significative des planètes, dont la nôtre, se fondra dans un soleil devenu bien moins chaud mais bien plus gros. Pour la situation très locale, “biosphérique”, je n'ai pas d'hypothèse solide. Disons, j'en ai bien une qui me semble assez vraisemblable, la finitude de l'espèce humaine et un changement très notable dans la hiérarchie des espèces dans un avenir qui se mesure en centaines, en milliers ou en centaines de milliers d'années, au plus en millions d'années. Question de logique, j'ai du mal à croire que l'avenir diffèrera de beaucoup du passé. La question est donc de savoir comment retarder l'échéance pour mon espèce. Non que ça importe tant, de toute manière, même si la vie en général, peut-être la vie humaine en particulier, trouve une solution dans les deux à trois milliards d'années pour éviter son apparemment inévitable fin locale, dans un temps indéterminé mais certain nos problèmes et donc nos solutions actuels n'auront plus trop de pertinence et en cas de résolution de la question, quelle qu'elle soit l'humanité de cet hypothétique moment n'aura plus grand chose à voir avec celle actuelle. Cela posé et pour me répéter, je ne sais pas grand chose de l'avenir au-delà des quelques secondes à venir et pour moi seul, sinon pour les grands mouvements universels, genre la fin du système solaire dans sa configuration actuelle à temps compté.

Partant de ce peu que je sais et que je puis envisager, ma principale raison de vivre est très chauvine et consiste à défendre en premier mon espèce, en second mon écosystème, en troisième la vie. Mais si la vie est mise en péril telle qu'elle se déploie actuellement, mon écosystème n'y résistera pas et mon espèce sera en état précaire, peut-être en impasse. On en revient toujours au même point, la proportionnalité : si on privilégie trop le très local on agit contre le local intermédiaire ou/et le global, ce qui se retournera contre le très local. Quoi qu'en disent et pensent ceux qui privilégient l'hyperlocal, à horizon moyen je n'ai nulle inquiétude pour la vie, la biosphère, depuis près de quatre milliards d'années qu'il y a de la vie sur Terre elle en a beaucoup subi et a connu des passes difficiles mais a prouvé sa grande résilience, la seule vraie bonne question est donc : comment agir pour tenter de préserver les chances de durer un peu au-delà des quelques décennies qui viennent à notre écosystème actuel, qu'on nommera l'Humanité ? Je ne doute pas non plus que l'espèce humaine durera bien plus longtemps, mais dans un état des choses antérieur, ce qui ne me semble pas spécialement souhaitable. Mais ça ne me semble pas très important non plus, comme individu je dois dire que tout ça ne me concernera plus dans un temps indéterminé mais fini et proche, disons, entre maintenant et au plus une soixantaine d'années avec un bon pronostic pour entre cinq et trente ans.

Il y a fort longtemps pour l'espèce mais du moins, pour le contexte actuel il y a soixante à soixante-dix ans, deux voies ont été privilégiées par deux groupes concurrents, qu'on nommera les conspirateurs et les comploteurs. Deux groupes, il faut s'entendre, il ne s'agit pas de deux blocs animés de deux idéologies bien dessinées mais plutôt de deux courants, deux voies opposées dans leur fondement principal, les partisans du toujours plus ou comploteurs, et ceux du toujours moins ou conspirateurs. Dans la vie il faut du plus et du moins, ces deux voies s'opposent mais se complètent, la question étant celle de l'équilibre. Pour le dire de nouveau, trop de conspiration nuit autant que trop de complot, ni excès d'immobilité ni excès de mouvement, mais les conspirateurs ont un avantage à long terme, aller vers l'immobilité est un mouvement donc même l'immobilité apparemment la plus grande est encore mouvement ; aller vers le mouvement sans répit est un mouvement mais le risque est la fin du mouvement, l'immobilité définitive, la mort, par excès de mouvement qui résulte en excès d'entropie à l'intérieur même du système. C'est rapport au fait que le système global, la biosphère, est aussi un système fermé : si un de ses sous-systèmes augmente le niveau d'entropie d'autres sous-systèmes, comme tout système autocorrecteur la biosphère finira par égaliser ce niveau d'entropie, et quand cela se produira les sous-systèmes qui en subiront le plus grand coût et le plus grand coup sont ceux qui ont besoin d'un haut niveau d'énergie pour se maintenir. En période faste, où l'énergie disponible est importante et le niveau d'entropie acceptable, il y a un certain avantage aux complotistes, mais comme le niveau de ressources nécessaire pour les conspirationnistes est assez bas, de leur point de vue ça n'a guère d'incidence. Je parle à un niveau global, à un niveau individuel c'est moins évident, bien sûr, les deux groupes ne s'apprécient guère mais les moyens employés par les complotistes pour réduire le niveau de conspiration dans leur environnement sont, et bien, sont dans leur voie : énergiques...

Effectivement ça ne se passe pas, ou pas toujours, comme ça, mais du moins ça ressemble à ce qui peut se passer dans un écosystème “naturel” (dit autrement, non socialisé, donc naturel entre guillemets car une société n'est pas moins naturelle qu'un autre écosystème), où on a, au plan des organismes complexes, trois groupes distincts, les végétaux et assimilés, les prédateurs de végétaux ou herbivores, et les prédateurs d'herbivores ou carnivores. Le niveau d'énergie requis pour maintenir chacun de ces groupes est dans un rapport d'environ un pour dix entre chaque groupe, donc là où un végétal a besoin d'une unité énergétique, un herbivore requerra dix unités et un carnivore cent unités pour la même efficacité. Si, dans un contexte donné, la proportion entre chaque groupe est en faveur des groupes les moins consommateurs il s'établit un équilibre, certes précaire mais assez stable, il y a certes des ajustements qui vont résulter en des corrections pour conserver l'équilibre général mais ils sont mineurs. Si pour quelque raison (laquelle raison est toujours la même : insuffisance d'énergie pour maintenir l'équilibre du système, soit par perte de ressources, soit par excès de dépenses), quel que soit le point où a lieu le déséquilibre initial (raréfaction des végétaux ou des herbivores ou des carnivores, ou augmentation excessive d'herbivores ou de carnivores), lors du moment le plus critique, celui de l'égalisation du niveau d'entropie, le groupe qui subira le plus grand stress sera nécessairement celui des carnivores, cent fois plus sensible que le groupe des végétaux et dix fois plus que celui des herbivores au déficit de ressources. Bien sûr ça n'induit rien quant aux disparités à l'intérieur de ces trois groupes : il se peut – il est assez probable – qu'à l'intérieur de chaque groupe certains sous-groupes – certaines espèces – subissent un stress plus important, ou moins important, que celui subi en moyenne par tout le groupe. Reste que, globalement, les carnivores sont toujours les perdants à terme dans le cas d'un déséquilibre, même dans le cas improbable où tous les herbivores et tous les végétaux disparaissaient, une fois que le dernier carnivore aura dévoré l'avant-dernier, que lui restera-t-il pour se préserver ? Les végétaux peuvent se passer des herbivores pour trouver leur équilibre, les herbivores ne peuvent se passer des végétaux ni les carnivores des herbivores.

Les complotistes sont des carnivores. Je ne dirai pas, comme ça se dit souvent, que ce sont des prédateurs, un herbivore n'est pas moins prédateur qu'un carnivore ni un végétal qu'un herbivore, sinon en proportion : tout être vivant est prédateur d'énergie. Des carnivores et donc, comme tout carnivore, des parasites. Ma définition du parasitisme est simple, si un individu dépense plus d'énergie qu'il n'en restitue au système, c'est un parasite. Si cette disproportion est modérée et s'il fournit un travail profitable au système c'est un symbiote outre qu'un parasite. La dépense d'énergie d'un carnivore est telle qu'il a toujours une dette énergétique envers son système, raison pourquoi il est un parasite.

De la finitude des écosystèmes.

J'essaie, contrairement à l'usage contemporain, de ne pas abuser du terme et de ne parler d'écosystèmes que pour les écosystèmes, dire donc que les sociétés humaines sont des systèmes de cet ordre n'est pas abusif selon moi. On peut me le contester mais peu importe, ce sont en tout cas des systèmes finis, globalement fermés. Entre le début de la période historique, et même dès la période protohistorique voire de la toute fin de la période préhistorique, et la situation actuelle, les sociétés humaines ont beaucoup changé. Elles ont connu le même sort que n'importe quelle espèce nouvelle : la diversification. À un moment indéterminé mais du moins antérieur à -12000 ans, probablement antérieur à -50000 ans, plus probablement encore antérieur à -300000 ans2, dont les prémisses sont plus anciennes encore (au-delà de 1,5 millions d'années), est apparue une nouvelle forme de société, qui hérite de celles qui la précèdent, les sociétés de primates autres qu'humains, et réinvente une méthode déjà réalisée dans d'autres branches de l'évolution, je pense notamment aux fourmis : l'espace social intégré.

D'un point de vue formel il n'y a pas grande différence entre une société d'humains et une société de fourmis, dans les deux cas ces espèces intègrent l'ensemble de leur espace social, les membres de leur espèce, le territoire, et les autres espèces animales ou végétales, dans les deux cas il y a une hiérarchie entre espèces et une hiérarchie entre membres de l'espèce dominante. D'un point de vue fonctionnel il en va autrement : le degré d'autonomie d'un insecte à son environnement est réduit, celui d'un mammifère, spécialement un primate, assez ou très élevé, de ce fait une société de fourmis est une sorte d'organisme dont les cellules auraient une autonomie de déplacement mais non de préservation, pour survivre une fourmi est tributaire de son groupe d'appartenance natif, de sa fourmilière, alors qu'un primate, une fois parvenu à l'âge adulte et n'étant pas spécialement dépendant pour des raisons d'ordre fonctionnel (handicap natif ou accidentel par exemple) est capable, si les circonstances l'y obligent, de survivre et même de vivre sans le secours de son groupe.

L'invention humaine qui explique le plus son organisation sociale spécifique est une forme particulière de communication, qui a permis l'élaboration d'une chose curieuse, « l'esprit de groupe », la capacité de partager l'expérience de vie d'autres individus de l'espèce par le biais de la communication verbale et de systèmes de signes connexes (arts graphiques, écriture...). Chez les humains l'acquis de savoirs venant d'autres individus peut se faire quelle que soit la distance dans le temps et l'espace entre ces individus, et sous diverses formes, autres que l'imitation. Par exemple, si je souhaite savoir comment fabriquer un gâteau de Savoie super moelleux , il me suffit de lire la recette mise en lien. Il suffit... Derrière ce “il suffit”, énormément de prérequis, comprendre tous les mots de la recette ou savoir en chercher le sens si besoin, comprendre les phrases, associer cette suite de mots à diverses réalités, etc. Mais si je possède la compréhension du code je suis alors en capacité de faire quelque chose qui correspond à ce qu'a fait l'autrice de cette recette sans la connaître et sans l'avoir jamais vue la réaliser. Considérant l'objet de la réalité « gâteau de Savoie super moelleux » et la recette, celle-ci restitue une part très limitée de la réalité en question. C'est la puissance de ce type de communication, qu'elle soit écrite ou orale : avec très peu d'éléments en deux dimensions qui forment une ligne simple, une sorte d'onde à fréquence modulée, un individu peut communiquer à un autre une réalité qui se déploie dans quatre dimensions, avec beaucoup plus de détails effectifs que n'en donne le message. D'une certaine manière ça ressemble à ce qui se passe en notation musical : avec peu d'éléments – notes fondamentales, tempo, durée des notes, instruments – on donne au lecteur ou auditeur de cette description l'idée d'une musique qui a une certaine dynamique, des harmoniques, une tension, quelque chose de bien plus complexe que quelques taches réparties autour de bandes successives de cinq lignes. On peut dire qu'en lisant une recette de cuisine on restitue les harmoniques absentes du texte écrit et la spatialité absente du texte prononcé.

Il y a un effet secondaire du langage humain : il simplifie la réalité. Non pas de fait, la réalité est ce qu'elle est, mais dans la représentation qu'un humain s'en fait. Les autres animaux, sinon peut-être deux ou trois espèces ou lignées, et les végétaux, ont d'un côté une perception restreinte de leur univers, même les plus évolués d'entre eux ne peuvent en savoir que ce qu'ils en connaissent par expérience directe, par contre ils ont une perception fine de leur environnement et de sa complexité ; pour les humains c'est un peu voire beaucoup le contraire, à quoi s'ajoutent tous les humains qui, par nature ou par éducation, n'arrivent jamais à une compréhension très complexe de l'univers et qui, par leur insertion dans un contexte humanisé, une société, perdent en compréhension de leur environnement. Il n'y a pas de fatalité à cela mais du moins, la communication humaine contribue à étendre la cognition abstraite de la réalité mais dans le même temps à réduire sa cognition concrète. Il est donc nécessaire de corriger ce problème, de le réduire. Ce qui ne se fait pas tant, cela dit, car il peut être intéressant pour certains de disposer de personnes qui ont une faible prise sur la réalité quand elle dépasse le cadre restreint de leur environnement proche.

Dès lors que l'on comprend clairement,

  1. que les écosystèmes sont finis,
  2. qu'ils sont interdépendants,
  3. que l'énergie disponible est limitée et épuisable,
  4. que la réduction locale du niveau d'entropie est un artifice provisoire,

on devient bien plus circonspect quant aux projets requérant la mobilisation d'une importante quantité d'énergie en vue de réduire faiblement le niveau d'entropie, on le devient d'autant si le projet promet une réduction d'entropie pour tous. Je crois tout-à-fait à la possibilité de projets “gagnant-gagnant” ou, comme on dit en français contemporain, “win-win” (ne pas lire “ouin-ouin”, ça en attristerait certains...), pour autant que les promoteurs d'un projet de ce genre indiquent que le gain n'est pas garanti « pour les siècles des siècles » et universellement, et aura une fin. Dès lors, qui s'aventurerait à me promettre qu'un projet fera gagner beaucoup à tout le monde et jusqu'à la fin des temps ou au moins pendant un temps très long, genre dix ou vingt générations, je ne pourrais le croire. Les sociétés humaines sont des écosystèmes, et la société actuelle la plus englobante, qui est universelle (dans le sens de mondiale, donc valant pour l'ensemble de notre univers local, la Terre), s'insère directement dans l'écosystème des écosystèmes, la biosphère.

Toute société qui s'engage dans un processus “complotiste”, un processus de gain infini d'énergie, est inévitablement amenée à l'emballement, c'est-à-dire le moment où son excès de mouvement ne peut plus être régulé par les instruments d'autocorrection, ce qui provoque son arrêt et sa dislocation. En des temps anciens, en gros il y a plus de quatre siècles, ce type de société pouvait avoir une durée assez importante, plusieurs siècles, même s'il y avait régulièrement des soubresauts, des emballements, des ralentissements, des recompositions sociales et territoriales, pour plusieurs raisons :

  • au moins jusqu'au XVII° siècle de notre ère, aucune société n'a jamais eu les moyens d'un gain très important et moins encore extrême de mobilité, donc de gain d'énergie ;
  • au moins jusqu'au XVI° siècle, la possibilité de convertir la part non biotique et non renouvelable de l'espace social en énergie était assez limitée, les emballements restaient donc assez limités même si parfois violents ;
  • jusqu'au milieu du XVIII° siècle, l'intégration informelle de toutes les sociétés dans un ensemble n'était pas réalisée, à quoi s'ajoutait qu'une part assez importante de la biosphère avait une population humaine réduite, de ce fait la possibilité d'expansion des sociétés les plus actives restait assez importante ;
  • jusqu'au milieu du XIX° siècle, l'intégration formelle de ces sociétés ou comme on dit, “le concert des nations”, n'était pas encore complète, de ce fait la destruction d'une société et parfois d'une part importante de sa population par une autre société n'avait pas toujours de conséquences en retour, la société agresseuse compensait la chose en déportant une partie de sa propre population pour occuper le terrain conquis et l'annexer ;
  • jusqu'au milieu du XX° siècle la société globale, intégrée de fait, n'hésitait cependant pas à sacrifier une partie non négligeable de sa population, localement ou globalement, pour “hausser le niveau d'énergie”, dit autrement, en réduisant sa population brutalement la part d'énergie disponible moyenne augmentait mécaniquement même quand celle globale ne progressait pas ou progressait peu.

Il est donc à comprendre que de toute manière une société ne peut augmenter indéfiniment le niveau d'énergie disponible, ce que la pseudo-science du moment, la théologie contemporaine, j'ai nommé l'économie3, appelle des crises, n'en sont pas strictement, en ce sens qu'elles ne sont pas imprévisibles : si je dispose de, disons, cent unités d'énergie, que j'en produis dix et que dans cette période j'en dépense vingt, et si je ne prévois pas d'instruments de régulation pour réduire progressivement mes dépenses en fonction du niveau de mon stock, au bout de dix périodes j'aurai épuisé mon stock et, soit devrai brusquement tout arrêté, soit anticiper la rupture de stock en m'emparant par ruse ou par violence d'un autre stock, ce qui contribuera à augmenter mon niveau de dépense. Et on se retrouve alors devant les deux issues possibles : rupture par emballement ou, une fois tous les stocks disponibles consommés, par insuffisance de ressources.

La machine à produire des complots.

J'en discute plus précisément par ailleurs, une société est toujours à la fois hiérarchique et non hiérarchique, la question étant alors de savoir comment elle le réalise. Une société à tendance conspirationniste aura une superstructure hiérarchique et une infrastructure non hiérarchique, inversement pour une société à tendance complotiste. La superstructure, c'est l'organisation formelle de la société, son infrastructure est l'organisation réelle. On peut aussi parler de fonctions et de statuts : dans l'axe conspirationniste, tous les membres de la société ont le même statut mais des fonctions inégales, dans celui complotiste il y a une inégalité des statuts et une indétermination des fonctions. Autre description, dans une conspiration “qui” n'importe pas et “quoi” importe beaucoup, dans un complot “qui” importe beaucoup mais “quoi” n'est pas très défini, soit on définit ce qui doit être réalisé sans que l'on attribue cette tâche à une personne particulière, soit on connaît la place de chacun sans trop savoir ce que chacun réalise pour la société. Disons, c'est la différence entre une coopérative et une société anonyme : dans la première, chaque membre de l'association est égal à chaque autre et sa place dans la hiérarchie est déterminée par ses compétences ou par sa disponibilité, dans la seconde la position hiérarchique est prédéterminée et inamovible, que les personnes soient compétentes ou non, disponibles ou non. Or, les questions de statut et de fonction sont cruciales pour déterminer les responsabilités.

Responsabilité sociale et responsabilité personnelle.

Dans le cadre de la société, tout ce qui s'attache au statut concerne la personne et donc la responsabilité personnelle, tout ce qui s'attache à la fonction concerne l'acteur social et donc la responsabilité sociale. Un problème récurrent est de faire la part des choses entre ces deux responsabilités. La réponse, disons, écologique, est de considérer la responsabilité sociale comme a priori, celle personnelle comme a posteriori, et de ne sanctionner, en bien comme en mal, que ce qui dans la responsabilité personnelle interfère avec les règles sociales, dans la responsabilité sociale ce qui outrepasse la fonction. Bien sûr, une société large (comportant au moins deux groupes “formant société”) étant la réunion et l'intersection de plusieurs sociétés, chacune d'elles a sa propre répartition entre statut et fonction, la famille comme société a des règles que la société large ne reconnaît ni n'a à connaître sauf si elles empiètent sur les règles fondamentales qui assurent sa cohésion. Raison pourquoi la structuration “normale” d'une société large est l'égalité des statuts et l'inégalité des statuts, la structuration inverse devant être rare et temporaire, et en ces cas les personnes usant de leur statut pour accomplir leur fonction seront tenues personnellement responsables de leur action sociale. Et bien sûr, toute personne usant en temps normal de son statut pour accomplir des actions qui lui soient personnellement profitables sans que cela fasse partie de ses prérogatives contractuelles sera sanctionnée en sa personne et en mal de ces actions – cela, que ces actions soient subjectivement bonnes ou mauvaises pour la société. La question n'est pas ce qu'on fait mais où et comment on le fait.

Le problème d'une structuration où le statut prime durablement la fonction est simple : la sanction d'une action personnelle se faisant a posteriori, tant que la fonction dépend du statut il n'y a pas de sanction réelle possible, que ce soit en bien ou en mal, et comme la sanction sociale est a priori, une fois que statut et fonction sont déliés, il devient difficile de déterminer la responsabilité et surtout quelle responsabilité : personnelle ou sociale ? On le voit assez bien en France en 2018 – mais depuis quelques lustres déjà – et un peu partout dans le monde, dans les entités politiques où l'on a une situation de cet ordre : les “responsables” ayant une position sociale éminente y accèdent en général parce que leur statut les met en situation d'y accéder : on ne devient pas haut fonctionnaire dans l'administration du budget ou de la diplomatie par hasard ou par talent mais parce qu'on obtient un certain rang dans une certaine école, ou parce qu'on est en connivence avec un ministre en place ou un groupe politique. Dans un autre texte je discute du processus de sélection et d'élection des représentants du peuple dans les démocraties représentatives, en constatant que d'une part il y a souvent peu d'aléas quant au choix final, d'autre part peu de chances que le candidat de tel ou tel parti ou mouvement politique soit désigné à l'issue d'un processus de sélection par compétence relative à la fonction ou par tirage au sort, ou par tout autre procédé où les relations personnelles ne priment pas. Ce qui pose beaucoup de problèmes à la société, en tout premier la dépense non sociale de ressources sociales.

Les élections, un cas d'école.

Rares sont les entités politiques actuelles où le choix du souverain, qu'il soit effectif ou le soit par délégation, est libre et inconditionnel. Déjà, on peut en exclure cette majorité large d'entités, qui regroupe à moindre niveau la majorité des humains, où la question ne se pose pas parce que le choix n'est pas libre et résulte d'une sélection interne à l'intérieur d'un groupe de pouvoir – oligarchie, aristocratie, tyrannie, technocratie, kleptocratie... – qui sera ou non sanctionnée par une phase formelle de vote. Puis, une forte minorité de ces entités a une liberté de choix restreinte de par le contexte géopolitique : sans pouvoir dire si la situation actuelle ne serait pas, dans un contexte différent, similaire, de fait les conditions géopolitiques actuelles ne permettent pas un libre choix de leurs dirigeants pour les citoyens des territoires de « l'autorité palestinienne », y compris ceux des parties de ces territoires qui n'en dépendent que nominalement. Beaucoup d'entités politiques sont dans le cas d'une situation de guerre et dans ces situations la liberté est mise à mal. Parmi les autres entités, il y a presque toujours un gauchissement des procédures, qui peut concerner tous les choix ou une partie d'entre eux, et qui même dans les cas où le choix est nominalement libre, sont souvent moins libres que n'en disent les règles4. En toute honnêteté, je n'ai pas l'impression que dans le contexte actuel il y ait une entité politique entièrement libre dans ces choix, sinon peut-être la Suisse – à vérifier – ou des parties d'entités politiques autonomes ou sécessionnistes – je pense notamment à quelques confédérations où certaines des entités fédérées ont des règles de sélection très souples.

Dans les faits, une entité politique – pour faire simple je dirai par après un État, même si le nom ne s'applique pas toujours – instaure le plus souvent des procédures de sélection qui font que sous les apparences d'un processus démocratique le choix est plutôt oligarchique ou aristocratique (en général pseudo-aristocratique en ce sens que lesdits supposés aristocrates ne sont pas “les meilleurs” mais les membres d'un groupe qui se définit lui-même tel et dont les membres sont cooptés ou sont des héritiers) et préalable à l'élection. L'élément crucial est celui du “capital social”, un mixte de capital matériel (patrimoine et revenu), de ce que l'on nomme couramment capital social ou capital culturel, de réputation et de notoriété, qui définissent une position sociale où l'on est en situation, non d'être élu mais d'être choisi comme candidat d'un groupe. En théorie n'importe qui peut se porter candidat à une élection, avec des critères de sélection minimaux (lieu de résidence, citoyenneté, âge...), en pratique il faut donc disposer d'un certain capital social, d'autant plus important que la fonction sera éminente. Les cas sont divers, dans certains États l'appartenance à un groupe politique reconnu est requis pour une candidature, dans d'autres non, dans certains la charge des frais de campagne (affichage, prestations audiovisuelles, impression et mise à disposition de bulletins s'il y a lieu, etc.) sont à la charge des candidats, dans d'autres ils sont pris en charge en partie ou totalité par la puissance publique, dans certains une campagne ne peut être financée que par le candidat et son groupe politique, dans d'autres il n'y a pas de limite pour les financements de soutien, etc. Reste ceci : en majeure partie les règles sont conçues de manière à favoriser certaines candidatures, précisément celles des candidats qui ne mettront pas en cause ces règles ni l'organisation générale de la société. En France par exemple, où l'appartenance de groupe, l'appartenance politique, la réputation et la notoriété sont prépondérants, les limites au financement sont grandes et les contrôles de comptes de campagne nominalement sévères (dans les faits c'est moins évident, ça dépend pour beaucoup du capital social des candidats), aux États-Unis l'appartenance politique n'est pas prépondérante ou significative, l'appartenance de groupe importante mais variable selon les territoires, la réputation importe mais moins que la notoriété, du fait le capital matériel sera un déterminant fort, d'où une assez faible limitation dans les financements de soutien et un contrôle de comptes de campagne minimaliste. Les méthodes varient, le but reste le même : figer la stratification sociale.

L'écosystème des sociétés humaines.

Les humains ont cette capacité de structurer leurs organisations comme des écosystèmes à deux niveaux : écosystème réel et écosystème fonctionnel. L'écosystème réel est l'espace de la société, comme dit le territoire habité ou exploité par une société humaine et tout ce qu'il contient, biotique ou non biotique, en fait partie, les humains n'occupent pas un territoire, ils le construisent. L'écosystème formel est sa structuration hiérarchique, dans celui-ci la seule partie significative est la population humaine, qui se constitue à la fois comme un organisme et comme une “chaîne alimentaire” où les humains remplissent toutes les fonctions biotiques. Sauf circonstances particulières ou exceptionnelles les humains ne se mangent pas réellement les uns les autres mais ils le font symboliquement. Dans une société de faible dimension et/ou d'impact limité sur son espace, ses membres sont assez polyvalents et il y a peu de spécialisations, en outre certains fonctions spécialisées sont dangereuses, dans une société très égalitaire il ne fait pas bon occuper une place éminente durablement, plus on y est, plus on accumule les erreurs, et plus on prend le risque que ça devienne des fautes, et dans une société égalitariste les fautes se paient comptant, par l'ostracisme ou la mort. Une société assez ou très large et d'impact fort sur son espace tend à spécialiser plus mais pas trop, en théorie, et les fonctions les plus éminentes sont aussi les plus dangereuses, mais là encore en théorie. En pratique et le temps passant, les positions tendent à se figer et à se transmettre par hérédité ou par cooptation.

Comme organisme, et bien, ça varie. Le modèle est en général celui d'un vertébré, souvent mammifère ou oiseau mais ça peut aussi être un poisson, un amphibie... En gros, une tête, un tronc, deux à quatre membres, un squelette, un système cérébro-moteur. Plus la société sera complexe plus l'organisme le sera, outre la répartition massive indiquée des groupes mimeront le fonctionnement de certains organes. Il ne s'agit bien sûr pas de se constituer réellement en organisme mais de faire fonctionner la société “comme un seul être” où chacun remplit une fonction, “la tête” ayant celle de coordonner l'ensemble. Comme chaîne alimentaire, chaque étage “dévore” l'étage inférieur, ce qui signifie en la circonstance que l'énergie disponible produite ou récupérée est inégalement répartie et en rapport inverse à la productivité : les étages les plus éminents produisent très peu et reçoivent beaucoup, inversement pour les étages les moins éminents. Raison pourquoi les personnes qui occupent les fonctions les plus éminentes doivent censément le faire peu de temps et peu souvent : en théorie, elles ont obligation à dépenser l'énergie que la société leur octroie ou à la restituer, en pratique on ne peut pas toujours le vérifier, un turnover constant et rapide permet de réduire les risques de captation des ressources ; si on y ajoute qu'une personne éminente devra, un temps au moins aussi long que celui où elle occupa cette position, se voir interdire toute activité sociale et tout transfert de ressources, ça l'obligera à dépenser ses ressources et ça réduira d'autant les risques de thésaurisation. Une autre méthode pour éviter l'inégalité est le jubilé déjà évoqué : dès lors que les dettes sont remises régulièrement (chez les Hébreux anciens c'était tous les sept ans) il ne sert à rien de thésauriser puisque ce qu'on “prête” est perdu si non remboursé par l'emprunteur. L'idée du jubilé est d'éviter que les producteurs, qui font vivre la société, soient les moins bien dotés.

Formellement, les fonctions les plus éminentes sont “carnivores”, celles médianes sont “herbivores”, celles les moins éminentes “végétales”, à quoi s'ajoutent deux ensembles intermédiaires, des “omnivores” entre les “carnivores” et les “herbivores”, des “végétaux non autotrophes” entre les “herbivores” et les “végétaux”, et deux ensembles transversaux, peu déterminés, qui font circuler les ressources sociales d'un ensemble à l'autre. Comme on ne peut guère faire autrement que parler par métaphores et paraboles dans la description d'une réalité peu analysée je m'y plie, mais ça m'ennuie, je crains toujours (et sais que ça arrive souvent) qu'un lecteur pressé ne prenne les métaphores pour des faits. De l'autre côté c'est la nature même du langage que d'être métaphorique... Bref, comparaison n'est pas raison, ces attributions de fonctions “animales” à des réalités humaines n'a aucun caractère littéral, il s'agit d'une organisation biotique qui a donc tous les traits des êtres vivants, entre autres le fait qu'un être vivant est nécessairement prédateur. Le but d'une société est le même que celui des autres entités animées, maintenir ou réduire son niveau d'entropie. Pour cela elle doit augmenter son niveau d'énergie disponible, ce qui lui permettra le cas échéant – et il échoit souvent – de corriger son fonctionnement localement, soit en dispersant de l'énergie, soit en la concrétisant. Les fonctions les plus éminentes sont des fonctions de contrôle et de régulation, lesquelles sont très consommatrices d'énergie, soit qu'elles l'utilisent, soit qu'elle la transfèrent. Pour exemple, le cerveau humain, principal organe de contrôle et de régulation chez les mammifères, représentant alentour de 2% de sa masse corporelle, consomme selon les moments 15% à 30% de l'énergie dépensée, en moyenne alentour de 20%, et s'il n'en dispose pas directement commande et dirige la consommation d'énergie des organes qui lui permettent l'effectuation des corrections nécessaires au maintien de l'individu, on peut donc estimer la part dévolue à l'ensemble des opérations de contrôle et de régulation à entre 60% et 80% de la consommation d'énergie, parfois plus dans des conditions extrêmes, or pour leur plus grande part les organes remplissant ces fonctions sont peu producteurs, je veux dire, ils ne font pas partie des organes qui produisent plus d'énergie qu'ils n'en consomment.

Le principal coût en ressources pour un être vivant est ce qu'on peut appeler communication, qui a trois aspects, connaître, comprendre, agir. Connaître ou c'est sentir, recueillir des informations sur l'environnement, sur soi et le rapport de soi à l'environnement. Comprendre c'est faire des conjectures, des calculs, sur un comportement adapté au contexte en fonction de la connaissance qu'on en a. Agir est le résultat de ce calcul – ne rien faire est aussi agir, informer les organes d'effectuation de maintenir la structure statique, immobile. Communiquer est coûteux mais vital, vital mais coûteux. Un problème constant est précisément de maintenir cette structure de communication, si pour quelque raison l'individu n'a pas l'opportunité de renouveler son stock de ressources ça ne réduira que peu ou pas du tout la consommation en énergie du système principal de contrôle, le système nerveux, en un premier temps ; l'organisme puisera d'abord sur des réserves secondaires (cellules grasses) puis il réduira son métabolisme, puis utilisera des organes relativement secondaires, comme les muscles, en tant que ressources, puis d'autres organes, avant de réduire par nécessité les ressources destinées au système nerveux, tout simplement parce qu'il n'a plus de réserves.

Bien sûr, si une société est un organisme elle n'est pas un individu, en théorie elle peut commencer à réduire le niveau de ressources du groupe assurant la communication bien avant que ça devienne critique, disons, elle a la capacité d'hiberner ou d'estiver, de ralentir son métabolisme et de réduire fortement ses capacités de communication sans se mettre en péril. Une société efficace est réticulaire, elle s'organise en “nœuds” assez ou très autonomes qui, le cas échéant, peuvent pendant un temps parfois assez long vivre en quasi-autarcie, puiser dans ses propres réserves et limiter drastiquement ses communications avec les autres nœuds. Une société inefficace est textile, elle s'organise en “trame” et en “chaîne”, configuration beaucoup plus solide quand les ressources sont abondantes mais problématique quand elles se réduisent, dans un textile il y a aussi des nœuds mais très réduits et d'autonomie presque nulle, sans apport extérieur de ressources il dépérit très vite et ça crée un trou dans la toile (le tissu) difficile à réparer s'il s'étend, alors que dans un filet (un rets), les ruptures entre nœuds font un dommage mineur et facilement réparable. J'en discute plus par ailleurs, toute société est à la fois textile et réticulaire, la question étant de savoir ce qui fait tissu et ce qui fait rets. À la base, une société est réticulaire, elle réunit des individus qui restent autonomes et mobiles, et chaque fois qu'un de ses membres ou qu'un groupe vient au bout de sa part du contrat social, ou quand le projet social devient irréalisable, si un nouveau contrat n'est pas conclu les membres de la société reprennent leur liberté, se défont de leurs liens. La société textile est un pari : les contractants supposent une association à durée indéterminée et potentiellement infinie, pour les siècles des siècles, jusqu'à la quarantième génération, bref, jusqu'à la fin des temps. Dans la discussion où j'évoque les tissus et les rets, je parle de la superstructure et de l'infrastructure pour chacune de ces formes, mais comme une société très large et active est nécessairement à la fois textile et réticulaire, la question est alors de savoir comment est formée la superstructure et comment l'infrastructure.

Comme dit, une société est avant tout réticulaire, d'où, l'infrastructure, donc la partie matérielle de la structure, sera préférablement réticulaire, la superstructure, la partie fonctionnelle, étant plutôt textile même si effectivement réticulaire. Or ça n'est pas le cas dans une société à forte dominante complotiste, qui préfère une infrastructure textile et une superstructure réticulaire. Le but est, disons, de réduire l'autonomie de la majorité des membres de la société – factuellement, de tous les membres de la société même si les membres d'un complot croient augmenter leur propre niveau d'autonomie. Tout ça est illusion bien sûr ou, comme disait Guy Debord, spectacle, sauf pour les individus réellement dépendants, qui sont assez rares, chaque membre de la société a une égale et constante autonomie, une fois, disons, adulte. À un niveau très élémentaire la vie est textile, elle calque son mode d'être à celui universel, dans un écosystème il n'y a pas de solution de continuité entre individus et des individus (la biocénose) à leur milieu de vie (le biotope). Cependant ce qui fait la singularité des êtres vivants est leur autonomie, donc à un niveau secondaire, celui des individus justement, chacun d'eux est indépendant des autres et s'y relie, il y a à la fois solution de continuité et interrelation entre individus, organisation réticulaire. Je ne vais pas retracer ici toute l'évolution des espèces, en tous les cas on peut observer qu'il y eut au cours de cette très longue histoire une alternance dans l'organisation des espèces et des individus, le but général étant de concilier les deux structures, en tissu et en rets : les cellules eucaryotes forment un textile qui, en interne, se compose en réseau ; la première forme de pluricellulaires est fondamentalement réticulaire, des colonies d'individus peu ou non différenciés et conservant leur autonomie ; les organismes sont textiles, une forme fermée dont les individus n'ont plus d'autonomie, mais en interne ils composent des réseaux et même, des réseaux de réseaux, chaque organe est une sorte de colonie, l'ensemble des organes formant à son tour un réseau. Etc. Et in fine les sociétés humaines qui sont des organismes fractals, chacun de ses éléments est à la fois une cellule, une colonie, un organisme et une société, et chacun à la fois textile et réticulaire.

L'organisation textile est typiquement organique, il y a interdépendance forte des individus, indépendance faible, limitée ou nulle, autonomie réelle nulle, autonomie formelle limitée. Raison pourquoi dans une société d'orientation complotiste même les groupes de complots font erreur en se croyant autonomes : leur autonomie étant tributaire des ressources sociales dont ils disposent, comme ils n'en sont pas les producteurs ils n'ont d'autre autonomie que celle, assez factice, que leur concède la société. Disons, un groupe de complot est quelque chose comme un cerveau qui, au prétexte qu'il contrôle et dirige le “corps social”, croirait alors que le corps dépend de lui pour sa survie. Or, si on a déjà vu un corps sans tête vivre et agir, parfois assez longtemps, on n'a pas encore vu ça pour une tête sans corps...

L'illusion complotiste.

Vous l'aurez compris, dans mon approche le complot est une structure et non un « projet quelconque concerté secrètement entre deux ou plusieurs personnes ». Bien sûr il y a une “volonté complotiste”, les choses ne se mettent pas en place d'elles-mêmes, ce qui n'induit pas proprement un complot, c'est plutôt un effet découlant d'un choix, celui de privilégier l'organisation textile, d'en faire le substrat, l'infrastructure de la société. Certes, il y a parfois de réels complots pour “mettre la société au pas” mais c'est d'ordre réactionnaire, dans un contexte où une société se transforme et ce faisant, met en cause les positions des groupes de pouvoir, ceux-ci peuvent organiser une contre-révolution qui est nécessairement d'ordre complotiste, et en cas de réussite, que la société ait été organisée plutôt comme un réseau ou plutôt comme un tissu, les complotistes en feront un tissu – voir par exemple la guerre d'Espagne, celle de 1936, où la contre-révolution franquiste était bien un complot, et où sa réussite, favorisée par des alliés puissants (Italie, Allemagne), a résulté en une organisation typiquement complotiste, infrastructure textile, superstructure réticulaire.

Une révolution, une vraie révolution, est fondamentalement un rétablissement, une “coalition des égaux” qui, dans un contexte social “complotiste” vise à rétablir la structure initiale de toute société, infrastructure réticulaire, superstructure textile. Qui vise à, comme l'on dit, refonder – ou fonder – le contrat social. En général ça ne marche pas trop, pour bien des raisons et en premier, parce qu'on ne change pas vraiment la structure. Enfin, ça marche ou ça ne marche pas, difficile de trancher~hs. À court terme une révolution ne donne pas les résultats escomptés du fait des pesanteurs sociales, même si une part assez importante de la population, spécialement parmi les nouveaux dirigeants, aspire vraiment à une “république des égaux”, en termes actuels une démocratie, les schémas de pensée et de comportement restent majoritairement ceux acquis dans la situation antérieure, du fait, après un temps assez bref une part significative de la population, y compris parmi les dirigeants, qui a perdu ses anciens repères et n'en a pas encore trouvé de nouveaux, ne supporte plus cette incertitude et demande, ou consent, à un rétablissement de la structure ancienne. Mais entretemps il y a eu révolution, donc structure nouvelle. Or, si la majorité veut retrouver l'ordre ancien elle ne veut cependant pas abandonner les acquis nouveaux. Une révolution échoue presque toujours à court terme mais s'accomplit presque toujours à moyen ou long terme, ou alors la société se disloquera – ce qui arrive aussi, mais pas si souvent qu'il en paraît. Considérant les suites de la Révolution française, que voit-on ? Après la première phase, en gros 1789-1792, il y a une période d'incertitude où se combinent guerre civile, guerres de frontière, luttes pour le pouvoir et in fine, avec le Directoire une tentative avortée de retour à l'ordre, puis avec le Consulat et l'Empire une première phase de “retour à l'ordre” qui n'en est pas un, il y a bien rétablissement de l'ordre (contre-révolution structurelle) mais non retour, même si formellement contre-révolutionnaires, le Consulat et l'Empire sont bien la poursuite par d'autres moyen du projet révolutionnaire, le fond sans la forme. La suite, la Restauration, ne restaure rien : le projet du deuxième roi de cette période, Charles X, semble bien d'avoir réellement voulu restaurer l'Ancien Régime, alors que le premier, Louis XVIII, qui eut aux tous débuts (1789 et 1790) une certaine connivence avec certains révolutionnaires, tenta et, pour partie, réussit à concilier restauration et changements post-révolutionnaires. Quant à Charles X, il échoua dans son projet et fut obligé à l'abdication en faveur de son cousin Louis-Philippe, qui fut, avec son père, partisan actif de la Révolution.

Une révolution échoue presque toujours, une contre-révolution échoue toujours parce qu'on ne peut jamais revenir en arrière, ce qui est passé est passé. Elle peut – cas du franquisme – réussir comme projet d'établissement d'un régime réactionnaire mais échouera toujours pour son projet fondamental, restaurer l'ordre ancien : la société ayant changé, le groupe de complot devra nécessairement user des armes de ses adversaires pour compter les vaincre, et comme un moyen est une fin, utiliser les moyens du changement pour tenter de rétablir la société antérieure provoquera un changement. Souvent catastrophique, mais un changement – voir aussi les cas du fascisme italien et du nazisme, on peut les voir comme le projet de revenir vers le moment de plus grande gloire de leur passé mythique, Empire romain pour les fascistes, Saint-Empire pour les nazis, ce en quoi ils ont échoué, mais après une période que je préfère ne pas avoir vécue... L'échec prévisible d'une contre-révolution peut se faire par ralentissement ou par accélération : pour assurer le contrôle de leur population Franco et Salazar ont sciemment réduit la disponibilité de ressources ; à l'inverse Mussolini et Hitler ont provoqué un emballement. Dans les deux cas l'échec est donc inévitable mais c'est sûr que ça dure beaucoup plus longtemps avec la méthode du ralentissement...

L'illusion complotiste part de cette prémisse fausse, “Nous et Eux” : dans toute société il n'y a que des “nous”, fondamentalement ses membres sont des égaux. La structure formelle hiérarchique est uniquement fonctionnelle mais pour durer il doit y avoir du mouvement, de la mobilité sociale, pour réduire autant que possible les disparités entre individus et groupes. Quand on commence à penser en terme de “nous et eux” en considérant que ces positions sont fixes et définitives, on se prépare à faire un truc idiot : mobiliser toujours plus de ressources juste pour maintenir la structure, contrôler et réguler non plus en faveur de la société mais en faveur de ses groupes les moins productifs, ou thésauriser ces ressources pour les soustraire à de possibles opposants – et dans un schéma du type “Nous et Eux”, le temps passant il y a de plus en plus de “eux” et de moins en moins de “nous”.


Partie I               Partie IIIPartie IVPartie V

1. C'est une petite blague, rapport au fait que j'ai entendu sur ma radio plusieurs physiciens expliquer doctement que le temps n'existe pas, ce qui ne les empêche de regarder leur montre pour voir s'il est temps de faire ceci ou cela...
2. Je situe les choses à partir du présent, pour simplifier à partir de l'an 2000 de l'ère commune, donc l'an 0 ou l'an 1. Bien sûr, pour les périodes récentes, au plus 3000 à 3500 ans, j'utiliserai si nécessaire les datations habituelles, si j'évoquais la découverte des Caraïbes par l'expédition de Christophe Colomb, je ne parlerai pas de -508, ou l'expédition de Jules César dans les Gaules, de -2052, parce que dès l'an prochain ça sera inexact.
3. Il faut s'entendre, le domaine académique étiqueté “économie” a un versant sinon scientifique du moins technoscientifique, et dans cet aspect forme une des branches de la sociologie et en partie de l'Histoire, de ce point de vue elle a un rapport fort aux sciences, par contre son versant “théorique” se rattache plutôt à la philosophie, notamment celle politique, et à la théologie, et se constitue de ce fait en idéologies
4. Je pense notamment au cas français jusqu'en 2013, où dans la majorité des communes (celles de moins de 3500 habitants) on pouvait “panacher”, c'est-à-dire glisser plusieurs bulletins dans une même enveloppe en rayant des noms, mais aussi ajouter les nom de résidents de la commune même non candidats, la seule règle étant que le nombre de personnes désignées ne dépasse pas le nombre de sièges à pourvoir. Depuis, le nombre de communes où le panachage est possible a beaucoup réduit (les seules comptant moins de 1000 habitants) et si on peut rayer des noms on ne peut plus en ajouter. Or, sauf dans d'assez petites communes ou dans des communes assez uniformes électoralement où les listes s'opposaient plutôt sur les personnes que sur les programmes, on usait assez modérément de la possibilité de panacher.