Cette remarque rapport à une amorce de texte rédigée en 2002 sous le titre « Deux millions de morts », que je cite in extenso :

C'est le nombre le plus courant donné pour les décès dus à la réputée “guerre civile” qui a lieu au Congo (celui “démocratique”, ex Congo belge, ex Zaïre) depuis… et bien, depuis “un certain temps”. En fait, je ne sais pas ce que comptabilise ce “deux millions de morts” : ceux ayant eu lieu depuis la nouvelle guerre civile, depuis précisément que les ex-alliés anti-Mobutu de 1997 se battent entre eux ? Ceux morts depuis que l'État part à vau-l'eau, soit environ 1993 ? Ceux advenus depuis 1995, quand le conflit ruandais s'est étendu dans les zones limitrophes de ce pays avec le Congo ? Aucune idée. Deux millions de morts. Disons, depuis 1996, soit environ 6 ans. Ça fait plus de 330.000 morts l'an, soit l'équivalent de Monpellier, une fois et demi la population de Tours ou d'Orléans, cinq à six arrondissements parisiens, quatre fois le nombre d'habitants de Bourges, plus de la moitié de la population de Lille. Bref, ça fait du monde.
Les morts, ça se compte difficilement : est-ce qu'il y a eu deux millions de morts du fait de la guerre, ou bien depuis le début de la guerre ? Les guerres, ça se décrit difficilement : la guerre actuelle au Congo, est-ce une guerre civile, ou bien une guerre interétatique ? D'après ce que j'en peux savoir, plusieurs nations plus ou moins proches (en fait, certaines assez lointaines), participent directement avec leurs troupes ou indirectement en fournissant armes et logistique aux diverses parties.

Écrit il y a seize ans en ce 2 septembre 2018. Il y a certes eu des changements entretemps, en premier le nom du dirigeant (mais non le dirigeant lui-même, qui comme en bien des endroits, telles la Corée du Nord et la Syrie, n'est qu'un prête-nom, fils du précédent et représentant des mêmes groupes d'intérêts que son père), le nombre de morts (plus du double, probablement le triple) et les exactions (encore plus cruelles qu'à l'époque). Ces temps derniers, j'ai relu quelques-uns de mes écrits commis entre, en gros, 2000 et 2005 pour des raisons de documentation en lien à la rédaction de nouveaux textes, et constate (mais je m'y attendais) que ce qui se rapportait à “l'actualité”, on aurait pu l'écrire aujourd'hui. Contrairement à ce que prétendent régulièrement certains médiateurs, l'information ne va pas de plus en plus vite, ce qui va de plus en plus vite est la diffusion de l'information. Je le constatais dans des discussions traitant de ce pont-aux-ânes, dans n'importe quel média, de la presse jusqu'à Internet en passant par la radio et la télévision, la quantité d'informations sur une période donnée, une semaine ou deux par exemple, est mince et de faible progression (on n'en a pas beaucoup plus quantitativement en 2018 qu'en 2002 ou en 1984), la quantité de publications est en revanche de plus en plus importante mais pratique le ressassement, pour exemple récent “l'affaire Bénalla” pour laquelle la quantité de publications est sans proportions avec la quantité d'informations sur cette affaire.

Pour le dire cruellement : nos médias, nos “responsables” de diverses sortes et en premier ceux politiques, et toutes les personnes qui ont l'opportunité d'avoir leur parole relayée et amplifiée dans l'espace public parlent de plus en plus souvent et de plus en plus vite, mais côté action, c'est en proportion inverse. Le conflit au Congo-Zaïre revient régulièrement dans les discours, mais de moins en moins dans les tentatives effectives de résolution. Ou pour un cas dans l'actualité, il ne se passe pas de jour sans qu'on nous parle de la Syrie, pas une semaine sans que le Yémen et la Corée du Nord reviennent dans les discours, et pas une année sans que rien ne soit sérieusement fait pour résoudre ces conflits.