Je suis Éric Zemmour. Pour Arabe c'est une simplification, pour Viking aussi, la première par une fausse désignation qui regroupe beaucoup de “non arabes”, la deuxième par une attribution très élargie et en même temps restreinte. C'est dans son nom : “Éric” se relie directement à un nom scandinave et indirectement à un nom germano-celte, Henri, et aussi le toponyme Heric et les anthroponymes graphiés Heric ou Heiric, peut-être liés à Henri même si un des noms d'humain est graphié en latin Heiricus, un hapax semble-t-il ; Zemmour est lisiblement un nom d'origine nord-africaine, ce que valide Éric Zemmour même en se présentant comme « juif d'origine berbère » à l'occasion. Gaulois par choix, à la mode Sarkozy, vous savez, quand on est un Français on doit dire « Nos ancêtre les Gaulois », et y croire. Franc un peu pour les mêmes raisons, tous les Français sont à la fois Gaulois par leur ancestralité supposée et Francs par le nom même du pays, qui dérive du nom désignant ce supposé peuple. Antisémite par son discours, audiblement il n'aime guère les “musulmans”, le terme poli pour dire “bicots”, les Nord-Africains autres que Juifs et Pieds-Noirs, vous savez, comme au bon vieux temps, les “Français Musulmans”. À noter, sous le Seconde Empire les populations autochtones sont décrétés par sénatus-consulte (ça signifie “ordonnance du sénat” et a valeur de loi sous les empires napoléoniens) « Indigènes français », ce qui concorde avec l'intégration de l'Algérie au territoire national quelques décennies avant, aborigènes “musulmans” et “juifs” sont tous naturalisés, les Européens autres que natifs français le sont sous condition de résidence de plus de trois ans1. Pour le pétainisme je ne sais rien de plus que le fait qu'on le répute pétainiste, “on” étant en l'occurrence les journalistes de France-Culture et les débatteurs de deux émissions de débat, plus certains commentateurs. C'est possible que oui, c'est possible que non. J'ai mon idée sur le bonhomme mais là ça m'étonne, juif ET partisan de Pétain et du pétainisme ? Peut-être même un peu nazi sur les bords ? Ça m'étonne...

Éric Zemmour m'intéresse en tant que vivante incarnation de la très complexe histoire de la France au cours des temps, particulièrement depuis la deuxième moitié du XIX° siècle, en gros les derniers 250 ans. Et en tant qu'idéologue d'une tendance actuelle, qui cela dit n'est pas très neuve même si d'une forme inédite, la “séparation des identités”. en tant qu'idéologue il faut s'entendre : de ce que j'ai pu entendre de lui il n'a aucune idée originale, il a par contre un talent certain pour condenser toute une nébuleuse de dogmes et lieux communs réactionnaires en un ensemble hétéroclite plus que vaguement unifié. Je m'interroge toujours sur les motivations des personnes : Zemmour fait-il cela parce que d'un discernement limité et très sensible à un certain air du temps, ou a-t-il une réelle intention idéologique et se sert-il de cet air du temps pour porter plus fort son projet, ou est-il une sorte d'escroc qui veut faire son beurre en se faisant l'écho de cet air du temps, ou est-il une sorte d'humoriste pince-sans-rire qui pousse cette attitude jusqu'à la caricature pour la miner en la mimant outrancièrement ? Aucune idée.


L'air du temps... Vous avez je suppose entendu parler du “réchauffement climatique” ? Il m'arrive de dire “supposé réchauffement climatique”. Non que je doute de ce réchauffement, mon opinion n'est pas encore faite mais ça me semble une hypothèse solide, le problème, qui n'en est pas proprement un, vient de ce que les récits médiatiques et par ricochet ceux publics les plus courants là-dessus ont un rapport distant avec ce que recouvre l'expression pour les scientifiques qui étudient le phénomène. Tel qu'utilisé par les médias et par les commentateurs qui s'y expriment il s'agit en général d'une parole magique, d'un “principe explicatif” pour tout ce qu'on ne comprend pas trop, un peu comme “la Bombe”, pour dire “les bombes atomiques” : quand on ne savait pas trop s'expliquer un phénomène jugé anormal et inquiétant on en accusait “la Bombe”, les phénomènes anormaux rassurants ayant pour cause magique “le Progrès”. En 2018, la cause magique maléfique est “le Réchauffement”, celle bénéfique, “l'Innovation”. Exemple, ni la sécheresse de 1976 avec un niveau moyen élevé des températures entre mars et septembre ou octobre, ni la période caniculaire très longue de 2003 n'ont été “expliquées” par “le Réchauffement”, pourtant constaté avant 1976, étudié et abondamment discuté dès la décennie 1990. En 1976, pour qui ne se satisfaisait pas du simple constat d'une météorologie rare mais non inédite et pour qui la cause magique “la Fatalité” ne suffisait pas, celle retenue était “la Bombe” ; en 2003, en pleine période de débat des “croyants” et des “sceptiques”, la cause magique “la Bombe” n'était plus fonctionnelle, celle “le Réchauffement” ne l'était pas encore ; en 2018 et malgré la réticence d'une part assez large de la population mondiale (je dirai, au moins un tiers des humains qui ont connaissance de cette cause magique, mais inégalement répartis dans le monde), il y a un sentiment assez partagé sur sa validité, qui rend inaudible le discours des rares “sceptiques” ayant encore un peu accès aux médias. Du fait, la sécheresse et les températures exceptionnelles de l'été et de l'automne 2018 ont leur explication, leur cause première, “le Réchauffement”.

Il y a un problème avec les causes magiques, on ne peut rien faire contre.


Le réchauffement climatique me semble un bon exemple de constitution d'une idéologie, un bon exemple parce non évident. Pour autant qu'il soit sincère ou qu'il ait la volonté d'imposer par la propagande un projet social particulier, Éric Zemmour ne figure pas un bon exemple, il est décodable en tant que porteur d'une idéologie, alors que le réchauffement climatique est la version la plus récente de “l'idéologie dominante” et en tant que telle n'apparaît pas, dans sa phase ascendante, une idéologie. Se plaçant à la fin de la décennie 1980 et encore plus nettement au début de la décennie suivante, l'ultra-libéralisme qui se déploie pour l'essentiel du milieu de la décennie 1970 au milieu de la décennie 1980 devient pendant un temps assez court un fait d'évidence, une évolution nécessaire et incontournable des sociétés humaines, comme l'avait alors dit une de ses plus ardentes militantes, « Il n'y a pas d'alternative ». Dans ce cas-ci l'idéologie dominante le resta peu de temps parce que sa visée était bien trop courte, et parce qu'elle ne pouvait convaincre à plus long terme que les convaincus : prétendre qu'une forme particulière de régulation sociale est la seule possible n'a de valeur que le temps qu'une autre n'apparaît pas, qui ait une valeur égale en tant qu'idéologie. Le réchauffement climatique n'a pas ce défaut parce qu'il se base sur des données indépendantes de toute idéologie partisane, l'élévation persistante des températures moyennes sur une période assez longue avec augmentation progressive est de l'ordre du fait, et du fait vérifiable. Dès lors, dire comme moi que c'est de l'ordre de l'idéologie a peu de chances d'être acceptable et donc de figurer comme la base d'une idéologie alternative, cela d'autant que jusqu'à récemment il y eut une contre-idéologie qui par ses excès et la mauvaise foi de presque tous ses défenseurs a disqualifié tout discours conte “le Réchauffement” en tant qu'idéologie dominante – ce qu'elle n'était pas il y a encore quelques années.

Il n'est de bonne fin que par de bons moyens : utiliser la notion de changement climatique pour ce qu'elle est et pour elle-même, comme base de réflexion pour une possible action qui n'en découle pas mais en tienne compte, apparaît bien utiliser un moyen pour ce qu'il est, et viser une fin pour ce qu'elle est ; utiliser la notion de réchauffement climatique en tant qu'argument de justification d'une certaine politique, comme élément de propagande, apparaît comme utiliser un mauvais moyen pour une fin qui, du fait qu'elle use de mauvais moyens, ne peut pas être bonne. Dans un texte récent j'ai trouvé une comparaison pour expliquer où gît le problème : vouloir monter un mur n'est une fin ni bonne ni mauvaise en soi, le projet motivant cette construction peut apparaître bon, mais si on utilise un niveau faussé pour établir l'assise du mur, quel que soit le projet la fin sera mauvaise parce qu'on n'obtient pas un bon résultat avec un mauvais outil si on ne le sait tel. La limite de la propagande vient de ce fait d'évidence : on n'obtient pas de résolution d'une situation complexe en proposant des solutions simples à partir de prémisses fausses. Comme “le Réchauffement”.

Avant de poursuivre sur cet aspect propagandiste du slogan “le Réchauffement”, un extrait de texte fort instructif, rédigé il y a plus de quarante ans – publication initiale en 1973, reprise et complétée dans les années suivantes :

On néglige en général le fait que l'équité et l'énergie ne peuvent augmenter en harmonie l'une avec l'autre que jusqu'à un certain point. En deçà d'un seuil déterminé d'énergie par tête, les moteurs améliorent les conditions du progrès social. Au-delà de ce seuil, la consommation d'énergie augmente aux dépens de l'équité. Plus l'énergie abonde, plus le contrôle de cette énergie est mal réparti. Il ne s'agit pas ici d'une limitation de la capacité technique à mieux répartir ce contrôle de l'énergie, mais de limites inscrites dans les dimensions du corps humain, les rythmes sociaux et l'espace vital.
On croit souvent trouver un remède universel à ces maux dans l'hypothèse de carburants non polluants et disponibles en abondance, mais c'est là retourner au sophisme politique qui imagine pouvoir accorder, dans certaines conditions politiques, le règne d'une équité et d'une consommation d'énergie également illimitées. On confond bien-être et abondance énergétique, telle que l'énergie nucléaire la promet pour 1990. Si nous acceptons cette vue illusoire, alors nous tendrons à négliger toute limitation énergétique socialement motivée et à nous laisser aveugler par des considérations écologiques : nous accorderons à l'écologiste que l'emploi de forces d'origine non physiologique pollue l'environnement, et nous ne verrons pas qu'au-delà d'un certain seuil, les forces mécaniques corrompent le milieu social. Le seuil de la désintégration sociale due aux grandes quantités d'énergie est indépendant du seuil auquel la transformation de l'énergie se retourne en destruction physique. Ce seuil, exprimé en kwh ou en calories, est sans doute peu élevé. Le concept de quanta d'énergie socialement critiques doit d'abord être élucidé en théorie avant qu'on puisse discuter la question politique de la consommation d'énergie à laquelle une société doit limiter ses membres.

Dans Énergie et Équité, par Ivan Illich (principal rédacteur) et quelques autres2. Vous le constatez, ce n'est pas d'hier qu'on peut le comprendre, le problème principal ne réside pas dans la consommation de carburant mais dans la dépense d'énergie.

Le changement climatique me semble un fait avéré, le réchauffement climatique n'en est qu'un des aspects, de ce fait réduire le changement à ce seul aspect, “le Réchauffement”, permet de mettre de côté l'aspect principal : « On confond bien-être et abondance énergétique [...]. Si nous acceptons cette vue illusoire, alors nous tendrons à négliger toute limitation énergétique socialement motivée et à nous laisser aveugler par des considérations écologiques : nous accorderons à l'écologiste que l'emploi de forces d'origine non physiologique pollue l'environnement, et nous ne verrons pas qu'au-delà d'un certain seuil, les forces mécaniques corrompent le milieu social ». Partant de ce slogan réducteur, en considérant que le problème principal est l'émission de gaz à effet de serre, en pointant le seul gaz carbonique, “nous accorderons à l'écologiste” qu'il faut réduire les émissions dues à la consommation de carburants fossiles producteurs de ce gaz, de ce fait une solution qui réduit la production de ce gaz sans réduire significativement la dépense d'énergie apparaît valide. En gros – et en détail –, résoudre une cause en agissant sur son effet.


Bien sûr, une part non négligeable de personnes “résiste”, ne base pas ses analyses et les actions qui en découlent sur ce type de réduction propagandiste3, mais ça n'influe que lentement et marginalement sur la société. Paradoxalement, ou non4, la manière efficace de lutter contre la propagande est un savant dosage entre la raison et la passion, cas actuel, par exemple, d'une lutte civique et civile ou comme on dit depuis quelques temps d'une “lutte citoyenne”, à Romainville, une mobilisation en défense de la préservation d'une forêt menacée par l'installation d'une “base de loisirs” – on sait à quel point la France manque de ce type d'installations... La passion, c'est la préservation d'un lieu porteur de mémoire, “notre forêt”, celle de l'enfance, de la promenade, de la découverte de la nature, la raison c'est : on nous parle du réchauffement climatique et on nous propose la création d'un site qui y contribuera trois fois, en abattant des arbres qui ont le double intérêt de capter du gaz carbonique et de limiter la chaleur au sol, et en créant un site qui contribuera par lui-même et par l'usage de moyens de transport personnels par les visiteurs à augmenter les émissions de gaz carbonique.


1. Ce n'est pas mon but ici mais de fait après le Second Empire il y eut une certaine régression : jusqu'en 1870 tous les Français sont des “sujets français” et une part restreinte des “citoyens” même si, nominalement, ceux d'ascendance européenne en Algérie sont ou peuvent aussi devenir citoyens ; après 1870, tous les Algériens autres que “musulmans” sont citoyens, lesdits “musulmans” restant seulement sujets et pourvus d'un statut singulier, le “statut personnel” qui, comme son nom ne l'indique pas, est un statut communautaire : quand on ressort du statut personnel dans l'Empire français ça signifie qu'on ressort de deux systèmes de loi, l'un étant attaché à la personne en tant que membre d'une communauté et ressortant de la coutume locale ou d'une autre juridiction, généralement d'inspiration religieuse. Ne seront ultérieurement regroupés sous le terme “arabes” que ces “sujets musulmans” et les rares citoyens de cette ascendance, y compris ceux qui changent de religion ou n'en ont pas. Dans l'imaginaire actuel il y a une sorte de différence de nature entre “juifs d'Afrique du Nord” et “musulmans” alors que, comme le montre la revendication de Zemmour, par le fait les juifs qui ne sont pas des émigrés séfarades de la Péninsule ibérique sont pour l'essentiel des Berbères convertis ou les descendants d'une très ancienne implantation de Juifs de Palestine, en général un mélange des deux avec une dominante berbère. Sans compter certains anciens Chrétiens qui tant qu'à faire de changer de secte ont préféré celles des paléo-juifs que les néo-néo-sectes juives, celles musulmanes. Pour des raisons diverses qu'il est facile de retracer, par le fait sous le Second Empire eut lieu un net mouvement de “naturalisation” qui aurait du conduire à un accès de tous les Algériens à la citoyenneté, qui fut arrêté sous la III° République (même l'accès collectif des juifs d'Algérie à la nationalité précède la République puisque promulguée par le gouvernement provisoire dans cette période incertaine de deux à trois ans entre la fin de l'Empire et le retour de la République, par la promulgation de lois préparées et rédigées à la fin de l'Empire).
2. Une édition au format PDF en pagination “brochure” (après impression en recto-verso on obtient une brochure pliable), avec une préface et une postface, est disponible sur ce lien
3. Pour préciser, je nomme propagande tout discours qui s'appuie sur un corps de doctrine se reliant à une compréhension limitée et orientée de la réalité, et non les seuls discours qui la gauchissent volontairement. Autant que je le sache, une bonne part des “propagandistes” est sincère et honnête et ne perçoit pas le caractère fallacieux de ses présupposés. Hier j'ai pu entendre par exemple des “micro-trottoir” où plusieurs personnes favorables à Marine Le Pen et à son parti expliquaient qu'elles trouvaient injustes ses mises en examen, et d'une part relayaient le discours de ce parti selon quoi parmi le personnel politique seuls ses membres étaient poursuivis par la justice, ce qui est manifestement faux, d'autre part que si même Marine Le Pen avait commis les actes qu'on lui reproche, elle n'était pas la seule, et comme les autres “ne sont pas poursuivis”, elle ne devait pas l'être non plus. Preuve qu'avec des prémisses fausses on ne peut aboutir qu'à des conclusions fausses...
4. j'ai mon opinion sur ce qui peut apparaître un paradoxe, en gros, les seuls vrais paradoxes sont de discours, toute action ne peut qu'avoir une apparence de paradoxe, même quand elle se base sur un paradoxe de discours

Une bonne nouvelle :-)